L’essentiel de ce très bel ouvrage, même si Daniel Danis, le dramaturge, y signe une douzaine de textes poétiques, est consacré à Louise Masson, peintre.
Louise Masson expose depuis une vingtaine d’année et a connu différentes mutations dans sa vie d’artiste avec tous les créateurs qui, jour après jour, questionnent la réalité. Figurations au début, paysages qu’elle a voulu reproduire, comme si l’art se trouvait dans la nature, à l’état sauvage. Des études, plus tard, bousculeront sa manière de faire. Des voyages encore et une quête spirituelle lui permettront «rencontrer» les estampes japonaises. Un choc qui marquera «le regard» de cette artiste toujours en changement.
«Les figures de Neuf-vues proviennent de formes humaines découpées à partir de reproductions de shunga que l’artiste a empruntées puis librement disposées sur une feuille : ces papiers découpés et superposés ont formé une épaisseur qui, lors de l’impression, s’est transférée sur la surface du bois gravé et est devenue texture dans le grain du papier, modulant le noir de l’encre.»
Les shunga sont des xylographies japonaises à caractère érotique «d’un réalisme spontané, elles se présentaient sous forme de séries de douze images, sortes de feuilletons érotiques, de manuels sexuels dont le but était éminemment initiatique et didactique».
Mythologie
La sexualité, au Japon, serait «une mythologie qui fonde le monde terrestre sur la rencontre du couple divin Isahaghi-Izaami». Des estampes particulièrement lyriques, des scènes érotiques foisonnantes de détails et d’anecdotes qui mettent en scène un homme et une femme. Des contacts sexuels, des postures acrobatiques et souvent fantaisistes créent une véritable fiction. La sexualité devenant expérience physique, spirituelle et mystique. On peut longtemps fantasmer à partir de ces prémices.
Louise Masson a étudié ces estampes pour rôder à la racine des rencontres intimes. Elle en a biffé l’anecdotique ou le narratif, éliminé tout ce qui pouvait rappeler le réel pour ne garder que des formes qui bougent et s’imposent dans l’espace. L’effet est étonnant et ses gravures deviennent particulièrement suggestives dans une sorte de ballet où les silhouettes humaines se détachent, se retrouvent et se cherchent. Des ombres qui prennent du poids quand elles se touchent et inventent des expériences ou des moments intimes.
Démarche
Un cheminement artistique mais aussi une rencontre avec Daniel Danis. La jonction de l’écrit et du visuel se réalise particulièrement bien cette fois. Des poésies qui collent aux illustrations deviennent l’incarnation, par et dans les mots, des univers suggérés par ces grandes silhouettes qui se joignent, se figent dans le recueillement des corps lors de la rencontre amoureuse. L’œil va de l’un à l’autre et invente un espace, un lieu où le mot et la forme se confondent. Le texte et l’ombre dialoguent, chuchotent et inventent la danse nuptiale. Le contact le plus intime de l’homme et de la femme passe dans ces grandes ombres qui s’effleurent ou se fondent. Daniel Danis signe des textes évocateurs et très suggestifs. Tout à fait dans l’esprit de l’ouvrage.
«Le carillon de bois suspendu à la porte arrière chante au diapason du vent. La maison respire un devenir doux.»
Des textes qui évoquent un haïku qui aurait perdu ses contraintes pour dériver dans la joie pure du dire.
«Derrière une butte, un lac d’eau limpide. Tu me dis : on pourrait s’y baigner tout deux. Alors, j’entrouvre mes lèvres, ta langue pénètre lentement dans ma bouche, devient sexe ; le jeu des entrelacs d’images se déploie sous mes yeux. Tous mes sexes éclatent pareils aux jardins de ma grand-mère. Je te ressens si près, si profondément en moi. Unis, unis en une seule terre et chair. Ô mon amour, mon amour.»
Démarche
Rose-Marie Harbour présente la démarche de cette artiste qui, par sa naissance et son cheminement, a été à la «jonction de deux mondes ou de deux imaginaires». Elle explique son questionnement à partir des paysages de l’enfance, les horizons plats de ses étés au lac Saint-Joseph qui ont modulé les premiers regards et les premières tentatives de saisir le monde.
Et puis la présentation de quelques shunga permet de visualiser d’où viennent les ombres suggestives de Louise Masson.
Un dernier texte plus substantiel ferme le livre. Une réflexion sur le temps et l’espace, deux éléments qui ne cessent d’intriguer et d’angoisser les humains.
Un très beau livre, grand format, une présentation soignée et de belle qualité. Papier glacé et reproductions impeccables des œuvres qui marquent le cheminement d’une artiste exceptionnelle.
«Neuf-vues» de Daniel Danis et Louise Masson est paru aux Éditions du Passage.