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dimanche 27 mars 2011

La douce et lente dérive de Mélissa Verreault

Une hésitation, une sorte de recul a marqué mon entrée dans «Voyage léger» de Mélissa Verreault. Comment expliquer? Question de rythme et de fluidité. Quelque chose grinçait.
C’est ce qui arrive quand on passe trop rapidement d’un livre à un autre. Je venais de refermer «Le seul instant» de Robert Lalonde et que j’en étais encore tout imbibé.
Plusieurs heures plus tard, je suis revenu au roman de Madame Verreault. Miracle: mes hésitations étaient tombées. Rapidement j’ai emboité le pas d’Ariane, une jeune femme qui voit son couple s’enliser et qui décide de secouer sa vie.
«Je suis venue ici pour avoir la paix, mais je me rends compte d’une chose : les lieux ne sont pas paisibles. Le calme est en nous ou n’est pas. J’ajuste la température du jet de la douche, que ce soit bouillant. De quoi faire fondre ce qui résiste. Mes vêtements glissent sur le sol. Il faudrait aller m’en acheter de nouveaux. Ceux-là ne me ressemblent plus. Le corps nu reflété par la glace ne me ressemble pas davantage.» (p.18)

Oublier

Oublier les maux de l’être, les amours qui usent et laissent un goût amer dans la bouche. Les séparations et les voyages dans les pays lointains témoignent de ce désir de casser la routine et de secouer la fadeur des jours.
Ariane oublie de monter dans l’avion et se réfugie dans un hôtel anonyme, un quartier inconnu de sa ville. Peut-elle devenir une autre? Peut-on être ailleurs dans une agglomération que l’on pense connaître? Parce qu’il y a plusieurs villes dans une grande cité. C’est connu, les gens habitent une rue, un quartier et ils ignorent souvent à peu près tout des différents secteurs d’une métropole. Parce qu’une ville reste un lieu connu et abstrait.
«La fuite en trois étapes faciles: j’ai rempli la valise rouge, appelé un taxi et atterri ici. Je n’ai pas fait la vaisselle, j’espère que tu ne m’en voudras pas. De toute façon, j’habitais chez papa depuis presque une semaine, ce n’est pas moi qui ai dû la salir. Prendre soin de ce qui ne m’appartient pas a toujours été ma manière d’éviter d’occuper de moi-même.» (p.83)

La mémoire

On n’abandonne pas sa mémoire en repoussant une porte derrière soi. Ariane plonge dans une forme d’hibernation. Peu à peu un monde se crée autour d’elle. Le surveillant de l’hôtel qui vit accroché à une émission de télévision; un itinérant qui a pris possession du parc. Elle est fascinée par cet individu qui a tout largué pour devenir un homme sans racines et sans liens.
Elle s’installe dans des habitudes, trouve des points d’ancrage. Un café, un bar et une librairie. Elle prend des photos et écrit des cartes postales. Geste que tous les touristes font en voyage.
«Ce n’est pas la fillette ni l’homme que je prendrai en photo, mais ces gens, assis au fond de l’autobus, qui demeurent insensibles à cette complicité touchante, qui se rendent volontairement aveugles à la beauté du moment. Le bonheur leur parle et ils continuent de regarder le rien devant eux, en faisant semblant de ne pas avoir entendu.» (p.164)

Voyage

Souvenirs d’enfance, un père aimant qui fréquente mal les mots, un amoureux de plus en plus lointain, ressurgissent. Il faut du temps pour mettre un peu d’ordre. Elle s’invente des circuits, se perd dans de longues promenades, vit une aventure avec un musicien, se rapproche de ce garçon qui semble séquestré dans le hall de l’hôtel.
«Voyage léger» est un blues, un mal de vivre et d’être, un désir de changer dans son corps et sa tête. Ce roman n’est pas sans rappeler l’atmosphère de Paul Auster où les personnages disparaissent dans leur ville pour se réinventer.
Cette dérive douce nous ramène aux gestes essentiels de la vie. Une plongée qui permet de refaire surface plus loin, plus tard et de retrouver sa vie en étant semblable et un autre. Un mal d’être qui nous emporte dans le labyrinthe des villes et de l’esprit.

«Voyage léger» de Mélissa Verreault est publié aux Éditions La Peuplade. 

mardi 15 mars 2011

Nicole Houde montre un nouveau visage

Nicole Houde, dans «Bancs publics», présente Pierrot le chat, Jean-Eudes, un ami trop tôt parti, Paul-Émile, l’inventeur de «la machine à réconforter» et sa mère qui a atteint «le bout de son âge».
L’écrivaine jongle avec la théorie de l’évolution des espèces, certaines idées de Karl Marx, la théorie du Big Bang et s’infiltre dans le jardin d’Éden où les pommiers «du Bien et du Mal, de la Connaissance et de la Putréfaction», trahissent les secrets. Madame Houde convoque sa Majesté le vent et les chats volants, les fées et les mages. Il n’en faut pas plus pour croire à la révolution ou l’évolution...
L’imaginaire oui, mais il cède devant la réflexion. Un banc au Jardin botanique de Montréal, un arbre perdu dans ses fleurs, un étang, des papillons et il est alors possible d’oublier la respiration difficile et le pas plus lourd.
Le lecteur qui fréquente l’oeuvre de cette écrivaine reconnaît des thèmes qui marquent une oeuvre romanesque très dense. Le passé surgit entre deux gestes, deux mots, un sourire ou un éclat de rire. Les disparus tournent sur la pointe des pieds et chuchotent à l’oreille des vivants.
«À cet instant, tu n’es plus seule sur la route. Tu sens sa présence. Il arrive parfois que des cailloux nous racontent une histoire et dépose le souffle chaud d’une ombre au creux de nos mains.» (p.124)

Gravité

Même en s’amusant, Nicole Houde ne s’éloigne guère de la gravité qui leste ses ouvrages.
«La mort, la vie et tous ces liens ténus qui nous rattachent aux autres ; il s’agit parfois d’un chapeau, d’une rose, d’un chat ou d’une rivière. Variations d’une partition musicale puisque le langage est, parmi ces liens, le plus fondamental.» (p.46)
Des surprises comme toujours, des bonheurs à lire et relire.

