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mercredi 10 septembre 2014

Une formidable façon d’entrer en littérature

Le frère Marie-Victorin affirmait : « On ne possède pas un territoire qu’on n’a pas nommé. On ne connaît pas un territoire dont on ne connaît pas le nom ». Le Québec demeure un espace à dire par le roman, la poésie, l’essai ou le carnet. La Tuque est l’un de ces territoires où la littérature se fait discrète. Bien sûr, Félix Leclerc nous a présenté son pays et Louis Caron a sillonné le secteur de la Mauricie dans plusieurs romans. Quel auteur vit dans cette ville ? J’ai cherché. Francine Brunet, dans Le nain, nous entraîne dans cette agglomération située au cœur de la forêt, l’un des plus beaux lieux du Québec.

Il ne faut pas s’attendre à une description détaillée de la ville. Le secteur est évoqué, le moulin qui veille sur la ville de 15 000 habitants, recouvre tout de sa fumée et de son odeur. C’est une papetière après tout. Un espace, des personnages qui fascinent. Francine Brunet m’a accroché par son monde et son écriture. Il a suffi de quelques phrases et je savais que j’irais jusqu’au bout.

Edmond n’avait pas atterri dans le bon corps. En plus, on avait oublié de l’envoyer à l’école. Une chance qu’il avait conçu tout seul un code qu’il inscrivait dans un cahier à trois trous avec une couverture jaune. Ses notations étaient numérotées de 1 à 9, les seuls chiffres qu’il avait jugé nécessaire de connaître. (p.9)

Un ton, une galerie de personnages gravite autour d’Edmond que tous nomment le nain. Tante Nini se traîne par terre, ses jambes ne la portent plus à cause de la polio. Ti-Bi son cousin, un déficient léger est passionné par la musique, tante Marion se perd dans la fumée de ses cigarettes. Elle fume, fait des lavages et repasse des vêtements toute la journée. Que dire de Towing et Trois Gallons, la belle policière qui fait tourner les têtes et de Fernande Pouliot, cette infirmière qui sait tout… Il y a aussi Éva la mère d’Edmond avec son œil malade. Une sorte de pirate.
La Tuque, je disais, un pays de forêt, de montagnes. La rivière Saint-Maurice, l’une des plus belles du Québec.

L’air était froid maintenant. L’automne régnait et les couleurs des feuillus explosaient entre les conifères. Une saison parallèle s’édifiait à même cette nature : la chasse à l’orignal. Alice avait aperçu ses premiers panaches couronner le toit ou le capot des véhicules. Elle avait assisté à différentes parades de véhicules tout-terrain, ce qu’on appelait des VTT, et avait vu s’ériger la tente du Festival du Bûcheron. Les magasins de la rue Commerciale avaient déguisé leur devanture en forêt de contreplaqués. L’ambiance était festive, joyeuse. (p.62)

Et nous voilà dans une histoire étrange. Edmond collectionne tout ce qu’il trouve, surtout des clous. Il pratique le troc. Autrement dit, il échange des objets pour d’autres. Sa passion pour les trains miniatures l’obsède et il ne cesse de se procurer de nouveaux wagons pour allonger son réseau ferroviaire qui va finir par envahir toute la maison. Une façon de partir, de s’évader du quotidien peut-être.
Il faut autre chose pourtant pour faire un roman. Je n’avais pas prévu ça. J’étais en plein roman policier. Trop tard pour reculer, j’étais accroché. Je ne fréquente pas tellement le genre voyez vous, mais je ne pouvais plus abandonner le nain que Trois Gallons surveillait en imaginant les pires sévices. Les fausses pistes se multiplient. J’étais devenu un chien fou qui va partout en tentant de savoir ce qui était vraiment arrivé. J’en ai un peu honte maintenant.

Monde ordinaire

La population de La Tuque vaque à ses occupations. Les policiers patrouillent, la belle Alice, la jeune médecin légiste, arrivée pour un stage, cause un certain remous sur son passage. Même Edmond n’est pas indifférent. Pas de quoi impressionner Fernande Pouliot, l’infirmière qui pourrait en remontrer aux plus grands spécialistes.
Un accident de la route, un véritable carnage, la découverte d’une certaine quantité de drogues dans l’auto de Gérard Doucet, un citoyen au-dessus de tout soupçon. La Sûreté du Québec mène une opération partout en province pour démanteler un réseau de trafiquants. Nous avons l’habitude depuis quelques années. Trois Gallons, le frère du policier Harold Michaud est la victime toute désignée. Il rêvait de porter la veste de cuir des motards et a découvert très tôt qu’il aimait faire souffrir les gens. L’enquête traîne, le verglas fige tout le pays et peut-être aussi les cerveaux. On s’en souvient. Une étrange anémie frappe plusieurs jeunes. Qu’est-ce qui se passe ?
Des moments très beaux, tendres même, une poésie toute simple m’a retenu. On dirait ces relais le long de la route où nous pouvons nous arrêter pour respirer, regarder, être bien dans tout son corps.

