«Quelque part en Amérique» d'Alain Beaulieu nous emporte dans une société malade
d’elle-même et de ses lubies.
Lonie et son jeune fils réalisent
un rêve en se retrouvant aux États-Unis, là où tout est possible. Elle a quitté
sa famille, ses amis et le Bélize pour se donner un nouveau destin. Elle suit
ainsi les traces de sa cousine Liana qui a osé couper ses entraves pour vivre
une vie différente. Du moins, c’est ce qu’elle croit. La réalité lui apportera
bien des désillusions.
Elle se retrouve quelque part
dans une petite ville du Sud et personne ne l’attend à la gare. Tout bascule. Seule
avec son fils et quelques dollars, que va-t-elle devenir? Le destin frappe
comme il ne peut le faire qu’au pays de Barack Obama.
Nick Delwigan, un policier, chapeau
vissé sur la tête, mange dans le restaurant où elle se réfugie. Il décide
d’agir. Cette femme, il le sait, va être avalée par un réseau de prostitution
s’il ferme les yeux. Il sauvera la jeune mère et ce petit garçon curieux.
Peut-être qu’il cherche à oublier sa lâcheté. Depuis un bon moment, il n’a rien
fait pour contrer les proxénètes qui font la pluie et le beau temps dans sa
ville.
Ils prennent la route,
traversent presque le continent, changent de monde pour que les réfugiés soient
à l’abri.
Prison
La jeune mère se retrouve
dans une prison dorée où elle doit jouer à la servante. Bill, le mari de la
sœur de Nick, est prédicateur. Il incarne pleinement le «rêve américain».
Maison immense et voiture de luxe. Sa conscience à deux vitesses le sert bien.
L’une pour ses fidèles et une autre pour sa vie privée. Il trompe sa femme tout
à fait naturellement et se montre particulièrement raciste.
Maureen s’étiole dans ce nid
douillet. Névrosée, dominée par son religieux de mari, elle fait face au vide
de sa vie. Lonie et Ludo ravivent une grande frustration, celle de ne pas avoir
eu d’enfant.
Fuite
Elle s’enfuit avec le jeune
garçon. Ils vont d’une ville à l’autre, changent de noms, brouillent les pistes
et finissent par se refaire une vie. Ludo, allias Koby, devient un adulte qui
ignore tout de son passé. C’est peut-être aussi cela l’Amérique, la possibilité
de devenir un autre, de se forger une existence en laissant son passé derrière
soi. Devenir amnésique en quelque sorte. Ici, je ne peux que songer à Paul
Auster où des personnages changent littéralement de peau.
Lonie épouse Nick. Le couple
a des filles, mais la blessure ne se referme pas. Comment serait-ce possible? Le
policier finit par retracer sa sœur et le fils kidnappé. Est-il possible d’effacer
ce drame et tout recommencer?
Maureen a élevé Ludo seule et
ce garçon est devenu le centre de sa vie. Comment organiser les retrouvailles avec
la vraie mère sans bousculer le jeune homme? Une rencontre fait tout basculer.
La voleuse d’enfants sera punie comme il se doit. Le bien triomphe en Amérique,
du moins on aime le croire ou le laisser croire.
Monde
Alain Beaulieu nous emporte
dans un récit polyphonique où chacun donne sa version des faits. Le lecteur noue
les fils d’une histoire qui devient un véritable suspense. Je me suis laissé
prendre par ces personnages qui ne sont jamais tout à fait mauvais ou bons. Une
certaine zone d’ombre permet d’aimer ces hommes et ces femmes, de plonger dans
un rêve qui se casse de toutes les manières. Maureen ne peut vivre sans faire
face à ses gestes. Sa vie éclate un matin comme un miroir. Elle le prévoyait,
elle l’a toujours su.
Beaulieu démontre que nul
n’échappe à ses actes et qu’il est impossible de devenir un autre. Un jour ou
l’autre, il faut assumer ses gestes et ses décisions. Tout revient vers soi
pour le meilleur et le pire. La vie est un boomerang.
Une lente dérive dans une
Amérique tourmentée qui vacille entre le rêve et l’utopie, la déception et le
mythe.
Et Druide ne fait pas les
choses à moitié. Cette nouvelle maison d’édition croit que le livre est un
objet qui doit plaire. Comment être contre cela? Un début prometteur et une
facture qui se démarque déjà.
«Quelque part en Amérique» d’Alain Beaulieu est paru chez
Druide Éditeur.