«La terre demeure l’ultime interlocutrice de nos conversations. Nous faisons semblant de ne pas l’entendre. Elle réplique en nous donnant de la neige, du soleil, des ancolies et des épervières. Quand nous l’avons suffisamment rendue abstraite, la terre nous regarde avec les yeux d’un homme ou ceux d’un chat.» (p.17)
Il suffit d’une phrase et Madame Houde fait prendre conscience que respirer est un miracle.
«Comme chaque être humain, je suis une histoire contenant beaucoup d’hiers et une foule de personnages ; les miens se frottent l’âme contre l’épais pelage d’un chat musicien. Il s’appelle Pierrot à cause des clairs de lune. Je lui parle de mon père, né et mort d’une soif sans bon sens, je lui parle de ma mère couchée dans une nuit dont elle ne reviendra pas.» (p.32)
Nicole Houde a l’art d’aborder les choses les plus amusantes et les plus graves avec des images qui figent. Il suffit de s’abandonner entre les rires et la réflexion pour saisir une autre facette de cette écrivaine incomparable. Un bonheur.

«Bancs publics» de Nicole Houde est paru aux Éditions de La Pleine lune.

lundi 14 mars 2011

Elena Botchorichvili nous laisse sur notre faim


C’est par « Le tiroir au papillon » que j’ai connu Elena Botchorichvili, une écrivaine née en Georgie, mais vivant à Montréal. Elle écrit en russe et ses ouvrages sont traduits en plusieurs langues. J’aime particulièrement cette romancière qui brosse des tableaux qui font souvent penser à l’univers de Marc Chagall.
« La tête de mon père » un texte « aussi court qu’un poème, avec seulement les moments les plus lumineux. Un roman sténographique » s’attarde au vécu de la famille du narrateur.
Mzia, la mère, a été actrice, ventriloque dans un cirque et reste une femme particulièrement originale. Une très belle femme qui piège tous les regards.
« Ma mère assumait avec légèreté sa gloire d’actrice, comme son chapeau blanc à large bord. « Je suis belle, disait toute sa personne, qu’y puis-je ? » Sa beauté ne s’éparpillait pas entre ses yeux, sa poitrine, ses jambes et ses robes décolletées. C’était tout cela à la fois, plus un je-ne-sais-quoi, tels des mots inexprimés. On ne voyait que le sommet d’un iceberg dont les huit neuvièmes étaient sous l’eau. » (p.18)
Une femme qui possède l’art de faire tourner le monde autour d’elle sans que rien n’y paraisse.

Couple

Le narrateur nous entraîne en Georgie avant la fin du régime communiste. Le père écrit des discours pour les dirigeants. Sa situation dépend de l’essor de ces politiciens ou de leur disgrâce. Toujours en train de noter, de découper des phrases et de préparer ces fameuses allocutions. Il vit aussi la passion malgré les querelles incessantes avec sa femme, les différences et les tensions quasi quotidiennes.
« Il l’imitait en se penchant en avant, vers un miroir invisible, il mettait sa bouche en cœur, il recouvrait ses lèvres d’un rouge invisible et déclarait d’une voix chantante :
- Mon Dieu, comme j’ai vieilli !
Mes parents ont vécu ensemble quarante ans, et mon père n’a jamais remarqué que ma mère boitait, que l’une de ses petites jambes était plus courte que l’autre. Moi non plus, et je fus terriblement surpris quand je dus traduire son entretien avec un médecin, ici, au Canada. Elle compensait ce défaut physique par une démarche chaloupée. » (p.41)
Des êtres qui se blessent et savent se réconcilier avant qu’une parole ou un geste ne provoquent la catastrophe.

Régime

Une belle manière de plonger dans un régime politique qui s’est défait.
« Mon père s’est retrouvé dans la nomenklatura, car il était un ancien combattant. Mais aussi parce qu’il savait écrire. J’ai déjà dit, en effet, que ça, il savait le faire ! Son chauffeur « personnel » nous conduisait à l’école, ma sœur et moi ; notre famille recevait des colis de provisions pour les fêtes ; nous avions nos entrées dans des magasins à accès restreint ; nous étions soignés dans une clinique réservée aux élites du parti ; nous passions nos vacances dans les stations balnéaires. Les postes qu’il avait occupés portaient des titres différents, mais son travail était toujours identique ; il écrivait. » (p.46)
La mer l’été jusqu’à ce que le père décide de déménager la datcha familiale à la montagne.
« C’est là que se trouvait jadis la datcha que nous avons construite, lui et moi, en nous disputant et en maudissant les rondins numérotés qui avaient séché et s’étaient détrempés durant des années, balayés par les vents du village de Tapla qui n’existe plus. Mon père avait démonté, rondin après rondin, sa maison natale au bord de la mer et avait écrit un chiffre au crayon à encre sur chacun d’eux. Oui, ça, il savait le faire : écrire. » (p.7)
Une entreprise qui s’éternise, à l’image de ce pays qui se défait et n’arrive plus à trouver une direction.

Trop court

Elena Botchorichvili évoque un monde qui s’efface peu à peu des mémoires et des récits de famille. Heureusement, les écrivains fouillent les souvenirs et les ramènent à la vie.
Nous ne pouvons que regretter que son récit soit si court. On en voudrait plus. On souhaiterait un « gros roman. Et lourd, pour qu’on puisse casser des noix avec », dit Mzia à son fils. Elle a bien raison, mais le narrateur n’en fait qu’à sa tête bien sûr.

« La tête de mon père » d’Elena Botchorichvili est paru aux Éditions du Boréal.http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/elena-botchorichvili-971.html

lundi 7 mars 2011

Diane Labrecque ébranle drôlement son lecteur

«Je mourrai pas zombie» de Diane Labrecque présente une jeune femme dans la trentaine. En aidant sa mère à déménager, elle retrouve ses carnets d’adolescence, une période qu’elle croyait révolue. Il suffit de tourner quelques pages pour que resurgissent ces années où elle flirtait avec la mort.
Dib, un nom imaginé, n’a jamais quitté cette époque où elle était en révolte contre l’univers et elle-même. Adolescente anorexique, elle se mutilait avec un couteau de cuisine pour trouver un certain apaisement dans la douleur.
À l’école, elle croise Hubert et François, deux inséparables qui s’intéressaient à celle qui se confondait avec les murs. Une belle amitié s’était installée, une forme d’amour, d’idéal qui n’arrivait jamais à se concrétiser. Une situation assez trouble baignait les rapports du trio. Dib était absolue, intransigeante et obsessive. Les garçons avaient des petites amies pour expérimenter certains jeux sexuels.
«J’aimais Hubert. Il m’aimait. J’aimais François. Il m’aimait. C’était tout et c’était facile. Je ne voulais pas de mal à Jeanne. Mais les choses toutes simples, comme l’amour, tournent toujours en choses compliquées et c’est pourquoi je suis tout le temps fâchée avec la vie. C’était trop tard. Pour Hubert et pour François. Trop tard pour eux. Trop tôt pour moi. C’était la fin. Mais pourquoi cela avait-il même commencé ? Toute cette douce violence.» (p.12)

