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mardi 15 décembre 2009

Michel Samson présente l'Asie traditionnelle

Michel Samson, avec «Ombres sereines», fait son entrée en littérature de façon plutôt originale.

 L’auteur nous entraîne dans une Asie mythique où les sages enseignent à l’ombre d’arbres centenaires, écoutent plus qu’ils ne parlent. Parce que la sagesse, il faut le dire, ne niche pas dans le «murmure marchand». Il suffit d’un mot affûté comme une lame, précis comme un grain de beauté pour provoquer l’illumination qui embrase la vie. Michel Samson nous présente des moines qui vivent retirés dans les montagnes, des maîtres qui semblent avoir tout vécu; d’humbles artisans qui, poussant leur art dans ses derniers retranchements, découvrent ce que doit être la vie, la voie qui mène à sa pleine réalisation. 
«La flamme cherche vainement son ombre et jalouse ainsi tous ceux qu’elle éclaire. Lorsqu’elle s’éteint, elle réalise enfin son appartenance à ce monde peuplé de flammes jalouses. Merci de votre grande patience à l’égard de ce pauvre jardinier si entiché de sa propre lueur qu’il s’est cru capable d’éclairer la Voie sans réaliser que c’est la Voie qui éclaire.» (p.49)

Recherche

Voilà une forme de pensée qui a hanté la beat génération, particulièrement Jack Kerouac qui ne cessait de parcourir les États-Unis.
Le lecteur plonge dans un monde un peu hors temps, même si certaines allusions nous rapprochent de l’époque contemporaine. Un monde où la fragmentation du travail, la mondialisation et la productivité n’existent pas. Inutile de chercher les crises et les récessions économiques.
Une réflexion, un sourire provoque l’étincelle qui soulève l’âme et l’être.
«- Toutes ces années, j’ai été le nœud du bambou. J’ai cherché un chemin sans comprendre, égoïstement. Mon voyage n’aura donc pas été inutile.
Le moine s’inclina alors en souriant.
- Vous pouvez aller. La voie s’étale sous vos pieds.» (p.72)

Pas de surprise

L’ensemble de ces récits ou de ces réflexions sur la vie, le temps qui passe, le sens des choses, n’a rien d’étonnant. Les histoires de Michel Samson ne surprennent jamais et c’est peut-être là qu’il faut chercher une signification. Il suffit de voir, de regarder le monde tout autour, sans chercher le spectaculaire ou l’original pour trouver une direction à suivre, un équilibre dans la succession des jours.
Des histoires charmantes que nous lisons le sourire aux lèvres. C’est toujours joliment tourné avec cette petite poussée à la fin qui nous laisse sur un pied, avec une question que nous n’osons formuler, une solution qui se laisse désirer.
S’il y a une leçon à tirer d’«Ombres sereines», c’est de cesser de s’agiter et de chercher des réponses toutes faites.
Michel Samson détonne certainement dans ce monde d’excitation et de performances à tout prix. Un sentiment de plénitude se dégage de cette lecture et c’est loin d’être désagréable.

«Ombres sereines» de Michel Samson est paru aux Éditions La grenouille bleue.

dimanche 13 décembre 2009

Peut-on être heureux sans croire en Dieu?


«Heureux sans Dieu», un collectif dirigé par Daniel Baril et Normand Baillargeon, regroupe les réflexions de quatorze personnalités québécoises sur Dieu, la religion, les croyances et la foi. Quatre femmes et dix hommes, dont Arlette Cousture, Louise Gendron, Isabelle Maréchal, Yannick Villedieu et Louis Gill.
Tous affirment qu’ils ne croient pas en un Être suprême. Ils se sont débarrassés de toutes les superstitions et ne cherchent pas une cause ou un effet pour expliquer la vie et la mort. L’humain est seul dans l’univers, sans peur et sans craintes. Au bout de son existence, comme toutes les autres espèces vivantes qui l’entourent, il retourne au grand rien d’où il est sorti. Une réflexion qui, malgré tout ce que l’on peut entendre et dire dans les médias, s’avère courageuse.
«C’est qu’aujourd’hui encore l’athéisme dérange, fait peur, voire suscite le rejet, écrit l’auteur de la présentation Daniel Baril. Si les gays ont réussi à sortir au grand jour, les athées n’osent pas encore s’afficher, craignant d’être perçus, au mieux comme des trouble-fête, au pire comme de bien tristes personnages à qui il doit sans aucun doute manquer quelque chose.» (p.8)
Bien sûr, on peut parler de la désertion des églises, affirmer que le catholicisme  perd du terrain dans nos sociétés. Pourtant, il suffit de scruter l’actualité pour constater que nombres de guerres de religion existent encore. Le fanatisme et les croisades les plus folles sont loin d’être endigués et ne se retrouvent pas seulement du côté musulman de l’humanité
Cette façon de concevoir la vie sans plan de Dieu, sans au-delà, n’empêche pas ces témoins de ressentir de l’empathie pour leurs semblables, de prôner la solidarité, l’entraide et le partage. L’athéisme, selon eux, est jumelé au savoir. Plus la connaissance s’impose, moins les chances de croire aux fables et aux mythes sont grandes. Le savoir et la réflexion font en sorte que les superstitions cèdent le pas à une forme de lucidité courageuse.
«Les commandements de Dieu sont les mêmes, à quelques virgules près, dans toutes les grandes religions du monde, affirme Louise Gendron. Parce qu’ils correspondent à des tabous, à des règles profondément inscrites dans l’histoire de l’humanité et, souvent, dans la biologie même.» (p.15)
Ceux et celles qui ont accepté d’aborder cette question défendent une société laïque, libérée de toutes manifestations religieuses à l’école et dans le fonctionnement de l’État. Les croyances sont de l’ordre du privé et ne doivent pas s’aventurer sur la place publique. Jamais cela ne doit transpirer dans les discours des politiciens et des dirigeants.
«À mes yeux, je ne le cache pas, églises, synagogues, temples, mosquées, prêtres, imams, rabbins, pasteurs, soutanes, prières, chapelets et mille autres choses encore sont, par bien des aspects, des blasphèmes contre ce qui occupe dans mon échelle de valeurs cet équivalent laïque du sacré et contre certaines des valeurs que je chéris le plus : l’amour de l’humanité, la solidarité, la raison, le progrès.» (p.82)
Cette affirmation de Normand Baillargeon heurte de front les accommodements dits raisonnables qui ont fait les manchettes au Québec. 

