DONALD ALARIE, depuis son entrée en littérature, reste
fidèle à la poésie tout en faisant des incursions du côté du roman, de la
nouvelle et du récit. Il partage ainsi sa passion pour les mots entre plusieurs
genres et, il faut le préciser, pour l’avoir suivi depuis 1980, ses débuts
presque, il excelle en tout. Je ne sais comment, j’ai mis la main sur l’une de
ses publications. Un hasard, une
attirance pour un titre, les chemins de la lecture sont souvent étranges. Arpenteur du quotidien est son dixième
ou onzième recueil de poésie à paraître aux Écrits
des forges, maison fondée par le regretté Gatien Lapointe, un homme qui a
marqué l’imaginaire avec son Ode au
Saint-Laurent, ce long texte qui nous donnait le pays dans toutes ses grandeurs.
« J’ai pris souffle dans le limon du fleuve » me résonne encore dans la tête et
c’est certainement une découverte qui m’a poussé vers la publication de L’Octobre des Indiens.
Arpenter, dans le sens d’explorer un endroit pour en connaître
la topographie, le relief et peut-être aussi pour s’y retrouver dans toutes les
dimensions de son esprit. Un homme sillonne la ville, un parc en particulier,
les rues chaque jour, devenant une ombre que plus personne ne remarque,
un marcheur qu’on ne voit plus. Donald Alarie, pourtant, vibre, entend, surveille
les lieux et les gens qu’il rencontre.
Le passant se console avec des miettes de rêves qui nourrissent sa
flânerie.
Quelques souvenirs lui allègent le cœur, l’aident habituellement à
traverser les saisons moins fraternelles sans trop balbutier.
Un banc public devient pour lui un havre de paix où se reposer.
Le vent dans les arbres ne le déçoit pas. (p.11)
Le point de vue de ce poème témoigne de la démarche de Donald
Alarie. Le marcheur devient objet d’attention et sujet d’exploration. Ce n’est
pas seulement la ville que nous allons découvrir par les yeux du narrateur,
mais surtout ce que l’homme en mouvement ressent, ce qu’il éprouve et ce qu’un
événement ou une rencontre provoque en lui. Les arbres, le vent, la pluie viennent
le surprendre, permettent la montée des rêves et des souvenirs. Comme si
quelqu’un surveillait le marcheur, parvenait à entendre ses pensées et ses
réflexions.
EXPLORATEUR
Et le voilà qui part beau temps mauvais temps pour prendre le pouls
de la ville et peut-être aussi surprendre les agitations des femmes et des
hommes qui tournent dans leurs activités ou qui luttent avec le temps qui file.
Il se tient en marge et n’a plus à courir du matin au soir pour «
gagner sa vie ». Que je déteste cette expression. J’ai toujours eu du mal à
penser que l’on devait gagner sa vie quand il suffit de la vivre tout
simplement. Comme si respirer se calculait au montant d’argent que nous
recevons pour effectuer un travail.
Et le voilà dans le vaste monde qui prend la dimension d’une
ville. Les trottoirs usés par toutes les courses des humains le portent, les
bruits connus et parfois exécrables, les édifices, les restaurants et les
commerces. Le promeneur mesure le jour. Il est celui qui vient, celui qui va,
celui qui voyage dans sa tête et traverse les rues pour mieux se surprendre.
De l’autocar tout neuf, descendent des marcheurs hésitants.
Des regards fatigués, devenus tout à coup presque joyeux,
persistent malgré les tremblements.
Demain, il sera trop tard pour la chasse aux images.
Ils retiennent ce qu’ils peuvent. On ne leur en demande pas plus.
Le passé est sur le point de se déliter.
Le futur ne tient plus qu’à un fil. (p.21)
Des gens âgés descendent péniblement d’un autobus et cette
scène anodine devient une aquarelle. Le passant baisse la tête pour revenir à
soi, tenter de cerner ce qu’est la vie, le temps qui bondit, nous emporte et s’avère
impitoyable pour tous. Des voyageurs s’accrochent à des sourires, au groupe
pour voir si le corps peut encore suivre dans un moment d’oubli et effacer les
marques qui font plier l’échine.
Notre arpenteur circule bien plus dans ses réflexions que dans la
ville qu’il ne quitte guère. Ce n’est pas un marcheur qui recherche le bout de
soi, carbure aux exploits qui permettent de gravir une montagne ou traverser des
parcs sauvages. Il aime ses habitudes, a ses endroits de prédilection pour faire
face à ses pensées et ses questionnements pour bousculer les heures qui filent
sans jamais réussir à le retenir. Il va et vient, solitaire et silencieux, un
peu distant, n’étant souvent qu’une oreille ou un regard, toujours à la
recherche d’un instant qu’il laisse rebondir dans sa main comme une balle.
Le passant connaît bien le but ultime, mais il préfère l’oublier.
