Francine Déry est une sorte de voyageuse. Il lui faut partir, s’éloigner pour échapper au quotidien et à ses peurs. «Partir, c’est quitter un mal pour un moindre mal», écrit-elle.
En quatre récits, «sans explication», elle m’a poussé dans un monde où tout s’ancre dans les phrases et les images. L’inventé et le réel se confondent et, pour suivre la course, j’ai dû lâcher prise.
«Souvent, tu te rappelles, tu as tenté de disparaître. Tu n’as réussi qu’à t’enfuir et à reparaître. La corde de la vie est aussi résistante que celle du pendu.» (p.12)
Les voyages, une certaine Europe, des pays qui défilent servent de décors. L’écrivaine raffole des trains, des gares, des départs et des arrivées. Les lieux où tout est possible. Dans une ville inconnue, tous les espoirs peuvent se rêver. Il y a une rivière ou un pont. Une grande place aussi et un homme qui l’attend. Les rues où elle circule s’effacent. Francine Déry entre dans un musée, fige devant un tableau qui se met à vibrer. À force de regarder une toile, ce n’est peut-être plus l’œuvre que l’on fixe mais soi.
«Il se détache comme élément central d’un tableau en train de se faire. Il passe et repasse, la main droite tendue, ouverte à la pièce qui ne tombera pas. Droit comme une lame bien affûtée, il tranche la foule. Son visage est blanc et soutient un regard fixe. Une certaine innocence accentue les traits jusqu’à la douceur angélique. La chevelure noire, emmêlée comme les branches d’un olivier, court jusqu’à la naissance des épaules.» (p.57)
Suggestions
Déry aime le trait qui effleure et suggère. Elle s’abandonne malheureusement trop souvent à l’ivresse des mots, usant des allitérations ou des jeux sonores. Elle se grise, s’étourdit et les mots battent frénétiquement des ailes.
«La nuit, l’homme brisé dressait la nuque et visait haut. Il remontait la cathédrale du primate jusqu’aux limites jamais atteintes du fil interminable. De l’assemblage éblouissant des mots sublimés dans le feu de ses vertiges, il fit entendre la vibration immortelle de sa mortelle vision. Il tenait le fil tendu entre le primate et l’étoile. Il fut. Sans espoir, avec conviction.» (p.48)
On ne voyage somme toute que dans la tête de Francine Déry, que dans ses fantasmes, que dans ses phrases qui s’ouvrent et se referment comme des coffrets. Je me suis un peu égaré, faut le dire.
«Les gouttes de pluie commencent à tomber sur et dans ma tête. Je ne veux plus de cette agression, je chasse les mots, ces mouches, les mots et les mouches des mots squattant dans ma cervelle.» (p.27)
«Sans explication» n’a pas réussi à m’accrocher. Il manque une cohésion, un liant qui en aurait fait un tout. Et puis les images forcées, les enflures verbales finissent par m’agacer même si je suis le plus patient des lecteurs. L’ivresse de l’écriture peut aussi faire en sorte que l’on oublie son sujet pour pédaler à vide.
«Sans explication» de Francine Déry est paru aux Éditions La Pleine Lune.
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