Triangle

Hubert et François ont récupéré cette rejetée sans l’arracher à une forme de dépression où elle se complaisait. Impossible non plus de vivre l’amour quand on se déteste. L'ivresse physique est une reconnaissance et une acceptation du corps.
L’adolescente résistait, s’efforçait d’avoir le moins de contact possible avec ses parents, s’enfermait dans sa chambre et se noyait dans des lectures. Elle trouvait une âme sœur dans la Bérénice de Réjean Ducharme. C’est peut-être ce qui l’a sauvée: savoir qu’elle n’était pas seule à ressentir un mal terrible de vivre, un malaise du corps et de l’esprit.
«Pour laver l’humiliation des larmes et oublier ma prison, je me suis enfermée dans ma chambre et je me suis ouvert doucement le bras gauche avec un couteau de cuisine. Et quand enfin le sang s’est mis à couler vers le creux de mon coude, ma tête est devenue légère comme un ballon et je me suis envolée vers le ciel si bleu, si bleu.» (p.27)
Dib a beau avoir une fille qu’elle adore, une adolescente sage et équilibrée, son passé la hante. La lecture des carnets la conduit à vouloir retracer ses amis de l’école secondaire pour vivre peut-être ce qu’elle n’a pas osé à l’époque.

Retrouvailles

Hubert a réussi. Il a des enfants et une femme. Ils habitent le plus beau quartier de Montréal. François semble fuir au bout du monde pour ne pas trop réfléchir à ce qu’est sa vie. Le temps leur a joué un vilain tour.
Comment raccommoder sa vie? Peut-on changer ce que l’on a raté à une certaine époque? Que sont devenus les idéaux? Il est peut-être périlleux aussi de vouloir plonger dans son passé pour ressasser de vieilles blessures. Dib va l’apprendre en basculant dans les excès qui ont failli la tuer.
«La violence des trois shooters de rhum qu’elle s’envoya au comptoir avant de s’asseoir auprès d’eux n’atténua en rien celle de voir François et Hubert réunis devant elle, pour elle, après dix-huit ans d’absence, elle, leur lien.» (p.169)
La jeune femme retrouve son vieil ennemi l’alcool au grand désespoir de sa fille.
Le lecteur est souvent ébranlé par cette adolescente qui se retourne contre elle et qui possède une incroyable capacité de tout gâcher. Malgré elle, Dib sera sauvée d’une certaine façon par les deux garçons.
Il faudra qu’elle touche le fond du baril une fois de plus pour revenir vers sa fille, sa seule raison d’être, son équilibre.
Un roman truffé de références littéraires, porté par une colère et une rage bouleversante. L’écriture de Diane Labrecque se tient en équilibre sur un fil qui menace à tout moment de se rompre. Le lecteur retient son souffle.

« Je ne mourrai pas zombie », de Diane Labrecque est publié aux Édiditions Hurtubise.

mercredi 2 mars 2011

Marie-Renée Lavoie croit au bonheur

Des personnages attachants, un milieu de vie qui collectionne les originaux, de l’empathie et de l’humour. Voilà qui explique peut-être le succès de  «La petite et le vieux» de Marie-Renée Lavoie.
Hélène veut être un garçon et il faut l’appeler Jo. Elle a la tête bourrée d’histoires et son héroïne préférée, à la télévision, affronte le monde l’épée à la main. Une fille que l’on prend pour un homme et qui ne recule devant rien.
Le père de Jo enseigne et tente d’oublier sa vie terne et ennuyante. Il boit à en perdre la raison parfois. La mère dirige ses filles au doigt et à l’oeil, met un terme à toutes les discussions par un «c’est toute». Après cette sentence, tous savent à quoi s’en tenir. 
«Je n’avais pas peur de ma mère, je savais seulement qu’il n’était pas possible de tailler, ne serait-ce qu’une toute petite brèche, dans son imprenable personnage. Pas la peine de se plaindre, de chialer, d’argumenter, de se monter un plaidoyer. Insister ne pouvait que condamner à une abdication des plus humiliantes. Je le savais pour m’être quelques fois frottée à son opiniâtreté.» (p.26)
Le quotidien est réglé au quart de tour. Les repas de la famille sont programmés selon les jours et reviennent avec les semaines et les saisons. Quelques petites douceurs ici et là brisent la routine.

Le voisin

Roger aménage dans la maison voisine. Il ne peut ouvrir la bouche sans se répandre en sacres et blasphèmes. Sa principale occupation consiste à surveiller la rue et à vider les bières qu’il achète au dépanneur du coin. Malgré les apparences, c’est un cœur d’or qui trouve une solution à tous les problèmes.
«Ses dons de chaman avaient d’ailleurs rapidement fait le tour du quartier, et d’aucuns faisaient maintenant des petits détours par notre rue pour une consultation rapide qu’ils se faisaient le devoir de récompenser par de menues nécessités : bière, tabac, casquette des Expos pour les intempéries, etc. J’apprenais.» (p.35)
Il vivra une belle amitié avec la jeune fille.

Travail

La famille arrive mal à joindre les deux bouts et Jo, inspirée par son modèle télévisuel, tente de venir en aide à tout le monde. Les vrais héros combattent injustice et misère. Elle triche sur son âge, livre le journal à cinq heures du matin, hante les rues et croise d’étranges personnages. Elle peut ainsi glisser des billets dans le portefeuille familial pour arrondir les fins de mois et soulager sa mère. Une agression mettra fin à cette aventure. 
Elle deviendra serveuse au bingo. Un travail qui lui permettra d’amasser les dollars et de travailler dans un restaurant plus tard.
Pendant tout ce temps, la vie se plaît à compliquer les choses et à malmener les gens du voisinage. Tous affrontent leurs lots de difficultés, surtout les dépourvus assez nombreux dans le quartier. Un accident immobilise sa petite sœur. Même Roger qui a des remèdes à tout, ne peut contrer une crise cardiaque.
 
