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jeudi 4 octobre 2007

Jacques Antonin raconte sa vie

Méchant risque que de raconter sa vie. Un jeu de la vérité qui peut choquer ou frustrer certaines personnes qui croyaient occuper une place de choix dans votre parcours. Cela peut aussi être magique. Pensons à Gabrielle Roy.

Jacques Antonin s’en sort plutôt bien. «Je me serai livré à cet exercice sans trop de bouleversements intérieurs. Moi qui appréhendais de revivre certains passages de ma vie m’ayant que trop peu laissé de bons souvenirs, ça doit être dû à l’âge, je les aurai traversés d’un trait de plume. Du bout des doigts. Et même si parfois j’y suis allé plus en profondeur que prévu, j’aurai réussi à m’épargner dans cette aventure.» (p.476)
Ce Bouchard, dont la famille a vécu à Métabetchouan au Lac-Saint-Jean, a connu un parcours singulier. Comme s’il avait roulé à 500 kilomètres heure pendant toute sa vie, multipliant les expériences, les spectacles, les voyages et les amours. Que de péripéties pour le petit «Bouchard-Ananias» qui a quitté son Lac avec quarante-deux cents en poche pour faire carrière, sans pour autant glaner fortune et gloire.

Difficile chemin

Interprète d’abord, il a glissé vers ses chansons, acquerrant à la dure le titre d’auteur, compositeur et interprète. Il a dit oui à toutes les aventures que la vie lui proposait, connu toutes les scènes de Québec et de Montréal, sans compter celles des régions où il ne refusait jamais de monter. Une sorte d’aventurier de la chanson, de kamikaze, autant dans sa vie personnelle que dans sa carrière. «Un gigoteux», aurait pu dire sa mère Antoinette.
Lire cette autobiographie, c’est vivre de l’intérieur un pan de la chanson populaire contemporaine, bondir dans les textes d’Antonin, le suivre à la trace autant au Québec qu’en France. Il raconte juste ce qu’il faut de sa vie privée sans se complaire dans ses misères.
Oui il a connu à peu près tout le monde, n’hésitant jamais à frapper aux portes et à foncer. «Un front de bœuf», comme il dit. Un homme «de gang», un rassembleur qui attire tout le monde et sait se faire aimer. Généreux, sensible, une vraie dynamo, il était toujours là pour les virées les plus folles ou pour donner un coup de main.

Ses héros

Il garde une tendresse particulière pour Félix Leclerc, son mentor, Léo Ferré, Clairette, Danielle Oderra, Monique Leyrac et Tex Lecors. La liste pourrait s’allonger. Il a connu tous ceux et celles qui tentaient de se faire une place dans ce monde souvent ingrat. Bien sûr, il y a eu des froissements. Il le dit avec franchise sans trop insister. «C’est rare, disait-il lors d’une rencontre au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Je pense avoir acquis la reconnaissance de mes pairs. Ils aimaient ce que je faisais mais le public n’a jamais suivi.» Il constate simplement, sans rancœur, sans amertume.
Que peut-il se reprocher? Il a fait tout ce qui était humainement possible pour réussir. Il dira aussi avec un sourire qui le transforme: «J’ai tellement de beaux souvenirs. C’est formidable!» Le lecteur ne peut que se dire qu’il aurait mérité mieux parce qu’il y a mis toutes ses énergies, hypothéquant même sa santé.

Injustice

Les jeunes qui se lancent dans l’aventure de «Star Académie» et qui rêvent de gloire et de richesse devraient lire l’autobiographie de Jacques Antonin. Il recevrait une belle dose de réalisme.
Un texte touffu comme une talle de chiendent qui se perd parfois pour mieux se rattraper dans le détour. Le lecteur vit une véritable expédition dans le monde de la chanson québécoise des années soixante à nos jours. Et puis, juste le dernier chapitre où Antonin écrit ce qu’il pense de la chanson de maintenant et des vedettes que l’on «programme» comme des ordinateurs vaut le détour. Que c’est bien envoyer! Antonin est d’une franchise rare et il réussit à tout dire avec dignité et générosité. C’est tout à son honneur. Un livre émouvant et touchant, le parcours d’un homme qui n’a cessé de courir derrière «une inaccessible étoile».

