Debout sur la carlingue de Julien Gravelle est venu à moi grâce au mouvement du 12
août. Vous savez, cette journée où l’on achète un livre d’un auteur québécois. Remarquez
que c’est souvent le 12 du mois d’août dans mon cas. Et je les lis ces romans
attendus ou recherchés. Il semble que près de la moitié des gens achètent un
livre sans jamais l’ouvrir. Il faudrait une Journée
nationale de la lecture au Québec dans tous les villes et villages du pays.
Des rencontres dans les parcs, les églises, les places commerciales, les pistes
cyclables, à la plage, dans les embarcations, les lieux de travail et les
autobus pour découvrir nos auteurs. Faire comme les cigariers de jadis qui exigeaient
qu’un lecteur fasse la lecture pendant leurs heures de travail. Leur livre
favori, semble-t-il, était Le comte de
Monte-Cristo d’Alexandre Dumas. Quel roman aimeriez-vous qu’on vous lise à
votre travail ? Quel écrivain choisiriez-vous ?
Je savais qu’un écrivain s’était installé à Girardville, au
Lac-Saint-Jean, et que ce n’était pas Guy Lalancette. Pour gagner sa vie, il agit
comme guide de plein air. Quand j’ai écrit sur Facebook que ce serait mon livre
du 12 août, Julie Larouche de Radio-Canada m’a signalé une entrevue réalisée
lors de la parution du roman. Il l’a guidé dans un froid qui impose le silence
partout avec ses chiens de traîneaux. J’ai visionné ce moment particulier. J’avoue
que ça donne envie de partir dans la forêt, de s’abandonner à ces bêtes magnifiques.
Je l’ai fait une fois avec une Française comme guide à L’Anse-Saint-Jean. Gravelle
est aussi d’origine française. Il faut souvent le regard d’un autre pour nous
montrer notre pays dans ses saisons, la forêt avec la respiration des bêtes qui
marquent le rythme.
J’ai été happé par un monde que je connais bien et que Gravelle
me redonnait avec une justesse inouïe. Je m’en suis voulu d’avoir manqué de
curiosité pour cet écrivain, un vrai, qui vit tout près de mon village.
Un oncle habitait Girardville. Je connais bien. Une trâlée de
cousins et cousines débarquait souvent à La Doré. Je me souviens d’un dimanche
de juin. Ils étaient arrivés dans un petit camion. Toute la famille était
debout dans la boîte arrière et chantait et riait. Ils devaient être une douzaine.
Une visite surprise pour oublier les heures de la semaine, les travaux qui se
multiplient.
HAPPÉ
Le monde de Julien Gravelle a été le mien jusqu’à ce que je parte
pour des études. Je ne pouvais m’empêcher d’y revenir cependant avec les
outardes du printemps et de prendre la direction de Chibougamau avec mes
frères. Gravelle est quelqu’un de ma famille en quelque sorte qui raconte des
histoires de travailleurs forestiers, de conducteurs de fardiers qui se
débattent avec l’hiver et l’été. Il m’a replongé dans l’univers de La mort d’Alexandre et de mes Oiseaux de glace.
Pas tout à fait pour dire vrai, mes histoires se situent avant
la période visitée par Gravelle. La mécanisation n’était pas encore là dans
toute sa force. Nous en étions aux débusqueuses. Les machines qui rasent une
forêt en une nuit n’étaient pas encore inventées. Julien Gravelle est un frère plus
jeune en quelque sorte.
Des conducteurs de camions comme il y en a tant dans mon village
qui savent se faufiler dans les montagnes et en rapporter des pans de forêt. Un
univers exigeant qui demande à ces aventuriers de garder leur sang-froid pour
rester vivant. Ils partent pendant des jours et la vie de couple n’est guère
facile.
Basile est l’un de ceux-là. Sa femme est enceinte et rien ne dit
qu’il sera père. La rupture plane sur leurs têtes et il fait de son mieux pour
retenir Mélanie qui travaille auprès des autochtones à Obijiwan. Ça le touche
particulièrement parce qu’il est métis. Son père blanc l’a élevé et il ne
connaît rien de sa mère et de sa famille. Un homme qui tente de voir dans son histoire
et son héritage.
Basile déclina la proposition. Il repensait à l’ours. Il en avait
écrasé un une fois. Beaucoup plus gros que celui-là. Il avait repensé à ses
ancêtres, les anciens Ilnuatsh. Ces derniers s’étaient inventé toutes sortes de
cérémonies pour témoigner de leur respect envers la bête. Jamais ils ne tuaient
sans égard pour elle, comme lui l’avait fait. Il était descendu de son camion.