Apprentissage

«La petite et le vieux»  est un long apprentissage de la vie. Jo finit par devenir une fille même si l’un de ses seins tarde à se pointer.
«- Non. Commence pas avec ça. Il va pas dégonfler non plus. Au contraire, il va continuer à pousser, pis c’est ben correct de même. Tu vas être ben contente qu’il pousse même. Pis l’autre aussi va se mettre à pousser à un moment donné. On va même souhaiter qu’il devienne à peu près aussi gros que l’autre. Là, il retarde juste un peu, pour une raison qu’on connaît pas, pis c’est juste pour ça qu’on va aller voir le médecin.» (p.202)
Hélène prend conscience des injustices, de la dureté du monde, du vide que la mort laisse auprès des survivants. Un personnage d’enfant qui rehausse l’univers romanesque du Québec déjà assez bien pourvu dans le genre. Hélène peut regarder Monsieur Émile droit dans les yeux.
Un vrai plaisir pour le lecteur. C’est frais, étonnant et immensément sympathique. Toujours juste et bien maîtrisé. Un roman qui fait croire que la vie et le bonheur sont possibles, malgré les embûches et les mauvaises surprises. 

«La petite et le vieux» de Marie-Renée Lavoie est publié chez XYZ Éditeur.

dimanche 27 février 2011

Gilles Archambault et le blues de la vie

La constance de Gilles Archambault a quelque chose d’admirable. Quand on sait que «À voix basse» a été  publié en 1963, il faut parler d’un véritable engagement. L’écriture est certainement existentielle chez lui. Il a toute mon admiration pour cette longue carrière qui le propulse rarement à l’avant-scène.
«Un promeneur en novembre» regroupe dix-sept nouvelles d’une dizaine de pages. Un titre évocateur parce que les héros d’Archambault sont souvent des flâneurs qui ne s’attardent guère aux êtres et aux choses même s’ils demeurent conscients et attentifs. Un peu distants aussi, mais en éveil, avec une petite agitation intérieure qu’ils n’arrivent jamais à apaiser.
La manière de l’écrivain est là, inimitable. Il est question de solitude, du vieillissement, sans basculer dans la nostalgie ou cette colère qui habite souvent ceux et celles qui avancent en âge. Ses personnages sont au-delà de la frénésie et des grandes agitations amoureuses. Des solitaires qui tournent dans leurs habitudes, oubliant un peu leurs amis et la famille. Ils sont des témoins qui vont sans vraiment juger, sans jamais se culpabiliser, sans pouvoir se livrer non plus.
«Comment lui dire que c’est plutôt le silence de ma fille qui me pose problème ? Je ne vois Cléa qu’une fois par an à peu près. A chaque occasion, elle me paraît distante. Je l’invite au restaurant. Nous parlons peu. À peu près jamais de choses que j’ai à cœur.» (p. 11)

Constance

Des personnages qui ont de la difficulté à communiquer même s’ils écrivent. Peut-être que tous les mots ont été dits, que tout verbiage est futile. Ils se croisent, se rencontrent par habitude, par obligation presque.
«Depuis la mort de Claire, je ne reçois personne. Il arrive même que la présence de mon fils m’incommode. Quant à ma fille, il y a bien sept ans que nous sommes l’un pour l’autre de parfaits inconnus. Le regrette-t-elle ? Je l’ignore. Moi je ne sais plus.» (p.48)
Parce qu’avec le temps, les liens se défont. Il ne reste qu’un appartement, des tournées qui ressemblent à celles que les trappeurs exécutaient machinalement dans la forêt. Une manière de vivre où les attentes se diluent, les désirs se taisent. Reste l’empathie envers les proches, une générosité même. Ils peuvent aider un voisin, une connaissance sans pour autant se compromettre.
«Une fragile immortalité, c’était notre état, après tout. Toute bringuebalante qu’elle était, notre espérance valait bien la fausse sérénité qui était maintenant la nôtre. J’ai déjà eu vingt ans. Tout aussi malheureux que je le suis à soixante, je tenais au moins pour éloignée la présence de la mort. La perspective du néant se dessinait à peine.» (p. 53)
Les personnages d’Archambault ne changent guère en avançant dans la vie. Ils ont toujours été mal à l’aise en société, sans jamais pousser de cris, malgré une inquiétude toujours présente. Ils sont de la couleur des jours de novembre qui jettent l’ancre quand toutes les extravagances de l’automne ne sont que souvenirs. Ils vont, saluent un passant, empruntent une direction qui n’a pas d’importance et pratiquent une suprême discrétion. Des solitaires que la vie a en quelque sorte un peu anesthésié. Ils continuent avec ce petit tremblement qui secoue la morosité des jours.
Que dire quand la mort se profile et que la maladie vous malmène...
«Quand je suis monté dans le taxi tout à l’heure, j’ai pensé une fois de plus à ce que Janine était pour moi. À l’heure présente, Claude est peut-être mort. Un vieillard penché sur sa canne me dit que nous connaissons un automne exceptionnel. Je ne le démens pas. Encore une fois refaire mon parcours, puis j’entrerai à l’hôpital.» (p.231)
La vie est un lent dépouillement, une promenade qui finit toujours par un arrêt. Les nouvelles de Gilles Archambault s’installent comme une petite musique qui ne vous lâche pas. C’est là toute la magie de cet écrivain. Ses textes sont une confidence, un murmure qui vous suit à quelques pas derrière, dans une inquiétante discrétion.

