lundi 9 juillet 2012

Marjolaine Bouchard fait revivre Alexis le Trotteur

Il faut du courage pour se lancer dans l’écriture d’un roman portant sur la vie d’Alexis le Trotteur. On a tout dit ou à peu près sur cet homme capable des exploits les plus étonnants. Comment démêler la légende du réel, l’imaginaire des faits vécus? Comment éviter les pièges de la fable et du mythe?

Marjolaine Bouchard récidive en quelque sorte avec «Alexis le Trotteur ou les trois mourures du cheval du Nord». En 1999, elle écrivait un livre pour les jeunes intitulé «Le cheval du Nord» qui présentait le personnage chez JCL Éditeur.
Alexis Lapointe, fils de François Lapointe et Adelphine Tremblay, est né en 1860, après un événement dramatique qui lance sa légende. Le Rouquin, un cheval qui devait conduire sa mère bien sagement à l’église, prend le mors aux dents, traverse presque tout le pays de Charlevoix à belle épouvante.
«En chemin, dans le détour qui traversait le bosquet, quelque chose bougea dans le bois. Une forme blanche, un animal étrange. Poils ou plumes? Adelphine n’eut pas le temps d’en juger que la bête avait déjà disparu dans le feuillage. Un soubresaut, un hennissement, le Rouquin, habituellement très calme, s’emballa. Adelphine tira les cordeaux, mais au lieu de ralentir, le cheval accéléra. Elle tira encore et encore en criant des «Wo! Là! Wo!» Il n’entendait rien et redoubla la cadence, le mors aux dents, les sabots martelant le gravier, la poussière volant en l’air.» (p.14)

Enfant différent

Enfant prématuré et fragile. Alexis ne sera jamais comme les autres, deviendra surtout le sujet de moqueries parce qu’il n’apprend rien à l’école, préfère courir, jouer plutôt que d’effectuer les tâches qu’on lui confie. Son père prendra en grippe ce garçon roux qui n’en fait qu’à sa tête et qui vit le nez dans les nuages.
Une mère aimante le protège, le couve même. Heureusement! Il grandit ainsi face à l’hostilité paternelle de plus en plus grande, effectue des petits travaux, surprend par ses courses contre les chevaux, des exploits qui s’embellissent à mesure qu’on les raconte. Alexis ne s’éloigne guère de la maison familiale jusqu’à trente ans. Toujours prêt à rire, à s’amuser et à danser dans les soirées où il fait le pitre.
A la mort de sa mère, des pages particulièrement émouvantes, le fils mal-aimé est chassé de son village.
«Près de lui, il entendit des pas.
- Va faire ta vie, astheure, dit la voix rude de son père, dans son dos. Tu reviendras quand t’auras une femme pis un avenir.» (p.169)
La blessure ne se refermera jamais.

Nomade

Débute alors une vie d’errance. Les chantiers en Gaspésie où il n’arrive pas à suivre les bûcherons. Pas qu’il ne soit pas capable physiquement. Alexis se lasse rapidement de tout, aide ici et là, raconte des histoires et joue de la musique à bouche. Il devient le cœur du chantier et permet aux hommes de garder le moral.
Voyage aux États-Unis où il découvre la ville, une femme pas mal délurée, retour au Québec, dans Charlevoix où il amorce une carrière de constructeur de fours à pain. Un travail qui lui convient. Il passe ainsi d’un village à l’autre, découvre du pays, se retrouve au Saguenay et au Lac-Saint-Jean, tombe en amour souvent, évite de justesse un mariage arrangé. Toujours il doit se méfier de la cupidité des gens qui veulent faire de l’argent avec son talent de coureur. Il relève des défis un peu partout. Sa course la plus mémorable reste peut-être celle contre le train entre Jonquière et Chicoutimi. Il l’emporte cette fois, mais le train aura sa vengeance sur les chantiers d’Isle-Maligne en 1924.
Époque

Marjolaine Bouchard, par le biais de son personnage, brosse un portrait d’époque et de la vie campagnarde. Comme si Alexis incarnait la tradition qui se dresse devant la modernité. Elle excelle à décrire les gestes du quotidien, des manières de faire, de vivre, de s’amuser qui sont disparues avec la construction des barrages.
Elle s’attarde à l’homme, ses émotions, ses peines et ses chagrins. Même dans ses courses, elle montre les limites physiques de cet athlète exceptionnel. On se prend à aimer cet homme qui refuse de vieillir et qui toute sa vie rêve de tendresse et d’amour, d’une famille et de nombreux enfants.
Le roman de Marjolaine Bouchard est particulièrement touchant, bouleversant même. Je songe à la mort d’Adelphine et celle où François, le père, tue le poulain qui s’est cassé une patte. Elle aime son personnage et nous le fait aimer. Une histoire pleine de tendresse, un tableau d’époque. Une belle lecture d’été pour redécouvrir un personnage attachant, une légende et aussi un passé pas si lointain.

«Alexis le Trotteur ou les trois mourures du cheval du nord» de Marjolaine Bouchard est paru aux Éditeurs réunis.

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