Edmond éteignit la télé et se rendit à la fenêtre. La neige avait cessé d’imiter les lignes d’un cahier. Elle tombait debout en chancelant. Il supposa que la vie comme la neige ne passait pas en ligne droite. Elle ne venait pas de l’arrière et n’allait pas de l’avant. La vie descendait, même en tournant en rond, et disparaissait. Il se décolla de la vitre, fit sa ronde de pompier et se coucha. (p.93)

Tante Nini en a assez de vivre sur le plancher. On peut parler de suicide assisté. Ti-Bi déménage et délaisse son cousin. Il n’en a plus que pour son nouveau piano. Edmond est retrouvé mort dans le bain, vêtu d’un gros manteau de fourrure. Qui a tué le nain ? Trois Gallons ? Il est le coupable désigné. Et que racontent ces fameux cahiers à trois trous que l’on a trouvés chez le nain ? Des messages codés, une liste de transactions douteuses. Nous voilà à chercher partout, dans des histoires d’amour, des vengeances, des dépendances, des obsessions qui sont le lot de tout le monde.

Souffle

J’ai lu ce roman d’un souffle, me perdant volontiers dans les méandres d’une histoire qui semble tourner en rond et que l’écrivaine prend plaisir à pousser dans toutes les directions. Je suis redevenu un adolescent qui découvre des personnages et s’enfarge dans une intrigue qui ne cesse de s’embrouiller. C’est un art que de raconter une histoire, de faire vivre des marginaux qui restent crédibles. Francine Brunet réussit de manière étonnante. Une fin qui vous surprend et que l’on aurait pu deviner. Les indices sont là, dissimulés un peu partout comme les traces d’un orignal dans la forêt. J’aurais fait un bien mauvais enquêteur. Le coupable n’est pas le coupable. Un peut tout le monde est peut-être responsable de cette mort étrange. Une belle manière de parler de La Tuque et de la faire entrer en littérature. Que demander de plus ? Une histoire solide, des personnages fascinants, une écriture tout près de l’oralité, particulièrement efficace et qui trouve des accents poétiques qui sont de véritables petits bonheurs.

Le nain de Francine Brunet est paru aux Éditions Stanké. 
http://www.editions-stanke.com/francine-brunet/auteur/brun1101

vendredi 5 septembre 2014

La poésie peut-elle encore sauver le monde ?

La Terre a des nausées, souillée par l’inconscience et la cupidité des humains. Désertification, fonte des glaciers, hausse prévisible des eaux, tornades de plus en plus fréquentes et violentes. La mort annoncée de la planète est palpable comme les premiers symptômes d’un cancer du poumon. Les puissants sourient devant les cris et les protestations des affamés. Les massacres se multiplient ? La bande de Gaza et l’Ukraine sont à feu et à sang et le virus Ebola frappe comme la peste au Moyen-âge. Ne reste-t-il qu’à chanter sa désespérance devant un monde qui semble avoir de moins en moins d’avenir. Jean Charlebois, dans Au même moment, se fait particulièrement percutant.

Jean Charlebois écrit de la poésie pour son bonheur et sa désespérance, travaille aussi comme rédacteur pour différentes entreprises. Il faut bien assurer sa survie. Il en est ainsi pour ceux et celles qui fréquentent les mots et font des livres que de moins en moins de lecteurs fréquentent. À se demander si un jour nous ne replongerons pas dans une grande noirceur où les œuvres littéraires ne seront connues que par quelques ermites ou esthètes.
Les escapades du poète comme rédacteur lui ont donné une conscience particulière de l’état de la planète et des mutations qui risquent de bousculer la vie dans les années à venir. La Terre a toujours été vivante, changeante, mais les activités humaines depuis un siècle accélèrent tout. Suffisamment pour que tout bascule ?

Le présent n’en a plus pour très longtemps, car, déjà, il pèse sur nous de toutes ses urgences et nous presse de nous aimer plus, avant la fin du monde. Rien de moins. Le présent, rien qu’à le voir, n’est plus éternel. Il suffit d’ouvrir les yeux ! Le modèle a fait son temps. Certains diront même qu’il a déjà tout donné. (p.13)

Que faire devant un tel désastre ? Que dire devant un avenir qui ratatine ? Nous avons toujours imaginé une existence sans heurts, sans bousculades et des civilisations qui traversent toutes les époques. Nous avons toujours voulu que le temps fige dans une forme d’éternité. L’histoire nous apprend pourtant que tout est éphémère. Les grandes civilisations ont connu leur apogée et un déclin avant de disparaître. Tous les indices montrent que l’Occident cherche son souffle et n’arrive plus à redonner un élan. Le matérialisme à tout prix a atteint ses limites. Particulièrement aux États-Unis d’Amérique. Ce pays est en faillite et il continue de dicter une conduite au monde. Il faut lire la fresque de Marie-Claire Blais, celle qui débute avec Soifs, pour prendre conscience de cette décadence.

Ressource

Que faire quand les mots deviennent notre seule ressource ? Jean Charlebois se préoccupe des changements climatiques et ne peut demeurer insensible devant les égarements de notre civilisation. Il transmet sa peur et sa désespérance dans des échappées poétiques où il tente de retenir l’attention de la femme qui le magnétise et l’interpelle. L’amoureuse à qui il s’accroche comme à un continent qui ne cesse de se dérober. Une complainte hallucinante où la vie s’impose dans une sorte de frénésie. L’amour, après tout, est ce qui permet la vie. L’amour permet la transmission de l’héritage et assure l’avenir. Aimer pour que tout recommence et peut-être changer le passé en s’inventant un futur.
 
