PIERRE-LOUIS
GAGNON m’a étonné avec La disparition
d’Ivan Bounine, un thriller qui nous entraîne dans les coulisses du prix
Nobel de littérature en 1933. Nous sommes à la veille de la Deuxième Guerre
mondiale. Hitler a pris le pouvoir en Allemagne et suscite l’admiration de bien
des Européens, y compris de certains écrivains célèbres. La Russie communiste
est dirigée par Staline qui tient à s’imposer sur la scène mondiale. C’est dans
ce contexte que les Russes se démènent pour bloquer la route à Ivan Bounine,
écrivain en exil en France, qui est pressenti comme lauréat. Le régime des Soviets
veut que ce soit Maxim Gorki, un écrivain proche du régime et non ce transfuge
qui s’est montré particulièrement sévère envers les communistes. Aleksandra
Kollontaï, ambassadrice à Stockholm, grande intrigante et séductrice, fait tout
pour empêcher la nomination de Bounine et libérer la voie à Gorki.
Ivan Bounine est
né à Voronej en Russie le 10 octobre 1870 et est
décédé à Paris le 8 novembre 1953. Il a effectivement reçu le prix Nobel de
littérature en 1933. Ce dissident a vécu une grande partie de sa vie à
l’étranger et s’est montré très sévère à l’endroit du Kremlin.
Ces écrivains en exil étaient considérés
comme « des traites » par les dirigeants communistes qui ne reculaient devant
rien pour les discréditer quand ils ne s’en prenaient pas à eux physiquement.
C’est ce que craint Ivan Bounine à la veille de la remise du prix littéraire le plus convoité du monde.
COULISSES
Tous sont d’accord pour dire que c’est le tour des
Russes qui ont été ignorés jusqu’à maintenant. Il y avait Léon Tosltoï qui
était pressenti, mais il a eu la mauvaise idée de mourir en 1910.
Staline fait tout en son pouvoir pour que
ce soit son favori, Maxim Gorki, grand ami du régime et figure de proue du « réel
socialiste » qui devrait être le lauréat. Les juges ne s’en laissent pas
imposer et font fi de toutes les intrigues semble-t-il.
Bounine reste l’un des favoris.
Aleksandra Kollontaï, un véritable
personnage de roman, est née le 19 mars 1872 à Saint-Pétersbourg et est décédée
le 9 mars 1952 à Moscou. Elle a été la première femme de l'Histoire
contemporaine à être membre d'un gouvernement et l'une des premières
ambassadrices dans un pays étranger. Elle rencontre des écrivains, des
personnalités qui peuvent influencer le choix de la célèbre académie, tente de
prévoir le coup et de barrer la route à Bounine.
Pierre-Louis Gagnon fait appel à de vrais
personnages, des écrivains connus tels que Knut Hamsun, ce célèbre romancier
norvégien qui a été lauréat du Nobel en 1920. Gagnon le montre comme un mondain
qui est séduit par les fascistes qui s’installent à Berlin. Je n’ai pu que
penser aux merveilleux moments que j’ai eu à lire ce romancier formidable,
particulièrement Vagabonds qui me
plongeait dans un univers si proche et si semblable à celui du Québec. Je me
reconnaissais dans les traits d’August, un vrai « survenant » qui rentre dans son
village après avoir vagabondé dans plusieurs pays et qui fait rêver un peu tout
le monde à la manière du héros de Germaine Guèvremont.
INTRIGUES
Les rumeurs circulent à Stockholm. Tout le
monde sait que c’est l’année des Russes, mais qui va l’emporter ? Ivan Bounine
le favori des membres du jury ou le candidat des Soviets et de Staline. Gorki
est rendu à un âge vulnérable et Staline l’utilise pour des fins politiques,
particulièrement à la veille d’organiser une grande rencontre internationale où
l’écrivain sera la figure incontournable. Maxim Gorki mourra en 1936 dans des
circonstances qui demeurent encore un peu nébuleuses.
Elle commençait à croire que le pire était sur le
point de se produire, que Moscou allait subir une défaite fracassante et
humiliante. Depuis son arrivée dans la salle de bal de l’hôtel de ville,
Kollontaï avait écouté ses interlocuteurs, posé des questions, soupesé chacune
des informations qui lui étaient distillées. Elle était surprise que l’on
accorde tant d’attention à ce misérable exilé, qui semblait aussi adulé dans
les cercles du Nobel qu’il était abhorré dans les salons du Kremlin. (p.23)
Aleksandra Kollontaï rencontre des
écrivains, les questionne, cherche surtout à savoir qui peut orienter les jurés
de l’Académie et satisfaire ainsi Staline. Particulièrement Par Lagerkvist, un
écrivain suédois qui recevra le prix Nobel en 1951 et qui devient une sorte
d’allié.
