Il faut du courage pour se
lancer dans l’écriture d’un roman portant sur la vie d’Alexis le Trotteur. On a
tout dit ou à peu près sur cet homme capable des exploits les plus étonnants. Comment
démêler la légende du réel, l’imaginaire des faits vécus? Comment éviter les
pièges de la fable et du mythe?
Marjolaine Bouchard récidive
en quelque sorte avec «Alexis le Trotteur ou les trois mourures du cheval du
Nord». En 1999, elle écrivait un livre pour les jeunes intitulé «Le cheval du
Nord» qui présentait le personnage chez JCL Éditeur.
Alexis Lapointe, fils de
François Lapointe et Adelphine Tremblay, est né en 1860, après un événement
dramatique qui lance sa légende. Le Rouquin, un cheval qui devait conduire sa
mère bien sagement à l’église, prend le mors aux dents, traverse presque tout
le pays de Charlevoix à belle épouvante.
«En chemin, dans le détour
qui traversait le bosquet, quelque chose bougea dans le bois. Une forme
blanche, un animal étrange. Poils ou plumes? Adelphine n’eut pas le temps d’en
juger que la bête avait déjà disparu dans le feuillage. Un soubresaut, un
hennissement, le Rouquin, habituellement très calme, s’emballa. Adelphine tira
les cordeaux, mais au lieu de ralentir, le cheval accéléra. Elle tira encore et
encore en criant des «Wo! Là! Wo!» Il n’entendait rien et redoubla la cadence,
le mors aux dents, les sabots martelant le gravier, la poussière volant en
l’air.» (p.14)
Enfant différent
Enfant prématuré et fragile. Alexis
ne sera jamais comme les autres, deviendra surtout le sujet de moqueries parce
qu’il n’apprend rien à l’école, préfère courir, jouer plutôt que d’effectuer
les tâches qu’on lui confie. Son père prendra en grippe ce garçon roux qui n’en
fait qu’à sa tête et qui vit le nez dans les nuages.
Une mère aimante le protège, le
couve même. Heureusement! Il grandit ainsi face à l’hostilité paternelle de
plus en plus grande, effectue des petits travaux, surprend par ses courses contre
les chevaux, des exploits qui s’embellissent à mesure qu’on les raconte. Alexis
ne s’éloigne guère de la maison familiale jusqu’à trente ans. Toujours prêt à
rire, à s’amuser et à danser dans les soirées où il fait le pitre.
A la mort de sa mère, des
pages particulièrement émouvantes, le fils mal-aimé est chassé de son village.
«Près de lui, il entendit des
pas.
- Va faire ta vie, astheure,
dit la voix rude de son père, dans son dos. Tu reviendras quand t’auras une
femme pis un avenir.» (p.169)
La blessure ne se refermera
jamais.
Nomade
Débute alors une vie d’errance.
Les chantiers en Gaspésie où il n’arrive pas à suivre les bûcherons. Pas qu’il
ne soit pas capable physiquement. Alexis se lasse rapidement de tout, aide ici
et là, raconte des histoires et joue de la musique à bouche. Il devient le cœur
du chantier et permet aux hommes de garder le moral.
Voyage aux États-Unis où il découvre
la ville, une femme pas mal délurée, retour au Québec, dans Charlevoix où il amorce
une carrière de constructeur de fours à pain. Un travail qui lui convient. Il passe
ainsi d’un village à l’autre, découvre du pays, se retrouve au Saguenay et au
Lac-Saint-Jean, tombe en amour souvent, évite de justesse un mariage arrangé.
Toujours il doit se méfier de la cupidité des gens qui veulent faire de
l’argent avec son talent de coureur. Il relève des défis un peu partout. Sa
course la plus mémorable reste peut-être celle contre le train entre Jonquière et
Chicoutimi. Il l’emporte cette fois, mais le train aura sa vengeance sur les
chantiers d’Isle-Maligne en 1924.
Époque
Marjolaine Bouchard, par le
biais de son personnage, brosse un portrait d’époque et de la vie campagnarde. Comme
si Alexis incarnait la tradition qui se dresse devant la modernité. Elle
excelle à décrire les gestes du quotidien, des manières de faire, de vivre, de
s’amuser qui sont disparues avec la construction des barrages.
Elle s’attarde à l’homme, ses
émotions, ses peines et ses chagrins. Même dans ses courses, elle montre les
limites physiques de cet athlète exceptionnel. On se prend à aimer cet homme qui
refuse de vieillir et qui toute sa vie rêve de tendresse et d’amour, d’une
famille et de nombreux enfants.
Le roman de Marjolaine
Bouchard est particulièrement touchant, bouleversant même. Je songe à la mort
d’Adelphine et celle où François, le père, tue le poulain qui s’est cassé une
patte. Elle aime son personnage et nous le fait aimer. Une histoire pleine de
tendresse, un tableau d’époque. Une belle lecture d’été pour redécouvrir un
personnage attachant, une légende et aussi un passé pas si lointain.
«Alexis le Trotteur ou les trois mourures du cheval
du nord» de Marjolaine Bouchard est paru aux Éditeurs réunis.
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