Chisasibi, pays d’épinettes
drues, de neige, de vents où le ciel déborde de partout. Un pays que les
écrivains québécois explorent de plus en plus. Yves Thériault, le précurseur, et
Jean Désy sont de ceux-là. Je signale «Coureur de froid» de ce médecin-poète. À
lire. On peut aussi s’attarder à Paul Bussières qui étonne dans «Qui donc va
consoler Mingo», un roman époustouflant.
«Ce n’est qu’une fois arrivée
à Chisasibi qu’Amélie comprit la force de ces mots. Le ciel du Nord était
vaste, sans limites, c’était un ciel, un vrai. Il était presque inconcevable
qu’il s’agisse du même qu’ailleurs. En fait, elle allait bientôt utiliser cette
phrase merveilleuse: «Ailleurs, c’est
ici.»» (p.11)
La jeune femme s’exile pour retrouver
des valeurs et un sens à sa vie. La dentiste est le prétexte qui permet à Vincent
Thibault de plonger dans une communauté où les gens vivent, souffrent,
affrontent une nature particulièrement rude qui réveille des démons intérieurs.
Le personnel médical, les
enseignants, quelques commerçants, deux ou trois policiers, les Cris et les Inuits
font leurs affaires en faisant en sorte de ne pas empiéter sur le territoire de
l’autre. Tout cela dans un mélange de langues et d’habitudes, d’excès et de
violence difficile à prévoir.
Confrontation
L’alcool et les drogues
minent les autochtones et les poussent aux pires excès et à l’horreur.
«Ce père de famille, chaque
fois qu’il vient chercher sa fille avant la fin du cours, je sais exactement ce
qu’il fait. Il la ramène à la maison et il la viole. Ça me rend malade… Mais
qu’est-ce que je dois faire, hein? Garder de force la fille qui ne veut rien
savoir de moi? Barrer le passage à son père alcoolo et me retrouver avec une
balle de carabine dans le ventre? Aller voir la police où travaille son oncle?»
(p.62)
Comment retrouver un équilibre
perdu, une vie de famille, redonner des valeurs aux jeunes dans un tel
contexte? John, un alcoolique, part en excursion avec son fils. Ils se perdront
dans la tempête. Ce peut aussi être un caribou qui met fin brutalement aux
rêves en bondissant devant une camionnette.
«Des éclats de verre lui
transpercèrent la trachée. Layna se brisa la clavicule sur sa ceinture; l’os
brisé rentra loin sous la peau; elle s’assomma brutalement contre la fenêtre
côté passager. Ses vertèbres cervicales reçurent un choc violent et elle perdit
connaissance. Un silence d’une remarquable densité s’ensuivit. Puis, le caribou
se mit à crier d’agonie. Ses lamentations emplissaient l’espace tout entier et
ralentissaient la descente de la neige qui s’était mise à tomber. Si quelqu’un
avait été là pour prêter l’oreille, peut-être, qui sait? peut-être aurait-il
entendu Lenny Kravitz terminer sa chanson.» (p.105)
Les gens qui s’exilent dans
ces communautés, souvent, tentent de fuir un certain malaise existentiel. Tous
viennent au Nord pour prendre conscience de ce qu’ils sont dans leur grandeur
et leur faiblesse, leurs peurs et leurs angoisses.
Tout est possible dans un tel
univers, même le surnaturel… Amélie est attirée dans un cercle où elle passe
dans une autre dimension. Nous n’en saurons pas plus. Certaines forces
telluriques peuvent sauver comme vous perdre.
Recherche
La petite communauté cherche
des ancrages, vit l’amour et l’amitié pour être, pour se réaliser dans une
certaine harmonie et la tolérance dans ce monde dur et âpre. Pour cela, il faut
faire face à tous les possibles et tous les imaginaires, tous les préjugés
aussi. Un monde en ébullition qui mélange à la fois l’occulte et ce que nous nommons
le réel.
«Les bêtes», le titre est révélateur,
permet un voyage où le pire comme le meilleur font surface. Un roman
initiatique pour ces exilés du Sud qui, devant une nature inquiétante, sont
poussés au-delà d’eux-mêmes. Même les autochtones doivent vaincre leurs pulsions
pour retrouver une réalité qui leur échappe avec l’arrivée du monde moderne. Un
voyage qui m’a fasciné.
«Les bêtes» de Vincent Thibault est paru aux Éditions
de La pleine lune.