« Un promeneur en novembre » de Gilles Archambault est publié aux Éditions du Boréal. 
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/gilles-archambault-148.html

dimanche 13 février 2011

Hélène Vachon: la tendresse et l’empathie

Autant le dire, j’ai failli refermer «Attraction terrestre» d’Hélène Vachon dès la première phrase. L’ouverture a de quoi affoler.
«Toute joie est révolution. Sans l’effet du contentement, la face de l’Homo sapiens commun se transforme. Jusque-là paisibles, les peauciers se réveillent, petit et grand zygomatiques se tendent, l’orbiculaire des lèvres se contracte, tandis que le risorius de Santorini retrousse les commissures, tissus contractiles par excellence. Cela s’appelle sourire et c’est très fatigant.» (p.9)
Heureusement, je suis un lecteur persévérant. Il est rare que j’abandonne un livre, n’en déplaise à Monsieur Pennac et les diktats du lecteur. Il faut donner une chance à l’écrivain de se faire entendre. Et comment juger à partir de quelques lignes?
Quelques pages plus loin, Madame Vachon répondait en quelque sorte à mes hésitations.
«Entamer un livre est toujours une étape et les débuts, c’est difficile. Il est donc recommandé de le faire dans un hôpital… …Les trente premières pages sont les pires. De quoi me parle-t-on? Où l’action se déroule-t-elle et à quelle époque? Grands dieux, que se passe-t-il? Après, vous abandonnez ou ça va tout seul.» (p.20)
Il  est rare qu’un écrivain vous guide. Ils prennent plutôt un malin plaisir à brouiller les pistes.

Histoire

Hermann est thanatopracteur ou embaumeur. Un métier plutôt inquiétant pour la plupart des vivants. Il habite un bloc appartement, côtoie ses futurs clients, des clientes surtout.
«En haut de chez moi vit la très vieille et insonore Mme Le Chevalier. Je l’aime énormément. Elle a un je ne sais quoi qui vous fait haïr le neuf. Elle est tellement plissée et toute en muscles mous que c’est à se demander pourquoi on n’y a pas pensé plus tôt. Elle sait ce que je fais et me prend comme je suis, nos rapports sont cordiaux.» (p.13)
Tous sont de sa famille en quelque sorte. «Douze femmes pour un homme, c’est le ratio.»
Il vit une relation amoureuse avec Clotilde sans éprouver la grande passion, cherche même à rompre, se pâme devant Zita, une stagiaire, sans oser s’épancher.
«Zita dans sa combinaison multipoche, Zita éminemment élastique, avec ses muscles qui doivent se remettre en place tous seuls quand on les déplace. Je ne sais pas, je ne les ai jamais déplacés. Zita a deux épaules, un cou, les yeux et les cheveux noirs, des muscles longs, des tissus très vivants et des creux poplités du tonnerre. En plus, elle ests anergique, ce qui est très pratique dans le métier.» (p.105)
Voilà la façon d’Hélène Vachon et sa manière de décrire des personnages et son univers. On se laisse rapidement prendre.

Drame

L’une de ses connaissances est pianiste. Il apprend qu’il est le fils d’un résidant de son immeuble, un homme un peu étrange qui lui a confié un manuscrit qu’il a égaré.
Le musicien ne contrôle plus ses mains. Il a toujours été trop grand, trop gros pour son père qui se passionne pour les miniatures. Tout se déglingue dans son corps et la mort se profile. L’artiste tente de s’accrocher et sa lutte devient pathétique. Un être seul qui ne sait comment communiquer malgré son don pour la musique. Si la vie est douce pour plusieurs, elle est impitoyable pour lui. Hermann fera tout pour l’aider à vivre, sans parvenir à juguler sa détresse et sa terrible solitude.
Voilà tout le roman. L’empathie, la tendresse qui pousse à agir et à aider ses semblables. Tous, nous avons besoin d’un peu d’attention et d’amour avant de confronter l’inévitable.
Le vieillissement, la maladie, la création, l’amour, l’amitié sont abordés dans «Attraction terrestre» avec finesse et délicatesse. Un microcosme où la vie s’exprime avec ses heurts et ses contradictions.
Un roman terriblement attachant et émouvant. Un baume qui donne l’envie de vivre en étant plus attentif à ses proches et ceux qui habitent nos jours.
L’écriture pleine d’humour rend le tout particulièrement sympathique et vibrant. Plus qu’une lecture, c’est une rencontre, un moment de vie qu’il est difficile d’oublier. Une formidable réussite!

«Attraction terrestre» d’Hélène Vachon est publié aux Éditions Alto. 
http://www.editionsalto.com/catalogue/attraction/

mardi 8 février 2011

Yann Martel se montre fort audacieux

«Béatrice et Virgile» de Yann Martel a reçu un accueil mitigé dans les médias. Bien sûr, tous attendaient un roman qui évoquerait d’une manière ou d’une autre «L’Histoire de Pi». Vendre plus de sept millions d’exemplaires, des traductions en plusieurs langues, ne peut que créer des attentes chez les lecteurs.
Son nouveau roman déboussole un peu. Oui, certains éléments font penser à l’auteur. Henry, le narrateur, un romancier, a connu un succès international avec un livre où les animaux interviennent. Il entend publier à la fois une fiction et un essai cette fois en s’attardant à l’Holocauste. Son projet est refusé par ses éditeurs londoniens.
«Il faut qu’il y ait une cohérence plus rigoureuse à la fois dans le roman et dans l’essai. Ce livre que vous avez écrit est formidablement puissant, une réussite remarquable, nous sommes tous d’accord là-dessus, mais dans sa forme actuelle, le roman manque de dynamisme et l’essai manque d’unité.» (p.22)
L’écrivain reçoit des lettres de ses lecteurs et tente d’y répondre. Un autre Henry, taxidermiste de profession, a écrit une pièce de théâtre. Il le contacte et demande son aide en joignant un extrait à sa lettre de «Béatrice et Virgile». Assez pour fasciner le romancier qui accepte de rencontrer cet homme étrange qui sait tout de la taxidermie et se sent bien en présence de ces animaux qu’il protège de la disparition d’une certaine manière. Il livre sa pièce de théâtre par fragments tout en expliquant à son visiteur les secrets de son art. Le drame met en scène un âne et un singe hurleur qui tentent de trouver une direction à leur vie. Une histoire étrange qui pousse le lecteur vers l’horreur.

Sujet

La trame de la pièce se précise au cours des rencontres. «Béatrice et Virgile» raconte la disparition de certaines espèces animales tout en faisant allusion à l’Holocauste. L’auteur questionne la responsabilité, la culpabilité et la folie humaine. Est-il possible d’expliquer la violence et la haine?
«C’est en se rappelant cette adresse et ses capsules temporelles désespérées que Henry sut de manière certaine ce que faisait le taxidermiste. C’était là la preuve irréfutable qu’il utilisait l’Holocauste pour parler de l’extermination de la vie animale. Des créatures condamnées qui ne peuvent pas parler pour se défendre recevaient la voix d’un peuple qui s’exprime particulièrement bien, lequel avait été lui aussi condamné d’une manière similaire. Il voyait le sort tragique des animaux à travers le sort tragique des Juifs. L’Holocauste en tant qu’allégorie.» (p.179)
L’écrivain se retrouve devant une œuvre qui prend racine sur le texte qui a été rejeté par les éditeurs. Pas étonnant qu’il soit subjugué par cet homme bourru qui ne s’entend avec personne. La fin est effroyable. Comment peut-il en être autrement?

