jeudi 23 juin 2016

Donald Alarie ne cesse de s’interroger sur la vie

DONALD ALARIE MÈNE une carrière d’écrivain exemplaire. Il a publié tout près d'une trentaine d’ouvrages jusqu’à maintenant, en se tenant dans l’ombre. J’aime cette façon de faire qui ne recherche pas l’attention des médias, ce désir de dire la vie et les humains dans la plus belle des discrétions. Il a exploré plusieurs genres littéraires, dont la poésie, la nouvelle et le roman avec justesse. Une façon d’être qui, par certains aspects, me fait penser à Jacques Poulin ou Gilles Archambault qui continuent à publier quand la plupart de leurs contemporains se retirent dans leur jardin pour profiter, parait-il, de la vie. Il est vrai qu’un écrivain ne pense jamais à la retraite. Sa fascination pour les mots le pousse encore et encore vers de nouveaux projets, une certaine forme d'éternelle jeunesse. Malgré tout, Alarie a retenu l’attention parfois avec un prix littéraire. Heureusement. Un cheminement exigeant, une conviction que j’admire. Voilà un homme qui se tourne vers les mots pour mieux voir et respirer.

Le hasard des rencontres nous fait suivre le parcours d’un humain, de sa naissance à sa mort. L’enfance, l’adolescence, la vie d’adulte et ce vieillissement tant honni dans notre société qui se prosterne devant la jeunesse. Alarie touche à tout : le travail, l’amour, certaines rencontres parfois dérangeantes et des espoirs qui font que l’aventure niche dans le quotidien. Et l’écriture aussi, pour garder l’équilibre, tirer des leçons peut-être, comprendre que la vie est éphémère et ressemble au vol imprévisible d’un papillon.
Bien sûr, l’individu se pense unique, répète des bêtises, pense tout réinventer et devenir le centre du monde. Cela vient de l’enfance souvent et provoque de véritables tragédies.

Il mène le jeu. Ça, il le sait. Il joue de ses pouvoirs quand bon lui semble. On peut dire que c’est un roi. Un enfant qui ne connaît qu’un seul objectif : arriver à ses fins. Quelques larmes ou quelques sourires font le travail. Si nécessaire, il va jusqu’à feindre ou hurler. (p.19)

L’écrivain veille,  regarde. Les hommes et les femmes s’agitent, ne semblent jamais vouloir s’assagir. Le narrateur, je me plais à penser que c’est l’écrivain, en tire quelques leçons. Il a l’âge pour cela. L’écriture doit servir à comprendre, à reprendre son souffle pour garder la tête hors de l’eau. Donald Alarie y a consacré sa vie en étant attentif à l’autre, à ce qui fait les rêves, les illusions et les désillusions. La vie, semble-t-il, préfère les méandres à la ligne droite. La sagesse veut peut-être que l’on s’abandonne et fasse confiance à la musique du hasard.

ACCOMPAGNEMENT

J’ai eu souvent l’impression de marcher avec l’écrivain, de croiser des connaissances, d’échanger quelques mots et de continuer notre promenade. L’écriture nous ramène souvent à soi. La vie de l’écrivain n’est jamais loin et j’en parlais en 2008 à l’occasion de la parution de David et les autres. J’aime cette douce musique qui se dégage des écrits de Donald Alarie, cette façon d'aller sur la pointe des pieds pour aborder les sujets les plus dramatiques avec une délicatesse particulière. Il y a aussi des rencontres, des heurts, un geste qui peut tout changer.

Il s’approche pour voir quel document elle est en train de consulter. Il est maintenant tout près d’elle. Sans prévenir, il pose une main sur sa hanche, puis la prend dans ses bras. Il l’embrasse. Tendrement. Elle est tellement surprise qu’elle ne réagit pas. Elle le laisse faire. On ne l’a pas embrassée depuis tellement longtemps. Il s’éloigne brusquement. Il est rouge comme un collégien pris sur le fait. Il lui dit : « Excusez-moi. Je n’aurais pas dû… Ne m’en voulez pas. J’y pense depuis si longtemps… » Et il s’enfuit. Le lendemain matin, lorsqu’elle arrive au travail, on remarque qu’elle sourit toujours, mais elle semble différente. Il y a dans son regard un petit quelque chose de taquin. (p.38)

Véritable exploration que cette suite de brèves nouvelles, comme si l’auteur s’amusait à pratiquer l’esquisse, ne retenant qu’un mot, qu’une phrase ou une image pour évoquer le puzzle de la vie humaine. Il sait saisir un regard, le tremblement d’une main ou un soupir, les frémissements d’êtres, ces manières d’occuper l’espace qui ne cessent de le fasciner.
Je m'abandonne souvent à ce plaisir, surtout en voyage. Il suffit d’une terrasse, le soleil et un jour chaud. Je suis insatiable alors et passe des heures à surveiller les hommes et les femmes dans leurs agitations. Il me semble que Donald Alarie doit se livrer souvent à ce petit plaisir.

