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vendredi 3 octobre 2008

Donald Alarie fait sa marque discrètement

Donald Alarie ne sera jamais de «Tout le monde en parle» et il n’est pas l’homme à convoquer les médias pour marteler ce qui l’indigne dans une campagne électorale. Il vit à l’ombre des mots et des phrases depuis une trentaine d’années. Cette discrétion est le lot de quatre-vingt-dix-neuf pour cent des écrivains. Pour une Marie Laberge, il y a des centaines de Donald Alarie.
Comme presque tous les écrivains au Québec, il exerce un autre métier pour survivre, devient son propre mécène pour constituer cette littérature qui fait notre fierté et constitue notre identité.
«David et les autres» prend la couleur de l’échange à voix basse un soir de septembre quand la douceur de l’air permet de s’attarder sous les étoiles. Une qualité humaine d’une justesse remarquable qui fait un clin d’œil à d’autres écrivains du Québec qui vivent dans l’ombre. Sans avoir sa notoriété, Alarie emprunte la voie d’un Jacques Poulin qui ne fait jamais de vagues, mais sait rejoindre des lecteurs qui lui sont fidèles. Depuis 1977, il a signé une vingtaine de romans, de recueils de poésie et de nouvelles, constitué une œuvre impressionnante par sa diversité et sa variété. Il présente encore une fois un roman qui tombe comme une sonate de Debussy. Un roman touchant par sa vérité, sa qualité et sa justesse. Son poids existentiel, je dirais.

Lecture et écriture


David connaît très tôt les joies de la lecture. Il ne s’en remettra jamais. Un plaisir qui l’accompagnera sa vie durant. Il éprouvera autant de plaisir à lire qu’à écrire.
«À cause d’une petite bêtise qu’il avait faite, on décida de mettre le jeune David en pénitence. Seul pendant trente minutes, dans un coin. Mais, erreur importante, on lui laisse le droit de prendre un livre. On croyait ainsi le priver de la vie. Pourtant il vivait plus que jamais, parti en voyage, avec ce livre à la main, debout près d’un mur en apparence sans intérêt.» (p.11)
Jeune homme, il étudie en lettres, devient écrivain et père d’une petite fille. Le couple vacille et ils doivent se résoudre au divorce. Rien de particulier jusque-là sauf cet arrangement où Annie, leur petite fille, reste à la maison. Les parents deviennent les nomades et prennent le relais semaine après semaine. Découlera de cette rupture une longue vie de solitaire marquée par quelques aventures et l’amitié. On croirait retrouver un personnage de Gilles Archambault, la mélancolie en moins. Cet homme tranquille prend soin de sa fille, de son père, évite le côté médiatique de la carrière d’écrivain, les jeux de société qui accompagnent les manifestations littéraires. Pour survivre, il effectue des travaux de bricolage où il croise des gens qui l’étonnent, le surprennent et l’inspirent. Il passera sa vie dans le même quartier, la même petite ville, en marge des grands événements. Parfois il croise quelques lecteurs perspicaces. Cela devient un événement.
«Et là commença, en même temps que les cheveux fraîchement coupés de l’écrivain continuaient à tomber sur le sol, ce qu’il est convenu d’appeler une discussion littéraire. David réalisa que ce coiffeur était un très bon lecteur. Tout ce que celui-ci avait noté était fort juste. Il avait même fait une lecture plus perspicace qu’un certain critique qui avait parlé de son recueil en termes recherchés, mais sans parvenir à convaincre David qu’il l’avait lu en totalité.» (p.68)
Ce récit intimiste, marqué par une légère teinte d’humour, permet à Donald Alarie de faire le tour de sa vie d’écrivain. Il est difficile de ne pas associer son héros à sa propre démarche. On reconnaît son premier éditeur Pierre Tisseyre et ceux qui l’accompagneront par la suite, des écrivains qu’il admire de loin aussi, qu’il perçoit comme des frères et qu’il n’ose pas aborder.
Le témoignage d’un homme simple, effacé qui a choisi la simplicité et qui consacre son existence à donner du sens, à écrire et à s’occuper des autres autour de lui. Il voit l’âge le bousculer doucement, le temps l’avaler irrémédiablement, sans fracas, sans bruit à l’image de sa vie. Il peut dire qu’il a vécu pleinement malgré tout.
Un roman touchant, toute de finesse, de douceur qui nous pince là où c’est le  plus sensible.

