LE 45e LIVRE de Gilles Archambault, Mes débuts dans l’éternité, un recueil de trente courtes nouvelles, nous plonge dans cet espace où le passé étouffe l’avenir, lorsque le présent n’est qu’un gouffre. On parle du vieillissement, bien sûr. Le corps n’est plus fiable et la mémoire oublie de refermer des portes et des fenêtres avec le temps. Monsieur Archambault est certainement l’écrivain du Québec qui publie le plus régulièrement, et depuis longtemps. Son coup d’envoi, Une suprême discrétion, a paru en 1963, donc il y a tout près de soixante ans. Avec mes cinquante ans de carrière (j’hésite avec ce mot) et seize livres, je fais figure de lambineux.
L’éternité n’est pas le « temple de la renommée » des écrivains et des écrivaines ou encore l’Académie des lettres françaises où siègent les immortels, semble-t-il. Pourtant, très peu de gens peuvent nommer les membres de cette illustre assemblée, à part notre Danny, bien sûr. J’ai pris la peine de consulter la liste depuis ses débuts en 1634 (année de la fondation de Trois-Rivières) et j’avoue que la plupart de ces plumitifs restent de parfaits inconnus.
L’éternité, c’est la fin qui avale tout. L’incontournable. « La seule justice » répétait mon père en précisant que personne, peu importe ses finances et sa réputation, ne pouvait échapper à la mort. Mon père avait des formules pour affirmer ses vérités. Il travaillait sans cesse sur la ferme familiale et quand on lui demandait pourquoi il ne se reposait jamais, la réponse tombait. « J’aurai bien le temps de souffler au cimetière. »
Monsieur Archambault m’a retenu avec ce titre qu’il a puisé dans la nouvelle Une petite promenade qui lance son recueil. « Il est probable que je mourrai avant la fin de l’année. On est en mai. J’écoule mes journées à ne rien faire. Comme si je suivais une règle définie. Au fond, je me laisse porter par le temps. La vie se détache de moi petit à petit. Je ne proteste plus, je suis même devenu une sorte de croyant. Je crois fermement aux instants de paix qui me restent. » (p.11)
Voilà des affirmations troublantes, le fil qui relie ces textes. Le narrateur mue en témoin et les jours le repoussent doucement sans qu’il y prenne attention. Il garde des repères, des souvenirs, des espoirs et des rêves. Surtout quand on est écrivain avec autant de livres.
L’écriture aussi nécessaire que l’air qui permet de respirer ne s’abandonne pas comme ça. La retraite fait de vous un regard qui a du mal à comprendre les enjeux qui marquent l’actualité. Plus, de jeunes effrontés vous accuseront d’avoir tout saccagé et de n’avoir pensé qu’à vous en construisant le Québec moderne.
Dans mon cas, je me suis fait auteur à temps plein quand j’ai quitté le journalisme et j’ai pu me concentrer sur Le voyage d’Ulysse que je n’aurais jamais pu mener à terme en demeurant porteur de nouvelles.
PRÉSENT
Monsieur Archambault a la formidable audace d’écrire sur son présent, ce temps qu’il passe plus ou moins difficilement parce que le corps ne suit plus. Il y a des ratés, tout le monde le vit en prenant de l’âge. Ces jours où l’on a l’impression de dériver comme un bout de bois sur une rivière. Il reste les camaraderies perdues, la solitude, une amitié qui survit malgré tout. « Je mourrai sans avoir vraiment connu l’amour. Mon père ne détestait pas me taquiner à ce sujet. J’ai été un mari rigoureusement fidèle. Ce qui lui paraissait presque une infirmité. Il ne se privait pas de m’en faire le reproche. Très doucement, comme s’il était possible que je m’amende. » (p.25)
Monsieur Archambault a l’audace de s’attarder à ce monde dont on parle si peu et si mal. Il montre l’envers, ce que l’on masque à coups de publicité trompeuse à la télévision. Je pense aux manoirs luxueux où l’on accueille des gens âgés. Des hôtels que très peu de couples peuvent s’offrir. D’autant plus que ceux que l’on voit dans ce décor aseptisé sont de faux vieux qui roucoulent comme des adolescents qui s’apprêtent à faire l’amour dans la piscine.
MONDE
Une amitié survit par miracle ou par habitude. Monsieur Archambault évoque son père, sa conjointe, la fiction qui a happé sa vie. J’aime bien quand il parle des écrivains, ces incontournables au temps de leur maturité. « Denis est mort depuis dix ans. Le lit-on encore ? J’en serais étonné. Une chose est certaine, ses livres sont introuvables. Avec un peu de chance, on peut encore mettre la main sur un exemplaire défraîchi de son dernier roman. La Tristesse du voyageur. Sinon, l’oubli. J’en ressens de la peine. Denis s’est illusionné. Il a cru que c’était arrivé, qu’il avait écrit des livres qui feraient date. Rien de plus. Lui en faire le reproche, je ne m’en sens pas le droit. » (p.76)
Réfléchir, trier des regrets, faire face et s’abandonner aux soins d’une aide-ménagère qui devient le seul contact avec le monde. Une grande amie décède, des espoirs s’éteignent et un chat vous prend en otage.
Tout est si difficile.
Monsieur Archambault parle de certains livres qu’il a aimés, d’une relecture qu’il ne fera jamais. Il y a aussi l’aventure du trottoir ou la folie de vouloir conduire une auto quand on a négligé de le faire au temps de ses belles années.
Des textes touchants qui nous poussent dans les grandes et petites occupations que le temps vous laisse, une actualité qui devient de plus en plus incompréhensible.
Il me bouleverse Monsieur Archambault par sa phrase qui coule tout doucement comme un rayon de soleil qui vient vous réchauffer le matin. Il pose des balises et pointe des chemins que je devrai emprunter si j’atteins son âge. Que dire de plus ? Monsieur Archambault, encore un livre ou deux et, pourquoi pas la cinquantaine ? L’éternité peut attendre, elle a le temps. J’ai besoin de vos textes troublants et un peu inquiétants malgré les apparences. Vous faites du bien à mon âme.
ARCHAMBAULT GILLES, Mes débuts dans l’éternité, Éditions du Boréal, Montréal, 136 pages.
https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/mes-debuts-dans-eternite-2840.html