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jeudi 24 décembre 2020

VIVRE POUR RACONTER SA VIE

JE CONNAIS MICHEL LORD, le chroniqueur, un collègue à Lettres québécoises, même si je ne l’ai jamais croisé. Un collaborateur régulier de XYZ, la revue de la nouvelle. L’écrivain propose ici Sortie 182 pour Trois-Rivières. Il ajoute pour préciser ou nous appâter : récits de disparitions, catastrophes et mille merveilles. On comprend en ouvrant le livre que l’auteur est né à Trois-Rivières et qu’il a choisi de raconter son parcours en y allant dans le désordre. L’impression de plonger dans un puzzle où il explore son enfance, reviens à sa vie présente, retourne à ses années de scolarité. Comme ça, jusqu’à la fin. Ça étourdit un peu. Oui, il se répète, mais l'auteur donne toujours un éclairage différent à certains événements qui l’ont marqué pour ne pas dire traumatisé. C’est ainsi que les souvenirs deviennent, avec le temps, une source inépuisable de recherches et de réflexions. 


Comment réinventer sa vie? La raconter de la façon la plus simple ou en se laissant emporter par les mots. Gabrielle Roy l’a réussi admirablement dans La détresse et l’enchantement, un gros volume de 550 pages et plus qui s’arrêtait, malheureusement, au moment où elle allait publier Bonheur d’occasion, le roman qui allait lui apporter la gloire. Elle a emprunté la forme linéaire, débutant par son enfance au Manitoba. J’imagine qu’elle voulait se rendre jusqu’à l’époque contemporaine. Un parcours d’écrivaine célébrée au début et plutôt discrète après, ignorée presque avant la parution de ce magnifique témoignage. 

Gabriel Garcia Marquez nous a fait le même coup. Il se penche sur sa famille, ses expériences de journaliste jusqu’à la publication de Cent ans de solitude. Pour lui aussi, le temps a manqué. J’aurais tellement aimé les suivre dans certains lieux et dans les coulisses d’une œuvre singulière. On peut le regretter, mais les écrivains retardent toujours trop avant de se mettre à la tâche. Peut-être parce que l’idée de la mort ne s’impose pas quand on invente des histoires au jour le jour. 

Michel Lord se laisse porter par ses souvenirs et les moments importants qui ont bouleversé sa vie. Comme s’il abdiquait devant les caprices de sa pensée, oubliait la ligne droite et s’étourdissait dans une suite de spirales. Son esprit va comme un lièvre, tourne à gauche et à droite, se moque de la logique et n’hésite jamais à revenir en arrière. Et dans certains cas, la mémoire effectue des bonds formidables pour souder tous les éléments qui finissent par constituer une trame.

Ses années scolaires, sa mère, son père, la rue avec certains jeux, la maison familiale, la musique et la littérature; ses grands-parents, enfin tout ce qui comble une vie avec des moments jubilatoires et d’autres, plus sombres, pénibles même. Des amis importants, des figures qui se démarquent et ses pérégrinations avant de terminer ses études à l’Université Laval. 

 

La vie est pleine de vide, c’est bien connu. Plus vide que pleine, c’est certain. Parfois, on sent que c’est le contraire, la vie se montrant pleine, comme gonflée de souvenirs inspirants, même quand ils sont lourds, douloureux. Ce qu’on laisse derrière nous, comme dans le sillage d’un navire à la dérive, a de quoi nous retenir quand on se met à se remémorer ces instants de vie qui ont fait partie de notre être le plus intime, mais qui ne sont plus retenus que par un mince filet de pêche. On se rattrape comme on peut. (p.9)

 

Il n’y a pas de méthode ou d’art de raconter ses plaisirs, ses goûts, ses périples et ses hésitations. Tous les choix s’imposent. Les rencontres marquantes, amoureuses ou non, les lectures qui bouleversent et vous poussent dans toutes les directionsTout peut être intéressant et tout repose sur la manière de le dire et de voir.

 

FAMILLE

 

J’ai souvent suivi des chemins qui m’ont fait revenir à mon vécu dans mes écrits. Je pense particulièrement à mes romans La mort d’Alexandre et Les oiseaux de glace, les récits Souffleur de mots et L’enfant qui ne voulait pas dormir ou L’orpheline de visage. Des retours pour comprendre où j’en étais et pourquoi j’ai emprunté des directions qui peuvent sembler étranges ; ce que je cherchais dans ces romans que j’ai puisés dans les gestes de ma famille, ceux de mes frères ou d’oncles qui me troublaient. 

J’ai toujours su que je deviendrais écrivain. Dès que j’ai deviné les images qui se cachaient dans les phrases qui tapissaient mes livres. J’ai tout de suite voulu raconter des histoires. Tout comme Michel Lord, il n’y a jamais eu d’hésitations dans mes choix.