«David et les autres» de Donald Alarie est paru aux Éditions XYZ.
http://www.editionsxyz.com/auteur/80.html

jeudi 25 septembre 2008

Nicole Houde maîtrise parfaitement son sujet

Nicole Houde, depuis «La Malentendue» parue en 1983, ne cesse d’étonner et de cumuler des prix, dont un Gouverneur général avec «Les Oiseaux de Saint-John Perse» en 1995. Son douzième ouvrage vient de paraître, un roman qui boucle un long périple marqué par des oeuvres denses qui éventrent des secrets de famille.
«Je pense à toi» confronte la figure paternelle, une rencontre inévitable dans la démarche de cette romancière. Si elle l’a effleuré à plusieurs reprises, ce père, elle le regarde droit dans les yeux cette fois. Elle présente ici un récit d’une force étourdissante. Un coup de poing, un texte que l’on découvre en se mordant les lèvres. Dérangeant. Bouleversant.
Victor Lavoie perd sa mère enfant. Il porte un lourd héritage, comme tous les personnages de Nicole Houde, un legs impossible à repousser. Les femmes et les hommes chez cette écrivaine sont marqués par une génétique qui les hante et les broie. Une sorte de destin les entraîne irrémédiablement vers la tragédie et la mort.
«Le temps n’existait plus que par brefs intervalles. La neige de cet été-là fondait en moi. La boue de cet été-là giclait en moi. Le séisme du 25 mai 1928 ne cessait de se reproduire en moi : de la boue partout, des pierres, une rivière en pleine débâcle, une fille de treize ans qui tremble de tous ses membres dans la montagne tremblante de tous ses arbres. Depuis le 20 juin, j’avais quatorze ans et, au contraire des garçons de mon âge, je ne voulais pas devenir un homme. À cause de l’aveuglement. À cause des clôtures autour des gestes et des mots.» (p.46)

Écrivain public

Cuisinier dans les chantiers, Victor se transforme en écrivain public, devient une sorte de nomade qui combat des démons de plus en plus menaçants.
S’il a reçu de sa mère l’amour des mots et des histoires, il y a aussi ce goût de l’alcool transmis par un père alcoolique. Est-il possible d’échapper à ce destin familial qui le pousse vers les portes de la mort et du délire, ces « enfermements » qui sont le lot des adultes?
Sophie, Gaétane ou Angéla réussiront-elles à retarder la glissade? L’amour permettra-t-il de s’aventurer hors des «clôtures» du village de Saint-Fulgence? Angéla laisse croire un moment qu’ils vont échapper au gouffre. Le couple vivra un moment de grâce et de répit, quelques jours de bonheur avant la tornade.
«Je voudrais que chaque instant de cette soirée de juillet soit préservé. Chaque mouvement d’Angéla, chaque intonation de sa voix. Je la contemple afin que cette joie émanant d’elle soit mon éternité à moi. Un tel bonheur, je titube pour vrai, je la garde tout contre moi.» (p.115)
Pendant ce temps, le diable exerce sa patience, ricane au fond d’une bouteille et attend son heure. Victor et Angéla deviennent rapidement des étrangers à mesure que les enfants naissent, que l’alcool impose ses cycles, que les mots explosent, blessant l’âme plus sûrement que des couteaux affilés. Les héros de Nicole Houde sont conscients de leur destin et ils savent qu’ils ne peuvent le repousser ou le changer.
Sur fond historique, Nicole Houde campe des personnages inoubliables, attachants malgré cette fatalité qui les étouffe et les entraîne vers le pire. Un portrait terrible de la vie de village qui oscille entre le dit et les secrets qui étouffent et tuent à petit feu, dissimulent l’inceste et les suicides. Une fresque terrifiante.

