mardi 12 avril 2022

L’AVENIR DE LA LANGUE AU QUÉBEC INQUIÈTE


 Lilou Roy-Lanouette

Je suis calme, patient, trop parfois, confiant que le temps arrange les choses. Je reste optimiste, malgré l’état de la planète, les changements climatiques et les migrations massives. Un peu inquiet cependant avec la démocratie mise en péril aux États-Unis par les sbires de Donald Trump. Et que dire des succès de Marine Le Pen en France? Oui, Éric Duhaime qui grimpe dans les intentions de vote, me donne des frissons. Patient, mais souvent perplexe lorsque je lève la tête, oublie mes lectures et mes écrits pour tendre l’oreille. J’écoute régulièrement la radio ou encore m’attarde devant le téléviseur pour voir et entendre ce qui surnage entre les messages publicitaires? Un fait : j’ai de plus en plus de mal à comprendre ce que les chanteurs gazouillent et ce que les comédiens murmurent en devenant un personnage. Et ce autant du côté des hommes et des femmes.

 

J’ai toujours aimé la musique populaire, celle qui a été si importante dans les années 1970. Les chanteurs et chanteuses étaient de toutes nos revendications alors. Souvenez-vous de l’élection du Parti québécois en 1976, des vedettes qui animaient les congrès et les grands rassemblements, des textes qui bousculaient. Je pense à Jacques Michel, Pauline Julien, Octobre. 

La liste est longue.

Depuis l’achat de mon premier disque, un vinyle de Renée Claude en 1966, il y en a eu beaucoup d’autres. Le dernier qui fait mes délices : Richard Séguin, Retour à Walden. J’ai toujours suivi la chanson d’ici. Séguin me donne envie de m’enfuir dans une forêt d’épinettes, de me réfugier au bord d’un ruisseau, dans une cabane en bois rond. Loin de tout pour oublier le mal de ventre de la calotte glaciaire, la démence et les boucheries que vivent les Ukrainiens. S’isoler avec quelques bons livres, et des rames de papier pour écrire dans la splendeur du matin. Pas d’humains à des kilomètres. Avec dans la fenêtre, un lac qui miroite. Sur ma longue galerie, je pourrais contempler le flanc de la montagne, surveiller des écureuils bavards et un renard discret. Peut-être aussi que j’aurais comme voisinage un orignal ou encore un ours sympathique et un brin grognon. 

J’aime Marie-Nicole Lemieux, Julie Boulianne et Marie-Ève Munger. Je suis curieux de tout et friand des expériences qu’elles me proposent. J’adore les surprises et les mondes étranges qui me sont offerts. Quelle découverte que Diane Dufresne et sa voix capable de toutes les extravagances, quel incroyable voyage que d’assister à l’un de ses spectacles!

Bien sûr, j’ai écouté, des centaines de fois, Beau Dommage, Harmonium, Maneige, Pierre Flynn et Paul Piché. J’ai suivi Claude Dubois, Monique Leyrac et Louise Forestier. Ces voix m’ont accompagné pendant des décennies. Le son du Québec, c’était et c’est important. 

 

AVENIR

 

La question de l’avenir du français revient souvent dans les manchettes. Montréal s’anglicise. Des signes inquiètent! Que faire sinon prendre le français à bras-le-corps? L’imposer dans les entreprises et maisons d’enseignement, en faire la langue de tous les résidents du Québec qui ressemblent de plus en plus à une courtepointe belle de mille retailles. 

Après tout, le français, c’est mon terreau et ma matière. Je la secoue cette langue tous les jours, la triture dans mes chroniques ou mes fictions, la bouscule et l’entends autour de moi. C’est ce qui constitue ma pensée et mon mode d’expression, mon équilibre dans la vie. 

 

«La langue, c’est le génie d’un peuple, c’est la musique exclusive qui porte à rêver et réaliser grand, à rêver et réaliser fier, à rêver et réaliser beau. Quand ce n’est pas sa langue qui se parle, ça donne ce qui arrive avec les Canadiens de Montréal : on devient des traducteurs… et le sort des traducteurs c’est de finir par se traduire qui, selon son étymologie ancienne, signifie “se trahir”.»

                         Victor-Lévy Beaulieu, La vieille dame de Saint-Pétersbourg.

 

RELÈVE

 

Je m’intéresse aussi à la relève. Mais souvent, j’ai beau tendre l’oreille, je ne comprends plus les textes des chansons. Et je ne suis pas sourd, même si je prends de l’âge. Les paroles, ça reste essentiel. Une composition de Gilbert Langevin, de Jean-Pierre Ferland, un Claude Dubois, c’est un monde. En utilisant une langue, un chanteur ou une chanteuse présente sa vision de la société, se penche sur un événement ou un moment qui vient vous secouer. Avec les récents visages, j’ai beau monter le son à en faire trembler les vitres, je ne saisis rien. Beaucoup de nouvelles vedettes sont frappées d’un mal étrange : le bafouillage. Elles gazouillent, mâchouillent, marmonnent, susurrent, baragouinent, murmurent, balbutient au point de devenir inaudibles. Je n’écoute presque jamais En direct de l’univers, parce que les invités paraissent gangrenés par l’anglais. Tous ont baigné dans les langes de Shakespeare, depuis leur premier biberon, semble-t-il.