«Mes valises, mes albums» de Jacques Antonin est publié aux Éditions SM.

jeudi 27 septembre 2007

La grande aventure de la littérature québécoise (2)

«Histoire de la littérature québécoise», de Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge, démontre que certaines questions, pendant presque 500 ans, ont fait l’objet de débats. Les écrivains doivent-ils s’adresser à un lecteur étranger ou à un concitoyen d’ici? Quelle langue utiliser? Quelles valeurs privilégier? Il faudra attendre «Les Anciens Canadiens» de Philippe-Aubert de Gaspé pour trouver un livre fondateur qui s’adresse au lecteur québécois. Le genre, boudé jusqu’alors, connaîtra un succès, devenant le premier best-seller de l’histoire littéraire.
«Après un premier tirage de deux mille exemplaires écoulés en quelques mois, «Les Anciens Canadiens» est aussitôt réédité, tiré cette fois à cinq mille exemplaires. Une traduction anglaise paraît dès 1864 (par Georgiana M. Pennée) sous le titre «Canadians of Old», suivie d’une deuxième en 1890, par Charles G. D. Roberts qui modifiera le titre en 1905 (Cameroun of Lochiel). (p.123)
Les journaux joueront aussi un rôle crucial pendant ces escarmouches portant sur la langue littéraire. Des partisans réclameront une expression typique quand d’autres se conformeront au modèle parisien. Olivar Asselin, Arthur Buies, Jules Fournier, Claude-Henri Grignon, Henri Bourassa et André Laurendeau attiseront la polémique. Comment s’étonner alors que la littérature emprunte le chemin de l’histoire. Signalons le travail de François-Xavier Garneau et de Lionel Groulx, deux figures marquantes. Louis Dantin, Edmond de Nevers et Jean-Charles Harvey contestent ou approuvent les diktats que l’Église veut imposer.

Louis Hémon

Au début du siècle dernier, «Maria Chapdelaine» de Louis Hémon causera une véritable commotion qui hantera Félix-Antoine Savard et presque tous les auteurs. Le «roman de la terre» mobilisera Damase Potvin, le premier écrivain du Saguenay-Lac-Saint-Jean, Léo-Paul Desrosiers, Ringuet et Antoine Gérin-Lajoie. Plus près de nous, Alfred Desrochers donnera une autre dimension à ce conflit en écrivant dans une langue à la fois populaire et recherchée.
Le joual, selon le terme trouvé par Claude-Henri Grignon pour parler de la langue des Québécois, aboutira à Michel Tremblay et à la pièce de théâtre «Les belles-sœurs». Ce sera la fin d’une controverse qui aura coloré l’histoire de la littérature québécoise. Jean-Paul Desbiens, le «frère Untel», né à Métabetchouan, écrira même un best-seller en pourfendant les défenseurs du joual. Plus près de nous, Victor-Lévy Beaulieu continue de défendre cette idée de créer une langue d’ici.
À partir des années 60, la littérature s’impose avec Gaston Miron et le groupe de l’Hexagone, la publication des revues «Liberté», «Parti pris» et «La Barre du jour». Roland Giguère, Paul-Marie Lapointe, Anne Hébert, Gabrielle Roy et Marie-Claire Blais survolent l’époque. Trente ans plus tard, les écrivains de best-sellers Marie Laberge et Yves Beauchemin écriront une nouvelle page de notre littérature.

Littérature de la région

Notons cependant, que quelques écrivains seulement du Saguenay-Lac-Saint-Jean trouvent une niche dans cette histoire de la littérature. Si les poètes Paul-Marie Lapointe et Gilbert Langevin retiennent l’attention, Michel Marc Bouchard, Daniel Danis et Larry Tremblay sont à peine mentionnés dans le volet théâtre. Les romancières Lise Tremblay et Élisabeth Vonarburg sont les seules à attirer l’attention des trois auteurs.
«La ville de Québec où vit l’héroïne du roman est bien réelle, mais c’est aussi «celle des livres de Poulin», comme le précise la narratrice. Le personnage marche ainsi dans les rues de la vieille ville en traînant partout «Le Cœur de la baleine bleue»», écrivent les historiens à propos du premier roman de Lise Tremblay, «L’hiver de pluie». Rappelons qu’elle recevait le titre de «Découverte de l’année» du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean avec cet ouvrage paru en 1990.
«Histoire de la littérature québécoise» est un ouvrage exceptionnel, un manuel incontournable qui, il faut le souhaiter, deviendra une référence dans tous les cégeps et les universités du Québec. La littérature avait besoin de cette oeuvre remarquable pour montrer sa diversité et son immense richesse.
Il reste peut-être à explorer notre littérature en mettant l’accent sur les régions. Le lecteur découvrirait des «littératures» qui se développent et se caractérisent selon «les pays du Québec».