Poésie sauvage

Un roman d’une beauté qui subjugue, une poésie sauvage qui transforme cet univers âpre et le pousse jusqu’à l’hallucination et le délire.
«Un homme tremblant comme une bête parée pour l’effroi, combien de fois n’ai-je été que cela ? Tous mes grands rires, toutes mes grandes peurs éparpillées aux quatre vents, et moi, si petit face à cette grande ourse qu’est la mort. Je me rappelle qu’adolescent, je refusais de devenir un homme à cause de l’aveuglement et de ces clôtures autour des gestes et des mots qui viennent à bout des fillettes de treize ans abusées par leur père et par des connivences meurtrières.» (p.113)
Voilà l’oeuvre d’une écrivaine en pleine possession de ses moyens. Jamais Nicole Houde n’est allée aussi loin.

«Je pense à toi» de Nicole Houde est paru aux éditions de la Pleine lune.
http://www.pleinelune.qc.ca/cgi/pl.cgi?titre=Je%20pense%20%E0%20toi

jeudi 18 septembre 2008

Hugues Corriveau oublie que l’art est vie

 Marc Rialto, peintre en panne d’inspiration entre dans une galerie de Montréal où l’on expose des tableaux de Louis-Pierre Bougie. Il est fasciné par cet artiste et perturbe la gardienne qui s’exerce «à disparaître», souhaitant ne jamais avoir à s’adresser aux visiteurs.
Hugues Corriveau, dans «La gardienne des tableaux», nous plonge dans un univers où l’art occupe une place prépondérante. Un monde où tout est équilibre, contrôlé et prévu.
«La surveillante, engoncée dans un tailleur de tweed grisâtre, ressemble à un personnage de Sarraute ou de Beckett. On pourrait croire qu’elle attend que la vie passe. Elle attend depuis tellement d’années au fond de cette galerie qu’elle n’a plus à apprendre l’immobile stratégie des muscles pour éviter la fatigue, elle n’a plus à apprendre comment redresser le dos, fermer les écoutilles, sombrer. Elle n’existe plus. Disparue derrière sa fonction. Quand il n’y a personne, elle croit parfois qu’on la paie pour empêcher les figures de s’enfuir, pour éviter le ballet des papillons et des mouches, pour empêcher la poussière de retomber.» (p.9)
Cette gardienne, Constance est-elle une femme? Pensons plutôt qu’elle est «œuvre de chair» qui se confond avec les toiles accrochées aux murs. Rialto la choisit parmi les tableaux. Toute sa sexualité retenue explose. Ils deviennent amants. Elle s’épanouit, découvre son corps, devient belle sous le regard de l’homme, comme une peinture qu’un connaisseur explique et anime devant une foule.

Voyage

Constance va rejoindre Rialto à Rome, pour vivre les exaltations de l’amour, se livrer au plaisir des vêtements extravagants et aux jeux de la séduction.
«Du bruit, juste derrière, et une toux brève, et des pas marqués, et une rotation de la poignée. Et lui. Là. Son invraisemblable brouhaha de présence, avec une spatule à la main! De la faim plein les yeux… et un silence à couper le monde en deux… des mains qui s’approchent d’elle… des mains qui la tirent à lui… des lèvres qui se posent… et ce silence d’homme qui la déshabille… d’homme qui se déshabille… Le grand silence des secondes qui suivent les pas rompus de Constance qui met la main sur la poitrine de Marc, qui s’avance jusqu’au sexe qu’elle prend… comblant l’absence de sexe…» (p.61)