Témoignages

Tout n’est pas de la même coulée dans ces témoignages. Louisette Dussault et Arlette Cousture racontent comment elles se sont éloignées des croyances de leur milieu. Un doute, une lassitude et l’abandon de la pratique religieuse est venu tout naturellement.
Il faut s’attarder aux réflexions Daniel Baril, Cyrille Barette et Hervé Fischer. Il y a matière à réflexions. Normand Baillargeon par exemple.
«Imaginez qu’il y ait, au Québec, un réseau de polyvalentes conservatrices, un autre de d’écoles libérales, un autre encore d’écoles péquistes, puis d’écoles communistes, et d’écoles anarchistes… … C’est pourtant ce que nous faisons en tolérant des écoles religieuses réservées à des « petits musulmans » et à des «petits juifs»… (p.96)
Le nouvel humanisme misant sur le vivant et sa capacité de réflexion est encore loin. Les religions, plusieurs le constatent, finissent par nous rattraper, que ce soit à la naissance ou à la mort. Toutes les sociétés ont des réflexes qui reviennent, particulièrement devant de lourdes épreuves. Un livre inégal mais fort intéressant sur un sujet que l’on n’ose guère débattre. Peut-être l’un des derniers tabous qui existent dans nos sociétés.

«Heureux sans Dieu» de Daniel Baril et Normand Baillargeon est paru chez VLB Éditeur.

samedi 12 décembre 2009

Éloge de la merde et de la pisse

Avec Guy Perreault, nous basculons dans un univers sordide et plutôt inquiétant. «Ne me quittez pas», on serait tenter de le faire rapidement, présente ces individus qui ne savent pas rompre et tourner la page. Incapable d'affronter la réalité, ils préfèrent s'inventer un univers et se débattre avec des fantasmes qui peu à peu s'emparent de leur esprit. Dans «Eaux mortes», un homme abandonné tente de retrouver sa femme. Un mâle qui ne sait qu'uriner, boire, uriner encore jusqu'à faire déborder le bain, les éviers et les poubelles. Une bête mâle qui marque son territoire, l'orignal en rut qui ne sait plus se retenir. Il pisse sur les trottoirs, dans la cabine téléphonique! Très vite on se lasse de cette écriture qui ne dépasse jamais le stade anal. 
Le récit le plus réussi reste l'enfant au fond de la baignoire. Là, malgré certains égarements, l'auteur parvient à nous entraîner dans un monde fascinant. La séparation d'avec la petite morte ne se fait pas et la baignoire devient miroir et reflets.
Je n’avais encore rien lu pourtant. Dans «Étoile froide», je me suis heurté à la nécrophilie, la merde, une forme de cannibalisme, la sodomie et tout ce que vous pouvez imaginer. Un homme baise avec sa femme morte et semble vouer à l'érection perpétuelle. Bien sûr, il ne faut jamais lire ces textes au premier degré mais comment oublier toutes les horreurs et les immondices.

Contenu

On dira toujours que Guy Perreault sait manier la phrase mais faut-il pour autant oublier le contenu. Un texte, si bien écrit soit-il, ne me fera jamais oublier ces étreintes qui finissent dans la merde et la pisse. Un petit échantillon?
«L'anus se contracte mollement, desserre son étreinte. Une émission de merde en déborde, malgré la verge plantée au plus profond. Puis les sphincters se relâchent, laissant filer une ultime plainte. En même temps que les larmes, le sperme jaillit.» (p.63).
Il ne manque que l'odeur. Pour choquer dites-vous? Même pas. À oublier au plus sacrant.

«Ne me quittez pas!» de Guy Perreault est paru aux Éditions Triptyque.

dimanche 6 décembre 2009

Mylène Bouchard étonne et séduit

J’ai lu «La garçonnière» dans une sorte d’élan fou. Les personnages et cette histoire m’ont happé. L’écrivaine, qui présente ici son second roman, visite son histoire en multipliant les points de vue comme certains artistes en arts visuels savent le faire.
Les assises géographiques d’abord. L’Abitibi et le Lac-Saint-Jean. Deux régions sœurs et étrangères. Mara est née à Noranda, Hubert à Péribonka. Une ville et un village situés sur le 48e parallèle. Une ligne qui ceinture la Terre et traverse des centaines de villes. Deux régions éloignées, dissemblables et soeurs. Comme deux corps qui se frôlent sans vraiment se toucher, deux êtres qui nagent dans une même direction.
«Ainsi, Mara et Hubert étaient restés saisis de leur première poignée de main. Une route devrait impérativement les accoler. En fait, il y a une route pour aller et venir de l’un à l’autre de cet endroit, mais elle mobilise une journée de déplacement sur des chemins pourris, aux abords de brûlis à perte de vue.» (p.15)
Mara et Hubert sont prisonniers en quelque sorte de leurs lieux d’origine.
Beau voyage aussi dans la littérature, des films et des chansons qui portent cette histoire d’amour possible et imaginaire. Même Richard Desjardins devient un personnage.

Géographie

Un premier contact, une sorte de coup de foudre. Mara et Hubert deviennent les meilleurs amis du monde, des complices qui passent leurs nuits à discuter, à jongler avec des questions qui ne demandent pas nécessairement de réponses.
«Le futon était ouvert, béant dans le salon. Mara était belle, ce soir-là, toute simple. Dans la sensualité du film, nous nous étions rapprochés l’un de l’autre, à moins que j’aie rêvé, tout imaginé. Quelques centimètres nous séparaient. Il en manquait peu pour que je desserre la main, crispée, moite, et que je saisisse la sienne. J’avais du mal à me concentrer. J’étais bien, mais je souffrais de ne pouvoir foncer dans le noir. Dans l’inconnu. Pour dénouer les silences. Pour confirmer les étreintes.» (p. 56)
Il suffirait d’un geste, d’un regard. Il faudrait un abandon. Cette complicité les rapproche et les éloigne. Comme deux espaces géographiques qui ne seront jamais l’un et l’autre.
Ils se retrouvent à Montréal comme des milliers de jeunes qui quittent leur région pour des études, un travail et une vie autre.