«Histoire de la littérature québécoise», de Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge est paru chez Boréal Éditeur.

jeudi 20 septembre 2007

La grande aventure de la littérature québécoise (1)

Michel Biron

Élisabeth Nardout-Lafarge
Prétendre survoler la littérature du Québec, des débuts à nos jours, s’avère une aventure parsemée d’embûches. Où commencer, quel angle privilégier pour lui rendre justice et la mettre en valeur? Ce sont des questions que Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge, en compagnie de leurs nombreux collaborateurs, ont dû se poser tout au long d’un travail qui a demandé des années de réflexions et de recherches. Il faut s’attarder à l’index et à la bibliographie de cet ouvrage pour prendre conscience de la quantité impressionnante de lectures et de documents qu’ils ont dû parcourir.
Quand on évoque histoire, on s’attend à ce que les concepteurs dégagent les forces qui portent une littérature, prennent un recul pour faire le portrait des périodes envisagées. Le pari est risqué parce que nous survolons quasi cinq siècles d’histoire politique et sociale du Québec et du Canada, par ricochet.
Les auteurs ont dû respecter des balises sinon l’entreprise risquait de basculer dans la confusion.
«Nous avons essayé de combler cette lacune en nous basant sur trois grands principes: faire prédominer les textes sur les institutions ; proposer des lectures critiques; marquer les changements entre les conjonctures qui distinguent chacune des périodes», précisent les signataires de l’étude dans la préface.

Périodes

Cinq grandes périodes découpent ce travail colossal. Les écrits de la Nouvelle-France englobent les XVIe et XVIIe siècles. Les années 1763 à 1895 illustrent l’ancrage dans une réalité qui se modifie après la bataille des plaines d’Abraham et l’instauration du régime parlementaire britannique. Plus que jamais, après la Conquête, la question de l’identité s’impose. Les écrivains sont déchirés entre la volonté de créer une littérature «canadienne» ou se conformer au modèle venant de Paris. Le débat ne sera pas tranché avant la période contemporaine. Il y a la nation qu’il faut défendre contre les influences étrangères; l’histoire nationale qu’il faut écrire pour faire mentir Lord Durham. Comment élaborer une littérature purement «canadienne» sans risquer de «créoliser le français d’ici»? Faut-il coller au langage populaire qui a fait la vigueur du conte ou utiliser une langue parisienne qui risque de couper les écrivains de la population? Tradition ou modernité, régionalisme ou métropole? Ces questions préoccupent les auteurs jusque dans les années 60 où la question du joual éclate autour «Des belles-sœurs» de Michel Tremblay, engendrant des polémiques qui feront le bonheur des médias. Cette quête d’une spécificité «américaine» disparaîtra à partir des années 80 avec l’arrivée d’écrivains immigrants qui font sauter les frontières de l’imaginaire québécois.

Et la nation

La littérature n’est jamais imperméable aux soubresauts politiques qui mobilisent les classes dirigeantes. Certaines thématiques traversent les époques. Jusque dans les années quatre-vingt, la question de la nation ou du pays reste obsédante dans la poésie et le roman. Biron, Dumont et Nardout-Lafarge font aussi quelques incursions du côté du Montréal anglophone pour établir des parallèles et donner un éclairage particulier.
«L’histoire de la littérature québécoise» démontre que certains débats perdurent même si la littérature au Québec est foisonnante et particulièrement diversifiée depuis les années 80. Notre corpus littéraire est vivant et couvre tous les genres bien qu’il soit de plus en plus marginalisé dans les médias, l’enseignement et Internet.
Ce survol de près de 700 pages bien tassées, agrémenté de photographies des principales figures qui marquent chacune des époques, permet au lecteur de franchir les siècles sans s’égarer, de vivre les soubresauts qui mènent à une écriture originale et typique, à l’élaboration d’une pensée marquée par des hésitations, des blocages, des peurs et les diktats de l’Église.
Cette oeuvre, à la fois littéraire, sociologique et politique, est un pur bonheur qui ne se dément jamais. Oui, la littérature n’est jamais gratuite et désincarnée même si certaines oeuvres peuvent sembler « un regard et un jeu dans l’espace » pour faire un clin d’œil à Saint-Denys Garneau. Le travail de Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge devient le roman de l’écrit au Québec.

