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vendredi 16 octobre 2020

LA FAMEUSE QUESTION DU QUÉBEC

L’AVENIR DU QUÉBEC, qu’on le veuille ou non, demeure un sujet d’actualité même après l’échec de deux référendums sur la souveraineté en 1980 et 1995. Et comment oublier la débandade du Parti québécois aux élections de 2018 qui a vu la Coalition avenir Québec s’installer au pouvoir? Comme l’écrit Alexandre Poulin dans Un désir d’achèvement, ce scrutin a brisé l’alternance entre un parti fédéraliste et souverainiste au Québec. Voilà la réflexion d’un jeune homme qui appartient à une génération que l’on dit ailleurs, lasse de ces confrontations et qui rêve le monde. Il aborde un sujet que peu de gens osent secouer (surtout pas dans les médias) à l’heure du téléphone intelligent et de cette pandémie qui fait des Québécois les champions du virus.


Alexandre Poulin est né en 1993. Il avait deux ans lors du deuxième référendum perdu par les nationalistes par quelques milliers de voix. Un moment crucial dans l’histoire du Québec, certainement, qui a fait croire à de nombreux commentateurs de la scène politique que la démarche vers l’indépendance du Québec venait de disparaître et que cette question n’intéressait plus personne. «Les vieilles chicanes» a-t-on souvent entendu du côté d’Ottawa, particulièrement dans les propos de Justin Trudeau. Pourtant, tout le monde en conviendra, on n’enterre pas une idée comme ça avec un extrait du discours un peu maladroit de Jacques Parizeau en 1995, après la défaite du oui. Sondage après sondage, la souveraineté du Québec retient l’attention d’au moins 30 pour cent de la population. Mort et oublié le pays? Je ne pense pas et il ne faut pas prendre sa fatigue intellectuelle personnelle pour la réalité. L’essai d’Alexandre Poulin apporte une belle bouffée de fraîcheur.

 

J’ai décidé d’écrire ce livre pour aller à la rencontre du Québec, de son identité et de son histoire. Avant que je m’intéresse à ce sujet, je n’aurais jamais pu deviner l’ampleur des difficultés à être au Québec. (p.12)

 

L’auteur a vingt-sept ans. Ce diplômé en sciences politiques de l’Université du Québec à Montréal tente de comprendre son Québec qu’il connaît mal parce que pendant ses études, un parcours académique tout à fait normal, personne ne l’a familiarisé avec le passé des francophones en Amérique depuis 1760. 

Quand on s’arrête aux faits, à la démarche du peuple québécois, tous admettent que le Québec aurait dû faire son indépendance. Le vent de libération et les décisions prises pendant la courte Révolution tranquille menaient à la question des deux référendums. 

La longue course débute en 1760, la période tragique avec la révolte des Patriotes en 1837-1838. Cette autre défaite militaire coupait les francophones du pouvoir politique et économique. Il en a résulté un repliement sur soi, une survivance axée sur la langue française et les croyances religieuses. Le clergé tire alors toutes les ficelles et choisit les dirigeants qui se montrent favorables à leur emprise. Tout éclate à la mort de Maurice Duplessis, avec l’élection de Jean Lesage. Cette poussée revendicatrice à partir des années 60, les échecs de 1980 et 1995 peuvent-ils étouffer l’idée de l’avènement d’un pays?

 

Le tournant de 1995 est trop souvent perçu comme le moment à partir duquel la société québécoise s’est enlisée dans une démission permanente. Il signifie bien davantage : il donne le coup d’envoi à une période de redéfinition de la nation au cours de laquelle son empreinte culturelle a été rayée d’un trait de plume par maints intellectuels. (p.24)

 

Alexandre Poulin a grandi en Beauce et son éveil à la réalité du Québec s’est fait pendant ses études universitaires. Une situation que nombre de jeunes vivent et qui me semble inquiétante. Comment un système d’éducation peut-il nous couper de ce que nous sommes en ignorant les étapes de notre résistance et de notre survie? On peut dire la même chose à propos de la littérature québécoise qui est si peu présente dans nos institutions d’enseignement et qui reste largement méconnue et marginale.

 

BASCULE

 

L’élection du gouvernement de Jean Lesage devait mener à la nationalisation de l’électricité et laissait prévoir une affirmation complète et totale. Cette appropriation de la ressource hydraulique est certainement le plus beau geste d’émancipation de la Révolution tranquille. Impossible aussi d’oublier l’éducation et la santé qui ont connu une mutation en quelques années. Un poids pour certains économistes et une manière de se différencier avec l’assurance maladie et des parcours académiques qui nous caractérisent.