Ensemble

Tous les voient ensemble. Amoureux ? Certainement. Complices, « frère et sœur de latitude » qui n’arrivent pas aux gestes physiques de l’amour. Et à trop se fréquenter, on finit souvent par s’éloigner.
«Aussi précipité que cela avait pu l’être ce matin-là, au Café Suspendu, leur lieu de prédilection à tous les deux, dans la maladresse de l’instant, ils s’étaient entendus sur l’idée de ne plus jamais, plus jamais se revoir, plus jamais… » (p. 120)
Elle devient vedette de la radio, lui écrivain en exil à Prague. Les régions siamoises peuvent devenir aussi des continents. Elle s’oublie dans le travail, les amourettes, les rencontres brèves. Il écrit comme pour lancer des cris de détresse, s’intéresse aux œuvres d’art.
Ils mettront une vie à se retrouver, à s’aimer comme ils auraient dû, le premier soir. À Beyrouth, les digues s’évanouissent. L’amour est là, fou. L’amour passion qu’ils consentent enfin à vivre.
«Mara et Hubert écrivaient leur propre histoire. Bien qu’ils commençassent à n’être plus guère en forme – fatigués, dépeignés, intemporels -, ils aimaient sortir, prendre l’air et exister là, comme seuls au monde. Comme une paire. De jeunes mariés. Avec l’illusion que cela durerait toujours et que personne ne remarquerait leur présence dans cette garçonnière de bord de mer qui semblait avoir été dessinée pour eux.» (p. 171)
« La garçonnière » est une magnifique réussite. Un ouvrage d’une étonnante profondeur malgré les apparences. Une fraîcheur aussi ! On ne peut qu’avoir envie de relire ce roman-puzzle, de s’y replonger pour en savourer tous les aspects.
Une grande histoire d’amour qui va dans plusieurs directions et hante toute une vie. Une passion qui s’appuie sur les éléments géographiques et des œuvres littéraires, qui remet en question une foule de comportements. Mylène Bouchard frappe juste et fort. J’ai adoré l’écriture, cet univers, les personnages qui prennent la parole tour à tour.

«La garçonnière» de Mylène Bouchard est paru aux Éditions La Peuplade.

dimanche 8 novembre 2009

Pierre Gariépy joue le tout pour le tout

Que j’ai aimé «Lomer Odyssée», le premier roman de Pierre Gariépy. Une histoire d’amour entre un jeune homme à peine réchappé de l’adolescence et une femme d’un âge certain. C’était quelque part dans une ville, un port de mer, un monde où la mort rôde quand s’installe la nuit. Une histoire d’amour qui finissait tragiquement, comme il se doit. Lomer, après la mort de sa Gueuse, continuait son errance qui allait le mener vers Blanca. Un dernier feu d’artifice.

Dans «Blanca en sainte», Lomer, ce survivant de son passé, brûlé par la vie est disparu. Pour ne jamais l’oublier, Blanca se fait marquer au fer rouge. Elle est sa femme, dans sa chair et son âme, marquée comme le bétail pour montrer son appartenance.
«Et si j’en avais eu la force, j’aurais ri de moi-même en pensant que pour ne jamais t’oublier justement, Lomer, j’avais fait marquer au fer rouge ton nom dans mon front.» (p.14)

Pas rassurant

L’univers de Gariépy n’avait rien de réjouissant dans «Lomer Odyssée». Les personnages évoluaient dans un monde de déjections et de rebuts. La ville s’est dégradée dans «Blanca en sainte». La peste règne, les rats crèvent massivement et les gens meurent dans les rues quand ils ne se tuent pas. Il n’y a plus de nourriture, plus de pétrole, plus d’alcool. Blanca, la Démone, est enceinte de Pierre. Elle a retrouvé son clan après la mort de Lomer, se bute à Ti-Rat qui rêve d’elle, la suit comme son ombre, lui offre son corps et son âme.
«J’avais deux fois son âge, à lui, et j’avais à peine 18 ans, même si j’en avais 100 dans mon ventre, ma tête – c’était qu’un ti-cul, ti-rat -, et déjà il conduisait, un bull, et il killait, un pig. J’en ai donc conclu qu’il était un intéressant jeune animal et je suis venue à lui, enjambant mailles de stainless, lambeaux en sang et miasmes de viscères.» (p.22)
Blanca donne naissance à un fils, mais elle se meurt. Les hommes retombent en enfance. Elle vieillit de plusieurs années à tous les jours. Tout est exacerbé, poussé à son extrême. Ti-Rat, désespérant d’amour, obsédé, halluciné, se pend au mât du navire où le clan s’est réfugié.

Apocalypse

L’amour chez Pierre Gariépy est perte de soi et hantise. Est-il possible de survivre à un amour qui rase tout? Peut-il y avoir un amour après l’amour? Iseult ou Juliette auraient-elles pu connaître une autre passion fulgurante après Tristan et Roméo? L’absolu de la jeunesse n’existe que dans la jeunesse, que quand le brasier illumine le ciel, quand les planètes gravitent autour de l’être aimé. Que la première fois!
Blanca ne peut être l’amour de Ti-Rat. Elle pourrait peut-être l’aimer sans connaître les grandes secousses telluriques, mais lui cherche l’absolu et ne peut se contenter d’un succédané. Il préfère la mort.
Allégorie bien sûr, mais comment se défaire de l’impression que tout grince, qu’il n’y a plus d’avenir possible. Reste l’enfant… Demain est-il imaginable dans un univers en décomposition…
«Pierre, lui, grandissait, il tétait et semblait ne jamais vouloir s’arrêter, c’était mieux ainsi, la nourriture était si rare, j’étais ses vivres et pensais que tant que je le resterais, je vivrais moi aussi. Ni la peste, ni Dieu, ni Satan n’auraient d’emprise sur moi, aussi longtemps qu’il ne serait pas de moi sevré, Pierre c’était toi, Lomer, et je ne serais jamais sevrée de toi ni de Pierre, mais lui, si.» (p.80)
Un roman exigeant et un peu déconcertant. On trébuche dans les interstices des phrases qui s’étiolent. La langue est atteinte, les mots perdent leur sens. L’écriture se défait, s’inverse et devient floue, comme grugée de l’intérieur. Inversions, répétitions, allitérations, tout sert à porter ce grand cri de désespoir.
Pierre Gariépy joue le tout pour le tout, saute sans parachute. Une entreprise fort risquée qui laisse un peu perplexe, même si à la toute fin s’ouvre «l’âge de Pierre». Est-ce celle de l’auteur... Oui, peut-être que l’avenir peut avoir un avenir. On veut y croire. Je le souhaite en croisant les doigts.