Regard

Yann Martel livre ici une histoire pleine de surprises. Il faut de l’audace pour déjouer les lecteurs et risquer de les perdre en chemin après avoir connu le succès que l’on connaît.
Cette quête bouleverse et on s’attache à Béatrice et Virgile qui racontent à leur manière un drame qui heurte la pensée et l’intelligence.
«Tout ce qui restait, maintenant, c’était leur histoire, cette histoire incomplète d’attente et de peur et d’espérance et de bavardage. Une histoire d’amour, conclut Henry. Racontée par un fou dont il n’avait jamais compris l’esprit, mais une histoire d’amour quand même.» (p.198)
Le lecteur réchappe de ce roman avec des questions qui ne peuvent engendrer de réponses claires. Le racisme et la haine laissent souvent sans voix. Comme si les mots étaient impuissants devant ces pulsions qui veulent rayer une ethnie ou une espèce animale de la création.
Yann Martel démontre encore une fois son immense talent et son don pour les oeuvres déconcertantes. «Nous sommes des bêtes d’histoires», écrit-il au début de son roman. Les pires comme les plus merveilleuses. «Béatrice et Virgile» étonne et fascine. Une œuvre forte qui habite le lecteur.

«Béatrice et Virgile» de Yann Martel est publié chez XYZ Éditeur. 
http://www.editionsxyz.com/auteur/16.html

dimanche 30 janvier 2011

Marité Villeneuve sculpte sa vie

L’art, on le sait, prend souvent la forme d’une quête. On n’effleure pas les mots, le pinceau ou encore l’argile, sans bousculer l’autre qui se cache en soi. Autrement dit, des désirs et des blessures, que nous dissimulons dans nos contacts quotidiens, surgissent dans nos créations.

Certains thérapeutes passent par les dessins ou l’écriture pour faire découvrir à leurs patients un certain refoulé.
Marité Villeneuve, psychologue de formation et écrivaine, connaît la force des mots et de l’expression artistique. Dans «Des pas sur la page, l’écriture comme chemin», elle s’attardait au rôle de l’écrit dans une démarche de réflexion sur soi.
Dans «Sculpter sa vie», le titre est fort révélateur, Madame Villeneuve entreprend une réflexion à partir de petites sculptures qu’elle a réalisées au cours des années.
«Le jour où je me suis assise devant l’argile, une multitude de femmes ont surgi sous mes doigts. Ces personnages, je les ai appelés les Pleurantes. Non pas « pleureuses » mais « pleurantes », un mot qui pleure et qui chante, un mot qui contient à la fois la détresse et le chant.» (p.13)
Des femmes repliées sur soi, bouche ouverte sur une douleur qui vient du plus profond de l’être.
«J’avais repoussé jusqu’au dernier moment l’angoisse de mon confronter à l’argile. Mais il arriva ce premier matin de la création, ce premier tête-à-tête avec la motte, sans autre consigne que de faire ce que je voulais. Vite, je me raccrochai à cette pensée, ce désir : me créer, d’abord, me créer, ensuite je verrai.» (p.20)
Au cours des ans, il est né une petite famille de cette activité. Et voilà qu’après une décennie, elles s’imposent et demandent la parole d’une certaine manière.

Témoignage

En sculptant, écrivant ou peignant, des mondes surgissent avec force. Peut-être parce qu’ils sont bâillonnés depuis toujours. L’inconscient prend sa revanche alors et donne des œuvres qui étonnent.
«Ainsi sont les Pleurantes. Nées de gestes rassembleurs : sentir, caresser, pétrir, écraser, malaxer, pétrir encore. Issues d’une mouvance intérieure, dans des alternances de silence et de bercement, de violence et de tendresse. Jusqu’à surgissement d’une forme, tirée du néant, du chaos. Nées de là, de ce chaos.» (p.39)
Denise Desautels a emprunté une démarche similaire en écrivant «autour» des installations de Michel Goulet.
«S’il est un mot que le travail dans l’argile m’a appris, c’est celui de consentir. En modelant la terre, on apprend à s’abandonner à ce qui émerge, à accepter l’imprévisible. Non pas se soumettre ni obéir aveuglément, mais sentir avec. En accord avec la terre. Sentir que cette forme, même en dehors de ma volonté propre, m’indique peut-être un chemin. Sentir : savoir de l’intérieur, connaître par les fibres sensibles, reconnaître en soi. Consentir, c’est aussi déposer son fardeau.» (p.113)
Une belle manière de cerner ces pulsions qui poussent vers le geste créateur et libérateur. Une façon de réfléchir à sa vie, à ce qui se cache en soi et qui ne demande qu’à s’exprimer. Parce que toute création est un appel, un cri qui tente de rejoindre l’autre.

Démarche

Un livre d’émotions qui emprunte la démarche de l’aveugle qui cherche sa route. Parce que créer, c’est peut-être apprivoiser ces obstacles (en nous comme hors de nous) qui empêchent de trouver la paix et de bondir dans la plus grande des libertés.
Marité Villeneuve continue ici une réflexion qui cherche à mieux se connaître et à apprivoiser l’humain qui se livre dans la création. Un essai qui nous confronte. Il est difficile de ne pas revenir aux photos des figurines et de réfléchir à ce qu’elles nous disent. Madame Villeneuve devient un guide, une confidente dans cette démarche essentielle qui exige beaucoup de franchise. Parce que les pleurantes bousculent et interpellent. Une lecture qui se retourne vers soi tel un miroir.  