Puis tout à coup beaucoup plus loin en arrivant vite    toi tes hanches neige    tes yeux de renarde argentée    ta vaste vivacité qui m’ouvre grandes les pupilles    ton clafoutis    tes crèmes pour le corps    tes mots repères    tes orteils de diable    ton riche écho et    comme une intervention sans anesthésie    tes mains dans ma tête pour reconstruire mes yeux    sur la terre comme au ciel (p.100)

Une prière pour cultiver l’espoir, garder une petite flamme qui permet de voir autour de soi et en soi. Espérance, mais aussi conscience des bêtises et des obsessions humaines ; conscience de l’aveuglement de ses semblables qui ne peuvent renoncer à leur égoïsme pour penser autrement, envisager le maintenant de tous les humains et leur avenir. Voilà que je pense à Stephen Harper en écrivant ces phrases…

Mes semblables ont besoin d’eau, de nourriture, de médicaments, de vêtements pour vivre. Pour vivre sans avoir l’air morts. La Terre est un site touristique prisé des riches. Les non-riches sont des bactéries en forme de bâtonnets, parasites des riches, qui leur servent à ouvrir des portes, à verser des scotchs ou à frotter de rutilantes voitures noires. (p.37)

Ne sommes-nous qu’une conscience à la dérive ? Des aveugles dans la nuit qui s’inventent des fables pour calmer leur peur et leur angoisse ? Ne sommes-nous capables que de mensonges dans cette grande course à la destruction ? Et s’il y avait autre chose, si ce que nous voyons n’était pas ce qui existe. Le poète attise l’espoir, calme sa peur, veut croire en la réalité du jour.

— Se pourrait-il qu’il y ait une espèce de vie parallèle à la vie qui nous pend au bout du nez ? Parallèle à la vie que nous avons connue. Et est-ce que cette vie-là s’amuse à brouiller nos pensées de toutes sortes de folies pour simplement observer, voir, expérimenter ? (p.39)

Comment être certain que nous ne sommes pas qu'un mirage, une lueur dans un ciel sans lune ?

L’amour

La vie ne peut s’ancrer que dans un présent tronqué où il faut aimer, trouver une certaine présence dans les yeux de la femme, celle qui porte la vie, celle qui nous renvoie notre désir et notre amour.
La poésie de Charlebois est particulièrement inquiétante et délirante. Elle bouscule, ébranle et parvient à attirer l’attention de l’amoureuse. Il s’abandonne à des mains aimantes qui peuvent le réinventer. Un chant désespéré, mais combien vivifiant ! Jean Charlebois nous propulse dans la fragilité des mots et du langage, un espace où il est possible de respirer dans les yeux des autres[1]. L’avenir ne peut se cacher que dans les soupirs de l’amoureuse, l’élan qui pousse hors de soi et ramène à soi. Ce poète connaît le sens premier de la poésie qui est d’interroger le réel, la vie, de sonner l’alarme. Moi qui ne fréquente guère les poètes de maintenant, parce qu’ils s’amusent à construire des maisons inhabitables au milieu des déserts, je me suis surpris à lire ces poèmes à haute voix, à vouloir être là plus que jamais pour toute la beauté qui nous entoure et que nous ne savons que souiller. Comment s’arracher à cette tornade qui ne s’arrêtera que dans la terrible collision du présent et de l’avenir ? Les poèmes de Jean Charlebois sont des bouées au milieu du grand fleuve Saint-Laurent qui nous préviennent que le récif est là, devant, et que nous risquons de nous échouer si nous ne donnons pas un coup de barre. Une poésie comme il ne s’en fait plus.

Au même moment de Jean Charlebois est paru chez Les heures bleues. 21,95 $.


[1] Allusion au recueil de poésie de Carol Lebel intitulé : Difficile de respirer dans les yeux des autres.

mardi 26 août 2014

Sylvie Nicolas : peut-on récupérer son passé


Sylvie Nicolas, dans Les variations Burroughs, prend le temps de scruter son passé, de s’attarder aux membres de sa famille qu’elle aime et qui ont marqué son enfance. Il y a le frère, celui qui a eu la mauvaise idée de mourir, creusant un gouffre qui ne sera jamais comblé. Et un autre, qui s’est avancé dans la mort et qu’elle a peut-être ramené avec ses phrases. Voici des pages étonnantes où l’auteure cherche à comprendre ce qu’elle est devenue et peut-être aussi comment elle s’aventurera dans l’avenir.