« Blanca en sainte » de Pierre Gariépy est publié chez XYZ Éditeur.

dimanche 1 novembre 2009

Dany Laferrière retrouve son pays


«La nouvelle coupe la nuit en deux. L’appel téléphonique fatal que tout homme d’âge mûr reçoit un jour. Mon père vient de mourir.» (p.13)
Commence alors pour Dany Laferrière le périple du retour qui le ramène en Haïti. L’écrivain a peu connu son père qui a quitté son île pour échapper aux tontons macoutes. Réfugié à New York, il s’est refait une vie loin des siens et de sa famille.
«J’avais frappé à sa porte il y a quelques années. Il n’avait pas répondu. Je savais qu’il était dans la chambre. Je l’entendais respirer bruyamment derrière la porte. Comme j’avais fait le voyage depuis Montréal j’ai insisté. Je l’entends encore hurler qu’il n’a jamais eu d’enfant, ni de femme, ni de pays.» (p.66)
Qui est l’homme qui a dû partir à cause de ses idées et de ses activités politiques? Tout se bouscule dans la tête du romancier qui devait lui aussi suive ses traces. Des vies parallèles, l’un à New York, l’autre à Montréal.
«Mon père vivait dans une petite chambre presque vide que mes oncles m’ont fait visiter après l’enterrement sous la pluie dans ce cimetière de Brooklyn. Il s’était, vers la fin, dépouillé de tout. Il fut toute sa vie un solitaire malgré le fait que ses activités politiques le poussaient vers les gens.» (p.65)

Le retour

Après les rituels et les derniers hommages, le romancier se retrouve à Port-au-Prince avec sa mère et sa sœur, un neveu qui veut devenir écrivain.
«J’ai pris toutes les précautions du monde pour annoncer à ma mère la mort de mon père. Elle a d’abord fait la sourde oreille. Puis s’est fâchée contre le messager. La distance est si fine entre la longue absence et la mort que je ne me suis pas assez méfié de l’impact de la nouvelle sur les nerfs de ma mère.» (p.112)
Cette femme a cultivé l’espoir de retrouver son mari tout en refusant de quitter Port-au-Prince. À cause des enfants et peut-être aussi par crainte de l’étranger même si la vie en Haïti demeure dangereuse. Duvalier est parti, mais la situation n’a guère changé.
«Les vrais maîtres de ce pays, on ne les voit jamais. Pour eux, c’est une histoire sans rupture. D’un seul tenant. Ils veillent au grain depuis la fin de l’époque coloniale. C’est toujours la même histoire : un groupe remplace un autre, et ainsi de suite. Si tu crois qu’il y a un passé, un présent et un futur, tu te mets un doigt long comme ça dans l’œil. L’argent existe, pas le temps.» (p.223)
Dany Laferrière qui s’installait à Montréal, il y a plus de trente ans, a perdu bien des illusions. Il reconnaît des lieux, des visages, mais il n’est plus chez lui.

La quête

L’écrivain rencontre des amis de son père, glane ici et là des anecdotes, mais n’arrive pas à percer le brouillard. Pas plus qu’il n’arrive à renouer avec sa jeunesse et son enfance. Il est devenu un autre dans le pays du froid. La vie est mouvement. Pire. Il est devenu étranger. C’est peut-être le châtiment le plus terrible pour celui qui doit abandonner son pays.
Dany Laferrière se montre sous son meilleur jour dans «L’énigme du retour». Un roman vrai, chaud et plein de tendresse. L’écrivain témoigne de ce farouche instinct de vie qui anime la population haïtienne, cette rage de survivre, d’aimer, de se relever peut-être pour croire au présent.
La forme surprend un peu au début. La phrase prend l’apparence du poème, peut-être pour dégager l’atmosphère qui peut devenir lourde quand on se bute à ses souvenirs, à des proches que l’on ne reconnaît plus. Réflexions sur la vie, la mort, l’exil et l’écriture, les racines et la filialité, ce roman parle particulièrement à un Québécois qui n’en a pas fini avec la question de l’identité.
Dany Laferrière questionne l’exil qui condamne des individus à n’être plus que des déracinés, des êtres qui ont l’impression d’avoir vécu à côté de soi. Toujours juste et émouvant, pas étonnant que «L’énigme du retour» soit en lice pour plusieurs prix littéraires.

«L’énigme du retour» de Dany Laferrière est paru aux Éditions Boréal.

dimanche 25 octobre 2009

Laurent Laplante regarde dans le rétroviseur

«Par marée descendante» de Laurent Laplante met l’accent sur une période de la vie que l’on a tendance à mystifier. Combien de fois entend-on parler de l’âge d’or et de retraite dorée. Un temps de la vie qui se prolonge de plus en plus, créant des problématiques nouvelles. La télévision montre à répétition l’image de «ces jeunes vieux» qui partent découvrir le monde comme des adolescents. Malgré cette version édulcorée, ce versant de la vie est souvent marqué par la maladie, la solitude et l’isolement. Et quand il n’est plus possible de vivre dans une maison durement acquise, il faut s’adapter à la vie communautaire, s’installer dans un foyer en attendant le dernier voyage. Pas facile pour les individualistes que nous sommes.