« Histoire de la littérature québécoise », de Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge est paru chez Boréal Éditeur.

jeudi 13 septembre 2007

Peut-on expliquer l’univers et la vie

Pour Jean Désy, la planète Terre est un immense territoire qui permet à l’homme de se confronter avec la vie, avec la mort aussi, de se retrouver devant soi à la limite de ses possibilités, de ses peurs et de ses angoisses. Les pays doivent servir à se définir, à se trouver par le voyage, l’aventure, la confrontation avec les éléments qui servent de catalyseur et à montrer ce que le vernis de la civilisation a masqué en nous ou refouler au plus profond de notre être. Ce n’est souvent que devant les situations extrêmes que des aspects d’un individu s’expriment.
Dans «Âme, foi et poésie» Jean Désy se questionne, se regarde, interroge l’univers, les textes de réflexions et ces poètes qui rêvent le monde et le sentent peut-être encore plus qu’un scientifique ou un supposé rationaliste. Il est rare aujourd’hui de surprendre un écrivain qui s’attarde aux croyances, qui tente de donner un sens et une explication à l’univers. Un écrivain qui ose utiliser le nom de Dieu et qui parle de foi. Cela semble un peu anachronique mais Jean Désy ne maquille rien, tente dans cet essai de trouver du sens dans une vie qui a de plus en plus de mal à trouver une direction et à s’accrocher à des vérités qui expliquent la terrible aventure de la vie qui s’étire entre la naissance et la mort. Un paradoxe que pas un penseur, pas un savant n’a réussi à expliquer totalement sans qu’il ne subsiste de doutes. L’homme reste un cas, un anachronisme peut-être qui a conscience d’être dans le monde, qui sait qu’il va mourir et qui doit se débrouiller pour faire face à l’absurdité de la vie si on pense qu’elle aura une fin. Le contraire serait peut-être tout autant fou et absurde.

Territoire

Jean Désy, poète, romancier, essayiste, médecin, ne cesse de se mettre en situation de réfléchir. Il aime se fier à ses forces physiques tout autant que psychiques pour découvrir quel être est profondément enfoui en lui, cet être que la civilisation et le monde matérialiste a tendance à étouffer. Il est attiré par les pays de contrastes, les extrêmes, où l’humain a l’obligation de se questionner, de penser chacune de ses sorties parce que la nature ne pardonne pas. La mort est là, devant, à bout de regard. Vivre devient une lutte de tous les jours, une réflexion essentielle.
Jean Désy aime ces territoires nordiques où les horizons se brisent, ces étendues de pierres et de neige où le vent menace de vous emporter. Il aime ces gens qui ont survécu avec peu, se fiant à leur instinct, à leur intelligence, à une intuition unique. Un peuple aussi que la civilisation du Sud menace dans son esprit et dans son corps.
Jean Désy est un poseur de questions, un agitateur de textes. Il fouille les grandes philosophies, s’attarde à Nietzche, Platon, Aristote, garde un amour tendre pour les poètes qui font table rase de connu comme s’ils se retrouvaient au milieu de la toundra et qu’ils devaient inventer une autre façon de faire. Il aime particulièrement Arthur Rimbaud et Saint-Denis-Garneau. Il revient à ces poètes qui touchent l’essentiel.
Bien sûr, Jean Désy n’apporte pas de preuves irréfutables à ces questionnements. Il se bute à des espaces, des pensées qui ramènent à l’existence de Dieu, à la vie qui prend un autre sens si on croit à un au-delà ou une vie après la vie. Les questions se suivent comme un attelage de chiens qui vous entraînent.
L’écrivain demeure un être déchiré entre la civilisation qui en a fait un médecin qui compatit avec les tourments et les souffrances, la pensée qu’il retourne dans tous les sens pour trouver une direction peut-être.
Ce qui reste surtout, c’est la question sans réponse, cette hésitation devant la vie et la mort, la marche de l’humanité qui s’illusionne trop souvent, qui se perd dans des futilités et des amusements. Désy ne trouve pas beaucoup de réponses mais reste fascinant par sa façon d’être et de secouer la vie. Comme si chaque homme et chaque femme avaient la tâche formidable de trouver un sens à leur vie.