Nous sommes nés dans des familles où les livres étaient une incongruité. J’ai appris à les aimer à l’école primaire qui devint le lieu de toutes les découvertes dans Les plus belles années. Les livres n’avaient aucune place dans notre maison de ferme et c’était une perte de temps que de s’attarder à déchiffrer des romans. Pareil du côté de Michel Lord. C’est à peu près toujours le cas au Québec. Le grand-père de Gaston Miron était analphabète et mon paternel savait à peine saisir les titres du journal. Ma mère lui a appris, après son mariage, à signer son nom et à reconnaître certaines lettres. Pas étonnant non plus que des membres de ma famille ne lisent jamais mes romans, même s’ils y sont souvent présents et que mon regard pourrait les secouer.

 

FUITE

 

Michel Lord, tout comme moi, a dû échapper aux siens pour satisfaire son goût des livres. Combien de fois me suis-je fait houspiller par ma mère lorsque je plongeais dans les romans de la collection Nénuphar de Fidès? Elle me trouvait plate, insignifiant parce que je ne parlais pas. Elle n’a jamais compris que c’était pour oublier sa parole envahissante et mortelle que je lisais, que les livres étaient des boucliers qui me protégeaient de ce verbe déferlant et corrosif. Ma mère en avait contre le monde entier et particulièrement contre les voisins. J’ai dû en venir aux poings presque avec l’un de mes frères qui voulait «casser» mon premier disque de musique classique que j'écoutais dans ma chambre, croyant me livrer à ma curiosité sans déranger personne. 

 

Presque chaque jour, j’allais m’acheter un livre de poche et chaque semaine un disque ou deux. Je me privais de manger à midi pour me payer des livres qui coûtaient 35 sous, et des disques en vente à un petit dollar, les plus chers à 3 $, Ce fut pour moi une très belle époque. (p.113)

 

J’ai fui à Montréal pour satisfaire ma passion des livres, découvrir des auteurs et surtout tenter d’échafauder mes propres histoires. Je n’avais presque pas d’argent, mais je trouvais toujours le moyen d’acheter un roman ou un recueil de poésie. 

 

SOUBRESAUTS

 

Michel Lord nous entraîne, ici et là dans sa vie, nous parle de gens connus. Maurice Lemire de l’Université Laval, son travail au Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec (DOLQ), Aurélien Boivin, Jean Marcel, Pierre Yergeau l’écrivain et Adrien Thério, le fondateur de Lettres québécoises où il a collaboré pendant des décennies. Yergeau et Thério finiront par mettre fin à leurs jours. 

Tout son temps a tourné autour des livres et de la musique qui lui ont fait emprunter un parcours plutôt tortueux et original. Je me suis beaucoup reconnu dans ces choix et certaines décisions qui peuvent sembler étranges. Par hasard, je suis devenu journaliste, non pas professeur. J’avais tâté de l’enseignement à Montréal et j’ai vite compris que ce n’était pas pour moi. Je n’avais pas envie de jouer à la police avec des jeunes et les forcer à apprendre des choses que je trouvais inutiles. J’aurais aimé passer mes journées à leur lire des histoires, mais la direction de l’école ne l’entendait pas ainsi. 

Il faut croire que nous avons connu des vies qui pourraient sembler bien aventureuses à certains adolescents. La réussite à tout prix et la consommation ne faisaient pas partie de nos priorités. Et la société est devenue tellement frileuse qu’elle ne permet plus autant d’hésitations et de questionnements. Les jeunes doivent se brancher très tôt et foncer sans regarder derrière eux. 

Michel Lord s’est assagi si on peut dire dans la trentaine, tout comme j’entrais dans le journalisme au même âge. J’ai toujours cherché à écrire et j’y suis parvenu de façon étonnante, malgré bien des occupations et des pirouettes. Michel Lord n’a pas dévié non plus de ses choix et somme toute, il s’est inventé une belle route.

Un récit fort intéressant. J’ai eu du plaisir à suivre cet amoureux des mots qui a vécu plusieurs vies sans compromis, avec un bonheur rare. J’ai eu souvent l’impression que nos parcours auraient pu se croiser. Il a réalisé ses rêves et juste pour cela, c’est admirable et enviable. Et Michel Lord a un faible pour les chats. J’adore les grands félins moustachus et ils ont été des compagnons depuis des décennies. De quoi me rendre cet écrivain et chroniqueur encore plus sympathique. 

 

LORD MICHELSortie 182 pour Trois-RivièresÉDITIONS LA GRENOUILLÈRE, 200 pages, 28,95 $.

http://delagrenouillere.com/sortie-182-pour-trois-rivieres-rivieres/

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