Rétroviseur

C’est aussi la période des bilans, même s’il y a de moins en moins de gens pour écouter. Les enfants sont aspirés par le travail, la productivité, les divorces et les gardes partagées. Laurent Laplante «regarde dans le rétroviseur» comme il dit. Rappelons qu’il a été un observateur et un commentateur de l’actualité pendant toute une carrière journalistique fort active.
«Atteindre 75 ans en 2009 signifie que j’avais 11 ans lors l’armistice de 1945, 16 ans au déclenchement de la guerre de Corée, 25 ans à la mort de Duplessis, 33 ans lors de l’Exposition universelle de Montréal, 36 ans à la Crise d’octobre, 42 ans au soir de la première victoire électorale du Parti québécois…» (p.11)
Il a vécu la Révolution tranquille, la laïcisation de l’État ou ce qu’il en a résulté, l’arrivée de nombreux immigrants et la mondialisation, le féminisme et les tergiversations du Québec. L’auteur questionne sa vie, ses décisions, des idées qu’il a défendues pendant un certain temps.
Lecteur boulimique, ce solitaire s’est exercé à la lucidité pendant toute sa vie. Sans développer de thèses, Laurent Laplante nous permet de nous arrêter sur une tranche de l’histoire du Québec.
«Le XXe siècle aura mitonné ce qui semble une loi non écrite du Québec politique. Loi qui s’énoncerait ainsi : chaque génération délaisse le véhicule idéologique de la précédente pour inventer le sien. Une deuxième pourrait, moyennant nuance, s’ajouter : les partis idéologiques naissent d’un leader et s’écroulent à sa disparition.» (p.55)
L’aspect politique prend de l’importance dans la réflexion de Laplante. On ne fréquente pas le monde journalistique et les preneurs de décisions sans que cela ne laisse des traces.

Méfiance

L’auteur se méfie cependant de ses réflexes de journaliste et c’est pourquoi, peut-être, il a divisé son livre en deux volets. Il laisse courir sa réflexion et «Dans les marges de l’écriture», il s’interroge, réfléchit à ce qu’il vient d’énoncer. Un point de vue plus personnel, plus intime s’exprime alors.
Il voit juste, frappe fort malgré les masques et les décors de plus en plus impressionnants qu’apprécie la société. Les syndicats se sont embourgeoisés. Le mouvement Desjardins n’a plus rien à voir avec les coopératives des débuts. La télévision et la radio de Radio-Canada, si importantes dans l’émergence de la pensée au Québec, se vident de leur substance dans la course aux cotes d’écoute.
«Sauf au cours de la fin de semaine, Radio-Canada impose une macédoine infecte d’acceptable, de crétinisme, de beau, de guimauve d’ascenseur. Tout cela enveloppé dans son hypocrisie snobinarde et d’inattaquables principes. Après l’instruction sans effort, la culture rendue facile et la démocratie à sa plus courte distance de la démagogie… … Radio-Canada est gérée par des analphabètes qui ignorent la mission d’une radio d’État.» (p.118)

Réflexions

La pensée fait peur. Plus, elle ennuie. On la fuit, on la ridiculise. Il faut se détendre, s’amuser, regarder des pitreries au petit écran ou courir se gaver de la vulgarité de certains humoristes dans les salles.
Le journaliste tente d’éviter les travers de l’âge qui occultent le présent et donnent toute la place au passé. C’est fort heureux. Réflexion pertinente, juste, on aurait aimé qu’il pousse plus loin sur le monde politique et médiatique.
Laurent Laplante est un sage, un critique nécessaire qui a encore son mot à dire et il fait bon l’entendre, l’écouter discourir, parfois nous fustiger. Il en a le devoir.  

«Par marée descendante» de Laurent Laplante est paru aux Éditions MultiMondes.

dimanche 18 octobre 2009

Victor-Lévy Beaulieu retourne aux sources

Victor-Lévy Beaulieu, avec «Bibi», nous ramène dans son adolescence. La famille a quitté les arrières de Trois-Pistoles pour s’installer à «Morial-Mort». La tribu vit dans un appartement trop petit où Abel, l’alter ego de VLB, veut échapper à la vie de ses parents.«Moi, je ne suis pas comme vous autres, je suis venu au monde pour créer, pour rêver, pour dénoncer, je suis venu au monde pour connaître vraiment ce que le mot passion veut dire.» (p.103)
Le lecteur va des premiers pas d’Abel en littérature à une course folle dans le monde pour retrouver Judith qui lui a fait découvrir la sexualité et a cru en lui. Elle l’a fait exister comme écrivain avec son regard de lectrice.
Cette partie nous mène à Paris. Abel a remporté un prix littéraire et doit faire un stage chez Larousse en édition. Le texte gagnant a été la source, on l’imagine, de «Pour saluer Victor Hugo».
Abel n’a pas revu Judith depuis quarante ans et un matin, une lettre arrive dans sa maison de Trois-Pistoles. Un appel, un ordre. Il quitte tout, va de pays en pays comme le Petit Poucet pour retrouver la seule femme qu’il a aimée. C’est ainsi qu’il débarque en Éthiopie, berceau de l’humanité et peut-être aussi son tombeau.
«… - cette peur qui me fait suer, qui s’immisce sous l’attelage me recouvrant le bras et l’épaule gauches, infiniment douloureux ça devient : ça monte jusqu’à mes yeux, ça y plante plein de petites aiguilles empoisonnées, je ne verrai bientôt plus rien ni du ciel ni de la terre, je ne serai plus sur la terre battue qu’un petit corps mal recroquevillé et assailli par les essaims de mouches belliqueuses et buveuses de sang… -» (p.439)
Ces courses en Afrique permettent à Beaulieu de discourir longuement sur la misère, les coups d’États, les régimes despotiques et les génocides. Un continent exploité par des dictateurs sanguinaires, tous jouets des puissances mondiales. Ce n’est pas la partie la plus intéressante de cette saga.