L’ambassadrice est loin d’être naïve. C’est
son sort qui se joue dans ce jeu d’échecs impitoyable. Si elle échoue, elle
sera rappelée à Moscou et peut très bien finir dans une prison tout comme le
ministre des Affaires étrangères Maxim Litvinov qui sent le tapis lui glisser
sous les pieds.
Micha ne lui avait pas donné signe de vie et cela
l’inquiéta tout à coup. Sa situation, comme celle de tous les citoyens
soviétiques, demeurait précaire dans cette Russie où les libertés élémentaires
avaient été emportées par les vents noirs de la Révolution. Personne n’y était
à l’abri de la décision hasardeuse d’une instance gouvernementale ou de
l’intervention fortuite de la police politique. (p.73)
MANŒUVRES
Le roman de Pierre-Louis Gagnon fascine
parce que la fiction se mélange à la réalité et qu’elle met en scène de vrais
personnages qui ont marqué l’histoire et la littérature. J’imagine que ça
s’agite beaucoup quand les rumeurs commencent à circuler sur le couronnement
d’un écrivain à Stockholm. Les ambassades doivent chercher à savoir, tenter
d’influencer les bonnes personnes et faire en sorte que ce soit leur protégé
qui soit couronné. Ce titre, tous les écrivains le convoitent, c’est connu.
Soyez sans crainte, je ne suis pas dans la
course. Je ne recevrai jamais ce prix. Pas
un écrivain du Québec ne l’a reçu non plus même si Marie-Claire Blais serait une
candidate idéale. Pour avoir siégé à des tables où l’on attribue des prix et
des bourses, je sais que ces choses ne se font jamais facilement et que ce
n’est pas évident de se mettre d’accord sur un lauréat.
Staline et son chef de police se regardèrent,
quelque peu surpris par cette intervention. Litvinov venait de leur rappeler
que l’URSS ne vivait pas en vase clos. Elle faisait partie d’un système
international où les décisions d’un gouvernement avaient des répercussions sur
les autres États. Elle aspirait même à devenir membre de la Société des
Nations. Et que penserait leur nouvel ami, le président Roosevelt, si un
accident mortel emportait Bounine ? (p.113)
La fiction devient réalité et la réalité
doit venir à la rescousse de la fiction dans ce roman plein de rebondissements,
d’intrigues et de propos étonnants pour ne pas dire dérangeants, surtout quand
ils sont proférés par des figures connues qui ont souvent marqué l’histoire et
la littérature.
Aleksandra Kollontaï passe par toutes les
émotions et doit jouer le tout pour le tout pour sauver sa peau et aussi en
arriver à une décision qui soit acceptable pour tout le monde.
Une manœuvre à la toute fin permettra de
calmer les agités et les fanatiques, de couronner Bounine sans créer de remous.
Après bien des hésitations, Bounine avait accepté
de relever ce pari audacieux d’amener Staline à se découvrir. Un vrai roman que
ce projet de fausse disparition, de faux enlèvement et de faux assassinat,
avait-il conclu devant les plans du gouvernement suédois. Si cela réussit, nous
sauverons le prix Nobel de littérature d’un désastre certain et je serai le
premier Russe à en être le lauréat. Et je demeurerai en vie. Voilà qui n’est
pas rien. (p.206)
Pierre-Louis Gagnon fait agir des écrivains
connus dans un monde réel et inventé, a dû faire des recherches et avoir une
solide documentation pour écrire un tel roman. J’avoue l’avoir lu sur le bout
de ma chaise, parce qu’il m’a entraîné dans un univers de lecteur et a fait
ressurgir en moi des chemins de lecture tout en créant un véritable suspense.
Pas nécessaire d’être un érudit pour goûter
à La disparition d’Ivan Bounine. Il
suffit de se laisser porter par les personnages fascinants et l’intrigue. Une
belle manière de nous plonger dans l’environnement d’un prix littéraire qui a
pâli au cours des derniers mois avec certains scandales.
LA DISPARITION D’IVAN BOUNINE, un roman de PIERRE-LOUIS GAGNON publié
chez LÉVESQUE ÉDITEUR, 2018, 218 pages, 27,00 $.
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