«Sculpter sa vie» de Marité Villeneuve est publié aux Éditions Fides.

dimanche 23 janvier 2011

Guy Lalancette aborde un sujet très difficile

Si j’ai bien compris, le récit de Guy Lalancette a été «exhumé des oubliettes où… il espérait» depuis un certain temps. La directrice littéraire de VLB Éditeur, Marie-Pierre Barathon, serait à l’origine de cette résurrection.
«Le bruit que fait la mort en tombant», quel titre magnifique, s’attarde à un accident de la route qui a emporté la sœur de l’écrivain. C’était l’hiver, la nuit peut-être, un vendredi, après le repas qui met fin à une semaine étourdissante. Il y a eu une sonnerie du téléphone, un appel du bout du monde. Une nouvelle du genre fige et laisse sans paroles. Possiblement alors que la Terre hésite une petite éternité avant de reprendre sa rotation. Les mots ne savent plus être les mots.
«C’est à distance que le  bruit est arrivé jusqu’à moi. Le bruit obsédant du téléphone, ce vendredi soir de janvier, à l’heure de la vaisselle.» (p.18)
La sœur, la complice des jeux d’enfance, celle qui a partagé ses secrets, ses lubies et ses mondes imaginaires vient de périr dans un accident imprévisible et inexplicable.
«Ta mort ne se raccommode pas. Je ne sais pas comment rapiécer ce manque que j’ai, cette absence bruyante qui tombe dans mes nuits surtout et réveille ton souvenir.» (p. 28)
Les souvenirs, les rires, les jours heureux, les peurs et les craintes reviennent dans un tourbillon. Tout le vécu se bouscule dans le présent.
«La mort, ça fait du bruit en tombant. C’est toujours un accident. Quand la mort tombe sur un plancher de bois, il y a tout l’écho que ça fait. Le bruit s’étend aux alentours, se heurte au lit des planches, s’incruste, marque et fend. L’éclat d’une cassure.» (p.17)

Cauchemar

Les frères et les sœurs se retrouvent autour du cercueil pour se rassurer, pour être certain de ne pas vivre une hallucination qui broie la mémoire.
«Elle est là, dans un grand cercueil rouge, verni, lustré, lumineux, habillé de coussins et de parements qui lui font un grand nuage ouvert sur une mort vive. On l’a couchée presque vivante dans sa blouse jaune à fleurs blanches, sa préférée, ses mains jointes sur le ventre d’un bonheur tranquille comme si l’on voulait la faire sourire encore un peu.» (p.16)
L’écrivain, le frère abandonné, prend conscience de ces drames qui font les manchettes des journaux et de la télévision. La banale tragédie ou le grand spectacle que sont devenus les guerres maintenant.
Une itinérante retrouvée gelée dans une ruelle de Montréal par un froid sibérien; une jeune fille qui s’est pendue dans le garage familial après une rupture; un homme qui tue sa femme et ses enfants avant de rater son suicide. Toutes ces morts traumatisent les proches et les témoins. Comme un écho à sa propre fin qui approchera un jour ou l’autre, sur la pointe des pieds ou dans une bourrasque.
«J’entends déjà le bourdonnement que fait ma propre mort comme un ventre habité. Une grossesse dévorante qui se nourrit aux murmures de chaque heure, de chaque journée, prenant aux battements du cœur tous les instants échappés.» (p.65)
La tragédie familiale s’amalgame à ces décès qui marquent les jours, témoignent des folies, de l’indifférence, de la haine qui aveugle partout, de l’absurdité de la vie d’une certaine manière.

Bouleversement

Un sujet difficile, une écriture rugueuse pour témoigner de ce grand bouleversement qui retourne l’être.
Le lecteur s’arrache à cette lecture en guettant ses gestes et ses mouvements. Sa propre respiration devient obsédante et douloureuse même. Il faut souvent cet arrachement pour vivre pleinement face au temps qui saccage tout.
Un pari audacieux que relève Guy Lalancette parce que nous n’aimons guère s’attarder à la mort dans nos sociétés, la refusant et la niant même. Le romancier ramène cette réalité que nous avons tous connue avec la perte d’un père, d’une mère, d’un frère ou d’une sœur. Un court récit senti et poignant.

«Le bruit que fait la mort en tombant» de Guy Lalancette est publié chez VLB Éditeur. 
http://www.edvlb.com/guy-lalancette/auteur/lala1001

Robert Lalonde fait de sa vie une aventure

Robert Lalonde revient à la manière de «Iotékha», au «Monde sur le flanc de la truite» et «Où vont mourir les sizerins flammés en été» dans «Le seul instant». Des lectures, des réflexions et des découvertes qui s’enchevêtrent d’une façon unique.
Le récit présente aussi des pastels et des aquarelles de l’auteur. Une autre manière d’explorer l’univers qui l’entoure et le fascine. Une belle surprise aussi ! J’ignorais que Lalonde usait de la couleur.
Du 15 mai au 15 septembre 2009, l’écrivain s’installe à Sainte-Cécile-de-Milton. Il pleut quasi à tous les jours. Un été de nuages et d’ondées avec un soleil peureux. Il se rabat sur certaines lectures, l’écriture et quelques travaux. Et il y a ce ciel barbouillé qu’il tente de peindre.
«J’essaie encore, cette fois à la gouache. Il me faut parvenir à confisquer ce continuel ciel de pluie qui commence à me taper sur les nerfs. Bien sûr, c’est plus facile – à tout le moins pour partir. Je mélange les bleus, les gris, un soupçon de noir avec le blanc opalin et badigeonne ou plutôt, tamponne à l’éponge la feuille de ma mixture charbonneuse, labile, grossièrement orageuse.» (p.41)
Il n’en fera qu’un gâchis, mais ce n’est pas ce qui importe !

