Jean-Claude Germain, avec
«Sur le chemin de la Roche percée», complète une entreprise particulière. L’écrivain
vient de boucler un périple qui permet de nous faufiler dans les années
soixante alors que tout allait changer au pays du Québec. Une lecture qui
oscille entre la petite histoire et les grands questionnements. Voilà la
manière unique de cet écrivain assez difficile à classer.
Le jeune étudiant fréquente
le monde des artistes et des créateurs et se questionne dans l’effervescence
qui précède la Révolution tranquille. Après la lecture des quatre ouvrages qui
s’attardent sur le sujet, on ne peut que constater que les changements, dans la
Belle province, ne sont pas arrivés en claquant des doigts. Il y a eu une
longue incubation qui a préparé cette période où le monde a basculé en quelque
sorte.
Peintres et sculpteurs
cherchent à s’affranchir de la tradition pour découvrir un autre univers. Tous
ont en mémoire le Refus global même
s’il n’est jamais évident de s’inventer un langage formel et de s’approprier
une vision de l’art. Chacun tente de faire sa place et surtout cherche à ne
rien devoir à ses prédécesseurs. Dans le monde de la création, chaque
génération tente de bousculer les «plus anciens» pour imposer son regard et ses
façons de faire. Une même volonté en arts visuels, au théâtre, en poésie que
dans le roman. Trouver sa manière, s’inventer même si, avec le passage du
temps, on constate souvent que les ruptures n’arrivent pas fréquemment. Le plus
grand bouleversement est venu de Sigmund Freud qui a parlé de l’inconscient.
Les arts connurent alors une mutation, une vraie. L’important pour l’artiste ou
le poète dorénavant était de dire ce qu’il y avait en soi en utilisant la
réflexion ou en se laissant guider par ses pulsions. Toutes les routes devenaient
des poussées vers soi.
«J’ai toujours envié les
peintres qui, tôt le matin, se présentaient à l’atelier et s’installaient
devant leur chevalet pour poursuivre là où ils s’étaient arrêtés la veille. Une
fois libérée du motif et du point de fuite, l’œuvre se développait
progressivement, chaque décision influençait l’autre. L’automatisme était une
sorte d’évocation gestuelle à chevaucher l’aléatoire et donner forme à la
matière à la vitesse du hasard.» (p.13)
Germain a côtoyé Roussil,
Riopelle, Jacques Hurtubise et bien d’autres originaux. Armand Vaillancourt
n’était pas bien loin, j’imagine. Tous cherchaient à briser les carcans, les
empêchements qui étouffaient les créateurs depuis des décennies et surtout à
s’affranchir du clergé. Une grande quête, un refus d’abord et de nombreuses
expériences plus ou moins étranges.
Curiosité
Germain est un curieux qui a
pris du temps à trouver sa voie. Lecteur boulimique, il trouve matière à
réflexion chez les penseurs et les philosophes en lisant tout ce qui lui tombe
sous la main. Peut-être pour prendre un certain recul, mieux se trouver, il
entreprend un voyage avec des amis dans les provinces maritimes. Ils séjournent
ici et là, écrivent, croisent des originaux, cherchent d’autres manières de bousculer
la réalité. Confronter à une nature qui peut étouffer quand on se retrouve sur
l’île Bonaventure, tous évoluent à leur façon.
«Comme l’esquif d’Ulysse qui
court d’une île à l’autre, la valise sous le capot et le moteur en poupe, notre
coquille de noix sur roues poursuivait inlassablement sa route.» (p.124)
Dans leur petite voiture, ils
traversent des villes, se heurtent à des habitudes séculaires, découvrent des
endroits où le temps semble s’être arrêté. C’était avant le tourisme de masse,
les voyages organisés, les grandes et petites séductions qui appâtent les
visiteurs autour de Percé. C’était l’aventure que de partir sur les routes sans
savoir où dormir et manger. Ils font la fête, n’arrivent pas à trouver du
homard, finissent par se procurer de l’alcool et un peu de vin en devant
respecter des conditions étranges, se réservent aussi des moments pour
travailler et réfléchir. C’est après ce périple, peut-être, que Germain prendra
la décision de se tourner vers le théâtre et la scène.
Il y a les anecdotes, bien
sûr, mais l’auteur est particulièrement intéressant quand il réfléchit à la
création et ce qui a marqué les productions de la scène pendant cette période
et les années 1970. L’influence d’Antonin Artaud par exemple.
Une époque singulière, comme
une hésitation avant l’éclatement de la Révolution tranquille. Un témoignage qui
permet de mieux saisir les espoirs qui animaient les créateurs et une bonne
partie de la société, la singularité du Québec aussi. L’écrivain rend bien
l’effervescence qui était la sienne et celle de ses compagnons d’aventure. Beau
travail nécessaire de mémoire.
Sur le chemin de la Roche percée de Jean-Claude
Germain est paru aux Éditions Hurtubise.
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