Une véritable salve d'applaudissements pour Clara Ness en 2005, lors de la parution de «Ainsi font-elles toutes». Chantal Jolis, à Radio-Canada, n’avait pas assez de mots pour décrire son enthousiasme. Et Dieu sait qu’elle ne manque pas de vocabulaire d’habitude.
Son premier roman était assez remarquable, il faut le dire. Un court récit qui décrit les amours obsédantes d’une jeune femme, une étudiante en médecine. Elle aime Paul et Ruiz tout en se payant une aventure avec Agnès. Il y a aussi les rencontres dans les bars qui surgissent comme des collisions.
Une quête frénétique de jouissance, des amours qui broient le corps et l’âme, brûlent la vie et poussent hors du temps. Une écriture forte, des petites phrases comme des fléchettes qui happent le lecteur. Particulièrement intelligent, halluciné et troublant.
J’ai relu ce premier ouvrage avant d’aborder «Genèse de l’oubli», le nouveau roman de Clara Ness. J’ai envie d’applaudir. L’écrivaine a quitté cet univers de sexualité pour s’attarder à un homme et une femme qui cherchent à rompre avec leur enfance. Il était à peu près certain qu’en faisant ce choix, les commentaires seraient négatifs. Elle a résisté. Bravo!
Ruptures
Hadrien vit à Québec avec Ariane. Il a fui la France, un père qui ne pensait qu’à sa carrière de comédien et terrorisait sa famille. Il a voulu la grande rupture, celle qui fait quitter un pays et se perdre dans l’anonymat de l’étranger.
«D’abord, partir. Ensuite, vivre. C’est tout. C’est une question de survie. Je ne peux pas t’expliquer. J’étouffe ici. Et là-bas, c’est plein de promesses. J’ai vingt ans, je ne connais rien de la vie. On ne voit rien en France. On ne sait rien. On est à l’abri de tout. Tout est mort. Paris est une ville finie.» (p.54)
Ariane, une Québécoise, n’a fait que glisser d’un quartier à un autre dans sa tentative de fuite. Elle s’est éloignée de Sainte-Foy et de ses parents qui s’effacent dans cette banlieue en n’imaginant que leur confort un peu fade.
«Elle avait grandi dans ce que l’Amérique avait inventé de plus laid, de plus médiocre, de plus odieux, l’endroit du plus mauvais goût de la terre, le plus violent et le plus morbide : la banlieue. Mais elle savait bien qu’elle irait, enfant modèle tout droit sortie de la comtesse de Ségur, qu’elle retournerait demain dans sa famille enchantée qui habitait cette banlieue confortable et sûre.» (p.105)
Le père d’Hadrien meurt et il arrive ce qui doit arriver. Même s’il s’était juré de ne jamais remettre les pieds en France, Hadrien répond à l’appel de sa mère. La famille, on ne l’oublie pas, surtout quand on devient père d’une fillette.
Quête de sens
Ariane et Hadrien cherchent une nouvelle identité après avoir été écrasés par leurs parents. Au volant de son taxi, il sillonne Québec comme s’il allait se surprendre au coin d’une rue. Ariane étudie au conservatoire pour devenir comédienne. Lui va d’un client à un autre, elle du drame au rire.
Beaucoup de symboles tissent ce texte. Le taxi toujours en maraude, la maison de massage qui permet à Ariane de retrouver la joie du toucher. Hadrien, sous les mains d’Ariane, prend conscience de son corps. Un univers de dérobades, de glissades, ce qui n’empêche pas le couple de trouver un certain équilibre.
«… Ils s’offrirent l’un à l’autre dans cette ville qu’ils connaissaient à peine, ils étaient jeunes, ils se réveillèrent dans la lumière oblique du matin, ils entendirent les camions de livraison qui déchargeaient leurs caisses de bières dans les bars avoisinants, enveloppés dans cette luminosité blanche de l’hiver, dans ces soleils amassés qui leur coulaient dans les veines. Vers midi ils reprirent le chemin de Québec, là où les eaux se rétrécissent.» (p.116)
Un roman bien fait et bien écrit. Clara Ness ne sera pas l’auteure d’un seul livre. Le lecteur découvre une écrivaine qui s’affirme avec bonheur.
«Genèse de l’oubli» de Clara Ness est publié chez XYZ Éditeur.
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