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dimanche 19 avril 2009

Jean Désy cherche la petite lumière

Jean Désy, médecin et écrivain, pousse son lecteur devant la maladie, la mort, la misère physique et spirituelle, un monde qui a perdu toute assurance dans «Entre le chaos et l’insignifiance».
Nous l’oublions souvent, le médecin confronte la maladie au jour le jour, le vieillissement et souvent l’horreur. Que dire à une jeune femme qui a tenté de mettre fin à ses jours? Comment regarder un homme et une femme dans les yeux et lui annoncer le pire?
«Comment réagir quand on rencontre pour la première fois une mère qui rejette brutalement son bébé? Comment annoncer à quelqu’un que le cancer qui le ronge va bientôt le tuer et que les miracles sont épouvantablement rarissimes?» (p.11)
Notre société demande au médecin de réaliser justement «ces miracles» tout en soutenant une cadence folle dans des hôpitaux où les spécialistes deviennent des «performeurs». Nous n’entendons parler que des heures d’attentes dans les urgences ou encore de certaines erreurs qui ne peuvent que se multiplier avec des horaires de plus en plus frénétiques. Pas étonnant que des jeunes se questionnent ou décrochent. Des infirmières à bout de patience décident de partir.

L’exil

Certains médecins décident d’aller servir dans le Grand Nord comme Désy l’a fait pour y nourrir leur imaginaire et trouver un ancrage à leur vie. D’autres s’exilent dans des pays qui distillent la misère ou des folies guerrières qui ne savent plus comment prendre fin.
«Vois-tu, en Afrique, j’ai côtoyé le Mal. Je suis content d’être revenu chez moi. Mais j’ai envie de repartir. De fait, je repartirais demain matin. Bizarre non ? Pourquoi ? Parce qu’il me semble que je perds le sens de ma vie dans mon pays, même si c’est paisible. C’est un cadeau du ciel de pouvoir vivre dans un lieu en paix. Mais dès que je remets les pieds chez moi, je ressens le vide. Un grand vide…» (p.23)
Jean Désy empoigne le mal du siècle peut-être, ce vide qui frappe à peu près tout le monde dans des sociétés où il faut gaspiller furieusement pour relancer une économie qui souffre d’hyperventilation.
Dans neuf textes, le médecin nomade affronte la plus incroyable des misères humaines en Haïti ou dans le Grand Nord où la folie emporte les jeunes dans un tourbillon plus dangereux que le blizzard. Des situations extrêmes qui permettent curieusement de mettre un pied au sol.

La quête

Dans plusieurs de ses ouvrages, surtout dans «Âme, foi et poésie» paru en 2007, Jean Désy cherche un sens à la vie. La foi est-elle une réponse quand la misère frappe toujours les mêmes pays du Tiers-Monde? Dieu ou un Être suprême peut-il apporter un certain apaisement? Comment trouver une certitude quand le chaos s’installe? L’écrivain retourne ces questions sans jamais être convaincu des réponses. Il jongle avec ces énigmes d’un livre à l’autre, tente de trouver une direction dans un monde qui se plaît à inventer l’horreur.
«Le Mal, à mon sens, n’est essentiellement qu’humain. Rien d’autre, mais c’est bien assez! Âme et cosmos et nature, et a fortiori Dieu, ne font qu’un pour créer la vie. Notre tâche, à nous, les humains, n’est peut-être essentiellement que de montrer la beauté du monde. De la montrer en la magnifiant. C’est peut-être là que se trouve notre plus grand Bien, le seul qui puisse contrer le Mal ambiant.» (p.25) 

Mal de l’âme

Le médecin et philosophe questionne le mal de l’âme qui secoue nos sociétés, surtout la jeunesse. Comment contrer le «mal d’être»? Il faut peut-être se tourner vers les poètes et les penseurs pour deviner la petite flamme qui vacille.
«Je ne sais pas. Je ne suis sûr de rien. Pourtant, il semble exister un baume pour chaque plaie du monde. Ce baume est souvent un langage. Et ce langage est souvent poésie. Et la poésie, la vraie, ressemble souvent à de l’amour.» (p.87)
Jean Désy recommande l’humilité devant sa profession de médecin. Tout comme Jacques Ferron l’était. Il croit qu’il faut cultiver l’amour de ses patients et avoir la certitude d’être utile. Malheureusement, la médecine industrielle s’éloigne de plus en plus de cet artisanat nécessaire, de «cette compassion humaine» qui aide plus que les appareils les plus sophistiqués.