VIVRE

J’aime beaucoup qu’un écrivain transporte avec lui son âge et ses questionnements. Le vieillissement, la maladie, les autres qui succombent à un cancer ou à une défaillance du coeur. Ces amis qui allaient souvent devant vous et qui vous quittent brusquement ou après une terrible résistance. Je pense à Nicole Houde, Jacques Girard et Claude Le Bouthillier. Ils sont partis avec de grands morceaux de ma vie, des projets qui ne se réaliseront jamais. Ils avaient tant à faire et ne pensaient guère que tout pouvait s’arrêter. La sagesse voudrait qu’on se prépare pour que la mort arrive tout doucement, comme un rideau que l’on referme.
 
Elle pensa à son mari, décédé il y a plusieurs années, avant d’être devenu dépendant des autres. Malgré leurs nombreux désaccords, ils avaient été heureux ensemble. Était-ce le vent qu’elle entendait ? Sûrement. Un ciel sans lune. Elle renonça à essayer de distinguer quoi que ce soit par la fenêtre de sa chambre. On vint baisser le store et lui souhaiter bonne nuit. Avant de s’endormir, elle fit quelques prières et précisa à Dieu que s’Il voulait venir la chercher, elle était prête. (p.150-151)

Toujours l’impression que Donald Alarie nous parle à voix basse. Il y a une belle parenté entre lui et la manière de Gilles Archambault qui s’attarde depuis quelques livres au vieillissement, à l’âge avec tant de justesse. Les deux écrivains partagent un regard, une façon personnelle de s’occuper des vivants, de parler de ces grandes tragédies sans trop insister. Y a-t-il un sens à tout cela ? Une vérité qu’il faudrait comprendre ? L’écrivain doit souvent se contenter de ses questions sans jamais arriver à fournir des réponses. Tous se questionnent sur la vie, son importance et un sens qu’il faudrait lui donner. Peut-être qu'il faut la prendre sans en demander plus. Mais l’esprit aime les certitudes et les équations.
L’écrivain prend conscience du plaisir d’être vivant. Il le fait, je me répète, sans fioritures et avec une écriture belle par son efficacité et sa transparence. Souvent, il vous atteint au cœur et vous arrête. Que faire d’autre sinon retourner une phrase pour se calmer, se donner un peu de répit avant de passer à autre chose ?

On peut cesser de lire un livre, le fermer et l’ouvrir de nouveau, en reprendre la lecture. La vie, on ne peut pas l’arrêter. C’est le plus déroutant. Nous vieillissons malgré nous. Et nous ne retenons pas tout. C’est affolant. Au fond, se demande-t-il, que maîtrisons-nous ? (p.154)

L’art de l’écrivain est peut-être de tenir les propos les plus graves en ayant l’air de regarder ailleurs. J’aime le sourire d’Alarie et ses petites phrases comme une main sur mon épaule. J’ai eu l’impression de croiser un ami qui m’a entraîné dans un parc pour prendre des nouvelles des humains. Toujours en allant à petits pas, empruntant les sentiers ombragés pour ne pas subir les foudres du midi. C’est sa manière d’être et de nous dire qu’il existe. Si William Faulkner affirmait que la « vieillesse est la pire chose qui peut arriver à un jeune homme », il ne semble pas que ce soit une tragédie pour cet écrivain. On sent parfois une certaine angoisse, mais cela disparaît rapidement. Alarie réussit toujours à se faufiler entre deux instants, deux battements de cœur pour mieux être, pour ne pas trop chercher à comprendre. Il faut s'abandonner, comme cette vieille dame qui est prête à partir sur la pointe des pieds, dans son sommeil de préférence. Une belle manière de méditer sur le temps qui passe, la vie qui emporte tout dans un fracas terrible que personne d'autre que soi ne peut entendre.

LE HASARD DES RENCONTRES de DONALD ALARIE est paru à la PLEINE LUNE, 178 pages, 21,95 $.

PROCHAINE CHRONIQUE : OBJETS TROUVÉS DANS LA MÉMOIRE de JEAN-FRANÇOIS BEAUCHEMIN publié chez LEMÉAC ÉDITEUR.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire