Dans «Attraper un dindon sauvage
au lasso», Michel Vézina rejoint la quarantaine d’écrivains de la collection
Écrire des Éditions Trois-Pistoles. Certains de ces témoignages gagnent
une dimension particulière avec la disparition des auteurs. Pensons à Noël
Audet, Bruno Roy et Jean-François Somain. Comme quoi ces écrits prennent de
l’importance avec le temps et deviennent des références dans une société qui en
manque singulièrement.
L’enfance à Rimouski, une
mère qui vit le nez dans les livres et un père qui dévore revues et journaux.
Il n’en faut pas plus pour que le fils s’intéresse à la littérature et
l’écriture. Michel Vézina prendra pourtant le chemin le plus tortueux, fasciné
par la vie, l’aventure et les excès.
«Cette année-là, je devais
avoir quinze ans, Kerouac était mort depuis six ans, je voyais mes voisins à
peine plus vieux que moi se geler comme j’avais déjà envie de l’être. Ils
étaient les frères et les sœurs aînés de mes amis les plus proches, et ils
m’ont donné envie de connaître l’extase dans laquelle leur vie semblait se
dérouler.» (p.37)
La musique, la drogue et
l’alcool. La vie avant tout et les livres. Lecteur anarchique, il se laisse
guider par son instinct, s’approprie certains ouvrages et les transforme en
nourriture.
La route
L’appel du voyage et de
l’errance aussi. Très tôt, il se déplace clandestinement à bord des trains et
se retrouve dans l’Ouest canadien à vivre d’expédients, explorant la vraie vie,
celle qui ne supporte aucune entrave et encore moins de direction. Le présent avant
tout. Il découvre alors des écrivains qui bousculent sa vie.
«Si ce n’est pendant ce
voyage que j’ai découvert la littérature de la Beat Generation, c’est là que son mode de vie m’est apparu comme le
chemin essentiel à la recherche d’une spiritualité artistique puissante et
significative. Était-ce Kerouac ou Burroughs, je ne sais plus, non, mais je
sais que les ai lus d’une traite, sans prendre le temps de respirer, sans
prendre le temps de comprendre que ce que j’étais en train de lire allait
changer ma vie pour toujours.» (p.57)
«La nuitte de Malcom Hudd» de
Victor-Lévy Beaulieu avait eu le même effet quelques années plus tôt. Il y en
aura d’autres tout au long de ses errances. Des écrivains qui deviennent des
références et des balises.
Le cinéma
New York et Paris, des études
en cinéma à Montréal. Des rencontres qui le marqueront. André Fortin, entres
autres, le leader des Colocs. L’écrivain deviendra l’éclairagiste du groupe et vivra
leur tournée triomphale au Québec. La mort tragique du chanteur le laisse en
état de choc, avec une blessure qui ne guérira jamais.
Voyage encore avec la
production de Michel Marc Bouchard. «L’histoire de l’Oie» connaît un succès
mondial. Il y trouve une manière de gagner sa vie, d’être en mouvement, de rencontrer
des amis et de faire la fête. De retarder aussi, peut-être, le moment où il
devra prouver qu’il est écrivain.
Retour à Rimouski pour une
autre vie. Il devient rédacteur en chef du journal «Le Mouton noir». Une expérience
de vie et d’écriture. Son passage au journal «Ici» de Montréal comme
chroniqueur de spectacles et de littérature sera tout aussi important. Comme
s’il y vivait son université en apprenant l’écriture et le travail de
l’écrivain.
Une première publication en
France, une difficulté à écrire qu’il apprivoise péniblement. Michel Vézina
trouve mille choses à faire plutôt que de travailler un texte. Surtout, il est
impitoyable avec ses premiers jets. Il apprendra la discipline et les exigences
du métier. Ce geste de «mettre ses tripes sur la table» ne tolère pas de
compromis.
Il poursuivra l’aventure en
devenant éditeur.
La vérité
Michel Vézina se livre
totalement dans ce récit. Il montre un être excessif, passionné qui finit par réaliser
son rêve même s’il a pris le risque de se perdre dans ses extravagances et ses dérapages.
Une «confession» d’une sincérité qui ne peut que convaincre le lecteur le plus rébarbatif.
Et ça se lit au galop, ça se bouscule, ça roule à deux cents kilomètres à
l’heure comme dans la vie de l’écrivain et de ses idoles. Époustouflant.
«Attraper un dindon sauvage au lasso» de Michel
Vézina est paru aux Éditions Trois-Pistoles.