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dimanche 21 août 2011

Jennifer Tremblay surprend dans ce récit

«Le carrousel» de Jennifer Tremblay surprend d’abord par la forme, l’écriture minimale qui se maquille en poème. L’auteure qualifie cette façon de faire de récit théâtral. Les dialogues se croisent, s’amalgament et la parole devient une sorte d’écho à ses propres questions. 
«Marie.
  Où es-tu Marie.
  Marie je te parle.
  J’exige que tu me répondes.
  Oui ma petite fille.
  Je suis là.
  Ma petite-fille.» (p.11)
Voilà ! Une femme part rejoindre sa mère mourante. Elle monte dans son auto et son esprit fait des bonds, tourne sur lui-même comme dans un carrousel. C’est toujours ainsi quand on se retrouve face à soi-même, sur une route qui traverse tout un continent presque.
«Je saute dans la voiture.
  Direction nord-est.
  Je suis la route qui longe le fleuve.
  Les aurores boréales.
  Les étoiles filantes.
  Ma mère habite loin.
  Je suis les courbes.
  Le camion devant.
  Le camion derrière.
  Il va m’emboutir.
  M’emporter.
  D’où viennent ces camions.
  Pourquoi ne me laissent-ils pas passer.
  La lueur aveuglante des phares.
  Il n’y a rien de facile dans ce pays.
  Il faut s’arracher les yeux.
  S’arracher le cœur.
  Pour traverser ce pays il faut s’arracher le cœur.» (p. 19)
Pendant le long parcours, elle s’adresse à sa grand-mère décédée, retrouve des scènes de sa vie, des moments qui l’ont marquée. Peu à peu le passé remonte à la surface.

Une vie

Le lecteur voit surgir des personnages importants, marquants pour la jeune femme et l’enfant qu’elle a été. La grand-mère bien sûr et la mère qui a passé son enfance au couvent avec les religieuses. Les femmes de la famille s’imposent, l’étourdissent, reprennent sans cesse une scène pour la préciser. La saga familiale se précise non sans douleur et sans peine. Un père absent qui fascine.
«Suis moi ma fille.
  Je gambade derrière lui.
  Il pousse la porte vitrée de l’hôtel.
  Une femme fanée en jupette noire nettoie les tables.
  L’odeur âcre de la fumée dissipée et de la bière évaporée.
  Une odeur de fête terminée.
  Une odeur de fête qui va commencer.
  Les miroirs sur les quatre murs.
  On dirait que nous sommes cent.
  Le pianiste pianote.
  C’est mon oncle.
  Le chanteur chantonne.
  C’est mon oncle aussi.
  Charles s’assoit à la batterie.
  Ils sont heureux tous les trois.
  Ils vont me faire un spectacle.
  Ma chanson préférée.
  Une chanson de Joe Dassin.» (p.46)
Femmes dominées et trompées, hommes peu fiables et inquiétants avec les jeunes filles. Tout y est.

Exploit

Jennifer Tremblay réussit à esquisser l’histoire d’une famille en quelques lignes.
«Combien de fois ai-je traversé ce pays.
   Franchi ce fleuve.
   Combien de fois.
   La splendeur d’une baleine apparaissant au soleil couchant.
   La joie d’apercevoir un béluga.
   Un renard.
   Un oiseau de proie.
   Je suis née ici.
   Au pays des cadavres d’orignaux sur les toits des voitures.
   Au pays de la neige.
   Sale.
   D’octobre jusqu’à mai.
   Marie.
   Je suis tombée.
   Cela m’a tuée.» (p.63)
On reconnaît le pays du Saguenay à la hauteur de Tadoussac. Troublant et surtout difficile de ne pas s’étourdir sur ces dialogues pour mieux comprendre. Jennifer Tremblay prouve qu’il faut peu de mots pour évoquer un univers, des personnages qui demeurent longtemps dans votre esprit. Un récit qui échappe au temps pour dire l’essentiel, ce qui marque un enfant. Ce que l’adulte plus tard tente d’ignorer. Et faites l’expérience de lire ces textes à haute voix. C’est fascinant.