«Entre le chaos et l’insignifiance» de Jean Désy est paru chez XYZ Éditeur.

mercredi 15 avril 2009

Annie Chrétien s'amuse avec son lecteur


Annie Chrétien publie un premier roman étrange. Que ceux et celles qui raffolent des histoires linéaires s’abstiennent.
Un traducteur ne sort plus de sa maison, n’arrive pas à bout d’un texte obscur. Pendant ce temps, des personnages étranges s’installent. Un nain distribue des feuillets publicitaires, un clown squatte l’entrée de l’auto et une femme maigre surveille une petite fille dans sa cuisine. Le pauvre traducteur est terrorisé, cherche à échapper à ce cauchemar. Si seulement sa femme pouvait rentrer. Va-t-elle revenir, existe-t-elle vraiment? Tout bascule. Où est le vrai, le faux dans cette histoire?  Sommes-nous dans le délire d’un homme qui a refoulé depuis des années son désir d’écrire. Est-il en train de s’arracher aux textes des autres pour exister dans sa propre écriture.
«L’absence de tout… Le vide complet… Sa vie comme un trou noir… Fallait-il vraiment revenir à cela ? Ne pouvait-il pas jouer un autre rôle ? Renaître au grand jour, tour réinventer, refaire le passé. Ne plus être si faible, si las. Si ordinaire, si aride, si enfoui. Être autre chose que le traducteur.» (p.37)
Que veulent ces personnages? Ce ne sera qu’à la fin que l’on comprendra. Tous sont des rescapés des contes dont le traducteur raffolait dans son enfance.
«Les deux premières clés de l’énigme se trouvaient dans la petite bibliothèque blanche de la chambre verte. Parmi les albums cartonnés. Les abécédaires et les livres de comptines, le traducteur trouva un épais recueil de contes aux pages cornées et jaunies, aux images décolorées, à l’odeur familière de moisissure et de tabac froid.» (p.126)
Le traducteur a été choisi comme huitième rameur. Il doit embarquer dans un immense canot, pactiser avec le Diable au péril de sa vie et de son âme. On reconnaît la chasse-galerie, celle que l’on connaît.

Toucher terre
 
Annie Chrétien ne ménage guère son lecteur. Elle le fait travailler. Et puis j’ai oublié les questions. À quoi bon vouloir tout «voir» avec sa raison? Je me suis laissé emporter par les mots, le bonheur de la phrase, le vertige d’une écriture qui bat comme un gong.
«La volière» se transforme peu à peu en une allégorie de l’écriture et de la création. Le métier de traducteur, celui qu’exerce Annie Chrétien, exige de disparaître derrière un texte. Dangereux de devenir l’autre, d’épouser son écriture, ses images et de côtoyer des personnages souvent détestables.
Malgré la complexité de ce court roman, Annie Chrétien nous retient avec une écriture nerveuse et haletante. Elle aurait avantage peut-être à casser le rythme, à briser une cadence qui devient un peu répétitive. Mais rien pour empêcher d’apprécier cette étrange aventure. Un imaginaire foisonnant, un puzzle où tout tombe en place à la fin.

Annie Chrétien, «La volière» d’Annie Chrétien est paru aux Éditions L’instant même.

http://www.instantmeme.com/ebi-addins/im/ViewAuthor.aspx?id=419

Alexandre Bourbaki décide de prendre l’air

Sébastien Trahan, Nicolas Dickner et Bernard Wright-Laflamme se cachent derrière Alexandre Bourbaki
Personnage improbable et fictif, Alexandre Bourbaki est de retour. Il nous entraîne dans une aventure où le quotidien prend les couleurs d’un tableau surréaliste.
Encore une fois l’étrange est au rendez-vous, même si les personnages sont moins «décollés» que dans «Traité de balistique». Tout paraît normal, mais il ne faut pas se laisser berner. Nous croyons avoir les pieds sur terre et voilà que nous dérivons dans une aventure qui échappe à l’entendement.
Bourbaki, écrivain multiple, n’en peut plus de Montréal. Quelqu’un a rayé l’aile de son auto et il a besoin d’aller voir ailleurs. Il se réfugie dans le village de Mailloux. Un clin d’œil à Hervé Bouchard ou au célèbre psychiatre qui en menait large sur les ondes d’une certaine radio, on ne saura jamais. Il débarque avec sa chienne Argentine et s’installe au cœur d’une agglomération où la paix et le bonheur ne semblent pas une fable.
«Mais Mailloux a pris le virage du tourisme: il y a des gîtes un peu partout, des cafés, des galeries d’art, des restaurants et des boutiques spécialisées. Il n’y a rien de forcé, d’artificiel. On n’a pas l’impression de se retrouver dans un décor. Il n’y a pas d’enseignes tapageuses ni de grandes chaînes.» (p.22)
Un univers où respirer est une occupation noble. Notre écrivain peut s’occuper à regarder le temps s’égrener et les humains s’agiter. Beau métier que celui de l’écriture.

Un double

Bourbaki se retrouve devant son «doppelgänger» ou son double. Petit est le fou officiel du village. Il dort au milieu de la rue principale sous l’œil attendri du chef de police. Il écrit, aime bien Béatrice, la propriétaire de la buanderie qui tient aussi le café Internet. Qui écrit quoi? La situation devient confuse. Bourbaki et lui sont peut-être interchangeables.
Tout cela dans un hameau qui prépare un événement artistique qui ébranlera le monde. Les dirigeants d’un vaste comité de citoyens préparent un grand happening, un coup d’éclat. Ils masqueront une montagne avec un tableau gigantesque. Pourquoi pas! Nous avons vu un artiste interdisciplinaire et enseignant au Saguenay vouloir tailler la forêt qui couvrait tout un flanc de montagne pour y reproduire son visage.