Il dit : je ne sais
rien.
Chaque pas est un gain sur l’immobilité. Ça, il le sait.
Chaque pas est comme un mot sur le bout de la langue qui sort
enfin au grand jour.
Une petite promenade peut devenir l’occasion d’une phrase, réussie
ou même d’un paragraphe lourd de signification. (p.28)
Le passant jongle avec les mots, un bout d’histoire ou encore
une image qu’il polit et peut insérer comme une brique dans l’ouvrage qu’il est
en train de mijoter. Ce peut être une nouvelle ou une scène d’un roman. Les
écrivains sont souvent des marcheurs qui vont et viennent dans des lieux
familiers et dans leur texte. Il faut arpenter des phrases pour battre la
cadence, garder le rythme qui permet de s’avancer dans l’espace d’un poème ou rencontrer
un personnage. Tout comme le musicien qui accorde son instrument avant de se
lancer dans l’interprétation d’une pièce de Debussy.
Je ne fais pas autrement quand je perds la route ou n’arrive plus
à secouer le mot juste. Je pars souvent courir, skier ou marcher, pédaler l’été
dans le parc de pointe Taillon et je trouve immanquablement la petite fenêtre, la
porte par laquelle me faufiler.
Je pense à Gaston Miron qui « ruminait ses poèmes » et les
reprenait sans cesse afin de les peaufiner jusqu’à ce que ça sonne parfaitement
à l’oreille. Gilbert Langevin ne faisait pas autrement et savait ses poèmes par
cœur et pouvait les réciter sans rien oublier. Il possédait une mémoire phénoménale que je lui enviais.
Il faut le voir dans Paroles du Québec, émission
réalisée par Télé-Québec en 1981. Il parle comme ça, naturellement, comme
s’il découvrait les mots en même temps qu’il les dit.
EXPLORER
Donald Alarie aime les lieux connus et souvent fréquentés parce
qu’ils lui permettent d’explorer les dimensions d’un projet d’écriture. Il lui
faut ce mouvement, ce parcours dans la ville pour se rassurer, se retrouver au
milieu des mots qu’il surprend comme des pigeons qui tournent sur les pavés, s'envolent pour revenir.
Deux vieillards, canne à la main, pieds fatigués dès le matin,
sont prêts malgré tout à vivre jusqu’au soir.
Le parc s’éveille. Le passant s’en réjouit.
Et si ce n’était qu’un rêve ? (p.40)
Je ne sais pourquoi, je pense à Baudelaire, à son poème Une passante. Ce si beau texte que j’ai
tenté d’apprendre par cœur sans y parvenir. J’ai une mémoire pleine de trous.
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;
Il va et vient dans l’agitation et les activités de la ville,
se retrouve souvent devant un miroir où il surprend un individu qui lui
ressemble étrangement.
Marcher est sa façon de commencer
le monde. (p.51)
C’est ainsi que j’ai accompagné Donald Alarie dans ses
promenades où il mesure le jour dans toute sa largeur et sa hauteur. J’ai
tout fait pour ne pas le perturber. Je me suis fait discret, comme son ombre
pour le suivre parce qu’il a du souffle et de l’endurance, me faufilant derrière
des buissons pour l’entendre respirer et le voir pencher la tête, pour assister
au jaillissement de l’écriture, aux oscillations de la pensée et de la
réflexion.
Des pages de journal bousculées par le vent. Le monde est un
visage froissé qui a mal voyagé.
Les catastrophes en d’autres lieux se multiplient.
La Terre n’est qu’un jouet fragile trop souvent confié à des mains
sournoises.
Fermer les yeux n’est d’aucun secours. (p.64)
Et je pars sur mes skis, dévale la dune et glisse dans la
blancheur du lac qui me fait toujours penser à une immense page que je dois
réécrire sans cesse parce que le vent y efface toutes les empreintes nuit après
nuit. C’est le travail de l’écrivain, c’est la tâche de Donald Alarie quand il s’éloigne
dans les rues de la ville pour la sentir dans sa tête et dans ses jambes. Nous
arpentons tous le quotidien, des lieux, des espaces pour respirer, voir en nous
et en extraire des bouts de phrases qu’il faut polir avec la patience de
l’orfèvre. Belles promenades avec Donald Alarie, un guide formidable. Des
sujets que nous n’arrivons jamais à distancer et qui ne nous laisseront jamais en
paix, surtout si on jongle avec les mots et des images qui peuvent muter en
poème ou en nouvelles. Une réflexion, bien plus, une méditation sur la vie, la
mort, le temps qui file devant soi et les souvenirs qui s’accrochent à nos
talons. Une délicatesse, une finesse rare. C'est pourquoi j'aime Donald Alarie.
ARPENTEUR DU QUOTIDIEN, POÉSIE de DONALD ALARIE publiée aux
ÉCRITS des FORGES, 2018, 78 pages, 15,00 $.
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