« Le carrousel » de Jennifer Tremblay est paru aux Éditions de La Bagnole.
http://www.leseditionsdelabagnole.com/0_1_artistes/jtremblay.php

lundi 15 août 2011

Guy Lalancette vit la mort de sa soeur


Un accident de la route a emporté la sœur de l’écrivain Guy Lalancette. C’était l’hiver, la nuit peut-être, un vendredi qui mettait fin à une semaine folle de gestes et de préoccupations. Et, il y a eu la sonnerie du téléphone, une voix. 
«C’est à distance que le  bruit est arrivé jusqu’à moi. Le bruit obsédant du téléphone, ce vendredi soir de janvier, à l’heure de la vaisselle.»  (p.18)
La sœur, la complice qui avait partagé ses secrets, ses lubies et ses mondes imaginaires venait de succomber. Il n’y avait plus de mots, il n’y avait plus de phrases.
«Ta mort ne se raccommode pas. Je ne sais pas comment rapiécer ce manque que j’ai, cette absence bruyante qui tombe dans mes nuits surtout et réveille ton souvenir.»  (p.28)
Les rires, les jours heureux, les peurs et les craintes reviennent dans une vague. Tout ce vécu qui se bouscule.
«La mort, ça fait du bruit en tombant. C’est toujours un accident. Quand la mort tombe sur un plancher de bois, il y a tout l’écho que ça fait. Le bruit s’étend aux alentours, se heurte au lit des planches, s’incruste, marque et fend. L’éclat d’une cassure.» (p.17)

Cauchemar

Les frères et les sœurs s’amènent de partout et figent autour du cercueil pour se rassurer, pour être certain de ne pas vivre une hallucination.
«Elle est là, dans un grand cercueil rouge, verni, lustré, lumineux, habillé de coussins et de parements qui lui font un grand nuage ouvert sur une mort vive. On l’a couchée presque vivante dans sa blouse jaune à fleurs blanches, sa préférée, ses mains jointes sur le ventre d’un bonheur tranquille comme si l’on voulait la faire sourire encore un peu.» (p.1
L’écrivain, le frère dévasté, tente de se guérir par les mots. La mort fait les manchettes des journaux et de la télévision. Une itinérante est retrouvée gelée dans une ruelle de Montréal, une jeune fille se pend dans le garage familial après une rupture amoureuse, un homme tue sa femme et ses enfants avant de rater son suicide. Toutes ces morts en écho à sa propre fin qui viendra bien un jour, sur la pointe des pieds ou dans un grand fracas.
«J’entends déjà le bourdonnement que fait ma propre mort comme un ventre habité. Une grossesse dévorante qui se nourrit aux murmures de chaque heure, de chaque journée, prenant aux battements du cœur tous les instants échappés.» (p.65)
La tragédie familiale s’amalgame à ces décès qui marquent les jours, témoignent des folies, de l’indifférence et de la haine qui aveugle partout.
Un sujet difficile, une écriture un peu rugueuse pour témoigner de ce grand bouleversement qui brûle l’être. Un court récit senti et particulièrement émouvant.

«Le bruit que fait la mort en tombant» de Guy Lalancette est paru chez, VLB Éditeur.

William S. Messier explore le quotidien


Que voilà des récits étonnants et séduisants! William S. Messier, dans «Townships, récits d'origine» nous entraîne dans les Cantons-de-l’Est pour y faire des découvertes étonnantes.
Le narrateur s’égare dans un puzzle inextricable de chemins et de routes. Une manière de surprendre des villages discrets, des hommes et des femmes qui vivent en marge du monde.
 «Sainte-Cécile-de-Milton doit être la ville la moins bien définie des Cantons-de-l’Est. Le genre de village qu’on traverse d’une limite à l’autre avant d’avoir fini de prononcer le nom au complet. Comme Saint-Cyrille-de-Wendover ou n’importe quel autre Saint-Quelque-chose-de-Quelque-chose-d’autre ; des noms de villages qui ne deviendront jamais des noms de grandes métropoles.» (p.12)
Il suffit pourtant de s’arrêter à un relais et l’étrangeté s’approche le sourire aux lèvres. Dans «Cantine 12, Sainte-Cécile-de-Milton», le narrateur fige devant des serveuses siamoises.
«Puis, je les ai vues passer de l’autre côté du comptoir, toujours collées. Les deux sont allées à la cafetière. Une a ramassé une tasse sur l’étagère, l’autre y a versé du café. Et les deux avaient la main dans la même poche du tablier de celle qui versait le café – je ne sais plus si c’était Lina ou Diane. Une des deux a remarqué  que je les fixais.» (p.14)
Elles sont soudées par le petit doigt et semblent s’accommoder parfaitement de leur situation.