L’animal agonisait. Il l’avait entendu râler. Basile n’avait pas osé le
toucher, de peur qu’en un dernier sursaut de vie, il essaie de lui mettre un
coup de patte. Il était retourné chercher un bout de corde dans son camion et
l’avait attaché à une patte arrière de l’animal grâce à un nœud coulant. Puis
il avait tiré la bête suffisamment près du bord de la route pour qu’elle ne
soit plus une menace pour les autres véhicules. Après quoi il l’avait laissée
agoniser là. (p.26)
Il affronte le danger en longeant la rivière Mistassini qui a
avalé François Paradis. Un accident évité de justesse, un blessé et aussi un
cadavre dans un campement indien abandonné. Un mort qui le hante. Que s’est-il
passé dans la forêt ? Le premier texte se termine sans savoir le pourquoi du
comment. L’écrivain nous présente un autre personnage. Question d’identité
toujours, de cette vie qui nous est donnée et qu’il faut utiliser le mieux possible.
On s’égare un peu, mais cet hurluberlu qui lance sa boule de quilles et la suit
vous subjugue. Il aimerait bien se rendre en Californie, mais la boule va bien
où elle veut. On apprend à respirer, à faire confiance aux hasards, à ce qui
arrive sans chercher à tout contrôler. Il faut suivre ses pulsions et vivre le
moment présent.
Yvon, un irascible, un sauvage a quitté sa femme et il est là,
seul, buvant son café, travaillant la nuit même si c’est de plus en plus
difficile. Il est à l’âge où l’on retourne à la maison pour des jours longs et
ennuyants. Il est parti depuis si longtemps.
— Fait trop longtemps qu’elle vit sans moi, Ghislaine, reprit
Yvon. Elle a sa vie. Sa job. Ses petits-enfants qui la visitent la fin de
semaine. J’ai plus ma place là-dedans, elle est heureuse, sans moi. Indépendante.
Son gendre tond la pelouse, son fils rentre le bois. Et moi, je serai quoi,
là-dedans ? Une gêne. Le gros épais qui a passé trop de temps au bois et
qu’elle aura honte de présenter à ses amis. (p.146)
Il doit faire face au vieillissement. Tout se noue alors, tous
les aspects du puzzle tombent en place.
HUMANITÉ
Des personnages à la dérive, des exilés qui cherchent des points
d’ancrage. Ils ont connu la douleur, des séparations, la disparition d’un
enfant, la vie dans ce qu’elle offre de plus terrible.
Gravelle possède du rythme et l’image qui place un décor, un
personnage qu’il pousse dans ses derniers retranchements. Il a surtout une
empathie extraordinaire pour les gens qui se retrouvent rarement dans les
romans. Il nous fait le coup de Louis Hémon encore une fois en nous entraînant
dans la cabine surchauffée d’un camion, dans une forêt où tout change avec la
pluie et la neige. Ces hommes se perdent dans leur vie, leurs souvenirs,
n’ayant que le travail pour donner une direction à leurs jours. Ils sont
frustes, brusques, un peu fous souvent, mais combien attachants. Ils sont
surtout humains dans leurs hésitations, leurs colères, leurs peines qu’ils ont
du mal à dire.
Une formidable surprise en cette journée du 12 août. Me voilà maintenant
un lecteur inconditionnel de Julien Gravelle, un écrivain qui n’a pas peur des
chemins peu fréquentés.
Un talent magnifique qui m’a ramené à l’époque où je fréquentais
ces hommes qui savaient si bien rire malgré leurs misères. Des travailleurs courageux
qui ne reculent jamais même s’ils sont tout mélangés dans leur tête et leur
vie. Un livre à lire pour découvrir un Québec dont on ne parle jamais ou si
peu. Émile Parent, mon héros de La mort
d’Alexandre, a maintenant des frères du côté de Girardville. C’est peu
dire. Ils se sont certainement croisés à un moment ou un autre, dans ces
chantiers du bout du monde, quand le printemps s’amuse avec l’hiver.
Debout sur la
carlingue de Julien
Gravelle est paru aux Éditions Leméac, 168 pages, 21,95 $.
http://www.lemeac.com/catalogue/1501-debout-sur-la-carlingue.html?page=1
http://www.lemeac.com/catalogue/1501-debout-sur-la-carlingue.html?page=1
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