
Comment ne pas apprécier ces
moments de vie qui se moquent de toute chronologie? Après tout, la mémoire est
rarement linéaire et souvent elle se permet des sauts en avant et en arrière.
Il reste ces traces
indélébiles, ces nœuds qui échappent à tous les glissements et créent un récit
qui, parfois, peut prendre des directions étonnantes.
Un album
Michèle Constantineau jongle
avec des souvenirs, des moments qui s’animent au fil des pages. Un périple
plein de bonheur et de tendresse.
«Marie-Ange n’est plus. La
cuisine des jeudis a disparu. Mais les images demeurent. Comme une danse entre
le comptoir et le four, une symphonie chimique se transposant en odeurs, en
couleurs, en chaleur.» (p.27)
On retrouve la petite Simone
à l’école primaire, avec ses amies et un petit garçon solitaire. Des vacances
dans la région de Rawdon avec une grand-mère sévère et aimante à sa manière,
des tantes solitaires qui la gâtent. Des secrets à peine effleurés pour
préserver le charme et l’aura du mystère.
«Son col monte jusqu’à son
cou et doit se fermer derrière, sous son chignon gris, car je ne vois nulle
attache. Aucune dentelle nulle part. Tout chez elle est sombre. Cela ne
m’effraie pas, j’y suis habituée. Ne bougent dans le soleil que ses mains aux
longs doigts. Avec son petit couteau, grand-mère gratte la pelure effilochée
des grelots nouveaux. Sur ses mains, des taches brunes. Brunes comme les
patates que gratte grand-mère dès que la lumière d’été commence à décliner.»
(p.40)
Des amours, des amitiés, des
moments de pur bonheur dans une campagne qui distille les odeurs et les saveurs.
Les différends des parents aussi, une mère que l’on sent malheureuse, un père
qui, malgré certains efforts, reste prisonnier peut-être des toiles qu’il peint
jour après jour. Madame Constantineau préfère souvent laisser le lecteur deviner.
Elle préfère aussi demeurer fidèle à la petite fille de l’époque. Rarement elle
laisse la parole à l’adulte qui pourrait expliquer bien des choses et
piétinerait le mystère.
Pudeur
«À certaines minutes, je
ferme les yeux et j’inspire, essayant de départager les sensations qui m’enveloppent.
Dans un élan de camaraderie, j’essaie de donner à chacune un nom, j’échoue,
puis, comme ça ne change rien, j’éclate alors de rire en rouvrant les yeux.
Dans cette île de foin, de lumière, de chaleur et d’odeurs, à bras ouverts je
vis l’été, je suis l’été.» (p.59)
Michèle Constantineau raconte
en souriant tout ce qui fait la vie, ce qui demeure quand on se retrouve avec plus
de passé que d’avenir.

Une manière impressionniste d’écrire
qui convoque tous les sens.
Une sorte d’album de photographies
qui vibrent quand l’auteure les effleure du bout de la mémoire. Des confidences,
des propos qui font du bien et qui démontrent un bel appétit pour la vie dans
ce qu’elle a de plus tendre et de plus marquant. Récits pleins de finesse. Une
écriture que l’on savoure comme une orange juteuse dans le plus chaud et le
plus beau du jour.
«L’épingle à chapeau» de Michèle Constantineau est paru
aux Éditions de la Pleine lune.