À Mailloux, l’art visuel est omniprésent et les faux se multiplient. Peut-être que Bourbaki s’est égaré dans une toile de Molinari qui hante l’agglomération.

Regard percutant

Bourbaki cerne les travers et les beautés de la société. La laideur aussi. Un récit terriblement efficace même si tout au long de cette histoire, des portes s’ouvrent sans jamais se refermer. Certains événements sont oubliés par le narrateur, mais pourquoi s’en plaindre.
Ce qui importe, c’est le plaisir de raconter, de sauter à pieds joints dans les phrases et de s’en mettre partout. Des rebondissements, de la folie, de l’espoir et de la désespérance. Tout est possible dans le monde onirique de Bourbaki.
Un roman jeune, cynique, un tantinet humoristique, excentrique et exotique, réaliste, cru parfois. Un imaginaire débridé, possible et impossible. Surtout un grand plaisir pour le lecteur.

«Grande plaine IV» d’Alexandre Bourbaki est paru aux Éditions Alto.

Claire Martin ne cesse d’étonner

Claire Martin, née en 1914, s’est tenue en marge de la littérature de 1973 à 1999. Vingt-six ans sans publier. À 94 ans, elle garde une vitalité et une fraîcheur étonnantes. Certainement la doyenne de nos écrivaines.
Rappelons qu’elle a fait son entrée en littérature, en 1958, avec des nouvelles. Dans «Le feu purificateur», trois courts récits, elle effleure son passé. Une visite sur les lieux de son enfance, la maison familiale qui a été détruite par les flammes. Elle y retrouve des objets, des artéfacts qui évoquent une époque où le drame avait les coudées franches. Tout cela à mots couverts, avec un sourire et un certain détachement. C’est comme ça quand le temps file. Certains événements sont comme ces objets qui ont échappé au feu. Il suffit d’un détail, d’une enveloppe soulevée par le vent pour que tout un volet de vie s’impose et nous entraîne vers des personnages qui sortent de l’ordinaire.
C’est que Claire Martin a eu une enfance peu banale, fréquenté des gens plutôt extravagants. Que dire de cette cousine qui se complaît au milieu de parvenus et d’étranges manipulateurs. Une Pauline fascinante qui laissera un héritage inattendu.
«Au soir de ce jour, les langues se dégourdirent un peu, à la maison du grand-père qui n’avait été que le gendre, en son temps. Si certains pensaient que les ossements découverts étaient ceux de l’arrière-grand-mère, personne n’eut l’audace d’évoquer cette éventualité. Il n’en fut pas ainsi à la mairie. De fil en aiguille, il fallut bien arrêter les recherches à la seule femme âgée de la paroisse qui n’était ni chez elle ni au cimetière.» (p.35)
Que de morgue et d’humour! Il suffit de se pencher sur ses souvenirs pour que tout un monde remonte à la surface. C’est le privilège de l’écrivain.
Claire Martin garde une fraîcheur, un pouvoir d’évocation qui fait sourire à chaque paragraphe. C’est peut-être cet humour fin, ce ton qui étonne, cette manière de se faufiler dans ses souvenirs qui fascine. Et quelle habilité à jongler avec les verbes. Bien des jeunes écrivains auraient du mal à en faire autant. Claire Martin démontre une agilité remarquable.

«Le feu purificateur» de Claire Martin est publié aux Éditions L’instant même.

Nadia Plourde découvre le Nord du Québec

Nadia Plourde, en 2005-2006, décroche un poste d'enseignante au Nunavik. Elle enseignera à l'école Arsanik de Kangiqsujuaq, un village d'environ 400 habitants, situé sur les rives du détroit d'Hudson. Une aventure spectaculaire, un dépaysement total.
Le Nord du Québec est un autre pays. Nadia Plourde le démontre dans ces chroniques qui s’attardent aux hauts et aux bas d'une institutrice décontenancée par ses élèves. Les enfants refusent toute forme d'autorité et leurs comportements, considérés comme déviants dans le Sud, sont la norme au pays des aurores boréales. Ils travaillent quand ils veulent, se présentent en classe selon leurs humeurs.
«Ces enfants font exactement ce qu'ils veulent. L'école, une prof ouioui en plus, l'idée de réussir ou de ne pas réussir une année, tout ça n'a aucune importance pour eux. Je pense qu'ils acceptent de travailler, pour passer le temps. Alors, autant remplir des pages, répéter des phrases ou faire des calculs. Peut-être que ma vision va changer et que je vais découvrir une certaine utilité au travail que je fais, mais j'ai de moins en moins d'illusions.» (p.78)
Ils peuvent aussi basculer dans des colères terribles, sans avertissement. Cinq minutes plus tard, ils sont les enfants les plus doux du monde. De quoi dérouter la plus intrépide des pédagogues. Sans compter une situation linguistique particulière. Le français, l'anglais et l'inuktitut se chevauchent dans la vie quotidienne.

