Photo Ivanoh Demers, La Presse |
«La marche en forêt» de Catherine Leroux se présente comme un album qui présente plusieurs générations de la famille Brûlé. À commencer par la lointaine ancêtre Alma, une Autochtone farouche qui a connu une vie qui sort de l’ordinaire. Ayant du mal à s’adapter à la sédentarité, elle quitte ses enfants à la mort de son mari, vit l’épopée de la construction du train dans l’Ouest et la guerre des Sécession aux États-Unis. Un personnage qui mériterait un roman à elle seule. Une femme qui vivait avec les hommes et comme les hommes. Certains de ses descendants ont peut-être hérité de son caractère farouche et de sa violence qui peut surgir sans prévenir. Qu’héritons-nous de nos ancêtres? Y aurait-il en nous des pulsions que nous avons du mal à expliquer et à comprendre?
Plus près de nous, les Brûlé s’étourdissent dans les dédales de la vie. Hubert est condamné pour le viol de plusieurs jeunes femmes. Il deviendra prédicateur après avoir connu «l’illumination» en prison. Un fils que son père renie. La rencontre de Normand et Hubert qui cherche le pardon est une scène forte, rare.
«- Le pire, c’est que t’as même pas essayé. T’as rien dit pour expliquer tes actes. Il y a peut-être du monde qui aurait aimé ça comprendre. Il y a peut-être des filles qui se demandent pourquoi ça leur est arrivé. Des gens qui veulent savoir ce qu’ils ont fait de croche pour transformer un bon petit gars en violeur de femmes. Mais au lieu d’expliquer, tu te jettes dans la religion comme si ça réglait tout. Et quand on te demande des comptes, tu réponds en récitant ton catéchisme. C’est pas ça, se racheter. C’est pas répondre à côté, ni laisser le bon Dieu s’en occuper.» (p.286)
Personnages
Les maladies, les décès et les séparations bousculent tout le monde. Cela n’empêche pas les embellies et les moments de grâce. La mort frappe même si on fait tout pour la déjouer. Fernand en remariant une femme beaucoup plus jeune semble défier le temps. Il sera touché dans sa tête et sa mémoire, capable de trahir des secrets refoulés.
Les fils ne sont pas épargnés par le cancer et les maladies du siècle. D’autres décrochent telle Justine qui déménage à Québec pour changer de vie. Elle prendra soin d’un autiste et vivra une relation trouble avec lui. Une autre devient artiste et connaîtra la célébrité en scrutant son passé. Des amours qui s’étiolent, des rencontres qui changent tout. La vie pousse le vivant d’un extrême à l’autre, dans la solitude comme dans la fusion amoureuse. Le lecteur passe d’un personnage à l’autre, tisse des liens et des recoupements en progressant dans une véritable forêt toujours semblable et différente.
Troublant
Plusieurs scènes restent inoubliables. Celle où Alma, après bien des aventures, revient à son lieu d’origine pour s’enterrer vivante.
«Elle s’arrête enfin, lance le bâton au loin et pose les pieds au fond du trou. Un mètre de profondeur, à peine. C’est tout ce qu’il faut. Elle s’y assied. Dans le ciel, des langues de nuages fins traversent les essaims d’étoiles. Le vent est plus doux et les animaux bruissent dans le lointain. Alma ouvre les bras et, d’un geste souple, elle ramène la terre vers elle. La boue tombe sur ses jambes comme une couverture glacée. Elle répète le mouvement avec patience, accueillant le poids du sol sur son corps. Lorsqu’elle se trouve ensevelie des pieds aux hanches, elle s’étend un peu plus et laisse glisser la boue sur son ventre et sa poitrine.» (p.299)
Une mort digne du personnage.
«La marche en forêt» exige que le lecteur se situe continuellement par rapport aux personnages. L’arbre généalogique, en début de l’ouvrage, s’avère indispensable.
Peu à peu on se familiarise avec ces femmes et ces hommes que l’on suit avec grand plaisir.
Catherine Leroux réussit une fresque qui bouscule le temps et l’espace. Une expérience de lecture qui devient une aventure américaine étonnante. Un texte où l’art visuel permet souvent d’apprivoiser le passé. Un roman étonnant et exigeant qui vaut l’effort. On y trouve de véritables perles. C’est peut-être le propre de l’existence. Il y a en chacun de nous des côtés sombres et dérangeants, des aspects que l’on a du mal à considérer.
«La marche en forêt» de Catherine Leroux est publié aux Éditions Alto.
http://www.editionsalto.com/catalogue/marche/
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