«Je dis souvent à mes élèves en création littéraire
qu’il n’y a pas de véritable acte créateur qui se fasse sans que celui qui le
pose se mette en danger. Il faut, pour entrer dans ce que j’appelle la zone,
accepter de se dépouiller de la pudeur et d’un certain amour-propre — que
d’aucuns nomment orgueil —, être prêt à descendre dans ses propres profondeurs,
là où grouillent toutes les peurs, toutes les laideurs, toutes les faiblesses
et toutes les hontes. Et il faut, pour aller là, du courage.»
(Extrait d’un texte de Marie-Christine Bernard paru dans «Mauvaises
herbes»)
Marie-Christine Bernard ne peut
être plus juste. «Autoportrait au revolver» est ce «danger» qui pousse l’écrivaine
et le lecteur à la limite du supportable. Je me suis senti aspiré par ces fragments
sans liens apparents, ces éléments d’un puzzle qui vous attirent inexorablement
vers la folie, les agressions et la souffrance. Une entreprise qui fait penser aux
atomes qui tournent impitoyablement autour d’un noyau pour s’en rapprocher inévitablement.
June et Ringo jouent dans un
groupe qui parcourt le Québec de Sept-Îles à Matagami. Ils rêvent d’enregistrer
un disque à Nashville. La petite Nathalie, fille du duo, suit le groupe, reste parfois
dans un foyer d’accueil où elle est agressée sexuellement et battue.
June disparaît. Comme ça, en
claquant des doigts. Personne ne peut la retracer. Ringo ne s’en remettra
jamais, hanté par ce moment qui a fait basculer sa vie. Nathalie est encore une
fillette quand elle accouche de Jude. Elle a essayé toutes les drogues et offert
son corps au premier venu. La jeune femme finira par se suicider. Jude, le
fils, la découvre baignant dans son sang. Une vision cauchemardesque.
Schizophrène, il survit en peignant la musique de Jean-Sébastien Bach et Monsieur
Vivaldi parfois.
La vie
Il y a aussi Angélique, une
obèse avalée par la galaxie de son corps toujours en expansion. Elle est
proposée aux bénéficiaires dans un centre pour personnes âgées, des hommes et
des femmes abandonnés, confus, amnésiques, trahis par la vie.
«Les vieux, ça sent le vieux.
Mon grand-père, il sent le vieux. Il sent la pisse et les médicaments, la
sueur, et un peu le caca. Puis il y a toujours cet effluve de peau fanée,
quasiment agréable.» (p.49)
Angélique croit vivre l’amour
avec Keith, un infirmier. Elle découvre un sadique qui la viole, la bat et la
mutile. Heureusement, Jude et Angélique se trouvent avec l’aide de Joseph, un
Indien qui a cru tout perdre dans un juvénat et qui a peut-être tout gagné.
Tous les vivants glissent
implacablement vers le trou noir de la mort.
«La nature donne, la nature
prend. Le loup n’est pas cruel : il fait son office de loup. Le chevreuil
va et vient sans penser au loup, sans s’inquiéter de son inévitable destin de
proie. C’est ainsi que cela doit être puisque c’est ainsi que cela est.» (p.48)
Mondes
Marie-Christine Bernard nous pousse
au-delà du bien et du mal, de la souffrance et du bonheur. Des gens vivent, disparaissent
ou survivent. Une réalité incontournable. Elles sont loin les romances que l’on
voit à la télévision et au cinéma. Des textes crus, à donner froid dans le dos.
Tous, le lecteur inclus, se retrouveront dans une chambre, prisonnier de son
corps et de sa tête, à attendre un dernier souffle qui surgira peut-être avec
l’aube. Tous réduits à l’état d’objet qu’une fille obèse lave tous les matins
pour gagner sa vie et oublier son propre effondrement.
«La lumière ne trouve pas
toujours les craques par où entrer. C’est toujours les veines. Quand on
vieillit, elles se racornissent et plus rien n’y passe, ou presque. On voit
leur saillie bleue qui court sur les bras, comme des tunnels désaffectés. La
musique qu’on portait en soi n’existe plus qu’en ritournelle ténue, mots sans
suite, airs sans mélodie que l’on fredonne pour soi, et qui ne font plus danser
que la mort dans sa patience.» (p.115)
Marie-Christine Bernard nous
force à faire ce voyage au bout de soi. Certains refuseront de l’accompagner
dans l’autobus de la vie. Nous avons tellement l’habitude des fausses vérités
et des mensonges en haute définition. Un roman âpre, grinçant et sans
compromis. Dérangeant, révoltant et bouleversant, mais une écriture qui vous
happe. Une vérité qui tord l’esprit et le corps. De quoi avaler de travers
pendant un bon moment.
«Autoportrait au revolver» de Marie-Christine Bernard
est paru aux Éditions Hurtubise.