Andrée Laurier semble apprécier les toiles impressionnistes, les fresques mystérieuses et intrigantes où le flou glisse dans le flou. Dans ses romans, les personnages sont emportés par des forces qui se frôlent et parfois se heurtent avec violence.
Dans «Horizons navigables», elle nous offre le monde fascinant du désert du Sahara où tout est sable et couleurs changenantes. Un univers où les dunes se meuvent comme des vagues pour modifier inlassablement le paysage, arrondir le pays et le réinventer à chaque heure du jour.
Les gens du Nord vivent les mêmes sensations quand la neige calfeutre l’horizon. Ils savent les danses et les mouvances du blanc qui suggèrent des perspectives, transforment les villes en toile à peine ébauchée.
Recommencement
Myriam est une solitaire qui gravite autour du monde de l’art. Elle aime la neige, les rafales pour s’abolir et se réinventer. Comme si elle pouvait mourir et ressusciter en plongeant dans une tempête,
«Quand le vent lâcha, on la vit un peu. Une femme svelte, pivotant sur ses pieds enfouis dans du talc froid. À peine bottée. Où était la galerie d’art à présent? Au-delà des tourbillons? Une dame cherchait le lieu d’une exposition. Mais c’était elle à présent qui s’exposait. Le vertige avait une odeur fraîche et vieille à la fois, celle du dessous de nuages. Quel jour était-on dans tout ce vent? Et quel était ce temps, fouetté de cristaux fous? (p.12)
En Tunisie, elle s’aventure dans le désert pour, peut-être, percevoir une autre vie. Selva et Guy, un couple un peu perdu dans ses habitudes, l’accompagnent. Aton, un Italien d’origine musulmane, est de l’excursion. Des amoureux aussi. Ce pourrait être Juliette et Roméo. Ils s’arrachent de l’adolescence. L’amour est un absolu et ils rejettent tous les diktats de leurs familles.
Les rêves
Le groupe suit les pistes des caravanes, fait halte dans les oasis. Myriam s’enfonce dans un monde où les rêves permettent d’échapper au temps. Les époques s’entrelacent, se confondent avec les dunes qui remodèlent l’espace sans jamais prendre un instant de repos. Toujours différentes et semblables ces montagnes de sable.
Les voyageurs bousculent le hasard et basculent hors du temps. Même que des ombres d’une autre époque surgissent et viennent s’abreuver aux sources la nuit. Dans le désert, le passé et le présent se confondent peut-être quand l’horizon s’ouvre et se referme.
«Le sable d’une ultime finesse: où s’aplatir et rêver sous les étoiles. Voilà le désert bleu. L’erg. Après le soleil. Aucun roc à la ronde. Le monde ondule de dunes lisses, petites et souples. Vous pouvez y appuyer le dos. La fraîcheur à peine moite du sol, un versant tout lisse sous le corps, qui vous attendait : portez la joue sur la douceur de ce sable devenu gris sombre. Et gardez chaud ce si tendre espace. C’est une peau de terre. La lune, qui n’a pas les croissants de la déesse Isis ou d’une barcane. La lune. Et son insistance. La lune et son insistance vous bordent.» (p.73)
Sensations
Les sensations tactiles s’imposent, des images miroitent et se défont selon les glissements du jour, les strates, les jeux de la lumière et de l’ombre. Et ce vent comme une obsession, comme une menace qui peut abolir les corps et mener au seuil de la vie ou de la mort. Tous les compagnons de cette traversée vivront une métamorphose.
Le flou et le précis, le mouvement et la méditation s’équilibrent dans une belle mouvance. Tout s’abolit et se reconstruit dans l’empire des sables. Nous respirons là où la lumière lape l’obscurité, où les horizons se soudent, où les tourments de l’âme s’abreuvent. L’espace s’impose et chacun des personnages vit sa traversée de l’être et se retrouve autre, différent et comme apaisé.
Un roman sensuel, de chaud et de froidures, d’amours et de fièvres, d’obsessions et de hantises, de passion et de violence. Tous les sens sont happés par les phrases ciselées d’Andrée Laurier. Une écriture suggestive, un peu figée parfois qui épouse ce paysage miroitant comme un kaléidoscope devant un voyageur assoiffé de certitude et de renouveau. Une lecture troublante et envoûtante.
«Horizons navigables» d’Andrée Laurier est publié chez XYZ Éditeur.
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