André Pronovost atteint un sommet dans Elvis et Dolores. Un travail
intelligent, une belle maîtrise de son sujet où il remet en question les idéaux
de la société américaine. Un savant mélange de musique, de culture
cinématographique et de philosophie, de l’art du récit également. Un projet qui
englobe peut-être l’art de la vie pour mieux la secouer et l’aimer.
Quelque
part dans le Maine. Alison, la grande amie de la bibliothécaire Blanche Roanoke,
travaille chez McDonald pour amasser des sous. Elle souhaite se payer des
implants mammaires, une opération qui changera sa vie.
Les
amies se voient tous les jours, se préoccupent des gens qu’elles côtoient.
Arthur par exemple, un employé de la bibliothèque municipale qui sait tout de
la vie d’Elvis Presley et de la jeune comédienne Dolorès Hart qui, après un
début de carrière fulgurant au cinéma dans King
Creole, a choisi de devenir carmélite.
«Son
rôle dans Loving You a fait d’elle la
première femme qu’Elvis ait embrassée à l’écran. Elle est devenue à ce
moment-là l’une des jeunes femmes les plus enviées des États-Unis.» (p.86)
Les
deux femmes décident de s’occuper de ce grand timoré. Alison le questionne sur Presley
sous prétexte d’écrire un article pour la revue Rolling Stone. Le solitaire se confie et les feux de l’amour ne tardent
pas à s’allumer.
Grande question
Pourquoi
une comédienne belle à faire rêver tourne-t-elle le dos à la gloire à
vingt-quatre ans ? Qu’est-ce qui importe dans la vie ? La célébrité, l’argent ou
s’accomplir dans les gestes les plus humbles ? Voilà la question qui porte le
roman de Pronovost.
«Cette
jeune femme que tu admires a fait le deuil de sa beauté. Elle a su se libérer
de son besoin d’être désirée. Toi, petite fille, en réclamant de plus gros
seins, tu fais le contraire de ce qu’elle a fait— et alors qu’elle avait le
même âge que toi. Et pourtant tu lui ressembles. Ca tu es, comme elle, en quête
du bonheur. Tu as mal. Tu cherches à apaiser ton âme.» (p.114)
Grâce
à la plume de Blanche Roanoke, toute la ville vit le procès de Dolorès Hart. Parlons-nous
d’une sainte ou d’une jeune femme à l’esprit dérangé ? Pronovost interroge le
culte de la vedette, la richesse et le succès, les piliers de la société
américaine. L’écrivain propose un théâtre de l’absurde où sont convoqués Freud,
Jung, Diderot, Tolstoï et plusieurs autres penseurs. Toute la population
embarque dans cette représentation unique qui soulève les passions.
«Il
n’y avait qu’un seul problème. Plus une peur légitime qu’un problème d’ordre
métaphysique. C’était la peur de manquer d’alcool. Charlotte craignait qu’on ne
fit fi de ses appels à la modération. La sensibilité à fleur de peau des
spectateurs dépassait les prévisions. Ceux-ci buvaient beaucoup, beaucoup. La
réputation d’un hôtel pris à court d’alcool est ternie à jamais.» (p.221)
Des
moments uniques quand Simone de Beauvoir vient à la barre et explique ses choix
de vie.
«—
Oui. À quatorze ans, je suis devenue athée. Je me suis mise à voir la religion
comme une duperie monumentale, et les membres du clergé comme des commères se
repaissant de ragots.» (p.230)
Procès
Qu’est-ce
qui s’est passé dans la tête de Dolorès Hart ? Pourquoi choisir l’anonymat et
la plus effacée des façons de vivre ? Si Hart a trouvé le bonheur dans la vie religieuse,
Presley s’est perdu dans les remous du succès.
Comment
trouver le bonheur et l’équilibre ? Pronovost aime bousculer nos façons d’être.
Je songe à Appalaches, un récit
passionnant qui permet de voir les États-Unis d’un autre œil.
Jamais
Pronovost n’a été aussi percutant. Ses incursions dans les écrits et les dires
des grands penseurs sont remarquables. Un humour fin, maîtrisé, un bonheur. L’écrivain
questionne sans jamais être lourd, pompeux ou moralisateur. Et quels
personnages attachants ! Un grand bonheur de lecture.
Elvis et
Dolores d’André Pronovost est
paru chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/catalogue/633.html