Adaptation

Nadia Plourde s'adapte. Heureusement, elle possède un bon sens de l'humour et tombe en amour avec cette terre de grands vents et de lumière. C'est le coup de foudre, même si sa classe ne cesse de la bousculer.
Pour survivre peut-être, l'institutrice envoie une forme de synthèse de la semaine à une soixantaine de correspondants. Le miracle de l'Internet. Nous vivons quasi en direct dans cette classe du Grand nord.
«La gloire de mes élèves» raconte au jour le jour la vie de ces enfants, leurs difficultés, leurs situations et leurs façons de se comporter. Elle semble avoir eu peu de contacts avec les adultes, ou elle a choisi de rester fort discrète.
On en voudrait plus, on aimerait avoir un portrait qui échappe un peu à la banalité du quotidien et aux matières scolaires. Nous sommes loin des magnifiques ouvrages de Jean Désy qui nous plonge dans la poésie du Nord, dans ses contradictions, sa grandeur et sa violence.

«La gloire de mes élèves» de Nadia Plourde est édité par les Éditions Les 400 coups.

http://www.editions400coups.com/livres/la-gloire-de-mes-eleves

Peut-on sérieusement changer la vie?

«Il faut changer la vie. La dynamiter, même la cribler de sens et trouer son opacité», écrivent Karim Larose et Manon Plante dans l’introduction d’«Interventions critiques», le troisième tome des œuvres complètes de Gilles Hénault, poète, critique, militant et intellectuel.
Que ce soit comme journaliste au journal Le Jour, à La Presse et au Devoir, ou en collaborant à de nombreuses revues plus ou moins éphémères, Gilles Hénault reste fidèle à ce désir de changement.
Les «essais, notes et entretiens» permettent de suivre les chemins d’un homme exemplaire dans ses écrits sur la poésie, la culture et la littérature, le monde politique et la société. Peu importe où il s’exprime, Hénault tente d’être «un voyant», celui qui voit autour de lui et devine un peu en avant. Enfin, par le biais de différentes entrevues, nous connaissons mieux son cheminement et ses préoccupations.

Une quête

Grand lecteur, fin connaisseur des arts visuels, homme curieux, même des découvertes scientifiques, proche des Automatistes, il est un témoin privilégié des années qui précèdent la Révolution tranquille. Il sera de tous les débats qui questionnent la société, fera en sorte, avec beaucoup d’autres, que l’indépendance du Québec devienne un enjeu politique.
Une pensée exigeante, ouverte qui fait fi des intérêts personnels. Des idées qui ne s’éloignent jamais de l’exploitation de l’homme par l’homme, des inégalités qui brisent les individus et entraînent misère et pauvreté.
Gilles Hénault fera des choix dont il paiera le prix. Son adhésion au Parti communiste du Canada en 1945 lui fermera toutes les portes dans un Québec contrôlé par Maurice Duplessis. Il devra s’exiler pendant cinq ans.
«Je pense que l’utopie était là au début. On naît peut-être utopiste. L’utopie est l’une des dimensions du devenir, car il faut toujours inventer des mondes pour pouvoir continuer à vivre. Ce qui a contribué assez curieusement à donner à mes textes ce ton cosmogonique, c’est peut-être l’intérêt que je portais aux sciences.» (p.368)
Gilles Hénault a contribué à changer le Québec, défendant sa pluralité, sa spécificité francophone et la liberté de ses créateurs. Exigeant, il poussait toujours vers le haut dans ses écrits journalistiques, ce qui n’est pas toujours le cas dans les médias. Un intellectuel et un poète de premier plan.
Des propos à lire et à redécouvrir, pour retrouver l’envie de travailler au futur de « ce pays incertain » comme l’écrivait Jacques Ferron. Si Gilles Hénault n’a pas réussi à installer son grand rêve d’une société plus juste au Québec, il a contribué à la faire entrer dans la modernité.

«Interventions critiques» de Gilles Hénault est paru aux Éditions Sémaphore.
http://www.editionssemaphore.qc.ca/Gilles_Henault.html

dimanche 12 avril 2009

Pierre Gobeil en quête du temps perdu

J’attendais un nouveau roman de Pierre Gobeil depuis la parution de «Sur le toit des maisons» en 1998. Plus de dix ans en fait.
«Le jardin de Peter Pan», il le travaille depuis tout ce temps. Il le souhaitait impressionnant, volumineux pour être «visible dans les librairies». Il semble que son vœu n’a pu se matérialiser. Son dernier-né fait à peine cent pages. Un écrivain possède un espace, des repères et des distances. Il est très difficile de s’en évader. Autrement, il risque de ne plus savoir quelle route emprunter, de ne plus retrouver sa cadence et de courir derrière son souffle.
«Sept heures aux Îles, mais rien que six à Montréal, lorsque dans l’air plus frais du soir, je peinais à retrouver les couleurs que j’avais tant aimées auparavant. Non pas ces plages fadasses esquissées chaque fois que nous prenions l’avion pour le Sud, mais quelque chose d’un mordoré serti de bulles me rappelant les desserts que nous faisions aux premiers jours de notre rencontre, et qui m’avait fait jurer, une fois installés dans notre bunker sur la falaise, que nous ne passerions plus jamais d’été ailleurs que sur ces côtes, que nous avions enfin trouvé un défi à notre ressemblance et que nous y resterions accrochés, promesse était faite, jusqu’à la fin de nos jours…» (p.9)
Un écrivain célèbre et riche revient aux Iles-de-la-Madeleine, dix ans après avoir débarqué dans le paradis terrestre. Il y a eu la naissance d’un enfant et les difficultés à s’adapter à la vie de père. Tout s’est effrité. Il pense retrouver le fil en revenant, comprendre pourquoi la vie l’a poussé dans les chemins de la solitude. Peut-on changer son passé?

