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Tout tourne autour d’Arthur (le même prénom que le fameux
chevalier de la Table ronde), un petit garçon qui subit l’intimidation à
l’école, vit la séparation de ses parents qui se disputent à son sujet et qui
ont des idées bien différentes en ce qui concerne son éducation et son avenir.
Il a l’impression d’être une boule de billard qui rebondit partout et qui ne
contrôle rien de sa jeune vie. Il ne lui reste qu’à prendre la fuite dans son
monde personnel. Autrement dit à se réfugier dans sa bulle.
Le père, préposé aux patients dans un hôpital, roule à vélo hiver
comme été. Un écologiste avant l’heure qui recycle tout ce qu’il trouve sur
les trottoirs, refuse la société de consommation et ne se préoccupe pas trop
des écarts de conduite de son fils. Sa mère Anne, une intervenante de rue, est
anxieuse et craintive parce qu’elle a vécu avec les éclopés et ces jeunes qui
ont décroché. Elle a un emploi plus stable, mais doit affronter le stress et se
sent terriblement seule devant un garçon qu’elle a du mal à comprendre. Elle
finira par accepter qu’Arthur prenne le fameux Ritalin (la panacée de tous les malaises)
pour le calmer et mieux l’intégrer à l’école. Les médicaments, il faudrait lire
les drogues, sont la solution maintenant pour faire disparaître toutes les
difficultés que l’on rencontre. Anne elle-même utilisera certaines petites
pilules pour triompher de la fatigue qu’elle transporte d’un jour à l’autre. Il
y a toujours une dragée de couleur vive pour combattre le stress ou encore endormir
ses craintes devant une vie de plus en plus exigeante.
Rien pour arranger les affaires avec Arthur. Il s’enfonce en
lui-même. Ni Pierre ni elle n’arrivent à autre chose que de lui pousser
davantage le crâne entre les épaules. Regarde le marcher, voûté comme un punk
qui a DROP OUT tatoué en grosses lettres sur le front. C’est certainement pas
son père qui va le sortir de cette attitude-là. Mais elle, est-elle capable de
mieux ? Est-elle un modèle positif pour lui ? (p.25)
Simon Leduc brasse toutes les cartes dans un secteur de la
ville de Montréal, le quartier Hochelaga, où des éclopés s’affrontent et survivent
en prenant souvent des décisions qui étonnent. Tout se cristallise autour d’une
école désaffectée qui devient peu à peu un refuge pour les sans-abri, ceux qui
souffrent de problèmes de santé mentale, n’arrivent pas à avoir le pas que la
société impose. Arthur y trouve un milieu où respirer, rêver et être soi, y
retrouve son père qui travaille avec certains décrocheurs. Tous imaginent une
autre manière de dompter les jours, de faire face à leurs difficultés. Arthur s’épanouit
dans ce groupe de marginaux où on lui demande juste d’être lui tout comme
Pierre qui peut enfin croire qu’il peut aider ses semblables en les écoutant et
les faisant écrire. Tout ces survivants transforment l’école, améliorent leurs
conditions de vie et inventent une forteresse dans la ville. C’est le meilleur
des mondes.
JEUNESSE
Je n’ai pu m’empêcher de penser aux communes qui avaient la
cote dans les années 70 et qui fleurissaient le temps d’une saison pour
disparaître presque aussi rapidement qu’elles étaient nées. Le roman de Simon
Leduc n’est pas daté, mais on retrouve des idées qui circulaient au Québec et
qui fascinaient des hommes et des femmes, souvent des scolarisés qui sortaient
des facultés de philosophie ou de sociologie, des enseignants qui voulaient culbuter
la société en s’accrochant à des théories politiques connues. J’ai côtoyé ces «
missionnaires » qui jonglaient avec des slogans quand j’ai milité à la CSN
comme président de mon syndicat. Des marxistes, des léninistes et des trotskystes.
Il y en avait pour tous les goûts. Ces obsédés prenaient un malin plaisir à mettre
des grains de sable dans les engrenages de notre organisme. Des gens qui vivaient
dans une autre réalité et qui rêvaient d’un grand soir où tout basculerait. Ils
étaient tellement prévisibles. Tous savaient exactement ce qu’ils allaient dire
avant même qu’ils ne se lèvent et « partent leur cassette ».
Il faut lutter, décrète le gars du Comité du fuck toute est
politique. Son nom, c’est Olivier Martel. Le poing levé, il repart sa
cassette : il faut détruire ce monde de marde, foutre le bordel solide.
Peut-être bien, lui répond-on, mais on n’est pas prêts à lancer une offensive
frontale non plus. Faut s’intégrer davantage au milieu, en faire le noyau
solide et indispensable de la communauté. (p.154)
Ce genre de discours, je l’ai entendu des centaines de fois et
ces croisés avaient souvent l’art de faire perdre patience à bien des militants. Je me
souviens des envolées de Michel Chartrand contre ces convertis de la dernière
heure qui tentaient de se servir du mouvement syndical pour arriver à leur fin.
MONDE
PARALLÈLE
Ces marginaux se débrouillent avec les moyens du bord, deviennent
inventifs et créatifs. Et si une communauté différente était possible, si une autre
façon de faire permettait de bousculer les choses. Je suis incorrigible. J’aime
le rêve et peut-être l’utopie, croire que le poids de la vie n’est pas immuable.
