Les héroïnes de Claudia Larochelle, dans «Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps», ont le goût de la mort sur les lèvres. Elles sont bouleversées par la perte d’un amoureux ou d’un amant, habitées par une forme de désarroi devant la vie qui va toujours trop vite et emporte tout. Des femmes qui doutent dans leur être sans parvenir à trouver une orientation ou un point d’ancrage. Elles hésitent entre l’espoir de tout recommencer et une forme de renoncement.
«Je peux redevenir une femme libre, danser n’importe comment devant des êtres inanimés et beiges qui veulent juste me baiser mal. Je le fais. J’obéis pour arracher de mon corps toute trace de toi. Un nettoyage épidermique. Le cœur se brouille pourtant, comme mon jeu de tarots dans lequel les cartes ne disent plus rien de vrai. Le pendu me ressemble. J’ai collé cette image dans le miroir de ma salle de bains à la place de ta photo.» (p.13)
Faire comme si, jouer le jeu. Être belle, séduisante, performante malgré les blessures à l’âme.
Bascule
La vie a tout saccagé autour de ces femmes, leur jeunesse aussi et leurs certitudes en l’avenir. Elles sont habitées par une grisaille, malgré les gestes qui permettent de sauver les apparences, d’espérer le moins pire peut-être… ou la fin.
Les personnages de Claudia Larochelle glissent sur un fil et peuvent basculer d’un moment à l’autre.
«Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps. Elle savent comment faire et trouvent le temps. Les bonnes filles n’appellent pas à l’aide en hurlant dans le combiné du téléphone. Elles se taisent en revêtent des vestes de laine de couleurs pastel achetées chez Simons. Elles lisent des ouvrages de psychologie populaire sur le deuil, marquent les pages avec un signet rose et se font des tisanes à la camomille pour trouver le sommeil.» (p.97)
La survie
Une veuve séduisante du drame qu’elle porte comme une oriflamme. Une jeune mère qui décide d’en finir et qui regarde son fils sourire en babillant, ignorant la menace et le drame.
«Anne Letendre s’engage sur la voie de service déserte. Si elle tendait l’oreille, elle pourrait percevoir l’agitation des flots, cette complainte hypnotique qui noie les chagrins. Il s’en était fallu de peu pour qu’elle n’aperçoive pas ce faisceau de lumière s’insinuer entre deux cumulus. Comme une fleur restée blanche à la surface d’une mare de sang, naît ce doute, un fragment d’espérance qui délie brusquement les doigts et fait tourner le regard vers le portable. Il faudrait demander à Stéphane de les attendre pour le souper.» (p.72)
Un rayon de soleil troue les nuages. C’est suffisant. Un moment de beauté retarde le geste fatidique.
Ces femmes vont, viennent dans l’encombrement des jours sans trouver le feu de l’amour qui irradie le corps et fait croire que la vie est bonheur. Textes durs, terribles de justesse et de désespérance.
«Mes cheveux tombent en lambeaux sur l’oreiller, ma peau s’effrite, ma bouche ne peut qu’accueillir son sperme, les aliments ne passent plus. J’ai l’impression de courir contre le temps, armée d’un bataillon de pilules de toutes les couleurs qui ne servent qu’à enrichir les compagnies pharmaceutiques, qu’à donner l’illusion à mon corps qu’il peut encore tenir jusqu’au lendemain. Ce sera quand le dernier lendemain?» (p.117)
Fardeau
L’écrivaine s’attarde au fardeau de vivre, de vieillir, de voir les élans de la passion s’éteindre. Le quotidien s’impose. Les gestes de la veille deviendront ceux du lendemain.
Et quelle écriture! Toute de finesse, de douceur pour masquer la tragédie et la douleur. Madame Larochelle montre un immense talent pour décrire la vie qui se flétrit doucement, l’espoir qui a du mal à survivre.
J’ai refermé «Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps» avec le motton dans la gorge. Une formidable réussite, l’art de décrire les drames et les secousses intérieures que nul ne devine dans les étourdissements du quotidien. Un mal être qui décrit bien la société de maintenant qui se montre particulièrement impitoyable pour les femmes.
«Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps» de Claudia Larochelle est paru chez Leméac.