ANAÏS GACHET vient de publier un court essai autobiographique fort intéressant avec Du coup, j’ai fui la France. Avec un titre semblable, on sait à quoi s’attendre. Le « du coup » chez les Français est aussi fréquent que les « là, là » de Jean Tremblay, maire de Saguenay, à la belle époque. L’auteure est née en France, dans le sud-ouest, un petit village nommé Callas. Après ses études, elle a l’espoir légitime de prendre sa place dans son milieu, mais rien ne s’est passé comme elle le souhaitait. La société française me semble assez sclérosée et y vivre ses rêves s’avère difficile. Une France déchirée, avec toutes les nations du monde, nous l’avons constaté lors des récentes élections présidentielles. C’est loin d’être l’harmonie non plus aux États-Unis depuis Donald Trump et c’est terriblement inquiétant qu’un Pierre Marcel Poilièvre tente de se faire élire à la direction du Parti conservateur du Canada. Que dire de la présence d’Éric Duhaime comme chef d’une formation politique au Québec ? Alors, pourquoi partir, aller dans un autre pays pour voir si l’herbe y est plus verte ? Il y aurait 2,5 millions de Français qui ont quitté la France avec madame Gachet pour tenter leur chance à l’étranger.
Non, le Québec n’est pas le premier choix de ces migrants. La Suisse, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Belgique et l’Allemagne arrivent avant nous. J’ai des amis de longue date qui sont nés en France, surtout en Bretagne. Ils se sont très bien adaptés, œuvrant dans le secteur culturel et à l’usine. Ils ont vécu en région et à Montréal et ce fut toujours un plaisir que de se croiser et de pouvoir partager des moments. J’ai même eu la chance de travailler avec l’un d’eux et de tout faire pour que le livre et la littérature restent des éléments contagieux.
Ce qui rend le court récit d’Anaïs Gachet intéressant, c’est la question qu’elle se pose. Pourquoi part-on ? Pourquoi quitte-t-on son pays ? « Le Français qui quitte la France — mais ça, on ne le dira jamais au journal de TF1 — lui aussi fuit une certaine misère intellectuelle : fermeture d’esprit, misogynie, racisme, statu quo politique, gérontocratie. » (p.27)
Madame Gachet se montre sévère, mais pour migrer, il doit y avoir une « façon d’être » qui heurte et empêche de réaliser ses rêves.
Si certains doivent abandonner leur pays pour sauver leur peau (je pense aux Ukrainiens qui fuient la guerre et l’horreur), ce n’est pas toujours le cas. Les Français partent parce qu’ils ressentent un malaise, je dirais « certaines entraves » à vivre leurs rêves dans leur société. Ce qui est terrible, on le comprendra. Rien n’est pire pour un jeune, homme ou femme, que de constater qu’il ne pourra s’épanouir dans son travail et se heurtera à une foule d’empêchements qui le confinera dans des tâches subalternes !
Nous avons presque tous dû migrer de la campagne vers la ville au Québec dans les années 70. Nous avions compris que nous ne pouvions demeurer dans nos villages et vivre nos rêves. Notre avenir était ailleurs. Ce n’est pas quitter son pays, mais nous perdions tous nos repères en nous installant en plein cœur de Montréal. La migration intérieure est exigeante et je connais des amis qui, après un an, n’en pouvaient plus.
PARTIR
Le lieu où l’on est né et où l’on se sent chez soi, même si beaucoup de choses peuvent vous heurter, nous a pour ainsi dire ouvert les yeux sur le monde. Ça demande du courage de partir et une fois rendu à destination, l’adaptation ne se fait pas en claquant des doigts. Transplantez un arbre et il prendra des années à refaire son réseau de racines et à grandir. Bien plus, il restera un spécimen un peu différent. Il vit moins longtemps aussi et n’atteindra jamais les dimensions de son pareil né en forêt. C’est dire.
Les humains sont-ils si différents ?