J’achève d’écrire ces pages qui tentent de retracer le trajet des sous-sols familiaux à aujourd’hui. Tu n’y trouveras pas de réponse, pas non plus de continuité, car je suis issue d’une suite de variations qui, comme les vagues des hautes mers gaspésiennes, s’entre-choquent et recrachent des fragments tapis dans leurs profondeurs. (p.167)

Une famille. Qu’est-ce qui lie les frères et la soeur, qu’est-ce qui peut les séparer et en faire des étrangers ? Voilà les questions de Sylvie Nicolas dans ce texte touchant et singulièrement bien écrit. L’enfance, tous les possibles, la cohabitation avec des garçons, ceux qui partagent ses jours, la bousculent, retiennent son attention et parfois la font rager. Tout pourrait se prolonger comme ça longtemps, du moins on veut le croire. La vie étire ses tentacules et fait en sorte que tout bascule, l’avenir que l’on croyait certain s’évanouit. Un frère disparaît, laisse un terrible vide, une vie qui aurait dû s’épanouir et que l’auteure n’a jamais su oublier. L’écriture parvient à faire des nœuds dans le temps, à revenir dans les sentiers de son passé, à corriger des parcours peut-être pour s’attarder à des moments qui permettent de comprendre et de retrouver son souffle.
Un frère, un autre, a failli lui échapper. Des jours dans le coma, dans un hôpital où rien de bon n’arrive sinon le pire. Elle l’a accompagné en noircissant des pages, obstinément, passionnément, fébrilement. Sa vie et celle de son frère s’accrochent à ces mots qui devenaient des fils sur la page. L’écriture peut faire abdiquer la mort parfois, lui tenir tête, la faire reculer. L’écriture permet de tout recommencer et de panser de terribles blessures. Du moins, nous aimerions le croire, nous voudrions que ce soit ainsi.

Les découvertes

Et ces moments qui changent tout, comme si en ouvrant une porte, on pouvait basculer dans un autre monde.
Le jeune frère revient un matin avec une boîte qu’il a ramassée sur le trottoir. Elle est pleine de livres. Voilà qu’elle découvre des morceaux de monde. Les écrits peuvent tout. Il faudrait expliquer ça au ministre Yves Bolduc. Un livre peut transformer une vie, marquer un enfant et lui ouvrir le monde. Un livre est la nourriture de l’âme et de l’esprit.

La boîte était lourde et, c’était vrai, tu avais vraiment trouvé ce qui allait faire basculer ma vie : Hugo, Shakespeare, Rimbaud, Maupassant, Lamartine, Saint-Denys Garneau, des anthologies, des livres d’histoire de la littérature, des recueils de poésie et des textes de théâtre. Petit chevalier d’épouvante sans épée, sans lance et sans monture, tu venais d’ouvrir par le centre le ventre d’un fabuleux dragon et d’en exposer le noyau fébrile qui n’allait plus cesser de s’agiter : ce désir insatiable de saisir ce qui remue en soi, dans le monde, et entre soi et le monde. (p.59-60)

Des hommes et des femmes qui n’acceptaient pas que la vie les agenouille. Ils voulaient être autrement. Des humains étranges comme ce Williams Burroughs qui a tué sa compagne un soir de beuverie. Des vies exemplaires ou des vies qui étourdissent ? Des hommes obsédés par le réel et qui veulent tout avaler. Des vivants qui décident un jour qu’ils vont s’inventer des chemins que personne n’a vus auparavant. La littérature permet ça et encore plus. Elle bouscule, défait les horizons et permet de voir l’ailleurs, l’autrement.

Retour

Écrire pour guérir peut-être de ces deuils qui tordent le corps et l’esprit, empêchent de respirer et de croire à l’avenir. Il n’y a pas d’autres façons de faire. Il faut revivre ces moments, croire aux vagues qui lavent le rocher, se retirent en laissant une douleur qui revient encore et efface tout. Sans fin.

Quand la mort se tient tout près, certains mots, certains gestes, se vident de leur sens. Le temps s’enroule sur lui-même, le cœur ne reconnaît plus ses propres battements, la pensée s’égare dans le moindre bruissement des choses. (p.33)

Il faut des mots qui subjuguent, des phrases qui font exister. L’amour se présente et il est peut-être possible de parler le langage de l’aimé. Et tout bascule encore, se défait. Il reste une vie en mal de vie, une existence comme une incertitude, un souffle qui dérobe tous les instants. Il y a cet amant, ce complice que le matin emporte. Il s’éloigne à grands pas pour respirer autrement auprès d’une autre personne. La perte de l’amour, ce soi blessé, ce soi qui n’arrive plus à croire à la gravité de l’existence.
Oui, on peut mourir tout en voyant les gens courir devant soi. Il faut encore une fois revenir sur ses traces, défaire le parcours, deviner ce qui a fait ce qui est. Il faut toujours chercher. Parce que la vie n’est rien d’autre et qu’il est peut-être illusoire de penser la posséder, la saisir dans la plus folle des étreintes. Que reste-t-il d’un amour ?

Je repense au lendemain de notre première nuit alors que tu enfilais tes bas. J’avais lu quelque part qu’Einstein ne portait pas de chaussettes dans ses souliers et je te l’ai mentionné. Assis au bord du lit, tu t’es lentement retourné pour m’embrasser avant de retirer tes chaussettes. Pieds nus dans tes chaussures, tu as levé les bras, l’air triomphant, et nous avons rigolé comme des gamins. (p.77)

L’écriture peut tout changer. C’est peut-être s’inventer un grand filet qui racle tous les moments de l’enfance. Pourra-t-elle ramener ces disparus ? Qu’est-ce que l’écriture masque en tentant de tout dire ?
Sylvie Nicolas nous offre un récit qui oscille entre le présent et le passé, met le doigt sur les douleurs pour empêcher le corps et l’âme de sombrer. Une fidélité, un attachement pour ses frères, un homme qui s’est éloigné en emportant son désir, sa manière de voir le jour, son sourire et sa confiance.
Un plaisir de lecture, un hommage à des écrivains qui ont changé leur vie, sa propre existence. Les mots ont tant de pouvoir. Un texte juste et fascinant. J’ai eu l’impression de me pencher sur les pas de cette écrivaine en respirant profondément même si c’est souvent douloureux. Un hymne à la vie dont elle témoigne de la plus  belle des façons.