Paradis perdu

S’il y a une constance chez Pierre Gobeil, c’est ce sentiment d’avoir perdu un paradis où la vie était une promesse de bonheur. Cette thématique porte «Tout un été dans une cabane à bateau», «La mort de Marlon Brando», «Dessins et cartes du territoire» et «Sur le toit des maisons». Ce temps de la jeunesse où il est permis de croire à l’absolu, à un monde qui ne changera jamais. Arrive une agression, un événement et tout bascule irrémédiablement. La vie éclate comme un vase sur le plancher.
Le travail de l’écrivain devient cette longue «recherche du temps perdu», la reconstitution du paradis d’où il a été expulsé par la vie. Les lieux et les espaces recèlent les secrets du drame ou de la perte. Les narrateurs de Pierre Gobeil tentent de reconstituer le puzzle en hantant les territoires pour abolir le temps et retrouver cette innocence perdue.
«Devant les restes de l’ancien quai, je pouvais toujours aller à droite ou à gauche, délimiter la durée de ma croisade, arpenter les falaises ou mettre mes pas dans des traces pour traverser le goulet, mais je connaissais maintenant la longueur de ces chemins et savais que malgré ces quelques centaines de Polaroids disséminés un peu partout, ce que nous avions vécu jusque-là appartenait désormais au passé. Toutes ces images de caisses de poissons sur les quais, de fleurs le long des routes, puis de cette mer froide dont on avait fait notre bonheur.» (p.20)
À la manière des musiciens Steve Reich ou Philippe Glass qui ne cessent de reprendre un motif qu’ils visitent et poussent jusqu’à l’obsession, Pierre Gobeil crée une forme d’envoûtement à lequel il est difficile d’échapper. Il devient fascinant.

Quête impossible

La quête s’avère impossible, mais qu’importe. L’écrivain capte des moments, des paysages, des couleurs dans le ciel qui nous permettent d’espérer que la course va s’arrêter, que la vie peut échapper à ce bond en avant qui saccage tout.
«Les gens changeaient, les Îles restaient pareilles, ou bien les gens restaient les mêmes et c’étaient les Îles qui se transformaient, d’une année à l’autre, sans qu’on sache véritablement si c’était pour le mieux. Personne ne semble plus savoir.» (p.26)
«Le jardin de Peter Pan» permet de retrouver le meilleur de Pierre Gobeil, celui que l’on a savouré dans ses romans antérieurs. Il devient alors un coloriste où l’écriture se transforme en méditation ou une forme de prière.

«Le jardin de Peter Pan» de Pierre Gobeil est paru aux Éditions Triptyque. 

dimanche 5 avril 2009

France Théoret poursuit son combat

France Théoret publiait récemment des essais au titre intrigant: «Écrits au noir». L’auteure y échappe aux normes, ne respecte pas les conventions et incite les femmes à s’engager dans le débat politique.
Il est plutôt rare qu’une femme maintenant, malgré une époque où l’on se permet de dire n’importe quoi, surtout des bêtises, affirme qu’elle est féministe.
«Une constance dans ma vie d’écrivaine, quelqu’un veut me mettre un bâillon, que je retourne à mon inexistence d’avant l’écriture.» (p.10)
France Théoret utilise l’écriture pour exister, rejeter ce bâillon et dire ce que l’on refuse souvent d’entendre. Elle est d’un sexe nié tout au long des siècles, une parole bafouée.

«La pensée féministe m’indiquait un horizon. C’est alors que j’ai pris le parti d’une écriture sensible, matérielle, non pas matérialiste, qu’il me fallait trouver, inventer, faire naître.» (p.11)

Trouver sa voix

Le Québec, comme la plupart des sociétés occidentales, a vécu l’affirmation des femmes dans les années 1970. Une période d’effervescence où bien des tabous ont été secoués. Droit à une sexualité libre, contraception et un débat sur l’avortement qui refait surface cycliquement. Brusquement, tout s’est calmé. À partir des années 80, beaucoup de femmes ont hésité à s’affirmer comme féministes.
Bien plus, dans les médias, les poussées d’hormones des misogynes demeurent fréquentes. On a esquissé une image tronquée des militantes, les faisant passer pour des enragées et des extrémistes.
Si la société a changé, les inégalités persistent. La fameuse équité salariale n’est pas encore réglée et les gouvernements tergiversent. Pas davantage de femmes en politiques ou dans le monde des affaires.