La littérature est là pour secouer cette réalité, ouvrir des portes et des
fenêtres, faire entrevoir autre chose. Alors, pourquoi ne pas suivre ces
éclopés qui cherchent par tous les moyens à transformer leur sort et à se
dessiner une nouvelle existence ?
Tout le monde n’a-t-il pas envie d’appartenir à une histoire ?
Arthur ne connaît pas encore la cruauté des histoires que racontent les autres.
Histoires de docteurs, de psychiatres, de travailleurs sociaux, histoires de
malades, de fous, d’immigrants, de musulmans, de journalistes, de chauffeurs
d’autobus et de taxi. Histoires de cellules, de pilules, histoires de vie et de
mort. Barbe bleue en a assez des histoires. Mais quand un enfant lui en conte
une, il essayer de changer de ton. (p.130)
La commune d’Hochelaga devient un refuge pour Arthur et un
endroit où il peut oublier le poids de
sa vie, l’intimidation et les exigences des dominants. Le rêve est beau pour
lui et plusieurs autres. Demain peut prendre une couleur différente. Même Barbe
bleue qui faisait si peur à Arthur au début se transforme en une sorte de guide
dans sa folie et ses obsessions, ses fantasmes et ses visions. Tous peuvent
espérer dans ce milieu où l’entraide, le partage, l’amitié
imposent ses lois. Tout pourrait aller, mais la nouvelle société repose sur des
bases gangrenées, les purs et durs, les militants aveugles refusent tous les
compromis et cherchent la confrontation qui ne peut que se retourner contre
eux.
UTOPIE
Notre société
est capable de tout absorber, même la belle colère qui a fait sortir les carrés
rouges. Le gouvernement de Jean Charest a su les manipuler et est parvenu à les
épuiser. Un refus s’est transformé peu à peu en défoulement collectif qui se
grisait au son des casseroles. L’étincelle du départ a vite été oubliée.
Comment survivre à toutes ces tentatives de récupération ?
La bourgeoisie essaye de nous contrôler pis de nous neutraliser depuis
des siècles. Elle assomme le prolétariat avec le travail, pis ceux qui arrivent
pas à se trouver de job, elle les endort avec de la télé, de la bière pis des
pilules. Pendant que le bourge moyen fait son frais en mangeant bio pis en se
payant des psys pour se plaindre du vide de son existence, nous autres, ici, on
souffre pour de vrai. (p.195)
L’affrontement est inévitable. Une véritable guerre de
tranchées, sans pitié, une insurrection où le quartier Hochelaga devient une forteresse
dans la ville. On sait qui va l’emporter, mais j’ai aimé croire que tout pouvait
être autrement. Des péripéties, des hommes et des femmes qui se révèlent, des
preuves d’amitié qui donnent des frissons. Il est si rare qu’un écrivain confronte
ces sujets, décrive une expérience de vie différente et mette en scène nos
tares et nos claudications. Les auteurs ont plutôt tendance à s’enfermer dans l’individuel
et se contentent de suivre un gars ou une fille en abordant la dimension
politique et sociale par ricochet.
Simon Leduc présente des personnages attachants, joue de tous
les accords de la langue pour nous entraîner dans un milieu qui ne fait que des
victimes. L’écrivain plonge dans des fresques, des mouvements de foule et
arrive fort habilement à nous emporter. Une épopée qui vous sort de votre
confort et qui m’a rappelé ma volonté de changer le monde par l’écriture, il y
a si longtemps. C’est ce qui m’avait poussé à m’installer dans une grande
maison de ferme à La Doré, mon village d’origine, au bout d’un rang quasi
abandonné après mes études universitaires. Nous étions quelques-uns à secouer les
obligations quotidiennes et à transformer nos jours en fête continue. Certains se
prenaient pour des missionnaires et d’autres, comme moi, voulaient juste la
paix, la nature tout autour, digérer cette enfance que j’avais perdu en m’exilant
en ville pour l’amour des livres. Le petit groupe s’est vite disloqué, parce que
nous étions tous contaminés par la société. C’est ce qui arrive dans la fresque
de Leduc.
Un vrai bonheur que cette histoire qui repose sur une tornade
langagière et idéologique. Parce qu’on le sait, la langue est un outil
formidable de domination et d’exploitation. Chacun doit s’installer dans son
propre vocabulaire pour survivre.
Simon Leduc m’a fait connaître des moments magiques et surtout m’a rappelé que l’utopie, malgré tous les échecs, reste bien vivante. Il faut y croire et la littérature est là pour nous l’illustrer. L’impossible est toujours possible. Un roman à lire, une aventure qui ne nous laisse pas indemne. Un souffle inquiétant et fascinant.
Simon Leduc m’a fait connaître des moments magiques et surtout m’a rappelé que l’utopie, malgré tous les échecs, reste bien vivante. Il faut y croire et la littérature est là pour nous l’illustrer. L’impossible est toujours possible. Un roman à lire, une aventure qui ne nous laisse pas indemne. Un souffle inquiétant et fascinant.
L’ÉVASION D’ARTHUR OU LA COMMUNE
D’HOCHELAGA de SIMON LEDUC vient
de paraître aux ÉDITIONS LE QUARTANIER, 2019, 342
pages, 26,95 $.
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