Obsession

Dans la ville du pape, Rialto se remet au travail, obsédé par ce qui «habille les corps». Pendant que Constance échappe au cocon qui la momifiait, le peintre s’étourdit dans les rues, suit «une femme si belle, si pleine d’olives et de tomates dans le rire…» De plus en plus fasciné par la douleur et la souffrance des statues romaines, il enveloppe et masque, lacère et griffe, habillant ses tableaux pour les ligoter d’une certaine façon.
Le lecteur devient un voyeur. Pas facile d’accepter d’être repoussé et réduit à l’état de simple spectateur. Et puis le malaise s’installe. Nous éprouvons la sensation d’être dirigé par un magister qui cherche l’éclairage parfait, contrôle tous les gestes de ses personnages. Jamais de failles où se glisser. C’est pourtant un roman de passions, d’obsessions créatrices qui vont jusqu’au meurtre.
Même des écrivains chevronnés comme Hugues Corriveau peuvent se laisser prendre aux jeux de l’esthétisme et de l’art pour l’art. Ces romans me font songer à des installations que le moindre souffle risque de détruire. Tout n’est qu’équilibre et fragilité. Corriveau a réussi ce genre d’installation et cherche à faire vivre ses personnages dans l’espace restreint d’une œuvre picturale.
Malheureusement ou heureusement, la vie n’est pas un tableau où tout est mesuré, où tout répond à un jeu de forces qui se neutralisent. À trop peaufiner un texte on tue l’émotion et la vie. Corriveau sculpte son écriture, la brosse, la triture, force les images qui finissent par se vider de substance. Des expressions comme «le vif flambé de son âme», «des trouées sur le vide antérieur» «une léthargie sidérale», «les bruits désertés», font sourciller.
Le poète et critique oublie, ou refuse qu’une œuvre romanesque se construise avec les tripes, des pulsions inexpliquées et inexplicables, pas seulement avec des considérations esthétiques. Il faut des bouts qui dépassent et sentir la sueur et le sexe. Ce n’est jamais le cas dans «La gardienne des tableaux». Une réussite formelle, un bel objet mais un roman qui laisse indifférent.

«La gardienne des tableaux» d’Hugues Corriveau est publié chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/auteur/87.html

lundi 15 septembre 2008

Victor-Lévy Beaulieu rêve un certain Québec

La rentrée littéraire au Québec s’annonce encore une fois passionnante. Plus de 400 titres en littérature, au-delà de trois milles ouvrages en tout. Dans la région, la saison démarre avec l’épiphanie du Salon du livre, fin septembre. Avant de plonger dans ces nouveautés, revenons à un ouvrage paru en février 2008 dont on a trop peu parlé. Il fallait du temps pour se mesurer à cette fable de Victor-Lévy Beaulieu de près de 900 pages. On le sait, l’écrivain-polémiste aime les chemins tortueux et mal fréquentés.
Inventer un personnage qui incarne la démarche du Québec depuis le débarquement de Jacques Cartier, ses aspirations, ses hésitations, ses faiblesses et ses lubies, est un tour de force. Cela peut expliquer pourquoi Beaulieu a amorcé la rédaction de «La grande tribu» en 1980 pour l’achever vingt-huit ans plus tard.
Une «grotesquerie» qui fait des détours par le conte, l’essai, la fable, la biographie et les perturbations qui secouaient la France à l’époque des grandes découvertes. Une plongée dans la Nouvelle-France qui nous laisse au début de ce millénaire, avec l’écartèlement politique que l’on connaît.
Beaulieu touche à tout: le métissage avec les Indiens, les escarmouches avec l’Anglais, la Conquête et cette soumission qui devient un héritage asphyxiant. Le tout avec des allusions à la période contemporaine, aux personnages qui font l’actualité politique et littéraire, aux libérateurs qui ont imaginé l’Amérique et le Nouveau Monde.