Le politique

L’essayiste affirme que les femmes doivent prendre la parole dans le monde politique, là où il est possible de changer les choses. Elle montre son admiration pour Simone de Beauvoir qui a influencé une génération de femmes, Hannah Arendt qui a ferraillé sur le plan philosophique avec les hommes en ne cédant pas un pouce de terrain.
«Dans «Condition de l’homme moderne», publié en 1958, Hannah Arendt identifie les activités humaines fondamentales: le travail, l’œuvre et l’action. Le féminisme est travail, œuvre et action. Il appartient au domaine public par son réseau de relations humaines. En cela, le mouvement est politique.» (p.50)
Au Québec, Louky Bersianik dans «L’euguélionne», a réalisé une œuvre de pionnière que l’on a vite reléguée aux oubliettes.

Témoin

France Théoret assène quelques baffes aux écrivains qui se retirent dans leur œuvre, rejetant toutes forme de réflexion sur le social et l’économique. Elle s’attarde à Gaston Miron, Hubert Aquin et Claude Gauvreau, démontre que le littéraire et la société ne font qu’un. Elle pointe du doigt le formalisme qui a évacué toutes les questions sociales. Beaucoup d’écrivains choisissent de s’enfermer dans des bulles théoriques, évacuant le politique pour trouver «un pays dans la langue et la littérature». L’écrivain, affirme France Théoret, doit être un témoin.
«Les interventions des écrivains et des intellectuels sont indispensables dans tout débat significatif. Être un témoin et observer ce qui se passe, un écrivain le peut. Des écrivains partout à travers le monde ont des réflexions éclairantes sur la situation politique de leur pays. Tout écrivain important étudie son époque et sait écrire sur la situation politique. Il dénonce les dérives et les abus flagrants du pouvoir.» (p.98)

Que conclure ?

Le plus saisissant, peut-être, est la conclusion de ces essais. Si on en croit les propos de d’Elfriede Jelinek, prix Nobel de littérature en 2004, tout reste à faire.
«Les hommes ne peuvent pas comprendre ce que j’écris. Comme pour la plupart des écrivains femmes, tout est né du sentiment d’être méprisée. Quoi qu’il en soit, le travail des femmes, en particulier le travail artistique des femmes, est soumis à des critères d’évaluations spécifiquement masculins. Et c’est une forme de violence faite aux femmes.» (p.158)
Certains diront qu’elle exagère, qu’elle va trop loin. Pourtant le monde claudique dans des approches typiquement masculines. La guerre, le pillage des ressources, les dirigeants d’entreprises qui se disputent les richesses de la planète… Pas beaucoup de femmes dans ces chasseurs de primes! Et que dire des «dérives» du pape Benoît XVI en Afrique? France Théoret a raison: le combat est politique. 

« Écrits au noir » de France Théoret est paru aux Éditions du remue-ménage. 
http://www.editions-rm.ca/auteure.php?id=564

dimanche 29 mars 2009

Mylène Durand donne voix aux Iles-de-la-Madeleine

Les Iles-de-la-Madeleine. Trois enfants, deux filles et un garçon. La mère s’est jetée du haut d’une falaise. Suicide, chute, les survivants ne savent pas. Elle était mal accordée à ce pays, «n’appartenait pas à cette virulence des eaux». Le vent des îles peut rendre fou et pousser aux gestes désespérés.
Mylène Durand, dans «L’immense abandon des plages», un premier roman, nous entraîne dans des pages saisissantes qui évoquent la cadence des vagues. Les textes vont et viennent, se répondent et se croisent. Le vent, la mer, le sable se bousculent. Nous sommes au cœur de la douleur et de la tempête.
Le père s’enferme dans les gestes du quotidien. Un survivant. Les enfants sont abandonnés dans leur immense douleur. Pire, ils se savent marqués par le regard des autres. Ils sont les enfants de celle qui a commis l’irréparable, celle dont le corps n’a jamais été retrouvé. La mer prend, la mer tue, la mer avale et recrache des épaves, parfois des corps selon les élans des saisons.
«Au loin, une femme. Son corps penché. Le bord de la falaise. Si près. Rien que la regarder donne le vertige. C’est horrifiant. Ma respiration, difficile. C’est moi qui suis horrifiée. C’est ma bouche qui s’ouvre, ma gorge qui se serre, ma voix qui tente de s’extirper de mon corps. Il faudrait crier pour qu’elle me regarde, ne fût-ce qu’un instant. Un seul. Mais j’étouffe. Souvent elle se tient là, au bord du gouffre. Elle reçoit le vent salin en plein visage, porte son regard le plus loin possible. Ses longs cheveux au vent puis : elle est disparue. Tombée.» (p.18)
Cet instant a tout changé, cette mère «tombée» ne peut s’effacer de la tête des enfants.

