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dimanche 14 mars 2010

Lucie Lachapelle et l'histoire amérindienne

«Rivière Mékiskan» est le premier roman de Lucie Lachapelle qui a œuvré d’abord dans le monde du cinéma. En passant à la littérature, elle ne s’éloigne guère de ses préoccupations puisque ce roman met en scène Alice, une métisse qui ignore tout de sa famille cri. Dans l’un de ses documentaires, «La rencontre», elle aborde les relations entre les Québécois et les Amérindiens.
Isaac, le père d’Alice, est retrouvé mort dans un parc  de Montréal. Il avait le nom de sa fille et son numéro de téléphone sur lui. Rien d’autre. Rongé par l’alcool, il était devenu itinérant. Sa mère Louise a tout fait pour que sa fille oublie sa nature amérindienne.
Alice identifie le corps à la morgue, décide de ramener ses cendres à Mékiskan. Après un voyage en train d’une douzaine d’heures, elle se retrouve en Abitibi, dans un village où tout se désagrège. La compagnie forestière a plié bagage après avoir tout rasé. Ne reste que l’hôtel, quelques maisons qui s’effritent.

La famille

Alice se retrouve chez Lucy, une cousine de sa grand-mère, qui vit à l’écart du village. Elle s’occupe de ses petits-enfants quand sa fille Jeannette dérape dans une soûlerie sans fin. Il y a le bébé, la petite Minnie, une fillette charmante et Samuel, un garçon au seuil de l’adolescence, qui vit la rage au cœur. Il déteste voir sa mère se noyer dans l’alcool, rêve de tuer ce Blanc qui l’entraîne dans la débauche, de s’enfuir dans la forêt pour ne plus avoir de contact avec personne.
La jeune femme apprivoise cette famille dont elle ne sait rien. La forêt, les traditions, la chasse, la vie dans la nature sans les gadgets de la modernité. Tout est nouveau. Lucy lui révèlera aussi des secrets de famille, des conditions de vie difficiles à imaginer.
«Pour Alice, avoir des racines amérindiennes signifie avoir honte et avoir peur. Et elle porte un fardeau : son propre père a incarné tout ce que les autres pensent des Amérindiens. Isaac était un fainéant, un alcoolique fini.» (p.22)
En s’attardant à Mékiskan, Alice retrouve des souvenirs, des visages, une réalité qu’elle a toujours refusé de voir. Elle prend conscience de l’exploitation irresponsable de la forêt, de son peuple que l’on a dépossédé. Elle apprend aussi que sa grand-mère a été violée devant son père par les Blancs de la compagnie. Il y a aussi ces enfants enlevés et gardés dans les pensionnats. Son père a été du nombre.
«Ils ont pris mes enfants, les uns après les autres. Quand ils revenaient, ils étaient plus les mêmes. Ils avaient de la difficulté à parler notre langue. On aurait même dit qu’ils avaient dédain de nous.» (p.102)
Tout ce que sa mère voulait effacer refait surface. Le passé ne demande qu’à s’exprimer. Tout comme cet enfant qui s’accroche en elle et qu’Alice refuse de mettre au monde.

Réalité

Lucie Lachapelle plonge le lecteur dans la réalité de certaines communautés d’Abitibi, du Lac-Saint-Jean ou du Grand Nord. Alcoolisme, violence, suicides, drogues font les machettes de temps à autre.
Louis Hamelin effleurait la question dans «Cowboy» et Gérard Bouchard l’a fait récemment dans «Uashat» en nous entraînant sur la Côte-Nord. Un roman qui a eu peu d’écho dans les médias.
Alice découvre une réalité sordide, mais elle entrevoit aussi une façon de vivre unique. Surtout, il y a des gens d’une générosité incroyable. Elle est ébranlée.
«Dans la tête d’Alice, c’est clair : l’ennemi, le monstre à abattre, ce n’est pas Isaac ou le Blanc de Jeannette, mais tout comportement qui ressemble à l’indifférence et au mépris.» (p.136)
Ce roman décrit simplement une réalité choquante. Les peuples amérindiens ont été dépossédés de tout. Cette prise de conscience est loin d’être faite quand nous entendons certains ténors à propos de l’Approche commune. Parce que l’histoire de ces peuples, c’est aussi notre histoire. Reconnaître ces nations qui ont été volées de leur âme, de leur passé, de leurs traditions et de leur avenir, c’est se situer dans le monde.
En nous plongeant dans un univers qu’elle connaît, Lucie Lachapelle nous bouscule et force Alice à reconnaître les deux faces de sa vie. C’est peut-être le début d’une libération et la dure conquête de soi. Une histoire touchante et qui fait que l’on regarde derrière son épaule pour mieux comprendre le Québec de maintenant.

«Rivière Mékiskan» de Lucie Lachapelle est publié chez XYZ Éditeur.

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