Personnage

Habaquq, un personnage esquissé dans « aBsaLon-mOn-gArçon », a perdu ses jambes, victime de la bactérie mangeuse de chair. Interné, il subit toutes les tortures. Malgré plusieurs tentatives, il n’arrive pas à s’enfuir de la maison d’enfermement. Arrive le moment où le Docteur Avincenne, son tortionnaire, lui implante une puce dans le cerveau. Il vivra dans la société, contrôlé dans sa pensée, collaborateur et dénonciateur. La fréquentation de l’orignal épormyable, l’incarnation du poète Claude Gauvreau, de Bowling Jack que nous avons croisé dans «Je m’ennuie de Michèle Viroly» changera sa destinée. Surtout sa rencontre avec la Petite actrice rousse.
Victor-Lévy Beaulieu pousse à l’extrême le penchant des Québécois à accepter tous les compromis et les accommodements déraisonnables. C’est souvent difficile à avaler. Le romancier a dû larguer bon nombre de lecteurs en cours de route. Il faut être patient et têtu pour traverser cette épopée des lésionnaires.
Le récit se perd, revient sur ses pas, reprend où il s’est embourbé. À l’image de la démarche du Québec, qui garde l’idée de l’indépendance sur le réchaud sans passer à l’action. La «pensée équivoque» comme l’écrivait Gérard Bouchard dans son essai sur le chanoine Lionel Groulx.

Écriture

Victor-Lévy Beaulieu navigue sur une écriture qui se veut le reflet de cette pensée qui se mord la queue, s’étourdit comme les derviches. Une langue «hallucinée, rabelaisienne et fabuleusement perlante» écrivait-il sur la quatrième de couverture de «aBsaLon-mOn-gArçon». Un texte qui progresse par répétitions, se roule dans un rêve toujours trahi.
Il pousse à son apogée ce langage qu’il peaufine depuis des années, puisant dans tous les recoins de l’expression, pirouettant sur les allitérations, les jeux de mots, les redondances qui reviennent tel un refrain.
«Je n’ose ouvrir les yeux, je ne veux plus être la dépouille souffre-douleur du docteur Avincenne, suspendue par la peau du dos à un crochet rouillé et encamisolé de force, je ne veux plus qu’on prenne le trou que j’ai dans le crâne pour le dépotoir radio-actif de Belledune et qu’on verse dedans ces pelletées de remèdes qui ne remédient en rien à la douleur que j’ai de si peu vivre en si peu d’ivresse, de si peu vivre en si tant de givre, de si peu vivre en si tant de peu de temps par derrière et par devant.» (p.250)

Une fresque

«La grande tribu» est une fresque qui subjugue malgré ses tics, son personnage qui tient plus de l’animal que de l’humain. La trame se défait à chaque page pour se ramasser et foncer avec l’orignal épormyable contre tous les obstacles.
Peut-être que la libération passera par ce verbe qui s’empare du rêve qui a soulevé Louis-Joseph Papineau, Abraham Lincoln, Jules Michelet, Walt Whitman et Simon Bolivar. Heureusement, l’utopie permet de croire que demain peut être autre. Pour une fois, l’auteur de cette œuvre colossale et fascinante ouvre une porte à l’espoir après une traversée particulièrement rude.

«La grande tribu» de Victor-Lévy Beaulieu est paru aux Éditions Trois-Pistoles.

jeudi 28 août 2008

Sergio Kokis questionne l’art et la vie

Le roman a été réédité par Lévesque Éditeur
Le sujet est revenu dans l’actualité, il y a quelques semaines, dans une critique signée Christiane Laforge. L’art visuel, son essence et ses perspectives, y étaient questionnés à l’occasion d’une exposition. Les réactions sont toujours vives et émotives quand on aborde un tel sujet. D’un côté les tenants d’une approche plus théorique de l’art et de l’autre, les «réalistes» qui occupent l’espace dans les symposiums de la région. Deux approches irréconciliables.
Dans «Le retour de Lorenzo Sanchez», Sergio Kokis, romancier et peintre, questionne le monde des arts visuels. Ce n’est pas la première fois. Il l’a fait dans «L’art du maquillage» et le peintre et écrivain ne rate jamais une occasion de bousculer certains concepts à la mode.