Les variations Burroughs de Sylvie Nicolas est paru chez Druide Éditeur, 19,95 $.

mercredi 13 août 2014

Michael Delisle se met au monde par l’écriture

MICHAËL DELISLE a été amputé des mots à sa naissance, de ces mots d’amour qui permettent à l’enfant de faire confiance au monde et de grandir. Il lui fallait combler cette absence pour s’avancer dans l’âge adulte. Il s’est tourné vers l’écriture alors. Écrire pour briser un silence qui nie l’existence, écrire pour sentir la caresse, un regard, un sourire, être là, vivant, entier.

Un père mafieux qui connaît l’illumination et devient un obsédé du Christ ; une mère dépressive qui, un jour, part chercher sa vie ailleurs. Le feu de mon père de Michael Delisle est un véritable coup de poing. Il y a plus cependant dans ce récit terrifiant. Parlons d’une quête qui permet de respirer, de s’avancer dans la vie en marchant au-dessus des précipices.

Une phrase pour débarrer la porte. Je cherche, je ne trouve pas. Mon dépit ressemble à une déréliction : je me sens abandonné par la littérature, comme un toxicomane l’est par Dieu. On dirait que personne ne veut me donner le la pour avancer dans la suite de morceaux qui m’attend. (p.9)

Il faut nécessairement passer par les mots pour repenser sa vie, s’inventer dans un texte, combler ces trous dans la mémoire. L’écrivain cosigne sa naissance par la poésie pour évoquer Bruno Roy. Dire pour être, secouer le passé peut-être pour mieux le voir, se donner une voix pour s’empêcher de mourir dans le plus terrible des silences. Toujours cette enfance obsédante, marquante qui ne cesse de refaire surface. Pas un écrivain n’en réchappe.

Au fil des ans, j’ai fini par me fabriquer une version zéro : ma mère, dont la grande beauté à l’adolescence lui avait permis d’espérer mieux que mon frère et moi comme avenir, a appelé une gardienne pour aller montrer au monde son allure de star dans un bar-motel du boulevard Taschereau. Mon père est rentré plus tôt que prévu, étonné de trouver une gardienne. Quand ma mère est rentrée pompette, mon père l’a visée avec une arme de chasse en la sommant de lui dire avec qui elle avait couché. Devant le fusil armé, elle est allée me chercher pour servir de bouclier. J’ai pleuré un an et quand j’ai cessé de  pleurer, tout est rentré dans l’ordre. C’est comme ça que l’ordre a commencé : avec mon silence. (p.15)

Un fils dont la mère ne voulait pas. Elle a cherché à s’en débarrasser en se jetant dans les escaliers pour provoquer une fausse-couche. Elle tentera même de l’étrangler après sa naissance, de l’étouffer dans son lit. Il survivra à tout, s’accroche à cette mère, ne veut jamais s’en éloigner quand il est jeune garçon pour connaître une deuxième naissance peut-être, attirer un regard qui lui donne une identité, provoquer un mot qui se change en caresse, inventer un court moment de complicité où deux êtres se reconnaissent.

Être adulte

Michael Delisle sera toujours en quête d’amour, de reconnaissance et d’attention. Il écrira de la poésie pour respirer, rencontrera des femmes qui le marqueront, l’aideront à se redresser : Louise Desjardins et Lise Tremblay. Et comment ne pas chercher un père chez les autres hommes, ce père qui n’était jamais là, qui ne les regardait même pas. Il faut recoudre ce qui a été déchiré, retrouver le fil pour dire sa vie, tenir les deux bouts de son existence.

Comme poète, je profite à revivre ces silences mornes. Contrairement à cette idée qui veut que l’artiste se forme à l’expression, ma condition est davantage liée au silence qui m’a été imposé. C’est de n’avoir pas eu le droit de parler qui a fait de moi un écrivain. (p.19)

Le poète se forge une existence en rompant le silence comme on rompt le pain. Il devient un survivant dans ses textes, ces mots réinventés pour s’empêcher de glisser dans le silence, l’absence.
Un récit d’une totale franchise qui parviendra peut-être à contrer le désordre dans la tête et le corps de cet écrivain unique. Savoir que l’on n’a pas été désiré, aimé par ses parents est peut-être la pire des calamités. Toute sa vie, il cherchera à réinventer ce qui n’a pas eu lieu, à dire en plongeant dans le texte sans parachute.
Un récit bouleversant, prodigieusement humain, touchant, implacable. Un texte qui hante, d’une prodigieuse intelligence, d’une humanité qui vous laisse pantois.