Lecteur

Robert Lalonde passe de Teilhard de Chardin à Oscar Wilde, d’Enrique Vila-Matas à Wittgenstein. Les livres traînent partout et il y puise au hasard de ses occupations ou de ses préoccupations. Ils sont nombreux les compagnons qui le houspillent et le figent entre deux gestes.
«Je ferme les yeux et me récite à voix basse ces mots de Jacques Rivière, qui a lui aussi dix-sept ans et qui écrit à son ami Alain-Fournier  - je les ai lus hier et les ai appris par cœur, comme autrefois mes prières : «Le bonheur n’est que cette palpitation précaire de la main tendue vers son bien. Ce n’est que cela. Et rien ne permet d’appeler autre chose le bonheur, puisque nous ne connaissons que cela.» (p.15)
Des jours où il oscille entre les tentatives d’écriture, les tableaux, des randonnées, des instants magiques où il surprend des chevreuils dans un boisé ou une paruline qui fait un éclat de lumière dans la grisaille du jour. L’étang l’attire, la lisière du bois, le ciel qui distille les nuages. Il va avec le chien, son compagnon de promenades, le chat qui disparaît et revient. Il explore la forêt environnante parce que «lire, c’est traduire», bousculer le monde familier et souvent étonnant.
L’écriture tente de cerner tout cela et de comprendre peut-être.
«Ça se passera un jour de pluie, et il y aura des chats impatients, des mouches agaçantes, une vilaine brumasse accrochée aux arbres. Il y aura du désespoir, de la désolation, un soleil absent depuis trop longtemps. Et il y aura un personnage – moi et pas moi- à qui je donnerai des yeux doux et un cœur triste, un cœur faible, mais fidèle.» (p.79)
Des occupations qui poussent vers l’essentiel, les questions qui ne trouvent que rarement de réponses.
«Qui suis-je, au fond ? Un guetteur, un pisteur, un espion et un mouchard : un écrivain. Pour le reste, je suis comme chacun, celui qui se met en file, obéit et espère ressortir vivant (et toujours capable de voir) des échauffourées quotidiennes.» (p.68)
L’écrivain, par le biais de ses récits, nous entraîne dans l’hésitation, la rupture du temps où la vie prend son sens et trouve sa plénitude. Le grand tourmenté ne s’arrête jamais de battre la campagne et de secouer l’univers des mots. Il faut prendre le risque de suivre Robert Lalonde. Plonger dans l’un de ses carnets, c’est tout délaisser quand un ami se présente, se confie et se livre sans aucune retenue. Une expérience existentielle à chaque fois.

«Le seul instant» de Robert Lalonde est publié chez Boréal Éditeur.

dimanche 16 janvier 2011

Bertrand Gervais et les affres de la cinquantaine

Rémy Potvin déprime. Son dernier roman a été boudé par la critique. Un ouvrage volumineux qui demande des efforts à la lecture. Difficile de ne pas faire le lien avec «Les failles de l’Amérique» de Bertrand Gervais, un roman magistral passé dans une belle indifférence en 2005.
«Comme dans un film des frères Cohen», la dernière parution de Gervais, s’attarde à cet écrivain dans la cinquantaine qui sent le temps filer.
L’histoire s’amorce en Australie. Carole et Rémy visitent le pays des kangourous, un cadeau de leur fils peintre qui connaît le succès. Son premier vernissage l’a rendu célèbre ou presque. Ils circulent en auto et le GPS, par une voix de femme, guide le moindre de leurs gestes. La voix obsède Rémy et exaspère Carole. Gwyneth, c’est le nom de la guide, multiplie les indications et s’infiltre peu à peu dans leur vie.
«Vous êtes peut-être dans la même voiture, mais vous n’allez pas dans la même direction. L’Australie n’est pas un médicament. » Carole réagit violemment. Elle allume la radio à plein volume. Elle ne veut rien entendre des lapalissades que nous sert Gwyneth entre deux indications.» (p.22)
Cette «présence étrange» sent les tensions dans le couple. Peut-être une allusion à cette technologie qui aspire l’âme des individus qui se branchent sur toute une panoplie de gadgets.

Retour

Les choses ne s’arrangent pas en rentrant à Montréal. Rémy n’arrive plus à écrire et tourne comme un poisson dans un bocal. Il envie les succès de son fils, fantasme sur sa petite amie, tente de se justifier, mais n’arrive pas à retrouver son équilibre. Son dernier échec pèse lourd et ses contacts avec son éditeur ne le rassurent guère.
«C’est mon âme que je mets dans mes écrits. C’est ma vie qui est chaque fois en jeu. Pas celle de quelqu’un d’autre. Et quand un de mes romans fait un flop, je ne peux pas me cacher derrière des vices cachés ou un ralentissement économique, je ne peux blâmer le vendeur ou le client, il n’y a que moi. C’est uniquement ma faute. Et je suis le seul à en payer le prix.» (p.86)
Carole fait ses valises et Alexandre, le fils, prend ses distances. Et pour tourner le fer dans la plaie, un collègue remporte le prix du Gouverneur général du Canada. C’est la goutte qui fait déborder le vase. Rien de pire que les succès des autres quand les mots deviennent des ennemis.
Rémy a beau subir des examens à l’hôpital, il n’arrive pas à cerner ses peurs et ses angoisses. Il n’est plus qu’un objet devant le regard des spécialistes. La dépersonnalisation totale, la perte de son identité. Est-ce le sort de l’écrivain qui devient une chose sous l’oeil du lecteur ?
«Il n’y a pas à dire, la salle d’attente d’un hôpital bouleverse la beauté de la femme. Elle la cache comme le ferait un masque mortuaire. Quand elles pénètrent dans un hôpital, les femmes ne sont plus des femmes, mais des corps. Un ensemble d’organes soumis à des regards scrutateurs. Le corps dépersonnalisé a perdu tout érotisme.» (p.168)
Gervais ne trompe personne. C’est lui que Rémy projette dans ces femmes.

Travail

L’humour de Bertrand Gervais devient grinçant dans cet ouvrage où le cinéma multiplie les décors et les ambiances. L’écrivain est happé par la fiction qui triomphe de la réalité. Sa volonté de vivre est étouffée par une pulsion de mort et de destruction, les deux piliers de la création, dit-on souvent.
Bien sûr, un choc ramènera Rémy à une forme de conscience après avoir touché le fond. Il faut toujours le pire pour dessiller les yeux. Que s’est-il passé ? Peut-il revenir vers les siens ?
«J’ai cinquante ans. Je suis seul. Abandonné. En sursis. Carole est chez Manon ; Alexandre, chez Victor. Et Élisabeth Poignard passe des tests psychiatriques. On veut aussi m’en faire subir. Mes propos ont paru tout aussi incohérents que les siens. Je n’aurais jamais dû mentionner Gyyneth. Le rêve est pourtant rompu. Décapité.» (p.205)
L’écriture se situe au coeur de l’œuvre de Bertrand Gervais. Elle en est le moteur pour ainsi dire. Mais les muses, parfois, peuvent devenir des sirènes qui aspirent l’écrivain vers les ténèbres.
Le lecteur en sort de ce roman avec soulagement presque. Parce que la descente aux enfers de Rémy est déboussolante. Rien à voir avec la fable de «L’île des pas perdus» et les deux romans qui ont donné une suite pleine de fantaisie et de surprises.

«Comme dans un film des frères Cohen» de Bertrand Gervais est paru chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/auteur/55.html