Lorenzo

Lorenzo Sanchez est peintre et enseignant. Il est «poussé vers la retraite» à l’école des Beaux-Arts parce que la direction décide de ne plus enseigner le dessin et d’ignorer les études anatomiques. Il faut être moderne. Les étudiants préfèrent les nouvelles approches informatisées où «l’œuvre concrète» s’efface devant d’ennuyeuses descriptions de la démarche et du regard qui bousculent la réalité. Savoir dessiner n’est plus nécessaire.
«Tant pis pour ces pauvres finissants qui n’auront aucune formation sérieuse, Lorenzo. Ils devront se contenter de leurs installations infantiles aux descriptions ampoulées, de leurs transformations débiles d’objets d’usage courant en semblant d’objets d’art. Chacun d’entre eux s’efforcera désespérément de décrocher un grain d’originalité dans un monde où tout a déjà été trafiqué, manipulé, falsifié et métamorphosé pour atteindre ces sommets de trivialité dont se remplissent les musées d’art contemporain.» (p.48)
Un sujet important que l’on évite la plupart du temps. Il est certain que l’on tourne en rond depuis des années en pratiquant l’approche théorique, tout comme les figuratifs ne cessent d’idéaliser la nature. Lise Bissonnette, il y a quelques années, a fait un portrait plutôt dérangeant de la critique d’art dans «Choses crues». Elle a été accueillie par un mutisme plutôt révélateur. Il y a comme ça des sujets qui demeurent tabou.

Immigrant

Bien sûr, Kokis ne se contente pas de théories et de dénonciations des arts contemporains. Lorenzo a fui le Chili pour des raisons politiques, s’est installé en Allemagne de l’Est où il a étudié le dessin et la peinture avant d’aboutir à Montréal. Un parcours que Kokis a déjà fait suivre à Boris, le héros de son roman «Errances».
Lorenzo a fait une belle carrière d’enseignant tout en peignant. Le peintre a toujours oeuvré dans l’ombre et voilà que la vente de ses boxeurs vient le perturber. Une grande entreprise achète la série et va s’en servir pour stimuler la productivité de ses employés. Quel sort réserve-t-on aux œuvres d’art et au travail de l’artiste? Un tableau n’est-il qu’un vulgaire objet décoratif sans signifiant ou porte-t-il une réflexion sur notre époque que l’on trahit en l’utilisant à toutes les sauces?
Vieux macho, misogyne qui apprécie le vin, la bonne bouffe, le rhum et la cigarette, Lorenzo est rattrapé par son passé quand son frère le rejoint après des décennies de silence. Toute sa vie bascule.
«Même un grand auteur comme Homère l’a escamoté dans l’Odyssée. C’est le fait que les exilés et les immigrants ont laissé derrière eux un passé qui n’a pas continué à passer, qui s’est figé dans leur mémoire et qui n’a pas vieilli. Pénélope reste une jeune beauté après vingt ans d’absence et Ulysse, lui aussi, n’a fait qu’embellir au point de séduire des fillettes sur une plage de Libye… …Beaucoup d’étrangers conservent une identité paradoxale : ils sont ce qu’ils sont devenus, tout en gardant intacte l’image du jeune homme qu’ils étaient au moment de quitter leur pays. Ils oscillent ainsi entre deux identités, sans arriver à se décider.» (p.189)
Encore une fois Sergio Kokis peint un hymne à la vie et à l’amitié. C’est l’aspect le plus touchant de ce roman qui ramène une époque qui a marqué l’artiste, l’enfance, les préjugés des grandes familles terriennes qui donnaient le ton au Chili, ses origines obscures et ses amours avec Sonia qui causeront sa perte. L’art de vivre, l’art de la vie, l’art et sa signification, la question de l’identité portent ce roman étonnant et jouissif.