Le feu de mon père de Michael Delisle est paru aux Éditions du Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/feu-mon-pere-2379.html

lundi 14 juillet 2014

François Ouellet s’attarde à Ferron et VLB

ILS SONT RARES LES lecteurs qui savent aller au-delà de l’histoire et des personnages d’un écrivain. François Ouellet est l’un de ces curieux à qui rien n’échappe. Il prend le temps de s’attarder dans l’œuvre d’un écrivain, arrive à dévoiler le pourquoi d’une démarche, le questionnement qui le fait aller d’une publication à l’autre. La tâche était immense avec Jacques Ferron et Victor-Lévy Beaulieu. On connaît la fresque quasi inextricable de son œuvre immense. François Ouellet s’aventure dans cette jungle en s’accrochant à un fil qui révèle le questionnement de l’auteur des Trois-Pistoles et l’un de ses modèles, Jacques Ferron.
  
Les écrivains, qu’ils le veuillent ou non, sont tributaires de ceux qui les précèdent. Ils prennent le relais en quelque sorte et participent à une seule et immense œuvre qui se nomme littérature. Jacques Ferron éclaire le travail de Victor-Lévy Beaulieu, en est la source dans une certaine mesure. L’un ne saurait être sans l’autre. Une écriture soudée par une thématique, une obsession je dirais qui permet de comprendre les deux écrivains.
Ferron était préoccupé par la question nationale et l’avenir du Québec, ce pays incertain qui n’arrive toujours pas à s’affirmer comme nation. Et ce malgré des partis politiques qui mettent la souveraineté au cœur de leur programme depuis près de cinquante ans. De quoi désespérer pour un François Ouellet qui ressent une énorme fatigue, celle de Jacques Ferron, devant les hésitations des Québécois de plus en plus imprévisibles, prêts à toutes les dérives. Les dernières élections sont assez représentatives de ce grand naufrage collectif qui semble nous guetter.

Quant à moi, je veux bien, s’il le faut, en continuant à lire Ferron, tenir le pari de la posture mélancolique. Après tout, comme l’écrit Victor-Lévy Beaulieu dans son livre sur Ferron : « Mais on ne sort de la fatigue que par une plus grande fatigue encore. Et c’est de cette nouvelle fatigue-là que je vais survivre, ne méritant pas mieux de toute façon » (DF : 48). Sortir de la fatigue, ce sera inévitablement opérer un retour à Ferron. (p.17)

François Ouellet, dans une préface admirable, démontre bien la lassitude, la fatigue peut-être qui fait désespérer les intellectuels du Québec, explique aussi leur silence.

Le pays

La question nationale est au cœur de l’œuvre de Ferron et s’impose particulièrement dans Le ciel de Québec, un roman qui a connu un succès mitigé à sa parution et que Victor-Lévy Beaulieu considère comme une œuvre de la plus haute instance. La grande œuvre québécoise.
La question que François Ouellet répète tout au long de son essai : comment être écrivain dans un pays qui refuse de devenir un pays ? Comment être un écrivain national dans une nation qui n’existe pas ? Ferron n’a cessé de jongler avec cette question qui a fini par le museler.
L’auteur de La charrette invente une formule intéressante. Pour que le pays existe, il faut que le père guide le fils et l’aide à devenir père à son tour. L’écrivain a besoin d’un père qui lui permet d’écrire et de devenir écrivain. Mais pour que ce soit possible, il faut vivre dans un pays normal qui fait entendre sa voix parmi les nations.
Si le pays n’existe pas ou refuse de faire son indépendance, la question ne tient plus. Il faudrait alors symboliquement que le fils prenne la place du père pour s’affirmer et que le père devienne le fils. Ça peut paraître un peu tordu à première vue, mais cela se tient.
Simplement, Ferron tout comme Beaulieu affirment que pour être écrivain, un homme, il faut être père, devenir un guide qui transmet une tradition ou une manière de vivre et de faire au fils. Si le père refuse d’être père, quelle vie peut envisager le fils ?

Dans la dynamique du complexe paternel ferronien, l’écrivain reprend les choses en main à partir de son père et se rend jusqu’au-delà de son fils, à qui il trace la voie d’un dépassement plus grand que celui qu’il aurait lui-même effectué par rapport à son père. C’est ainsi que le politique englobe le personnel, en parachève le sens et inscrit le devenir dans une forme d’espérance. (p.45)

Une question essentielle chez Ferron qui désespère après Octobre 1970 et surtout après l’échec du référendum de 1980 où le Québec refuse d’accéder à l’indépendance. Il est condamné en quelque sorte à demeurer un écrivain mineur à cause de ce pays qui ne veut pas être un pays. Affirmation que contestera Victor-Lévy Beaulieu. Autrement dit, Beaulieu cherche un père chez Ferron, un titre que réfutera l’auteur des Confitures de coings même s’il reconnaît le talent de Beaulieu.

