ALAIN BEAULIEU nous offre
un roman plutôt intrigant avec Malek et
moi. Je dis bien roman, parce que
j’ai pris la peine de vérifier plusieurs fois, me demandant
tout au long de ma lecture, si j’avais affaire à une histoire vraie ou à une
fiction. J’imagine que l’écrivain souhaitait semer le doute chez son lecteur,
qu’il se demande qui est cette Nadine qui l’a choisi pour écrire son histoire.
Un peu réticent, l’écrivain accepte de plonger dans l’aventure et une sympathie
certaine se développe entre les deux, même s’il fait tout pour garder ses
distances et s’en tenir au rôle de narrateur. Une histoire toute simple qui
bascule rapidement dans une suite d’événements plutôt rocambolesques.
J’ai terminé ma
lecture de Malek et moi avec bien des
questions et peu de réponses. J’ai eu beau secouer le livre, me dire que c’était
un roman, me répéter que l’auteur a
tout inventé, je suis resté sur mon quant-à-soi. L’écrivain a réussi son coup
en me déstabilisant de la sorte, en me laissant croire que la narratrice est une
femme réelle avec une carte d’assurance-maladie et un NIP.
Pourtant…
Mon inconfort
vient certainement de l’architecture du roman. D’un côté, les histoires de Nadine,
ses relations impossibles avec ses parents, sa peine d’amour, son avortement, son
départ du Québec pour oublier, son errance en Europe dans un anonymat total
pour retrouver son soi, son équilibre et son regard sur le monde. De l’autre,
un journal où Beaulieu décrit minutieusement ses rencontres avec Nadine, jongle
avec ses questions et ses hésitations devant la jeune femme atteinte d’un
cancer. D’un côté, une histoire qui ressemble à un polar où les poursuites et
les rebondissements se multiplient et de l’autre, la lutte d'une jeune femme
contre le cancer, l’approche de la mort. Et un écrivain au milieu qui fait tout pour
garder ses distances.
MALEK
Malek change tout.
Un premier regard, un mot et tout bascule. Les amours doivent bien commencer
quelque part. Nadine est séduite par cet homme même si elle comprend rapidement
qu’il trempe dans des affaires louches. Trafiquant, mafioso, espion,
terroriste, on ne saura jamais.
Je
peux te promettre une chose Nadine, c’est que si tu te colles à moi, tu ne
t’ennuieras pas. Faudra te préparer à bouger, accepter de ne pas tout comprendre,
donner du temps au temps, le bousculer parfois un peu. Je suis souvent en
déplacement, plus colibri que gros bourdon, aujourd’hui ici, demain là-bas,
dans un avion supersonique ou à dos de chameau dans le Sahara, et ce n’est pas
une image, je te jure. J’ouvre mon jeu pour toi, Nadine, pour que tu saches
dans quelle galère tu montes si jamais tu décides de me suivre. Tu as planté ta
flèche là, a-t-il ajouté en se tâtant le thorax, entre ma sixième et ma
septième côte. (p.56)
C’est ce que
demande Beaulieu à son lecteur : « accepter de ne pas tout comprendre,
donner du temps au temps ». Je veux bien, mais je n’ai jamais réussi à m’abandonner
et à lui faire confiance.
Cette alternance
entre le témoignage de Nadine et le journal d’Alain Beaulieu a pour effet de casser
le rythme et m’a empêché de m’accrocher à l’un ou à l’autre. Et il y a deux
Nadine. La jeune femme amoureuse de Malek, celle qui fuit avec son amant et l’autre
qui lutte contre une maladie mortelle.
Quelle histoire ! Malek
fuit pour des raisons qui restent floues. Plus, la police française recrute Nadine
comme agent double. Tout le monde fait partie des services secrets à un moment
donné. Alors pourquoi cette cavale ?
Et que dire de la
fausse mort de la jeune femme organisée par la police ? En quoi elle met l’État
français en danger ? Ça fait beaucoup de questions et peu de réponses. J’avoue
avoir souvent perdu pied.
Elle rentre au
Québec, s’installe à Saint-Fulgence, au Saguenay, dans une solitude assez terrible.
Elle est morte officiellement, n’a plus de famille, de sœur et d’amis, n’est
plus personne près des battures de l’Anse aux foins et rien ne dit qu’elle
fréquente la Bibliothèque Nicole-Houde.
L’auteure de La vie pour vrai aimait
les polars et je me demande ce qu’elle aurait pensé de la présence de Nadine
dans son village. Une belle occasion ratée de réfléchir à la perte d’identité,
surtout que Nadine semblait vouloir échapper à tout en fuyant en Europe. Elle réussit
son projet en rentrant au Québec avec un autre passeport, une autre vie.
Beaulieu multiplie
les leurres, s’amuse à déconstruire son récit pour s’attarder à sa démarche d’écrivain,
aux hésitations qui secouent le créateur quand il plonge dans un ouvrage de
fiction. Ce que nous lisons et prenons pour une aventure
policière n’est pas la véritable histoire. Le travail de l’écrivain constitue
le vrai sujet de ce roman. Assez étrange, je prenais la même direction dans Anna-Belle en 1972. Le narrateur
retourne dans son village mythique de La Doré, amorce l’écriture d’un roman et
vit un amour particulier avec Anna-Belle, un personnage de fiction. Il fait le
vide autour de lui pour se plonger totalement dans l’aventure de l’écriture et il fantasme sur son personnage. Ma démarche était de l’ordre de l’imaginaire quand
Alain Beaulieu tente de nous faire croire que tout est bel et bien réel.
Depuis
que j’avais participé à une série d’entretiens dans le réseau des bibliothèques
de ma ville pour parler de mon plus récent roman, un chapelet de questions plus
ou moins existentielles me taraudaient l’esprit. La plupart concernaient mon
rapport à l’écriture, comme si chacune de mes œuvres devait s’inscrire dans un
grand dessein qui la transcenderait et lui donnerait un sens au-delà de ce
qu’elle représentait en elle-même, à l’image d’une vie prédéterminée dont
chaque épisode répondrait au plan liminaire. (p.85)
Le roman réside
dans « ce rapport à l’écriture ». Pourquoi alors l’écrivain n’est jamais arrivé
à me convaincre ? Même le journal m’a laissé sur ma faim, Beaulieu se
contentant souvent de généralités, restant sur ses gardes. Même le suicide de
Nadine m’a fait hausser les épaules.
Une idée
intéressante, mais l’impression qu’il manque de la chair pour croire vraiment au
personnage de Nadine, à cette cascade d’événements incontrôlables qui va dans
toutes les directions. Comme si j’étais demeuré coincé entre la fiction et les préoccupations
de l’écrivain. Et quelle écriture relâchée ! Je suis habitué à mieux chez Alain Beaulieu.
L'écrivain est assez
habile pour relancer son récit, mais il oublie d’ancrer son personnage dans une
réalité où le lecteur se sent à l’aise et peut y croire. C’est toute l’aventure
de l’écriture après tout : convaincre un lecteur que tout est vrai même
quand tout vient de l’imaginaire. Ça s’appelle l’art du roman. Je pense à Paul
Auster qui nous plonge souvent dans des situations invraisemblables et impossibles,
mais il a l’art de convaincre et nous le suivons.
MALEK ET MOI
d’ALAIN BEAULIEU, une publication de DRUIDE ÉDITEUR.