Art

Le merveilleux accompagne souvent les gens qui vivent simplement et qui n’apparaissent jamais aux nouvelles télévisées. Le fabuleux se niche là où on ne l’attend jamais.
«Il avait une bosse en dessous du bras qu’il cachait avec une espèce de linceul. C’était le fœtus semi-vivant de son frère jumeau François-Claude Bouchard. Il lui mettait toujours un linceul ou une nappe ou un foulard ou une napkin ou un drap ou quelque chose, parce que sa peau était très sensible au soleil. Il le nourrissait avec du beurre de pinottes qu’il ramassait autour de son pouce. Quand tu voyais Charles-Arthur Bouchard se promener avec une main en dessous du linceul, dans l’aisselle, accotée sur la bosse, tu pouvais être certain qu’il y avait au bout de cette main-là une bouche de fœtus semi-vivant qui se tétait un snack.» (p.70)
Des souvenirs d’enfance, des découvertes, des initiations à l’amour, des pertes aussi quand il se souvient du jour où il a appris la mort de Gerry Boulet. Une belle flânerie qui permet d’écouter une émission de radio en parcourant un rang d’un bout à l’autre ou encore un match de hockey qui ressemble à un combat extrême.
Des surprises qui se cachent dans la vie de tous les jours et surtout une écriture qui frappe à grands coups de marteau. Un écrivain attentif aux gens, sensible à la géographie qui forge peut-être les individus. Un humour incomparable. 

«Townships, récits d’origine» de William S. Messier est paru aux Éditions Marchand de feuilles.

http://www.marchanddefeuilles.com/marchanddefeuilles_038.htm

Alain Olivier ou le voyage intérieur

Vingt ans plus tard, Alain Olivier retourne au Mali, dans un pays qui l’avait séduit à l’époque. Pourquoi partir au bout du monde? Ces questions surgissent quand vient le temps de faire ses valises.
«Lorsqu’on part en voyage, on porte toujours en soi le secret espoir de réinventer sa vie. Personne n’y échappe, pas même le plus choyé des hommes. Même comblé- avec à ses côtés la plus ravissante des compagnes, un fils adorable, entouré d’amis fidèles, menant une carrière exaltante-, qui n’en vient pas certains jours à rêver d’une nouvelle existence?» (p.11)
Se réinventer pour devenir un autre. Il semble que ce soit la plus folle des utopies, mais il est difficile de ne pas y croire.
«On continue pourtant de se bercer de l’illusion que le voyage, inévitablement, nous transformera. Qu’il n’en restera pas que des photographies sur du papier glacé, ni mëme des souvenirs inscrits dans la mémoire, mais que ce qu’on y aura vécu sera gravé, buriné dans notre chair.» (p.11)
Il faut pour cela quitter son confort et aller vers l’autre. Le voyageur attentif se heurte à des différences et des croyances qui changent selon les lieux et les espaces.

Retour

Laissant sa famille, son fils avec qui il a fait un périple au Vietnam, Alain Olivier entreprend un pèlerinage aux sources, histoire de jauger où il en est. Il se rendra vite compte que tout bouge et que rien ne peut être pareil.
«Je détourne la tête, complètement désemparé. Je viens de réaliser soudainement que cet homme est mon miroir. Je voudrais retrouver la passion qui m’a tant fait aimer ce pays et j’attends, assoupi, qu’elle renaisse. Or, il y a des gens qui vivent là. Juste à côté. Tout près de moi. Comment se fait-il qu’ils me paraissent si loin. Qu’ils me semblent hors d’atteinte ? Qu’ils demeurent hors de moi. N’est-ce pas pourtant sur le continent africain que j’ai commencé, à vingt ans, à ne plus me sentir totalement étranger aux autres- et à moi-même?» (p18)
Le voyageur se laisse prendre par le rythme de ce pays enchanteur. Il s’attarde auprès des gens qui luttent tous les jours pour avoir un peu d’eau dans les campagnes. Des hommes et des femmes l’accueillent. Il prend un repas avec eux, écoute, sourit et écoute encore. Et le plus important: un arbre dans la savane, des rires, des moments uniques où la communication fait vibrer l’être et peut-être l’âme aussi.

Retour

Il reviendra pourtant, il faut toujours revenir. Il retrouvera sa compagne, ce fils à qui il s’adresse tout au long du récit. Celui qui rentre est toujours un peu différent et semblable. La vie, qu’on le veuille ou non, transforme le voyageur.
«Car le voyage, immanquablement, bouscule le voyageur. Il y découvre sa véritable identité et donc, forcément, ce qu’il y a de plus singulier en lui, son individualité propre, mais aussi le banal, le commun, c’est-à-dire son humanité et, par delà, celle de ses semblables. Et c’est ainsi que le voyage nous prépare à cet instant à la fois unique et universel où nous devrons tout laisser, de façon irrémédiable, derrière nous.» (p.316)
Voilà une belle occasion de réfléchir sur l’accueil, l’amitié et l’amour. Un plaisir que de suivre ce voyageur attentif qui prend le temps d’écouter, de regarder et de réfléchir. C’est l’art même de l’exploration intérieure.