La question

François Ouellet suit ce fil conducteur qui permet de comprendre l’œuvre de l’écrivain des Trois-Pistoles. Il s’attarde à ses premières parutions, surtout à Monsieur Melville qui permet à l’écrivain d’atteindre un sommet. Beaulieu a besoin de pères en littérature et devant le refus de Ferron, cherchera du côté d’autres écrivains qui deviendront ses modèles et des guides. Il y aura Victor Hugo, Jack Kerouac, Herman Melville, Jacques Ferron et surtout James Joyce par qui Beaulieu parviendra à exprimer la quintessence de sa pensée et de son œuvre, à être le grand écrivain national qu’il a toujours voulu être.
En fréquentant les grands écrivains, Beaulieu parvient à leur niveau et surtout, peut-être, arrive à les dépasser. James Joyce lui permettra d’atteindre une plénitude, une maturité et une force inégalée. Plus le père est immense, plus le fils a des chances de s’élever. James Joyce a tout pour fasciner Beaulieu. L’auteur de Gens de Dublin et d’Ulysse est né dans un pays qui a bien des similitudes avec le Québec. L’Irlande a été conquise par les Britanniques tout comme le Québec et elle lutte pour son indépendance sans parvenir à ses fins. James Joyce créera le pays par une écriture singulière, unique. Il le forcera à exister parce qu’il le pousse dans de grandes œuvres littéraires. Démarche que Victor-Lévy Beaulieu fera sienne.
Pour arriver à être le grand écrivain national, il faut que le fils prenne la place du père et que le père s’efface. Ce qui se produira dans le James Joyce, le Québec et les mots. Le père meurt et Abel devient père par une sorte de transsubstantiation qui demeure inexplicable pour qui n’est pas conscient de cette démarche.

Nouveau regard

Lecture éblouissante que celle de François Ouellet, sentie, forte et convaincante. Un travail colossal qui m’a donné un nouvel éclairage sur l’œuvre de Beaulieu et Ferron. Je lis Victor-Lévy Beaulieu depuis ses débuts. Pourtant, François Ouellet m’a donné l’impression d’avoir souvent mal compris cet écrivain que j’apprécie au plus haut point.
Surtout, son essai a provoqué un retour sur les ouvrages que j’ai publiés à partir des années 70. Victor-Lévy Beaulieu amorçait sa carrière en même temps que moi et a été mon premier éditeur. La question nationale était au cœur de l’Octobre des Indiens et elle s’est imposée dans les ouvrages qui ont suivi. La question du père qui devra céder la place à la fille constitue la trame de mon roman Le violoneux. L’affirmation de soi et du pays s’impose dans toutes mes publications. Une grande pulsion dont j’étais conscient sans pour autant m’y être trop attardé. L’ouvrage de François Ouellet m’a donné des outils pour mieux comprendre ma démarche d’écrivain. Et surtout, il m’a donné la motivation de retrouver Presquil, ce projet de roman écrit en 1984 que j’ai délaissé pour aller dans toutes les directions. Ce roman gigantesque (le premier jet fait plus de 1600 pages) aborde la question nationale, l’échec du référendum de 1980, l’amnésie d’une société qui n’arrive pas à s’affirmer. Presquil est la synthèse de cette impuissance. Le personnage n’est plus tout à fait un je et de plus en plus un il. Et Victor-Lévy Beaulieu devient le modèle, le père pour ce personnage d’écrivain qui n’arrive pas à écrire dans le pays improbable, à se donner une mémoire.
François Ouellet présente ici un ouvrage essentiel, passionnant, important pour quiconque s’intéresse à la littérature du Québec et aux deux grands écrivains que sont Jacques Ferron et Victor-Lévy Beaulieu. À lire absolument.

Grandeurs et misères de l’écrivain national, Victor-Lévy Beaulieu et Jacques Ferron de François Ouellet est paru aux Éditions Nota Bene, 33,95 $.

vendredi 13 juin 2014

Claudine Bourbonnais décrit son Amérique

MÉTIS-SUR-MER OCCUPE une place importante dans ma vie. D’abord parce que ma compagne Danielle est née tout près à Saint-Octave-de-Métis et aussi parce que je ne rate jamais une occasion de m’y attarder. Les grands jardins d’Elsie Reford sont un véritable paradis. Et Métis Beach comme on disait autrefois, ce lieu où les riches anglophones venaient s’installer pour l’été, reste fascinant. Des maisons immenses et magnifiques au bord du fleuve, des jardins qui suggèrent la paix et le bonheur. Une enclave unique, un lieu qui illustre bien la situation politique du Québec à une certaine époque.

Tout commence à Métis Beach dans le roman de Claudine Bourbonnais. Les riches anglophones débarquent quand viennent les beaux jours et s’installent dans des domaines où les francophones agissent comme main d’oeuvre. Ils sont serviteurs, hommes à tout faire ou cuisinière ou femmes de chambre. Les jeunes nantis circulent dans de luxueuses voitures, jouent au tennis, s’étourdissent devant des jeunes francophones ébahis. Certains parlent français, établissent des contacts avec les locaux tandis que d’autres méprisent ces Québécois justes bons à servir.
Romain Carrier accompagne son père quand il fait des réparations sur certaines propriétés, prend vite conscience des différences sociales. Cela ne l’empêche pas d’être attiré par Gail, une jeune fille qui réussira à l’apprivoiser. Ce sera le début d’événements qui transformeront sa vie.