Anaïs Gachet s’est retrouvée avec des migrants au Québec. Un réflexe normal. Toujours plus facile de vivre avec des gens qui partagent les mêmes difficultés, certainement. Comment s’acclimater alors, découvrir un nouveau milieu, s’adapter aux pulsions et aux habitudes de la majorité des Québécois ? J’use le mot avec beaucoup de prudence, mais les « ghettos » ne sont jamais les lieux idéaux pour connaître un autre pays. Mes amis bretons sont venus en région et ils se sont glissés dans nos vies avec humour, enthousiasme et plaisir. Ce ne fut pas toujours facile, mais cela est allé de soi avec un travail où ils ont pu réaliser certains de leurs rêves, fonder une famille et avoir des enfants.
AVENIR
Qu’allons-nous devenir en abandonnant pays et famille, son milieu, son village et une certaine tradition ? « Alors que sur mon cellulaire, MétéoMédia annonce la fin des chaleurs extrêmes au Québec, je prends conscience que ce que mon père m’a dit au sujet de mes ancêtres (le fait que je ne pouvais pas tourner le dos à ce qu’ils s’étaient battus pour nous offrir) était moins une volonté de me faire culpabiliser de quitter ce qu’ils s’étaient battus pour avoir, qu’une peur. La peur que ma fuite me déconnecte de ma famille, de mon pays, de tout ce qui constitue ce qu’il connaît de mon identité et donc que sa fille ne soit plus vraiment sa fille, que la distance quotidienne, émotionnelle que creusera forcément notre séparation physique me fera devenir une autre personne ; une étrangère à ses yeux. » (p.30)
C’est ce qui arrive forcément. J’ai vécu dix ans à Montréal et quand je suis revenu au village, j’étais un survenant. J’avais coupé un fil.
TRAVAIL
Madame Gachet fonde sa compagnie de danse où elle œuvre avec les autochtones. La question identitaire est au cœur de leur travail et de leurs réflexions. On le comprend. Les Premières Nations, pour s’affirmer et se faire respecter, doivent affronter des difficultés inouïes, même si le vent tourne actuellement. Elle multiplie les expériences et va jusqu’à suivre des cours de création littéraire. Ça m’a un peu étonné. Ce genre de cour où l’on s’attarde prétendument aux complexes des Québécois face à la France me semble dépassé. Bien sûr que ce sentiment a existé, mais nous ne devons surtout pas réduire notre littérature à ce seul point de vue. Les écrivains du Québec, à partir des années 1900 et même avant, ont tenté de dire un univers personnel et américain. Que ce soit avec Marie Calumet, de Rodolphe Girard, ou encore La scouine d’Albert Laberge, nous sommes loin des timides qui lisent les auteurs de la France en soupirant. Que dire de Ringuet, Roger Lemelin, Gabrielle Roy, Marie-Claire Blais, Jacques Poulin, Victor-Lévy Beaulieu et Francine Noël ? Madame Gachet n’a pas eu de chance. Dommage.
Et quand on veut étudier les textes des femmes, normal que les autochtones et les migrantes soient peu présentes si on se situe dans un contexte historique. Si on va vers une littérature contemporaine, obligatoirement nous devons tenir compte des arrivantes et des minorités.
UN CHOIX
Madame Gachet réfléchit à l’exil, rencontre des compatriotes, discute de ses origines et à de ses choix. Une démarche fort intéressante sur le phénomène des immigrants, de ceux et celles qui partent et rentrent après quelques années. Abla Farhoud a écrit des livres formidables sur le sujet. Je signale son admirable Au grand soleil cachez vos filles qui traite du retour au pays d’origine qui se fait plutôt mal.
Partir, c’est mourir un peu, dit-on. Migrer pour toutes les bonnes ou mauvaises raisons, c’est abandonner un lieu, un village, des amis, une famille, une pensée pour se retrouver dans un milieu à apprivoiser. C’est se donner un regard différent et d’autres manières de faire. Certains y arrivent plus facilement que d’autres, certainement.
Du coup, j’ai fui la France propose une réflexion importante dans un monde où les gens bougent de plus en plus pour réaliser leurs rêves. Difficile de changer ses référents pour s’intégrer à sa société d’accueil. Madame Gachet en témoigne parfaitement avec ses hésitations et ses réflexions. Elle m’a secoué et, certainement, nous n’avons pas fini de parler de ce sujet avec les migrations de plus en plus importantes. Un livre qui vient à point.
GACHET ANAÏS, Du coup, j’ai fui la France, Éditions HASHTAG, 104 pages, 20,95 $.