«Âme, foi et poésie» de Jean Désy est paru chez XYZ Éditeur.

vendredi 7 septembre 2007

Suzanne Myre a trouvé une bonne recette

Suzanne Myre a fait une entrée remarquée en littérature en plongeant dans des textes mordants, enrobés d'humour, marqués par un cynisme qui malmène ses contemporains. Un ton, un style qui plaît en ces temps où l'humour corrompt tout avec plus ou moins de discernement. Comme si elle avait dépoussiéré l'approche Saïa en tentant de lui donner une patine personnelle et plus raffinée.
Il suffit de soupeser son dossier de presse pour croire que nous avons trouvé l'écrivaine du siècle ou presque. Attiré par cette agitation, je me suis aventuré dans ces textes pour être déçu rapidement. Que ce soit dans «Humains aigres-doux» ou «Nouvelles d'autres mères».
Les commentateurs, il me semble, en ont trop fait avec cette écrivaine. Il arrive que des auteurs soient nettement surévalués par certains médias.
Bien sûr, au début, cette prose parsemée d'humour et d'humeur, un peu baveuse même, plaît. Elle butine sur tout ce qui fait mode et actuel. Des sourires dans les premières phrases mais après quelques pages, on s'impatiente. À la fin, on referme le livre en se demandant ce qui est arrivé.

Recette

Suzanne Myre a trouvé une recette qu'elle étale d'une nouvelle à l'autre. Un personnage revenu de tout, une femme dans la trentaine, un ton et un cynisme qui n'épargne rien. Jeux de mots qui tombent à plat très souvent. Comme si l'auteure faisait le pari de toucher à tout dans une sorte de goinfrerie un peu dérangeante.
«- Ça m'étonne que ta langue accepte de suivre ton cerveau et de dire autant de bêtises. À sa place, je me suiciderais en m'éjectant de ta bouche. Bon, il faudrait que j'ajuste l'appareil à ton poids, ça me prendra quelques minutes.» (p.138)
Comme cela dans toutes les nouvelles, peu importe le personnage qui nous pousse à le suivre. Des dialogues plaqués et gonflés aux hormones!

Le peignoir

Son dernier recueil offre six nouvelles. Le texte principal, «Le peignoir», coiffe le livre. Nous y retrouvons la narratrice qui râle sur la vie, l'amour, la bouffe, les hôtels, ses orgasmes, son chum, les jeunes, ses poils et les femmes mûres qui tentent une cure de jouvence. Un milieu propice à toutes les moqueries. Le propos est sans pitié. Une fois que l'on a saisi la manière Myre, on ne peut que hausser les épaules...
Bien sûr, il y a un certain effort pour donner du poids à ses personnages mais elle ne parvient jamais à les lester vraiment. Des hommes cartes postales et des femmes qui n'ont guère plus d'intérêt.
Madame Myre répète ses figures imposées sans vraiment prendre le risque de plonger dans le mal être de son personnage par crainte, peut-être, de se perdre dans le vide. Même les finales de ses textes, qui tentent de pousser le lecteur dans une dimension plus introspective, tombent comme un pavé dans la mare. Que dire de ce texte loufoque d'une excursion à la campagne qui reprend cliché après cliché. «Le moustique erre» a failli me faire abandonner ma lecture.
«Pour m'éviter d'interminables discussions post-coïtales, je poussais quelques gémissements dans le ton de ceux qui l'ont toujours rassuré sur ma faculté de m'abandonner à lui. L'utilisation de vocalises judicieuses en période de stress, si cela peut éviter la panique et ménager la sensibilité de l'homme, pourquoi pas?» (P. 59)
Voilà une habile technicienne qui lasse rapidement. Il faut plus de poids, plus de senti pour donner à ce genre d'entreprise une aura humaine, dérangeante et un peu déstabilisante. Suzanne Myre se contente de patiner à la surface.
Véritable littérature jetable, écriture qui ne lève à peu près jamais, images et jeux de mots prévisibles. Cette jeune auteure m’a déçu. Plutôt désolant.

«Le peignoir» de Suzanne Myre est paru aux Éditions Marchand de feuilles.