Alexandre Poulin s’attarde aux valses du Parti québécois et la tenue des référendums, l’échec de l’accord du lac Meech, les tergiversations autour des conditions gagnantes, le bon gouvernement, le retour au provincialisme de Jean Charest et de Philippe Couillard. Plus, l’arrivée de la Coalition avenir Québec et de Québec solidaire modifie la situation et fracture la grande coalition qu’avait réussie René Lévesque avec le Parti québécois en 1976. 

Alexandre Poulin cherche à comprendre les hésitations du peuple francophone du Québec, ses revendications, ses résistances, les ripostes, le vocable québécois qui remplace peu à peu l’appellation Canadiens français que certains voudraient voir ressurgir pour se donner une nouvelle virginité dans un Canada où les francophones ont toujours eu du mal à se sentir à l’aise. Cette décision aussi de François Legault, un ancien indépendantiste convaincu, de tourner le dos à la naissance du Québec comme pays peut sembler étrange. 

 

Le Canada et le Québec forment deux communautés politiques qui se sont construites de façon parallèle. La Révolution tranquille a contribué à affermir la communauté politique québécoise sans l’avoir pleinement constituée d’un point de vue politique. Si le Québec comme communauté politique était une nation, le projet de souveraineté devait concorder avec l’édification d’un État-nation. (p.32)

 

Le jeune essayiste se tourne vers la pensée de Fernand Dumont, Marcel Rioux, Pierre Vadeboncoeur, Gérard Bouchard, Lionel Groulx pour comprendre et suivre le parcours de ce Québec qui n’arrive jamais à progresser en ligne droite. 

 

DÉMARCHE

 

Lecture passionnante et nécessaire qui permet de survoler la démarche d’un Québec qui n’arrive jamais à tirer les conclusions qui s’imposent malgré l’évidence. Jacques Beauchemin a bien décrit cette «étrange certitude» qui habite le peuple francophone d’Amérique dans Une démission tranquille. Les Québécois sont là pour l’éternité, semble-t-il, et rien ne peut entamer leur avenir. Cette survie «envers et contre tous» est difficile à comprendre quand on s’attarde à certains signes inquiétants. La poussée de l’anglais à Montréal qui devient de plus en plus une ville bilingue, par exemple. J’aime surtout quand Poulin questionne la démarche de François Legault et montre que cette pensée n’est guère originale face au gouvernement canadien. 

 

La nouvelle posture de Legault est celle du «Québec d’abord», par opposition au «Québec seulement» du Parti québécois et au «Canada d’abord» du Parti libéral. Le rassemblement des Québécois doit donc s’opérer autour de leur nationalité et non plus autour de leur ancien projet : l’obtention d’une citoyenneté politique. Le politique et le national sont maintenant dissociés. La transition entre la nation politique et la nation culturelle étant consommée dans la pensée de François Legault, il reste à voir comment, du haut de l’histoire, il tentera de réaliser le souhait d’Étienne Parent de conserver la nationalité par l’entreprise de l’industrie. (p.129)

 

Poulin s’attarde également à la fiction d’Alexandre Soublière : La maison mère. Une lecture qui m’a fait voir le travail de cet écrivain d’un autre angle, ce qui n’est jamais une mauvaise chose. Soublière prône un retour au Canada français, à la famille et au village dans un contexte catastrophique et anarchique. La marche vers le passé ne se fait jamais. On avance, même en claudiquant ou en rampant.

Et certainement qu’il faut un regard clair et net sur sa situation pour en arriver à prendre les décisions qui s’imposent. Nous nous démarquons non seulement par les courbes de la COVID-19 où nous sommes les champions du Canada, mais aussi avec nos téléromans, notre fascination maladive pour les États-Unis, un humour qui masque notre mal être.

 

Y a-t-il une société au monde où l’humour occupe une place aussi prépondérante que dans la nôtre? Société du spectacle, ère du vide, temps de l’Homo festivus : la sociologie contemporaine offre des explications intéressantes. En vérité, nous craignons l’installation du silence et la réflexion qui en constitue l’étape suivante. (p.181)

 

Essai rafraîchissant pour le vieux rêveur que je suis devenu et qui voit le mur qui masque le pays à venir de plus en plus haut. La relève est là et le regard d’Alexandre Poulin m’a fait du bien. Le jeune homme pose des questions importantes et montre bien les illusions et les duperies, les fausses promesses et les retours en arrière qui nous caractérise. Toutes les contradictions des Québécois surgissent dans cet essai avec les manœuvres pour éviter de secouer la seule décision, celle à laquelle nous avons répondu non à deux reprises. Une réflexion nécessaire, une pensée revigorante, une conclusion qui semble tellement évidente malgré tous les dénis et les pirouettes, les chemins de traverse que nous ne cessons d’inventer pour fuir une question politique incontournable quand on imagine le futur.

 

POULIN ALEXANDREUn désir d’achèvementÉDITIONS du BORÉAL, 200 pages, 22,95 $.

 

https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/desir-achevement-2744.html

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