Nombre total de pages vues

mardi 2 septembre 2025

POUR SALUER VICTOR-LÉVY BEAULIEU

J’AI EU L’HONNEUR d’être présent à l’hommage que tout le Québec a rendu à Victor-Lévy Beaulieu, le samedi 30 août, à Trois-Pistoles. La grande église, qui se donne des allures de cathédrale, était bondée pour les circonstances. J’étais parmi la quarantaine d’artistes, de comédiens et comédiennes, de proches et d’intimes qui ont lu des extraits des livres de Victor ou encore chanté et joué de la musique. J’étais là en tant qu’ami (Je le connaissais depuis 1970) et l’un des écrivains qu’il a publiés aux Éditions du Jour, aux Éditions VLB et enfin aux Éditions Trois-Pistoles. Ce fut deux heures de grâce, des instants comme nous en vivons peu dans la vie. Un moment précieux et unique. Je vous transmets le texte que j’ai fait «s’envoler» dans le chœur de la magnifique église qui était devenu le lieu de tous les possibles et de tous les miracles pour Victor-Lévy Beaulieu.   

 

«1970. Une voix que je n’oublierai jamais au téléphone. 

— Ici, Victor-Lévy Beaulieu des Éditions du Jour. Je vous appelle pour votre manuscrit. Nous l’acceptons.

Silence.

— Monsieur Beaulieu… Je n’ai jamais envoyé de manuscrit aux Éditions du Jour. 

— Vous êtes Yvon Paré… Vous êtes l’auteur de “L’octobre des Indiens”. Nous publierons votre manuscrit.»

— Très bien, merci…

C’est comme ça que je suis devenu écrivain.

J’ai su après que Gilbert Langevin, qui avait emprunté mon manuscrit, l’avait déposé aux Éditions du Jour sans m’en parler.

Et je me suis retrouvé quelques jours plus tard dans le bureau de Victor, rue Saint-Denis, pour signer mon contrat.

Raoul Duguay était à mes côtés pour son nouveau livre «Lapokalipso». J’étais prêt à signer n’importe quoi. Le poète et chanteur s’est mis à discuter les articles, s’attardant à une virgule, un point, une obligation ou une omission. 

La lecture du contrat a duré… longtemps.

Là, j’ai découvert l’immense bienveillance de Victor-Lévy Beaulieu avec les écrivains, leurs manies ou leurs obsessions. Il avait répondu à Duguay en souriant, rallumant sa pipe qui s’éteignait à chacune de ses objections. Il était comme ça avec ses auteurs. Patient, aidant, allant jusqu’à réécrire les contes d’Yves Thériault qu’il a publié chez VLB Éditeur. Des contes écrits rapidement pour la radio par Thériault. 

Et cette fois au Salon du livre de Montréal? J’étais là pour mon roman «La mort d’Alexandre». Le poète Denis Vanier arrive et se met à protester. Ses livres ne sont pas à la bonne place. Il hurle et saccage le stand. Victor-Lévy le calme et ramasse les livres lentement. 

— Ça va attirer les lecteurs, m’a-t-il soufflé en repoussant son chapeau.

Il aimait les écrivains, les poqués, les originaux, les migrants qui venaient des régions comme lui. Il m’a répété souvent qu’il espérait que je serais assez fou pour écrire toute ma vie sur mon village de La Doré, au Lac-Saint-Jean. 

Et bien, je l’ai écouté.

Il n’aimait pas visiter les amis, mais aimait recevoir. Je passais chez lui presque tous les étés, même s’il ne répondait jamais aux appels téléphoniques ou aux courriels. Des nuits, Danielle et moi, à l’écouter parler de ses écrivains, d’anecdotes, de lectures et de textes oubliés. Des personnages qui s’échappaient de son téléroman «L’Héritage» pour venir le hanter et camper sur sa galerie. 

Victor et sa fabuleuse mémoire. 

Je pense à nos tournées dans sa grande Cadillac «aux ailerons lumineux» sur les lieux de tournage de «L’héritage» ou de «Bouscotte». J’avais l’impression d’accompagner un seigneur qui descendait parmi ses sujets. C’est ce qu’était mon ami Victor, un seigneur parmi les écrivains, la mémoire du Québec et la passion de dire «ce pays qui n’est toujours pas un pays», selon sa belle trouvaille.

Allez, bonne route, mon ami! Que Dieu te blesse, comme chante Richard Desjardins.»



Aucun commentaire:

Publier un commentaire