LES HOQUETS de la planète inquiètent de plus en plus et, les écrivains, ne restent pas les bras croisés devant ce phénomène. Christiane Vadnais, dans « Les ressources naturelles », nous entraîne dans une utopie bien québécoise. Une partie de l’estuaire du Saint-Laurent est avalé par une sorte de trou noir où rien ne peut survivre. Toute vie animale et végétale a disparu de ce lieu. Est-ce que ce vide peut s’étendre sur tout le pays ? Même les navires n’arrivent plus à traverser un brouillard épais comme de la mélasse. Clémence Saint-Pierre, la porte-parole du groupe Torrents, une entreprise qui tente de régler les problèmes environnementaux, doit calmer les craintes des protestataires et d’une population de plus en plus inquiète. Née dans la région du golfe Saint-Laurent, Clémence est personnellement touchée par ce problème. Ses parents se sont toujours tenus en marge en prônant des idées qu’elle doit contrecarrer maintenant. Clémence a fui pour étudier et faire sa place à la ville, échapper à une terrible solitude, à une vie où le quotidien happe toutes les énergies. Elle est passée si l’on veut de la rébellion à la collaboration.
Le Québec et la planète sont en bien mauvais état. Les régions périphériques ont été dévastées et pillées. Ici et là, quelques travailleurs s’acharnent encore à extraire ce qui reste de minéraux. C’est devenu le refuge des contestataires, des écologistes et des environnementalistes qui ne croient plus aux promesses des élus et aux mesures qu’ils proposent pour enrayer les fléaux de la pollution. Ces activistes vivent dans de petites communautés isolées, en autarcie, mais peuvent aussi passer à l’action et constituer une menace pour les gouvernants qui les tiennent à l’œil.
« On nous a livré un monde en crise qui, pour rester soutenable, doit constamment être contenu. Alors, quand des feux brûlent, nous arrosons. Quand des eaux montent, nous érigeons des murs. Si le désert progresse, nous l’irriguons. Les abeilles meurent, nous envoyons des robots caresser les pistils des fleurs. À la hausse des températures, nous répondons par la diffusion d’une poudre de diamant dans la stratosphère, renvoyant la lumière vers l’étoile d’où elle est venue. » (p.22)
La technologie a fait des bonds prodigieux. Les robots réalisent des miracles et toutes les tâches que l’on peut imaginer. On a même réussi à ressusciter des espèces disparues.
MISSION
Clémence, dans la tour de Torrents, un havre artificiel est en mission avec ses collègues. Ils ont le sentiment d’être là pour préserver et restaurer toute la vie aquatique, aérienne et terrestre.
« Chez Torrents, nous travaillons pour quelque chose de plus grand que nous-mêmes, pour les oiseaux, les insectes et leurs montagnes, pour les dentelles de forêts giboyeuses, les plaines vierges de mines et les rivières encore sans barrage. Nous travaillons pour la limpidité de l’air, pour les ciels très noirs, ceux qui vous absorbent jusqu’au silence, et pour le fleuve qui scintille au pied de la tour. Nous travaillons pour la majesté du dehors, sans laquelle rien n’est possible. » (p.27)
Cette entreprise séduisante au premier coup d’œil a des failles, comme Christiane Vadnais ne tarde pas à le démontrer. Ce paradis élevé au cœur de Montréal, face au fleuve, fait oublier les ambitions démesurées des dirigeants qui cherchent à tout contrôler.
Lilas, la patronne aime et désire le pouvoir. Le sauvetage de la planète sert à masquer des pulsions primaires qui poussent des individus à vouloir tout régenter. Un idéal, un travail admirable, une tâche nécessaire qui finit par claudiquer avec de tels dirigeants.
CONSCIENCE
Clémence prend conscience peu à peu que tout ce qui l’entoure est factice, faux et trompeur. Là encore, on cherche à exploiter les gens les plus brillants au nom d’un idéal. Les beaux discours qu’elle doit répéter finissent par sonner creux et elle n’arrive plus à masquer ses doutes et ses troubles.
« Je m’assois près du bassin, pacifiée par la délicatesse de l’ombrelle, des filaments, du tout petit œil-caméra. Cet être m’évoque ce que je me suis toujours imaginé du golfe ; le calme suspendu des profondeurs, la singulière perfection de la vie. Me reviennent les images de la péninsule telle que je l’ai connue, enfant : ses plages granuleuses, leur froide incandescence zébrée d’algues noires. » (p.43)
Un combat pour régénérer les forêts ravagées, les océans vidés, pour ramener la vie sous toutes ses formes, particulièrement dans le trou noir du golfe Saint-Laurent. Un effort colossal qui a pris une mauvaise direction. Tout ce que l’entreprise fait est de mécaniser le monde. Autant dire remplacer tout ce qui est vivant par des machines qui donnent l’illusion du réel.
Il n’y a plus rien de naturel dans le Montréal de Christiane Vadnais. Les oiseaux sont des petits drones, tout comme les insectes, et les humains avalent une quantité impressionnante de pilules. Ils doivent être efficaces et devenir des héros et des héroïnes qui ne doutent jamais.
RÊVE
Clémence fait d’étranges songes où elle se retrouve dans le corps d’une renarde qui voit et ressent la tragédie qui frappe son environnement.
« Parfois, la renarde de mes rêves marche sur le toit, près du cadre de la fenêtre. Je ne comprends pas ce qu’elle fait là, sans protection face aux tempêtes, aux canicules, aux drones, aux prédateurs, aux vapeurs d’usine des cités industrielles. Tout pourrait lui crever la peau. Quand elle se glisse dans la chambre pour se serrer contre moi, ses yeux clos comme des secrets, ses os minces me bouleversent. J’oublie les problèmes et tout ce à quoi je tenais. Plus rien ne compte que de sentir, au contact de sa fourrure, que j’existe encore. » (p.115)
Clémence va comprendre plus tard que des contestataires lui ont fabriqué des rêves en squattant son cerveau et en la manipulant. Les clans, celui de Torrents et les révolutionnaires se battent pour prendre le contrôle des esprits en réunissant des individus, un jeune à un plus âgé, ce qui permet de prolonger l’existence d’un vieillard grabataire. Une forme d’égoïsme où une caste vole pour ainsi dire le corps des plus jeunes pour vivre éternellement. Un autre rêve de l’humanité que de contrer la mort. On fusionne aussi avec des bêtes pour comprendre et ressentir l’environnement différemment.
Un roman étrange, déroutant, qui inquiète, un monde en décrépitude qui subit tous les dérèglements climatiques. Chose certaine : nous devons muter et changer nos manières de voir et de penser, pour sauver la Terre. Toutes les découvertes et les prodiges de l’intelligence artificielle finiront par se tourner contre nous et à nous précipiter dans l’abîme.
Si tout se déglingue sur la planète, il y a la nature humaine qui cherche par tous les moyens à dominer les autres et à établir des pouvoirs qui ne profitent qu’à un petit groupe. Ça, ça ne change pas. La Terre est en danger et l’écrivaine nous le fait ressentir dans nos corps et nos esprits. Et, peut-être qu’avant de sauver notre monde, il faut s’arrêter et regarder en soi. C’est ce que Clémence comprend au bout de sa quête.
VADNAIS, CHRISTIANE, « Les ressources naturelles », Éditions Alto, Québec, 2025, 256 pages, 26,95 $.
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