Le Canada et le Québec ont bien changé

La loi 101 a trente ans. Les médias ont souligné cet anniversaire qui faisait du français la langue d’affichage et de travail au Québec. Une étape qui ne s’est pas faite sans heurts. Plus de 200 000 anglophones ont quitté la Belle province après la promulgation de cet arrêt concocté par Camil Laurin. Des témoignages «des enfants de la loi 101», dans le dernier numéro de «L’actualité», montrent que le Québec a changé depuis 1977. Plus de quatre-vingt pour cent des anglophones sont devenus bilingues. Même que Montréal est maintenant une ville multilingue.
Graham Fraser, le Commissaire aux langues officielles du Canada, a publié un essai l’an dernier où il se questionne sur les effets du bilinguisme au Canada et apporte un éclairage intéressant sur la loi 101. Selon lui, cette législation qui devait constituer une étape vers la souveraineté du Québec a été si efficace qu’elle a eu l’effet contraire. Elle a rassuré les francophones et rendu l’indépendance moins nécessaire. Plusieurs témoignages dans «L’actualité» confirment cette thèse.
Pendant ce temps, le bilinguisme a fait des progrès au Canada même s’il a tendance à stagner chez les jeunes depuis quelques années. Mais les choses ont évolué là aussi. Qui peut imaginer maintenant un premier ministre canadien incapable de se débrouiller dans les deux langues officielles? La connaissance du français et de l’anglais est devenue obligatoire pour les politiciens et les ministres à Ottawa. On a vu, récemment, des ministres unilingues rétrogradés dans le gouvernement Harper. Pour le Saguenay, cela a voulu dire la visite de la plupart des leaders politiques des grands partis canadiens. Ils sont venus vivre en français au cégep de Jonquière.

Les référendums

Le commissaire se questionne également sur les réactions du Canada après la tenue des référendums sur la souveraineté du Québec. Particulièrement sur celui de 1996 où le oui a failli coiffer le non. Curieusement, rien n’a été fait pour diminuer les tensions. La réaction du gouvernement Chrétien a été de multiplier les drapeaux, «ces chiffons rouges» selon la formule de Bernard Landry et les commandites.
Graham Fraser se demande pourquoi il n’y a pas plus d’échanges entre les anglophones et les francophones, de traduction des productions littéraires et cinématographiques, d’immersion dans les universités, de voyages et de stages pour abolir les solitudes. Un mur sépare toujours les deux entités linguistiques du Canada malgré une politique de bilinguisme qui a particulièrement angoissé les fonctionnaires anglophones qui ont plus de mal que les francophones à apprendre l’autre langue.
Monsieur Fraser rappelle que la question linguistique est au cœur des débats au Canada depuis les débuts de la colonisation.

Fausse route

Si Pierre Elliott Trudeau pensait régler la question linguistique au Canada par le bilinguisme et le multiculturalisme, il semble bien qu’il a fait fausse route. La question nationale est toujours au cœur des débats politiques au Québec. Depuis trente ans, il y a eu deux référendums sur la souveraineté avec les résultats que l’on connaît. Et des partis politiques à Québec comme à Ottawa prônent l’indépendance du Québec.
Pourtant, une nouvelle approche semble se dessiner avec Stephen Harper à la tête d’un gouvernement minoritaire. Il a compris que pas une formation politique ne peut gouverner le Canada sans l’appui des Québécois. Il a changé la donne en reconnaissant le Québec comme nation, le déficit fiscal et en négociant des ententes avec les gouvernements provinciaux qui montrent plus de souplesse dans l’application du fédéralisme.
Graham Fraser a le grand mérite de s’interroger sur une problématique que peu de politiciens aiment effleurer. Il démontre que rien n’est réglé au Canada malgré l’ouverture de certains.
«Dans sa perception du Québec, le Canada anglais a constamment dix ans de retard sur la réalité : il le voyait encore comme une province empreinte de religiosité pendant que la Révolution tranquille battait son plein et il a réagi à l’élection du Parti québécois comme si celui-ci venait de procéder à un détournement d’avion.» (p.359)
Si la loi 101 a calmé le problème linguistique au Québec, il semble bien que le bilinguisme au Canada a eu des effets assez mitigés.

«Sorry, I don’t speak French» de Graham Fraser est paru aux Éditions du Boréal.