Les parents

Victor-Lévy Beaulieu revient sur cette haine viscérale et obsédante qu’il entretient envers sa mère et son père. Signalons seulement le portrait qu’il fait de sa mère dans «James Joyce». Particulièrement troublant et dérangeant. Ses parents devenant un obstacle à ce qu’il veut être dans la littérature. Il doit rompre, les éloigner, les chasser. Cela devient vite hallucinant comme tout ce que touche ce romancier.
«Je les aguis, que je dis. Vous voulez savoir pourquoi ? Parce qu’ils vous ressemblent : se confortent aux idées reçues, n’ont plus le pouvoir de penser parce que votre Église et toutes les autres les ont lobotomisés. Et tout ça pour jouir d’une vie éternelle, qui n’est rien de moins qu’une chimère. Quand on meurt, le corps pourrit, et c’est ça la vie éternelle : un petit tas d’ossements qui finit par disparaître complètement, rien d’autre.» (p.311)
Il s’attarde longuement à la poliomyélite qui l’a laissé sur une planche de bois pendant des jours. Ses lectures aussi, des réflexions sur le Québec et certains écrivains.
Roman du souvenir, du vieillissement, Abel fait le point sur le parti de soi qu’il a pris en choisissant d’écrire. Nous sommes loin du «James Joyce» et de «La Grande tribu» où l’écrivain atteignait des sommets inégalés.
«- ne te déjette pas de ton égoïsme, il n’y a que ça qui t’appartienne en propre, il n’y a que ça qui fait que tout ce qui t’appartienne en propre, cette étendue, cette profondeur, cette durée – toi, toi-même, uniquement toi, totalement toi-même -» (p.494)
La mort est évoquée dans une sorte de prière qui monte du fond de l’être. C’est particulièrement touchant. Abel souffre dans son corps frappé par la maladie, survit en vidant des bouteilles de whisky à petites gorgées, évoque la douleur de Kafka qui se sait perdu au sanatorium ou d’Antonin Artaud qui délire dans sa réclusion.
À la fin de cette errance, Abel est criblé de balles après avoir retrouvé Judith qui a mis en scène sa propre mort. Survivra-t-il ? Si Abel meurt, il ne faut pas attendre de suite à ces mémoires et j’en serais fort attristé.

« Bibi » de Victor-Lévy Beaulieu est paru aux Éditions Trois-Pistoles. 
http://www.editiontrois-pistoles.com/viewAuteur.php?id=6

dimanche 4 octobre 2009

Dany Tremblay traduit l’innommable

«Tous les chemins mènent à l’ombre» de Dany Tremblay est constitué de vingt-quatre nouvelles qui poussent le lecteur à la limite du tolérable. Il suffit d’un geste et tout bascule. La vie éclate dans une sorte de bing bang existentiel. Plus rien n’a de sens. Une sorte de frontière a été franchie. Les personnages sont des corps en orbite.

 «Hier encore, elle se serait contentée d’observer à distance, à l’abri derrière son volant. Mais rien de ce qui tenait auparavant n’existe plus. Sa vie a basculé dans les dernières vingt-quatre heures. Elle ouvre la portière et sort du véhicule.» (p.63)
Les héroïnes de Dany Tremblay subissent des agressions qui rendent la vie impensable. Meurtries à l’âme, elles choisissent de continuer même si elles sont défaites ou d’en finir. Il faut alors vivre au-delà de la douleur, de l’avilissement et des mots. Nous sommes loin des croisements de Paul Auster qui fait glisser ses héros dans une vie parallèle. Chez Dany Tremblay, il n’y a pas de vie en parallèle.
Le lecteur a l’impression de s’aventurer sur le tranchant d’un couperet. Il glisse sur un fil et le moindre souffle provoque une catastrophe. Un pas, un autre et c’est la fin. Comment survivre quand son âme à été souillée…

Geste ultime

Marie tue l’homme qui la violentait depuis des années. Elle s’enfuit. Tadoussac, Baie-Sainte-Catherine, une maison au bord de l’eau et une vieille dame qui devine tout. Sa course la mènera peut-être aux Iles-de-la-Madeleine où tout s’arrêtera. Un jour, il faut empoigner la réalité ou en finir. Ruth a été violée sur une plage, face au fleuve. Julie n’en peut plus de sa dépendance et des humiliations. Elle s’enfonce dans l’eau glacée du Saint-Laurent.
Plusieurs des nouvelles nous amènent près du fleuve, ce lieu où la terre et l’eau se repoussent. Fascination pour l’eau et les profondeurs qui permettent de mettre fin à une douleur insoutenable.
«D’ici là, elle sera loin. L’eau est si froide. À peine si elle sent ses pieds, ses mollets. Elle avance d’un pas. D’un autre. Elle veut en franchir sept avant de tomber et d’être emportée par les courants. Au troisième, elle trébuche, perd le souffle en se retrouvant dans l’eau. Elle a le réflexe de se relever, de vouloir reprendre pied. Elle ne retrouve pas ses fonds, cesse de se débattre. Elle songe que ça ne prendra pas plus de sept minutes avant que tout soit fini. Elle commence à compter.» (p.87)
Les personnages de Dany Tremblay vont vers la mort ou survivent au-delà des mots et des émotions. Il faut des situations extrêmes, un geste sans retour pour trouver une forme de paix.

Éclairage

Les nouvelles de Dany Tremblay s’éclairent l’une l’autre, se complètent et permettent de mieux comprendre le drame qui foudroie un personnage. Elles fouillent l’âme humaine, la violence et les situations extrêmes. Elle nous entraîne au-delà du langage, là où il n’y a que les gestes qui importent et décident de tout.
L’écriture de Dany Tremblay fouille certains aspects des humains que personne n’aime mettre en évidence. Une écrivaine qui traduit en mots des situations ou des drames difficiles à imaginer. Elle frappe juste et fort à chaque fois.
Si quelques textes viennent directement de «Miroir aux alouettes», publié en 2008, ils ont tous été remaniés. Il faut faire l’expérience de lire ces nouvelles en parallèle. Une belle leçon d’écriture qui montre comment on peut pousser un texte là où il doit aller. Tout a été soupesé, rendu plus incisif.
«Tous les chemins mènent à l’ombre» est d’une densité rare. Dany Tremblay s’avère une nouvelliste d’une efficacité remarquable.

