Michaël La Chance dans Épisodies raconte des moments qui ont fait
de lui le poète, l’écrivain et le philosophe qui tente de voir ce que dissimulent
les alcôves de l’horizon. Des rencontres marquantes, des figures inoubliables
et peut-être, simplement, la vie dans ce qu’elle peut avoir de plus convaincant
et de déroutant. Voilà un livre qui vous accompagne longtemps, provoque bien
des réflexions et des détours. Un ouvrage rare où l’on engage un dialogue qui peut
se poursuivre bien au-delà d’une simple lecture.
Michaël La Chance établit les
attaches de son monde pour mieux voir ce que la vie a fait de lui. Tout comme Dmitri
Mendeleïev l’a fait en regroupant les éléments que nous percevons et questionnons.
Même que ce tableau prévoit les réactions de substances encore inconnues. L’écrivain
établit 130 moments ou épisodies pour démarquer les frontières de son univers, trouver
les balises d’un parcours pas comme les autres.
Chaque épisodie est une composition unique de subjectivité et de chance,
une combinaison qui ne reviendra pas. Lorsque les circonstances s’y prêtent,
j’apprends à faire des entailles de joie, à prendre le départ du quotidien et,
parfois aussi, à m’équarrir tout vivant. (p.212)
C’est que cet homme a vécu
bien des vies et des mutations. La solitude de l’enfance où le petit garçon s’inventait
un monde et des personnages, des rencontres plus tard avec des hommes et des
femmes qui ont marqué leur époque, des études et des voyages pour cerner
peut-être une certaine forme de vérité. Parce que la vie est faite de
rencontres, de lieux et de révélations, aime nous entraîner dans bien des
directions pour nous étourdir ou pour toucher l’essentiel, ce qui marque l’être.
Nous sommes ainsi des milliers à hanter notre passé, pauvres fantômes
qui voudraient retrouver l’innocence en otage. C’est pourquoi, bien que je sois
occupé par l’étalement du présent, le souvenir ressurgit avec un visage
différent, il me rappelle qu’une fébrilité du passé ne m’avait jamais quitté,
je vois la trépidation dans la toile du jour. (p.10)
Il faut beaucoup d’abandon et
de confiance pour tenter de retrouver les moments charnières de sa vie. Il faut
consentir à arpenter l’enfance et la vie d’adulte, bondir d’un lieu à un autre
sans avertissement. Ce sont plus que des instants ou des événements qui accrochent
la mémoire, mais des moments d’être qui vous marquent et vous transforment. Ils
sont là, toujours présents, et rien ne pourra les effacer. Ils sont matière de l’individu
et sa personnalité. Les chemins entre les moments d’une vie sont inextricables
et toujours à repenser.
J’aime ces bonds dans l’espace
qui se moquent de la chronologie, quand le passé bascule dans le présent et
peut-être esquisse l’avenir.
Chaque épisodie offre un sursis, elle entre dans ma vie comme l’annonce
d’une seconde vie. Elle rappelle que d’autres yeux tournent dans mes orbites
lorsque je me fabrique des paysages. Je bricole des éblouissements fossiles au
fond de mon couloir, mais j’ai quand même un doute : parler de l’Hôtel,
décrire le contenu des chambres, est-ce la bonne façon d’échapper à ses murs
infinis ? (p.19)
Suite
Michaël La Chance a toujours
été fasciné par l’identité qui se forme dans le geste ou la parole. Dans De Kooning malgré lui, un roman déroutant,
il s’attarde à l’être et peut-être aussi à ce qui fait que l’on peut devenir un
autre. Il suffit d’une bascule, d’une rencontre et son soi est emporté. Une
histoire troublante et étrange. Qu’est l’identité ? Qu’est-ce qui la
constitue ? Qu’est-ce qui fait que l’on est soi et pas un autre ? Peut-on
être plusieurs individus dans une même vie ?
Peu à peu, avec les mots que le peintre tape sur la
vieille machine à écrire de sa femme, nous plongeons dans un monde où on bouscule
l’identité, la peinture, la lumière, l’œuvre, la vie dans ce qu’elle est et ce
qu’elle peut signifier. Nous sommes dans un monde qui se construit et se défait
pour faire surgir un moment qui éclate de plénitude.[1]
Certains ont tenté de fuir à
cet enfermement. Songeons à Romain Gary qui changera de nom pour échapper
peut-être à un monde ou encore Arthur Rimbaud qui coupe avec sa vie de poète
pour devenir l’autre « je » en Afrique.
Michaël La Chance a vécu la
vie d’artiste et de bohème et d’ermite, d’enseignant et de philosophe. Plusieurs
façons d’appréhender un univers qui ne cesse de se dérober devant soi. Parce
que la vie est mouvance, événements qui bousculent et vous changent.
Je voudrais fixer par le souvenir les images d’une vie que, pourtant, je
n’ai pas vu passer. (p.54)
Certaines rencontres
marqueront l’homme en quête de tous les visages de sa vie. Marguerite Duras,
Romain Gary, Allen Ginsberg, Gaston Miron, Arrabal, Patrick Straram et d’autres
qui se débattent avec leur terrible angoisse de vivant.
Lorsque j’ai croisé Romain Gary, il était sur le chemin de la sortie, il
était déjà dehors, il n’avait que faire des voleurs d’épisodes. Déjà, je ne
coïncide plus avec ce que j’étais, il est trop tard, je ne peux plus revenir en
arrière. Je croyais prendre Gary à son jeu, mais je me suis moqué de moi-même.
(p.100)
Des rencontres, des gestes anodins
comme celui de cette serveuse qui lui offre un repas dans sa vie de bohème
retiennent son attention. Un moment où la vie se fait dense, une seconde que le
vivant retrouvera peut-être avant son dernier souffle.
Le temps se recroqueville
dans ces courts récits, les moments d’enfance supplantent les expériences de
l’adulte et deviennent un tout comme dans un kaléidoscope.
Vivant
Un livre remarquable de
franchise, de questionnements, de recherches et de réflexions. Une lecture qui
devient une rencontre intime où il n’y a que la vérité qui importe, qui cerne
sa vie et l’explique d’une certaine façon en laissant de grands pans d’ombre.
Qui peut cerner la totalité de sa vie ? Même Marcel Proust, après sa si
longue quête, est demeuré sur sa faim, les mains vides. La vie est ainsi faite.
On pense la cerner et elle vous glisse entre les doigts.
Michaël La Chance devient un
compagnon de route. J’y ai trouvé un frère qui regarde dans la même direction, m’accompagne
et m’aide à mieux respirer. Parce que jamais nous ne cesserons de nous demander
ce qu’est le vivant et ce qui importe dans cette aventure où tout est possible.
Un livre comme il ne s’en fait guère dans notre époque où des aveugles
dessinent l’avenir.
La réalité est une fiction toujours consolidée par son enchâssement dans
de nouvelles fictions. Pour fuir l’étranger dans le miroir, il faut faire
alliance avec le chaos, il n’y a de garde-fou que l’amour qui attend. (p.199)
Épisodies de Michaël
La Chance est paru aux Éditions La Peuplade, 264 pages, 23,95 $.
[1]
Michaël La Chance ouvre un monde fascinant, article paru dans Littérature du Québec, 5 décembre 2011.