«Voyage au Mali sans chameau» d’Alain Olivier est paru aux Éditions XYZ.

http://www.editionsxyz.com/auteur/98.html

dimanche 14 août 2011

Jean Désy est un écrivain nécessaire

«Vivre ne suffit pas» de Jean Désy regroupe des textes choisis par André Bresson, Yves Laroche et André Trottier. Des écrits qui regroupent l’essentiel de l’écrivain, font part de ses questionnements, ses hésitations et aussi sa manière de répondre et d’être solidaire de ses frères et de ses sœurs les humains. «Toute l’œuvre de Jean Désy, pétrie d’un amour exigeant pour l’univers et l’humain, est un mouvement dialectique entre des forces moins contraires que complémentaires, un va-et-vient nécessaire, difficile, fécond, entre la science et la spiritualité, entre la solitude et le commerce des humains, entre la méditation et l’action, entre la ville et la nature, entre le Nord et le Sud, entre l’Orient et l’Occident, entre la lecture et l’écriture, entre vivre et créer», affirme Yves Laroche dans sa courte préface.
On ne saurait mieux présenter ce médecin, poète, romancier, essayiste, aventurier, enseignant et philosophe. En fait, Jean Désy est un humaniste qui jongle avec des questions qui hantent l’humanité depuis la nuit des temps.

Quête

La démarche de Désy peut étonner dans une époque où la pensée et la réflexion ont du mal à trouver une place. Les femmes et les hommes sont aspirés par les distractions et les gadgets qui se multiplient. Télévision omniprésente et musique qui vous suit partout dans les magasins et les places publiques. Cellulaires, IPod, Black Berry font de la solitude une abstraction. Que dire de la course effrénée vers la consommation ?
Jean Désy, au contraire, cherche le silence, les grands espaces du Nord où il a l’impression de s’approcher d’une force qui l’aspire et le dépasse, où la nature permet aux êtres humains d’échapper à leur médiocrité et à puiser au plus profond d’eux-mêmes.
«Que la souffrance soit le lot de l’humanité en marche, soit ! Mais que l’absurdité retire toute valeur à la souffrance, et conduise à tous les suicides, je dis non, je veux dire non, je souhaite me révolter, je me révolte, bien que cela me demande une puissante énergie qui doit quotidiennement être renouvelée.» (p.11)
Trouver un certain apaisement peut-être, tenir une certitude que les poètes et les penseurs pourchassent en risquant le tout pour le tout.
«Je crois en la vie après la mort, mais avec la mort dans l’âme de n’avoir aucune explication logique ou cohérente à fournir, devant faire face au néant présenté par toute une pensée moderne, par tant de philosophes, par certains grands amis aussi, eux qui, au fond, vivent l’existentialisme agnostique de la manière la plus vraie, manière de vivre que je partage au quotidien, je le sais, mais que je rejette, au fond de moi, pour d’irrationnelles raisons.» (p.25)

Les voyants

Ces inventeurs de langage, ces illuminés que sont Saint-Denys Garneau ou Arthur Rimbaud. Des philosophes aussi qui tentent de voir loin, au-delà de la réalité qui nous cerne et nous étouffe souvent.
«J’ai à tout moment remis en question ma place dans le monde en tant qu’écrivain, sachant que par-delà les mots qui disent la beauté du monde, il y a la beauté elle-même et que les mots ne peuvent suffire. Les mots ne sont que les manifestants de la beauté du monde. Ils servent à transmettre l’idée, puis la réalité de la beauté du monde. Les mots et le langage ne sont pas premiers ; c’est l’amour et la vie amoureuse des êtres qui importent. Après, après seulement, la poésie peut prendre la place qui lui revient. J’ai cependant accepté de jouer le jeu de ma vie parce que ma parole peut voguer, à travers la parole des autres. C’est pourquoi j’écris.» (p.69)
Des textes importants qui heurtent et poussent le lecteur dans ses derniers retranchements. C’est pourquoi il est difficile de terminer la lecture de certains écrits de Jean Désy. Ils vous hantent. Le genre de livre qui vous suit toute une vie et vers lequel on revient quand on n’est plus sûr de ses pas et de la direction à prendre. Jean Désy est unique par ses questionnements et sa manière de secouer la vie. Un écrivain nécessaire, une démarche exemplaire.

