Une femme perd son mari lors du naufrage de la plate-forme de forage Ocean Ranger. Une tempête au large des côtes de Terre-Neuve et l’installation qu’on pensait indestructible sombre. Quatre-vingt-quatre hommes périssent dans cette tragédie, le cinq février 1982. Le choc est terrible pour Helen qui se retrouve seule avec ses quatre enfants.
«L’Ocean Ranger a commencé à sombrer le jour de la Saint-Valentin, et à l’aube, le lendemain, la plate-forme était engloutie. Tous les hommes qui s’y trouvaient sont morts. Helen avait trente ans en 1982. Cal en avait trente et un. Il a fallu trois jours avant d’être sûr que les hommes étaient tous morts. Les gens ont espéré pendant trois jours. Pas tout le monde. Pas Helen. Elle savait qu’ils étaient disparus, et ce n’était pas juste, mais elle le savait. Elle aurait aimé avoir ces trois jours. On a dit combien c’était dur, de ne pas savoir. Helen aurait aimé ne pas savoir.» (p.14-15)
La jeune femme est dévastée, mais il y a les enfants qui n’ont qu’elle.
«À cause des enfants, Helen se sentait obligée de faire semblant qu’il n’y avait pas de dehors. Ou, s’il y en avait un, qu’elle y avait échappé. Helen voulait que les enfants croient qu’elle était à l’intérieur avec eux. Dehors était une vérité hideuse qu’elle avait l’intention de garder pour elle. C’était tout un cinéma, ce mensonge quant à la nature du lieu où elle était véritablement: dehors.» (p.21)
Évocation
Le lecteur est ballotté entre les vagues du présent et du passé, sans avertissement. C’est douloureux, souvent intolérable. Il plonge dans le vécu de cette femme, ses amours, la vie des enfants, particulièrement celle du fils. Quel courage il faut pour continuer quand le monde s’effrite. Helen peut compter sur sa sœur Louise, quelques amies et la petite communauté. La misère guette. La famille a perdu tous ses revenus. Elle tente de travailler comme serveuse mais arrive mal à prendre contact avec les autres. Elle fera de la couture pour refaire sa vie point par point.
Lisa Moore a une manière de dire cet univers en plongeant dans les détails du quotidien. Le lecteur suit Helen, John son fils qui apprend qu’il sera père après une escapade avec une jeune femme qu’il connaît à peine. L’écriture impose ses tourbillons et nous entraîne dans ses spirales. Un rythme fascinant, étourdissant, souvent déstabilisant.
La survie
Helen tente de vivre une sorte de tendresse à défaut du grand amour, après avoir tenté de reconstituer le drame en lisant tous les rapports qui touchent cette tragédie qui a marqué les esprits, particulièrement les gens de Terre-Neuve.
«Si elle avait été honnête, elle aurait demandé : Pourriez-vous être mon mari mort le temps d’un après-midi. Pourriez-vous enfiler ses vêtements, je les ai encore. Voudriez-vous porter l’eau de Cologne qu’il portait. Pourriez-vous fumer des Export A, juste le temps d’un après-midi. Voudriez-vous boire de la bière India et faire brûler les steaks sur le barbecue, pourriez-vous être drôle, conter des blagues et laisser des provisions pour la famille, plus bas sur la route, qui n’a rien à manger. Pourriez-vous être Cal?» (p.154)
Helen n’oublie rien malgré les voyages, un homme qui s’installe peu à peu dans son quotidien. Ses filles ont des vies un peu difficiles et son fils voyage, téléphone à toutes les heures de la nuit et du jour, ayant du mal à couper avec sa mère.
Grand art
Lisa Moore possède l’art de bousculer le temps et l’espace. Une précision époustouflante. Du grand art, une sorte d’incantation qui envoûte telles les vagues de l’océan. Tout le décor devient vivant, un personnage qui hante le lecteur.
«Février» est magnifiquement traduit, il faut le signaler, par Dominique Fortier, une romancière qui vient de publier «Les larmes de saint Laurent» aux Éditions Alto.
«Février» de Lisa Moore est publié aux Éditions du Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/lisa-moore-1445.html
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/lisa-moore-1445.html
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