vendredi 15 avril 2005

Suzanne Jacob nous invite à la méditation

Nous entrons dans «La part sans poids de nous-mêmes» comme dans une cathédrale. Un moment de recueillement. Le silence. Après, l’escalier nous aspire vers les hauteurs. Nous grimpons en cherchant notre souffle. Nous tenons le texte à deux mains, un présentation très soignée de Marie-Christine Lévesque. Rien de trop appuyé ou de trop incisif.  Il faut se faire économe devant une artiste qui niche sous le toit des églises.
Tout en haut, après avoir poussé la porte de l’atelier, une femme nous regarde, sourire doux. Un ange. Elle semble venir d’une autre époque ou plus simplement elle a glissé hors du temps. Cheveux blancs, vêtements qui dissimulent un corps que l’on sent puissant et plein d’énergie. Le visage rayonne. Nous sommes devant la femme «qui parle avec les anges». Il ne reste plus qu’à écouter. Le guide s’avance. Il se nomme Suzanne Jacob.
«L’ange est la part sans poids de nous-mêmes. La part qui se soulève et qui s’échappe. Celle qui prend son essor et vole, dans l’éveil ou dans les rêves. Pourtant, quand on est soulevé et qu’on échappe au poids, dans l’éveil ou dans le rêve, ce ne sont pas des ailes qui nous meuvent, qui trompent le temps et la distance, qui abolissent tout effort, toute fatigue.» (p.19)
Le ton  est donné. Il ne s’agit pas d’une étude minutieuse du travail de Muriel Englehart mais d’une réflexion sur un monde qui a habité l’imaginaire pendant des siècles. Les anges, ces compagnons si près des humains et si conscients de l’Au-delà. Les passeurs, les témoins qui consentaient à suivre les vivants et qui les quittaient dans la mort, au dernier souffle.

Questionnement

Suzanne Jacob, dans un texte précis, magnifiquement écrit, questionne, nous pousse vers ces grandes figures paisibles qui constituent l’univers de Muriel Anglehart. Cette part de soi qui aspire à la légèreté et peut-être aussi à l’immortalité. Ce côté de l’humain qui ne trouve plus sa place dans un monde entièrement voué au commerce. Quelques pages mais c’est suffisant pour «entrer en méditation». Lecture mais aussi prière.

«Comment t’éveiller quand tu ne sais pas où tu dors», dit l’ange à Gitta Malasz. L’ange, c’est la voix qui s’est ouvert un passage jusqu’à Gitta à travers le vacarme de la guerre. Cette voix, si elle a traversé le vacarme de la guerre, peut donc franchir le vacarme des pires tempêtes de décibels, peut donc arriver jusqu’aux oreilles d’un homme ou d’une femme du XXIe siècle.» (p.21)
Au bout du texte, le visiteur regarde les sculptures filiformes de Muriel Anglehart comme s’il était dans son atelier. Les photographies nous portent et guident le regard. J’ai fait le parcours, plusieurs fois, m’attardant à une longue main ouverte, à une paume tendue pour le don ou l’obole, m’arrêtant à un visage perdu dans un bonheur paisible. Et après, encore Muriel Anglehart devant son miroir. Oui elle voit les anges, surtout quand la lumière prend plaisir à inventer des formes. A la sortie du livre, nous plongeons dans l’escalier, apprenant à redevenir lourd, vivant. Peut-on quitter une femme qui sait voir ce que nous ne voyons plus.
Suzanne Jacob, Muriel Englehart et la photographe Dominique Malaterre offrent un livre impeccable et nécessaire. Un plaisir pour qui veut voir.

«La part sans poids de nous-mêmes» de Suzanne Jacob est paru aux Éditions du Passage.

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