« Vivre ne suffit pas » de Jean Désy est paru chez YXZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/auteur/5.html

lundi 8 août 2011

Katia Gagnon plonge dans un monde troublant

Katia Gagnon, journaliste et directrice des informations générales au journal La Presse, effectue, avec « La réparation », sa première incursion dans le monde romanesque.
Son héroïne, Marie Dumais, travaille comme journaliste. Une manière de ne pas trop se dépayser.
« Il y a treize ans, quand Marie Dumais était entrée comme stagiaire à La Nouvelle, elle n’avait pas du tout le profil de la journaliste, hormis, peut-être, une grande facilité à écrire. Elle n’était pas un jeune loup trilingue et assoiffé de scoops, le modèle préféré des patrons. Elle avait sagement couvert, vite et bien, tout ce à quoi on l’avait affectée. Elle s’était penchée sur le creux historique du dollar canadien, l’inauguration de la  promenade des premiers ministres à Québec par Lucien Bouchard. » (p. 17)
Voilà qu’on confie à la journaliste une enquête particulièrement difficile. Une jeune fille, Sarah Michaud, s’est suicidée. Elle aurait été victime d’intimidation dans un collège où la progéniture de la petite bourgeoisie de Rivière-aux-Trembles fait la loi. Sarah venait d’un milieu modeste, mais avait un don pour les mathématiques.
« Elle prit le combiné en soupirant et se prépara à convaincre quelqu’un. Persuader l’école de la laisser fouiner dans les couloirs n’allait pas être facile. Tout le monde était encore traumatisé par le décès de la jeune fille. Déjà, les parents accusaient l’école secondaire de leur fille, un collège privé, d’avoir fermé les yeux sur l’intimidation dont elle était victime. Aucune personne sensée ne voudrait d’une journaliste dans ce portrait. » (p. 16)
Marie Dumais réussit à persuader les autorités scolaires. Elle va circuler dans l’institution, interroger des étudiants et des professeurs, des parents si nécessaire. Elle constate rapidement que la bande de Florence Dugré, fille unique d’un avocat connu, fait la pluie et le beau temps dans le collège.
« La bande de l’escalier était en fait le club des rejets, racontèrent tour à tour Maxime et Catherine. Tous ces jeunes venaient, comme Sarah Michaud, des villages voisins de Rivière-aux-Trembles. Dès leur arrivée en secondaire I, ils avaient été snobés par la bande à Florence Dugré. « (p. 118)

Marie Provencher

Parallèlement à l’enquête de Marie Dumais qui reconstitue peu à peu le puzzle qui a mené Sarah Michaud à mettre fin à ses jours, le lecteur suit l’histoire assez singulière de Marie Provencher. On se demande au début ce que ça vient faire dans le récit, mais on finit par s’attacher à cette fillette qui a vécu les cinq premières années de sa vie dans un appartement insalubre, avec une mère qui souffrait de graves problèmes mentaux.
« Elle était en plein délire religieux. Sa fille était une enfant choisie, spéciale, une enfant de la destinée, qu’on devait à tout prix préserver du monde extérieur et de la souillure de la parole humaine. Ses oreilles devaient rester vierges, le plus possible. Elle était donc élevée dans le silence. L’enfant ne sortait jamais de chez elle. Il n’y avait aucun jouet dans la maison. Elle avait eu cinq ans il y a quelques mois, mais la mère n’envisageait pas une seconde de l’envoyer à l’école. Durant toute la durée de la rencontre avec l’intervenante, la mère avait gardé sa fille sur ses genoux, les mains sur les oreilles de l’enfant. La petite n’avait pas dit un mot. » (p. 43)
La direction de la Protection de la jeunesse prend l’enfant en charge. Elle doit combler des retards dans son apprentissage du langage et connaît des problèmes de locomotion. On fera le lien entre cette enfant et Marie Dumais à la toute fin du roman.

Pointe de l’iceberg

Katia Gagnon nous plonge dans les situations horribles que vivent des jeunes dans une société moderne où les déséquilibres mentaux font des ravages. L’ostracisme, l’inconscience, la méchanceté existent et les faits divers que l’on peut lire dans les journaux ne sont que la pointe de l’iceberg. Madame Gagnon le sait et va au fond des choses en recourant au genre romanesque. Elle démontre surtout que le travail journalistique a ses limites.
Une belle réussite que ce premier ouvrage senti et bellement mené. Katia Gagnon possède un sens de l’intrigue et du rebondissement assez remarquable. Une écriture drôlement efficace. Une incursion qui permet au lecteur de comprendre aussi les limites des médias.

« La réparation » de Katia Gagnon est paru aux Éditions du Boréal en avril 2011.http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/katia-gagnon-1808.html