Je suis fatigant avec ça, me demande tout le temps dans quelle langue ils chantent. Je pense à Cœur de pirate, Safia Nolin, Marie-Pierre Arthur. Même Louis-Jean Cormier est touché. Je suis sorti au milieu de son spectacle à Tadoussac il y a quelques années, n’en pouvant plus. Une musique d’enfer dans l’église, à faire trembler les statues et tous les saints du ciel, des textes totalement inaudibles. Pourtant, quand il abandonne sa quincaillerie et qu’il se présente seul avec sa guitare, je l’aime bien. Tout comme Klô Pelgag. Cette chanteuse me semble intéressante, mais je ne saisis qu’un mot ici et là en tendant l’oreille. Qu’ont-ils tous à babiller comme des marmottes, à s’égarer dans un long sifflement? Plusieurs diront que c’est peut-être l’influence de l’anglais! Nous avons perdu l’habitude de comprendre les paroles d’une chanson en écoutant les vedettes américaines. 

 

CINÉMA

 

Je m’efforce de découvrir les nouveautés québécoises au cinéma. Là aussi, le mal se répand. De plus en plus, les comédiens et les comédiennes parlent mou. J’en suis rendu à souhaiter des sous-titres, comme à Occupation double

Dernièrement, j’ai décidé de revoir Jouliks, un film de Mariloup Wolfe, un drame d’amour et de passion, de famille et d’enfance trouble. Malheureusement, la jeune Lilou Roy-Lanouette (elle fait la narration) est incompréhensible. Elle doit avoir sept ans. Je l’ai appris dans la publication de l’œuvre théâtrale de Marie-Christine Lê-Huu.

Confier un tel texte à une fillette est une mission quasi impossible. J’ai lu des monologues magnifiques, perturbants quand on prend la peine de s’y attarder. Au visionnement du film, tout m’avait échappé. Heureusement que les adultes articulent, sinon… La production est gâchée à cause de ce marmottage.

Que s’est-il passé? Pourquoi a-t-on choisi d’avaler ses mots et de marmonner sur la scène et au cinéma, dans la chanson comme à la télévision? Malheureusement, même dans la vraie vie, je demande souvent de répéter dans les magasins et les endroits publics, parce que je ne comprends pas. Ça sort dru, aigu, en logorrhées qui filent à une vitesse vertigineuse ou il ne semble plus y avoir un point de suspension ou encore une virgule pour reprendre son souffle.

 

MENACE

 

Le français n’est plus chez lui sur les trottoirs de Montréal. Je l’ai souvent constaté dans le métro, entre les stations Laurier et Henri-Bourassa. Mais ce n’est pas le pire. La corrosion de la langue parlée, les mots que l’on mastique comme de la gomme baloune, ça se répand partout sur le territoire! On marmonne à Québec, à Saguenay ou à Saint-Henri-de-Taillon.

Je suis aussi un fidèle de Stanley Péan, le soir, à Radio-Canada. Je n’ai presque pas raté une journée de Quand le jazz est là depuis qu’il est à «la barre de son émission» comme il le répète. Il invite souvent des musiciens articulés et pertinents. Pourtant, leurs compositions ont toujours des titres anglais. Notre langue est-elle interdite dans le monde de Robert Johnson?

Plus, les citations anglaises ne cessent d’augmenter dans nos œuvres de fictions, sans qu’on prenne la peine d’en faire la traduction. C’est pour la modernité, la diversité, l’inclusion, semble-t-il.

Sûr que le temps arrange tout, en bien ou en mal, mais là j’avoue que je suis inquiet. Bien pire, je n’acquiers plus de CD. (Oui, je suis de ceux qui refusent le vol organisé sur Internet.) Je n’achète presque plus rien. Je n’endure plus le baragouin. Je veux entendre les paroles et les textes. Les nouveaux chanteurs et chanteuses ont-ils des choses à dire

Heureusement, il y a Luc De Larochellière, sa Rapsodie lavalloise. Il utilise une langue qui m’est familière et que j’aime et que je comprends. Ça me rassure un tout petit peu. Pierre Lapointe aussi, même si la magie de ses débuts semble du passé maintenant. Et un Jean Leloup toujours étonnant.

 

Lê-Huu Marie-Christine, Jouliks, Éditions Lansman, Manage Belgique, 2005.

Beaulieu Victor-Lévy, La vieille dame de Saint-Pétersbourg, Trois-Pistoles, Éditions Trois-Pistoles, 2021.

 

UNE VERSION DE CETTE CHRONIQUE A PARU DANS LETTRES QUÉBÉCOISES, no 187, mars 2022.

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