Le 12 janvier 2010, la terre tremblait en Haïti. En quelques secondes, ce pays retournait à l’âge de pierre, détruisant à peu près tout, faisant des centaines de milliers de morts. Un coup de massue inimaginable.
Dany Laferrière, dans «Tout bouge autour de moi», raconte ce qu’il a ressenti pendant cette catastrophe. La peur bien sûr, la crainte du pire. Le sol ne cessait de bouger, pris de fièvre. Et il y a sa mère et sa sœur dont il était sans nouvelle. Que le noir, le silence inhabituel, la nuit chaude et oppressante. L’impression d’être hors du monde.
«La terre s’est mise à onduler comme une feuille de papier que le vent emporte. Bruits sourds des immeubles en train de s’agenouiller. Ils n’explosent pas. Ils implosent, emprisonnant les gens dans leur ventre. Soudain, on voit s’élever dans le ciel d’après-midi un nuage de poussière. Comme si un dynamiteur professionnel avait reçu la commande expresse de détruire une ville entière sans encombrer les rues afin que les gens puissent circuler.» (p.19)
Pas d’électricité, de téléphone et d’Internet. Que les étoiles dans le ciel. Et puis l’aube après une nuit interminable. La mère et la sœur de l’écrivain ont été épargnées, son neveu aussi.
Dany Laferrière circule dans les rues, rencontre des hommes et des femmes. Ils sont calmes devant la fatalité. La vie est là, mille fois plus précieuse. Tellement forte.
Médias
Les médias ont débarqué, montrant les ruines et les morts alignés dans les rues, les victimes sous les débris. Les images frappent le cœur et le cerveau. Dany Laferrière, sous les conseils de ses amis, rentre au Canada.
«Il n’y a pas que les Haïtiens d’ici, il y a aussi ceux qui sont à l’étranger, ils doivent savoir ce qui s’est passé. Par quelqu’un en qui ils ont confiance, un des leurs qui a vécu ça. Ils veulent l’entendre dans leurs mots et selon leur sensibilité. Déjà en période calme, ils se méfient de la manière dont la presse internationale parle d’Haïti (un peuple de miséreux), tu crois qu’ils vont les croire aujourd’hui? Tu auras toutes les tribunes disponibles et ta voix pourra équilibrer les choses.» (p.87)
Le lauréat du prix Médicis avec «L’énigme du retour» devient la voix d’Haïti. Il raconte son expérience, le courage de son peuple. Il le fait au Québec, aux États-Unis et en Europe. Partout il écrit, incapable de s’arrêter. Il est pris d’une frénésie. Pour exorciser le malheur peut-être. L’écrivain n’arrive souvent à saisir la réalité qu’en bousculant les mots et les phrases. «J’écris ici pour ceux qui n’écrivent pas.»
Médias
Des images reviennent jour et nuit à la télévision, des scènes d’horreur, les morts, les survivants qui attendent de l’aide. Les caméras cherchent à marquer l’imaginaire, les pillages qui n’arrivent pas. Il ne peut se détacher du petit écran. Ces scènes deviennent plus obsédantes que la réalité qu’il a vécue. Il explique le combat de son peuple pour de l’eau et un peu de nourriture. Tous sont dans la rue. Ils ont tout perdu. Tout ce qui faisait la vie avant n’est plus possible.
Dany Laferrière tente de prendre un certain recul. Que sera l’avenir de ce pays, de ce peuple d’artistes, de peintres et de poètes? Il explore des pistes, mais les moments qui ont bouleversé sa vie ne le lâchent pas.
«Mais pendant dix secondes, ces terribles dix secondes, j’ai perdu tout ce que j’avais si péniblement appris tout au long de ma vie. Le vernis de la civilisation qu’on m’a inculqué est parti en poussière. Comme cette ville où j’étais. Tout cela a duré dix secondes. Est-ce le poids réel de la civilisation ? Pendant dix secondes, j’étais un arbre, une pierre, un nuage ou le séisme lui-même. Ce qui est sûr, c’est que je n’étais plus le produit d’une culture. J’étais dans le cosmos. Les plus précieuses secondes de ma vie.» (p.141)
Maintenant, la bousculade des médias s’est déplacée ailleurs, pour une autre catastrophe. Heureusement, il reste les mots de Dany Laferrière pour nous rappeler ce drame. Particulièrement touchant. Un témoignage qui laisse sans voix.
«Tout bouge autour de moi» de Dany Laferrière est publié chez Mémoire d’encrier.
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