L’Amérique

Métis Beach est un microcosme de cette Amérique où l’argent fait foi de tout, où le racisme, l’ostracisme et le fanatisme ne sont jamais loin. Romain en tournant autour de Gail, la fille d’un anglophone raciste et particulièrement violent, franchit une sorte d’interdit. Il y a aussi les sœurs Feldman qui lui feront connaître un monde différent. Dana écrit et Ethel peint.
Métis Beach n’est pourtant qu’une introduction à l’Amérique. Claudine Bourbonnais nous entraîne aux États-Unis pour le meilleur et le pire. Le jeune Romain se retrouve à New York à peine sorti de l’adolescence. Dana le prend sous son aile, lui permet d’étudier et d’échapper à l’indigence. Il croise Moïse, un rêveur, un contestataire qui veut devenir un second Jack Kerouac. Voilà l’Amérique des cinquante dernières années. La guerre du Vietnam, les jeunes qui manifestent et refusent de participer à cette tuerie, la fuite de certains vers le Canada, les artistes qui s’engagent, le mouvement des hippies qui viendra de Californie. Tout un portrait d’une génération qui refuse la violence et la guerre. Tout comme Romain qui se familiarise avec le féminisme et la lutte des femmes avec Dana. Elle prône l’égalité et la libération du joug patriarcal, publie un essai féministe qui causera beaucoup de remous : The Next War. Ce sera une révolution pour le jeune homme qui a fui un village traditionnel et catholique.
 
Portrait

L’Amérique des contrastes, des extravagances. La droite religieuse qui s’oppose à l’avortement et aux droits des femmes, conteste une série télévisée écrite par Romain Carrier devenu Roman Carr. Il affronte des fanatiques pro-vie qui assassineront sa compagne. C’est les États-Unis de Georges Bush qui déclare la guerre à l’Irak après la chute des tours du World Trade Center et la mort de milliers de personnes. Le pays semble pris de frénésie.
Roman Carr se souvient des opposants à la guerre du Viet Nam, des contestataires qui ont fui au Canada. Il proteste et écrit dans le New Yorker. Son passage à une émission de télévision se transforme en un véritable lynchage. Après tout cela, il choisit de revenir à Métis-sur-Mer pour raconter son histoire.
Une image des États-Unis qui fait frémir. Le plus puissant des empires du monde est ébranlé par des fanatiques religieux qui n’hésitent pas à tuer pour défendre des idées indéfendables. Une société où le dialogue et la discussion ne sont plus possibles. Le passage de Roman à cette émission de télévision pour débattre de ses idées est troublant. On ne discute plus dans les médias, on fouille la vie des invités, on exécute à froid devant une foule hystérique. La pensée, la réflexion ne sont plus au rendez-vous. On condamne, on lynche sur la place publique. À faire frémir.
Un roman qui vous secoue, vous blesse, vous enthousiasme et vous fait passer par toutes les gammes de l’émotion. Une Amérique qui ne réussit plus à combattre ses démons, le racisme et le fanatisme religieux, une société qui oublie ses valeurs démocratiques pour imposer ses vues les plus conservatrices et les plus rétrogrades. Terriblement dérangeant et inquiétant.
À lire lentement, en prenant son temps même si l’écriture de madame Bourbonnais vous emporte, à Métis-sur-Mer ou encore sur une plage dans le Maine ou en Gaspésie. Et pourquoi pas au lac Saint-Jean, sur le sable du parc de Pointe-Taillon ? Une révélation que ce premier roman de Claudine Bourbonnais.

Métis Beach de Claudine Bourbonnais est paru aux Éditions du Boréal, 29,95 $.

Quelques citations :

Les moments passés ici avec Dana et sa sœur Ethel ! Dana, penchée sur sa Underwood, ses doigts courant sur les touches, pendant qu’Ethel à son chevalet appliquait à la truelle sur de grands canevas les couleurs qu’elle préparait dans de vieilles boîtes de conserve Heinz. Les sœurs Feldman en création, et la maison respirait le joyeux désordre. (pp.54-55)
« Vos rêves se limitent à un mari et à une belle maison pleine d’enfants, équipée de beaux appareils électroménagers modernes, un mode de vie qui vous comblera affectivement et matériellement. Faut-il voir dans cette nouvelle richesse de l’Amérique un piège pour les femmes ? Les femmes sont-elles les victimes du capitalisme triomphant de l’après-guerre ? » (Des commentateurs outrés la taxeraient de « dangereuse communiste » pour avoir osé écrire cela.) (p.148)
C’est ce qu’ils disent, Dick ! Mais ça n’arrivera que lorsque l’humanité sera lavée de ses péchés. En attendant, ils se donnent la mission de nettoyer cette planète de tout ce qui les rebute : les libéraux, les laïcs, les féministes, les homosexuels. Bref, tous ceux qui ne sont pas eux et ne pensent pas comme eux. Alors, ils investissent le pouvoir, les tribunaux, les écoles : réintroduire la prière dans les classes, faire de la théorie de Darwin une hérésie, éradiquer l’homosexualité, enlever aux femmes le droit à l’avortement. Ces gens-là, Dick, veulent nous faire reculer de vingt ans, supprimer les droits pour lesquels nous avons lutté dans les années soixante, ces années que tu détestes tant mais qui ont quand même fait avancer le monde ! (p.348)