«Tous les chemins mènent à l’ombre» de Dany Tremblay est paru chez La grenouille bleue.

samedi 26 septembre 2009

Monique La Rue bouscule un Québec incertain

«L’œil de Marquise» de Monique La Rue, une véritable fresque familiale, fait revivre ces années où le Québec hésite entre la volonté de devenir un pays et le statu quo. Les frères Cardinal s’opposent. Louis est un indépendantiste convaincu et Doris hésite avant de tourner le dos à cette idée. Marquise va de l’un à l’autre, témoigne, tente peut-être de réconcilier l’impossible.
«Je suis la sœur de deux frères qui ne s’entendaient pas: Louis, l’aîné, et Doris. Je suis née entre les deux, j’ai vécu toute ma vie dans leur intime intimité, compris l’un, compris l’autre, comme ces enfants de divorcés qui s’exercent à ne pas prendre parti, à concilier l’inconciliable.» (p.11)
Louis est médecin, le compagnon d’une anglophone avec qui il aura une fille. Doris découvre son homosexualité sur le tard, devient l’amant de Jimmy Graham. Marquise, après un séjour à Paris avec Osler, un Belge qui a posé la bombe qui a tué Peter Graham en 1966, le père de Jimmy, vit avec un psychanalyste juif, écrit pour les jeunes. La famille Cardinal est déchirée, particulièrement depuis le dernier référendum où les tenants du oui ont failli l’emporter.
Doris, jongle avec des questions que personne n’aime brandir, écrit dans les journaux, intervient lors des lignes ouvertes à la radio.
«Si Jimmy Graham, disait-il, a entendu quelque chose de raciste dans mes mots, c’est lui qui a raison. Ce n’est pas à celui qui parle de juger, c’est à celui qui entend. Ce n’est pas à nous de dire qu’on n’est pas racistes. C’est aux autres de juger… … Même si je suis antiraciste, disait-il, cela ne m’empêche pas d’être raciste sans le vouloir.» (p.95)

Dérangeant

Roman courageux qui secoue des idées que nous n’aimons pas trop ressasser et encore moins discuter. Le nationalisme, le racisme, notre comportement face à l’étranger et à la violence, nos hésitations et nos peurs maladives. Marquise le résume bien en parlant de son jeune frère Doris.
«Il voulait traverser le miroir, devenir étranger, toujours plus étranger, étranger aux étrangers et à lui-même, comme l’enfant qui naît passe de l’eau à l’air, du noir à la lumière, apprend à regarder le corps de sa mère comme un autre corps, ce corps dans lequel il se trouvait, duquel il faisait partie depuis toujours, il s’en dégage peu à peu et apprend à le considérer comme un corps étranger. Il découvrait que l’on peut faire avec la langue maternelle la même chose qu’avec le corps maternel. S’en séparer.» (p.121)
Un récit plein de rebondissements qui questionne la vie, l’art, l’écriture, l’amitié, l’individualisme et la collectivité. Marquise tente de secouer le mauvais sort qui colle à elle comme cet Osler qui revient hanter sa vie. Un regard sur ce que nous sommes comme peuple et sur ce que nous sommes en train de devenir ou de ne pas devenir. Nos hésitations, nos craintes, nos peurs et surtout notre incroyable capacité à ne pas choisir s’imposent derrière les héros de Monique La Rue.

Courage

La romancière et essayiste n’évite jamais ces questions que certains voudraient biffer de notre histoire. Bien sûr, certains groupes au Québec ont connu des dérives idéologiques au cours des années. Pensons au fascisme. Il y a aussi ces Hassidiques qui vivent à Montréal comme sur une autre planète sans tenir compte des francophones. Monique La Rue a déjà été qualifiée des pires épithètes en abordant cette question.
L’écrivaine étonne, déroute pour mieux montrer nos travers. Une réflexion essentielle, un véritable trou noir qui aspire le lecteur et le pousse dans toutes les directions. Un roman exceptionnel.

«L’œil de Marquise» de Monique La Rue est paru aux Éditions du Boréal.

dimanche 13 septembre 2009

Jean Perron se perd dans la beauté de Venise

Un cinéaste, lors d’un séjour à Venise, croise une très belle femme. Le déclic se fait rapidement. Ce pourrait être une autre folle histoire d’amour que celle mise en scène par Jean Perron dans «Les fiancés du 29 février», mais il y a quelqu’un dans la vie de Corina.
 Les deux sont fascinés et décident de faire un film. Peut-être pour vivre un temps ensemble. Les images arriveront-elles à révéler cette femme imprévisible et secrète? Qui est Corina qui aime le cinéaste et une autre personne? Qui est le plus authentique? La femme qui porte un masque ou celle qui va visage nu?
«Cette séquence et d’autres images en mouvement apparaissent en surimpression, s’évanouissent les unes dans les autres et forment une trame dont je cherche le sens. Pourtant, ces images, c’est moi qui les ai filmées et en ai fait le montage. J’ai réalisé de nombreux courts métrages, je les ai tous présentés ou diffusés publiquement, mais pas celui-là, même s’il remonte déjà à quelques années. Et il n’a toujours pas de titre.» (p.12)
Venise se transforme au temps du carnaval, devient un film impressionniste. La ville est une vaste scène où résidants et visiteurs mutent sous les masques et les déguisements. Des fantômes hantent les rues et les décors millénaires.

Malédiction

Corina, une ancienne gymnaste, a connu un mariage blanc avec son entraîneur. Aucune sexualité pendant dix ans. Fabule-t-elle ou vit-elle réellement une double passion? Le cinéaste apprend la méfiance, mais il est incapable de s’éloigner. Cette femme l’aime, le fuit et l’attire.
«J’espérais un message de Corina, dont j’étais sans nouvelles depuis quelques jours. Il y en avait un. Mais l’espoir s’est mué en son contraire quand je l’ai lu, l’espoir s’est affublé d’un triste préfixe, d’un «dé», et j’ai pensé au célèbre coup de dé de Mallarmé, qui jamais n’abolira le hasard.» (p.16)
Tout est dit. Le cinéaste découvre peu à peu la double vie de Corina, sa passion pour une autre femme. Étrange chassé-croisé avec une femme évanescente qui disparaît dans la nuit pour ressurgir défaite au matin.
«Quand je téléphonais à Corina, son long silence me confirmait sa douleur, et le mien qui y répondait, par une entente tacite entre nous, se voulait un baume. Je ne faisais aucune remarque et ne posais pas de questions. Je posais mon silence sur le sien et nous pouvions rester ainsi pendant plusieurs minutes. Autant ce silence mutuel marquait une communion, autant il indiquait le vide infranchissable qui nous séparait.» (p.68)
Un pas en avant, une dérobade, un espoir et un amour qui en reste au désir. Un monde d’homosexuels et de lesbiennes qui laissent tomber les masques. Des ombres s’effacent au coin des rues quand la brume colle aux murs. Les fantasmes et les passions se libèrent alors, le temps d’une nuit ou d’une fuite en gondole.