La survie

Comment respirer dans les lieux du drame? Élisabeth s’exile à Montréal pour oublier. Claire écrit à Élisabeth. Claire signe ses lettres, laisse une date ici et là pour se raccrocher au temps peut-être. Élisabeth répond, mais n’envoie pas les lettres. Julien, le frère, navigue. Il est fort, capable de tenir tête aux plus folles rages de la mer. Il suivra sa mère au cœur des tempêtes et des brumes.
Les sœurs lancent des bouteilles à la mer. C’est tout ce qui reste pour colmater la douleur. Claire n’arrive pas à se détacher de sa terre de douleur. Elles rencontrent des hommes. Le corps a ses droits, mais il n’y a que des cris dans la tête des sœurs.
«J’écris. Ce sont les seuls mots qui me conviennent. Raturés cent fois, déchirés, illisibles. Ils sont partout : sur mes murs, mon bureau, dans mon sac. Certains se retrouvent dans mon lit. Ils sont là, autour de moi, avec moi, comme une bonne couverture chaude. Je peux recréer la mer, les îles. Je peux m’imaginer être là-bas, nue, seule. Sur une plage d’été brûlante. Me perdre dans l’eau rafraîchissante. Je peux dire : ma mère est tombée, comme le font toutes ces voix dans ma tête. Je peux aussi écrire en toutes lettres : elle a sauté.» (p.24)
Il faudra le temps pour un peu d’apaisement, éloigner la douleur, retrouver son corps et respirer mieux. Il faudra des années pour se défaire de la culpabilité.
«Je voudrais que les choses soient autrement, être quelqu’un d’autre, peut-être. Oublier. Rien que ça. J’ai tellement envie d’oublier notre mère, désapprendre les nuits d’ici, tout laisser et tout effacer de ma mémoire. J’ai terriblement envie d’un ailleurs, moi aussi. Même si tous les ailleurs m’effraient, même si parfois je crois que je ne survivrai pas à un déracinement.» (p.75)
Les deux en réchappent à leur façon. Claire retrouve une forme d’équilibre et Élisabeth tente un retour. Elle fera demi-tour, ne peut mettre les pieds sur les îles. C’est ainsi.
Le texte de Mylène Durand vous souffle. Rapidement on se retrouve à la frange du possible, de la douleur et de l’existence. Nous sommes au bord du précipice, comme sur un câble tendu sur le vide. Un roman de paroxysmes, de cris qui pousse au-delà des mots et des phrases. Le rythme est hallucinant, l’écriture un halètement. Comment ne pas être subjugué par «L’immense abandon des plages».

«L’immense abandon des plages» de Mylène Durand est paru aux Éditions de la Pleine lune.
http://www.pleinelune.qc.ca/cgi/pl.cgi?titre=L%27Immense%20Abandon%20des%20plages

dimanche 22 mars 2009

Richard Dallaire cause une belle surprise


En lisant «Le Marais» de Richard Dallaire, j’ai souvent songé à l’une des dernières toiles de Salvador Dali, le peintre extravagant que l’on connaît pour ses immenses tableaux lumineux et inventifs. Quelques semaines avant sa mort, il peignait sa chambre. L’univers s’y défait. Les meubles se tordent. C’est la fin, le monde qui s’écroule, s’efface dans le regard du peintre.
Voilà l’esprit du premier roman de Richard Dallaire, un Baieriverain d’origine. Dans cette «allégorie d’une existence partielle», le monde se décompose. Paul vit en marge de la ville, près d’un marais. Il se rend chaque jour au centre-ville pour travailler à l’ombre d’un volcan qu’il faut ramoner régulièrement pour éviter le pire. Il exerce un emploi déprimant et routinier. Sa vie va à la dérive et tout son temps libre est consacré à colmater une maison que le marais avale. Tout comme dans «L’écume des jours» de Boris Vian, l’environnement épouse l’état du personnage.
Dans la cour, Madeleine, une «saule pleureuse», est inépuisable de larmes. Le marais s’avance à mesure que la santé de Paul se détériore.
«Le processus irréversible de la pourriture attaquait les boiseries de la maison depuis plusieurs années. L’accès au sous-sol était condamné et le plancher du salon partait en ruine. Pour calfeutrer les brèches, Paul clouait au sol les livres qu’il terminait. Sans ce soin, les grenouilles pénétraient la nuit, troublant son sommeil. Parfois, il fixait à regret des livres qu’il n’avait pas eu le temps de lire. Dans un coin, le piano droit jouait en désaccord la partition de sa vie.» (p.12)
Paul devient peu à peu un cadavre. Une bien étrange maladie qui fait qu’il se dessèche sur place, perdant des doigts et un bras.