«Le retour de Lorenzo Sanchez» de Sergio Kokis est paru aux Éditions XYZ.

samedi 12 juillet 2008

Dany Laferrière se regarde aller

Dany Laferrière est devenu, au fil des ans, l’écrivain que l’on voit partout et qui a réponse à tout. Il est le romancier officiel des médias du Québec en quelque sorte. Je l’ai entendu expliquer les tensions séculaires et historiques entre les villes de Québec et Montréal, le phénomène Maurice Richard, s’étendre sur la nomination de Michaëlle Jean comme Gouverneure générale du Canada et commenter l’actualité. Il peut se contredire dans une phrase, proférer des énormités, se reprendre dans un rire et emberlificoter tout le monde. C’est le même écrivain qui promettait, il y a quelques années, de ne plus écrire après avoir signé une dizaine d’ouvrages. Cela ne l’a pas empêché de reprendre certains de ses titres et de les gonfler de plusieurs pages.
En avril dernier, il lançait «Je suis un écrivain japonais». L’auteur du magnifique «Le Cri des oiseaux fous» y effleure la question de l’identité, un sujet délicat qui a fait frémir bien des Québécois au cours de la dernière année. En ces temps d’accommodation raisonnable et de Commission Bouchard-Taylor, il tombait pile. On était en droit de souhaiter une réflexion originale. On le sait, Laferrière aime bien nager contre le courant.
Eh, bien non, le cinéaste à ses heures se contente de pirouettes et de clichés déconcertants. Oubliez le Japon! Il ne connaît rien à ce pays sauf les écrivains Mishima et Basho. Il lui fallait un bon titre. Tout est là! Un coup de marketing!
«Quel que soit le livre, ce sont ces mots qui le représenteront. Ce sont ces mots que l’on verra le plus souvent. Pour les autres, il faudra ouvrir le livre. Alors que ces mots seront toujours là sous nos yeux. Ils contiendront tous les autres mots du livre. Pas besoin de relire le livre de Garcia Marquez, il suffit de dire «Cent ans de solitude» ou «À la recherche du temps perdu» s’il s’agit de Proust… » (p.13)

Paresse

Laferrière lance des idées prometteuses, mais ne s’attarde pas pour dégager une pensée originale. Un roman qui devient la copie de ces émissions de télévision où les invités défilent. On y aborde tous les sujets sans jamais reprendre son souffle. Quand cela risque d’être intéressant, vite il faut passer à autre chose.
L’écrivain effleure pourtant une question importante pour les petites nations qui peuvent disparaître devant la culture commerciale qui s’impose partout dans le monde. Le droit à la différence, à l’identité, à sa culture, tout cela est lancé pêle-mêle. Il se contente de hausser les épaules. Son ego est tel qu’il est au-delà de tous les nationalismes. Cela l’agace et il a même du mal avec ses origines caribéennes. Comme si la littérature pouvait s’épanouir sans ancrage et sans terreau national. 
«Même moi, je n’arrive pas à démêler chez moi le vrai du faux. C’est que je ne fais aucune différence entre ces ceux choses.» (p.24)
Tout est permis alors. Et tout ce qu’il dit, faut-il le prendre au sérieux?
«Je crée un univers, et je n’ai pas l’intention de le partager. J’ai quelques noms de filles, un titre, des voix, une ville que je connais trop bien, et une que je ne connais pas. Je n’ai besoin de rien d’autre pour faire un roman.» (p. 248)

Hésitation

J’ai lutté tout au long de cette lecture, mais Dany Laferrière est ratoureux. Comme j’allais refermer le livre, une réflexion sur l’écriture me happait. Comme ça jusqu’à la fin, même si j’ai eu l’impression que rien ne commence et que rien ne se termine dans cette filière japonaise.
«J’écris vite aussi. Peut-être mal, mais toujours vite. J’affirme être le meilleur sprinter de ma génération. On devrait me croire sur parole, car tout le monde ne cultive pas pareille audace. Dire qu’il est le meilleur. Dans les autres métiers, oui, mais en littérature.» (p.253)
Un texte qui se regarde aller, baveux aussi et souvent insipide. Dany Laferrière ne sera jamais un écrivain japonais, mais il habite le pays de son nombril. C’est peut-être là le problème. Il oublie dans ce roman que l’essence de la littérature est de s’attarder et de défaire les clichés, d’aller au-delà pour trouver un regard original et universel. En ce sens, Dany Laferrière tient sa promesse. Il n’a pas écrit de nouveau roman.

«Je suis un écrivain japonais» de Dany Laferrière est publié chez Boréal Éditeur