Venise l’étrange

Venise ne cesse de subjuguer ceux qui s’y aventurent. Les esprits s’y amusent le temps d’une mascarade, permettent de plonger en soi pour révéler des aspects de soi que l’on dissimule le reste du temps. Une ville qui a hanté nombre de créateurs, Ernest Hemingway entre autres. Jean Perron multiplie les points de fuites avec les canaux, les reflets dans les vitres, les glissades du brouillard qui créent un monde irréel. Un roman où tout se répond et se mélange.
Corina danse nue pour mieux se masquer et échapper à l’amant. Le cinéaste n’arrivera jamais à la saisir avec sa caméra, ni à la tenir dans ses bras malgré les rapprochements et certaines promesses. Tout comme il s’avère impossible de cerner une ville qui abrite des secrets millénaires, qui attirent ceux qui vivent d’illusions et courtisent la folie.
Plusieurs niveaux de lectures dans ce court roman. Où est la vérité et où fuit le mensonge? Jean Perron ne donne pas de certitudes et c’est fort heureux. Arrive le drame, même si un amour comme celui-là ne se termine jamais. Comme toutes les histoires qui ont Venise comme décor, comme tout ce qui devient mythe.

«Les fiancés du 29 février» de Jean Perron est paru chez ZYZ Éditeur.

dimanche 6 septembre 2009

Francine D'Amour livre des secrets d'écriture


«Pour de vrai, pour de faux», présente dix nouvelles de Francine D’Amour, des textes précédés de préambules ou suivis d’apostilles qui permettent au lecteur de rôder autour de l’écriture et d’en surprendre les origines. Une sorte de «Making off» de l’écriture.

Il faut toujours une étincelle, une rencontre qui capte l’attention avant de passer à l’acte d’écrire. Francine D’Amour permet à son lecteur de voir un texte germer et s’imposer. Tout peut devenir matière à nouvelle. Un étudiant qui se démarque, un drame qui change tout quand la vie n’est que soleil et sourires pendant un été d’escapades et de promenades à bicyclette.
«Voilà. L’essentiel en cinq cents mots. Huit fautes (une faute par soixante-deux mots et demi). Une histoire si triste racontée par un garçon si facétieux que je ne l’ai jamais oubliée. Des siècles plus tard, je me la suis appropriée. Elle compte deux mille trois cent quatre-vingt-onze mots. Disons que j’ai ajouté un peu de chair autour de l’os. Mais sans cet os, mon Bouchon n’aurait jamais vu le jour.» (p.16)
L’écrivaine rôde du côté de ses œuvres antérieures, évoque les chattes Mascara et Aurore qui se sont imposées au fil des pages.
«Grâce à la plume de leur maîtresse, Aurore et Mascara sont devenues des personnages. Dans Les dimanches sont mortels, la mère s’appelle Jasmine, la fille, Jérômine. Et elles habitent au bord du fleuve dans « un vieux chalet mal rafistolé» auquel on arrive (histoire de confondre le lecteur lavallois) «par le rang de l’Équerre» et d’où on « devine au loin la silhouette du pont Mercier». Si elles se contentent de jouer leur propre rôle de « pachattes » dans ce premier roman, il en va autrement dans Les jardins de l’enfer, où Aurore exprime ses opinions sur tout un chacun et étale ses états d’âme dans de longs monologues intérieurs. Telle une femme de marin, elle se morfond en attendant le retour de sa Bien-aimée, qui l’a abandonnée en la confiant à la garde de jeunes gens odieux et indolents – des « lézards », ainsi qu’elle se plaît à les surnommer.» (p.45)
Lola et Jonas se distinguent dans la galerie des félins qui deviennent des personnages. Il y a une étude à faire sur la présence des chats dans la littérature québécoise. Songeons à Jacques Poulin, Yves Beauchemin. Lise Tremblay, Nicole Houde et plusieurs autres.

Monde connu

Dans «Pour de vrai, pour de faux», le lecteur attentif retrouve la maison du bord de l’eau qui a servi de décors à «Retour d’Afrique», l’éternel fiancé et des souvenirs d’enfance qui se modifient avec le temps. Et un jour tombe le verdict, le mot cancer est prononcé. Le sourire disparaît. Madame D’Amour doit subir des traitements, rencontrer une psychologue qui finit par l’affoler. Ses colères, ses peurs basculent dans des cauchemars qui coupent le souffle. L’angoisse s’installe, les cheveux tombent. La romancière a l’impression de marcher sur un fil qui va se rompre à chaque respiration.
«J’étais furieuse, j’ai dit qu’on le faisait exprès, qu’on m’avait prise en grippe, que j’étais la bête noire de la clinique et qu’on me le faisait payer. Bref, j’ai fait une scène devant tout le monde. Et tout le monde s’est senti mal à l’aise. J’ai crié, j’ai pleuré. Si bien qu’Yves, l’un des deux « officiants », si délicat et si habile d’ordinaire, a raté la veine dans laquelle il allait introduire le cathéter.» (P. 152)
Avec chacune de ses nouvelles, l’écrivaine nous fait visiter son univers, se confie avec un sourire. Comme si nous nous tenions derrière son épaule et que nous la regardions transformer la réalité avec ses phrases. Nous touchons l’intime, les confidences, des secrets que l’on partage rarement. À la fin, le lecteur ne sait trop ce qu’est la réalité ou la fiction, le vrai et le faux. C’est là le miracle de la littérature.
Un recueil généreux, plein d’humour malgré les épreuves. Une écriture miroitante comme l’eau de la rivière des Milles-Iles qui traverse plusieurs des ouvrages de Francine D’Amour.

« Pour de vrai, pour de faux » de Francine D’Amour est paru aux Éditions du Boréal.