Quelques années plus tard, le narrateur retourne à Sainte-Euphrasie-de-l’Échouerie, le village des origines. Son enfance doit rôder quelque part entre les montages et le fleuve.
Jean-François Caron au Salon du livre de Rimouski. |
Retrouver des lieux, des mots et des odeurs pour se redonner un élan et comprendre peut-être pourquoi il dérive depuis que la fatalité est entrée dans sa vie, pourquoi une faille ne cesse de s’élargir en lui.
En route, il fait monter une fille rousse qui ne sait où aller. Elle l’aurait suivi au bout du monde de toute façon. La jeune femme cherche aussi à colmater sa vie, un point d’ancrage pour respirer et se redresser au milieu du jour.
«Elle était là, les deux pieds dans le gravier. Plutôt belle dans ce paysage. Les cheveux flamme, ravivés par le souffle des véhicules passés devant elle sans s’arrêter. Son sac abandonné quelques pas plus loin, près de la tranchée de drainage. Elle levait le pouce en fixant l’horizon, le regard en crémation dans le four du ciel.» (p.18)
Elle s’installe à Sainte-Euphrasie et s’occupe des personnes âgées. C’est à peu près tout ce qu’il reste dans le village, des femmes et des hommes qui, par la fenêtre du foyer, surveillent au cas où leur vie passerait. Tout se défait dans cette municipalité. C’est le sort des villages qui voient les jeunes partir vers la ville ou l’ailleurs.
La jeune femme hante toutes les conversations avec ce fils revenu qui s’installe dans la maison familiale. Il squatte en quelque sorte les lieux de son enfance en parlant à Marie qu’il a abandonnée au pays du Saguenay.
«Imagine. Ma maison presque à l’abandon. Dans le fouillis d’une cour aussi laissée pour compte. Les herbes devenues hautes, étouffées par les feuilles mortes de l’année dernière. Le bouleau naguère petit masquant sa façade blanche de feuilles d’amiante. Aucun rideau aux fenêtres. Une maison hara-kiri, le ventre ouvert, complètement nue. Et d’une pancarte dans un carreau, elle s’offrait désespérément, voulait se vendre, ou se louer, à qui voudrait bien d’elle. Embrassée d’est en ouest par autant de village, ceinturée par le galbe des cabourons au sud, par l’horizon fluvial et le Bouclier canadien au nord. Un carré de paysage qui aurait pu être digne de cartes postales – si ce n’était de ses voisins. À l’est, l’hôtel. À l’ouest, le motel. Au nord, la dizaine de cabines dudit motel.» (p. 31)
Le pire
On a beau retrouver les sentiers de l’enfance, les lieux des premiers émois et des premières douleurs, rien ne peut changer. Le pire arrive avec la jeune femme. Il ne pouvait en être autrement dans un milieu qui rejette la différence.
«Les gens du village diront ce qu’ils voudront. Ils l’ont toujours fait. Et c’est bien connu, au village. C’est le premier dicton qu’on apprend, quand on y est né. Les étrangers sont des cormorans qui sèment la maladie et la mort. Et je n’étais plus que ça, un étranger. C’est ce que j’ai apporté avec moi, dans les trois rues de Sainte-Euphrasie, au cœur de ce village coincé dans le pli du paysage. C’est ce que j’ai répandu chez les gris d’en face. Qui vient de loin ne peut que mettre le feu aux poudres. Et ramener avec lui des souvenirs arsins.» (p.142)
Le narrateur rentre, retrouve Marie sa compagne, mais que dire quand tout a été dit, quand le pire est advenu ? Est-ce possible de guérir la blessure qui s’est ouverte en soi pendant les premières années ? Peut-on guérir de son enfance?
Jean-François Caron travaille par petites touches, place un décor, des personnages qui fascinent. On se laisse prendre par cette voix, les remises en question. Dur! Oui! Touchant en tout cas, remuant et fascinant. Un roman tout en nuances, en retenues et en chuchotements. Un ton surtout, une écriture incantatoire, une musique, une atmosphère. Une belle réussite qui vient en écho parfois «Aux fous de Bassan» d’Anne Hébert ou «Mademoiselle Personne» de Marie-Christine Bernard.
« Nos échoueries » de Jean-François est publié aux Éditions La Peuplade.
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