Hymne à la vie

Pourtant, tout bouge autour de Paul. Surtout après la découverte de Lion sous une cabane. Un enfant débordant d’énergie qui apprend rapidement à voler avec Lucie la luciole. La vie n’a pas dit son dernier mot.
«Au bout d’un moment, une partie de l’enveloppe se déchira, laissant apparaître une tête chevelue. Les yeux clos, elle semblait scruter le paysage. Puis, réagissant aux efforts, la toile céda entièrement, dévoilant le corps nu d’un garçon de six ans. Il ouvrit les yeux, verts.» (p.26)
Si autrefois on trouvait les bébés dans les choux, pourquoi pas dans un œuf. Madeleine, la saule pleureuse, adopte le garçon. Elle finira par l’emprisonner dans ses branches pour le protéger des dangers du monde et le tuer presque.
La jeunesse, la présence de Lucie la luciole change tout. Elle fait reculer la mort, dépose un germe d’amour dans la poitrine de Paul, tout près du cœur qui ne bat presque plus. Tout peut arriver alors. L’amour fait des miracles, on le sait. Paul revient à la vie. Il n’a qu’à s’abandonner pour se redresser du côté des vivants. Et il est tout à fait normal d’être amoureux d’une luciole, du moins dans les fables et les allégories. Le lecteur bascule et se met à y croire.
«Lucie, Lion et Paul passaient leurs soirées près du feu à profiter de la chaleur. Le piano jouait des Ragtimes parce qu’avec tout ce bonheur contenu dans la pièce, il ne pouvait faire autrement. Un soir, Paul dit «je…» à Lucie et s’arrêta en plein centre de sa courte phrase. Tout dire l’amour était difficile. Mais comme il ne put qu’en dire la moitié, c’était tolérable…» (p.149)

Belle découverte

Richard Dallaire jongle avec les mots, les prenant au sérieux pour décrire une société de plus en plus absurde et étrange. C’est ainsi qu’il effleure les travers de notre époque qui s’embourbe. Mais l’espoir reste, l’amour est encore possible. C’est le plus important.
«Le Marais» est un bonheur de lecture, même si Dallaire a tendance à forcer ses comparaisons et ses images. «Pour dire les choses, les yeux de Paul étaient des bouches qui ânonnent de bruyants silences. Les yeux de Lucie avaient l’ouïe fine.» (p.121) Ouf !
Dans ce genre d’univers, l’étonnement provient des situations et des découvertes. Pas besoin de torturer la langue. Malgré ce petit travers, ce premier roman s’avère une belle surprise. Beaucoup de fraîcheur, d’inventions et d’espoir.   

«Le Marais» de Richard Dallaire est paru aux Éditions du Sémaphore.
http://www.editionssemaphore.qc.ca/Richard_Dallaire.html

dimanche 15 mars 2009

Chamberland continue sa marche en solitaire

Paul Chamberland, dans sa poésie comme dans ses essais, porte un regard critique sur la civilisation contemporaine. Certains peuvent croire qu’il se complaît dans un pessimisme extrême pendant que d’autres affirmeront qu’il est réaliste.
Le monde actuel fonce vers la catastrophe à une vitesse vertigineuse. Tous les observateurs sérieux le répètent. Pollution, réchauffement de la planète, exploitation sauvage des ressources naturelles dans les pays du tiers-monde. Le sida, la famine et la misère sévissent, particulièrement en Afrique. La démocratie bat de l’aile même si l’élection de Barak Obama à la présidence des États-Unis semble secouer des espoirs que nous n’osions plus imaginer. Le but de toutes les grandes entreprises est de pousser le citoyen planétaire à produire de plus en plus, à consommer jusqu’à l’obésité.
Paul Chamberland, dans «Cœur creuset», ne s’attarde pas aux effets de la mondialisation et à l’hégémonie de l’Occident comme il l’a fait dans «En nouvelle barbarie». Il prône l’éveil, l’ouverture du coeur et de l’esprit pour glisser vers une autre terre de justice, de partage et d’amour. Il est possible d’y arriver par le dépouillement, la méditation, la reconnaissance de l’être de lumière qu’il y aurait en chacun de nous.
«Nous aurions échappé au feu primordial, nous en sommes convaincus. Mais nous brûlons encore : nous ne pouvons faire que n’existe pas la combustion dont ont été faits nos corps.» (p.89)
Puisant dans différentes philosophies orientales, le poète rêve d’un grand retour vers l’être, d’un dépouillement qui nous ferait nous retourner vers l’essentiel.
Questions fondamentales

Qui prend le temps de réfléchir au sens de la mort et de la vie à l’heure de Tout le monde en parle? Ces interrogations, les humains les ont effleurées depuis des millénaires. Maintenant, cette confrérie de chercheurs est reléguée dans les coins obscurs des bibliothèques, ou égarés dans les labyrinthes de l’informatique. J’ai peur cependant que Paul Chamberland ne rejoigne pas beaucoup de lecteurs avec la forme d’ascèse qu’il prône. Il fait aussi sourciller avec ses propos sur la culture.
«Le malaise dans la culture a crû au point de devenir intolérable. L’humanité est en train d’étouffer sous ses déchets, tant psychiques que matériels. L’actuelle civilisation a fait son temps. Nous savons depuis Auschwitz et Hiroshima qu’elle n’a plus rien d’autre à nous offrir que la production « rationnelle » du non-humain (béant au cœur du réel, ce trou noir). Le seul savoir qui tranche est celui qui découvre les ressources dont nous tirons la force de résister à l’anéantissement spirituel de l’humanité. De nous y arracher.» (p.105)
Le mysticisme ne semble guère capable de sauver l’humanité avec ce que nous en savons. Chamberland s’enferme de plus en plus dans une solitude inquiétante malgré les appels à ses frères et ses sœurs.

«Cœur creuset. Carnets 1997-2004» de Paul Chamberland est publié aux Éditions L’Hexagone.