Dans «Une estafette chez
Artaud», Nicolas Tremblay se penche sur ce qui l’a poussé vers la littérature.
Au centre, Antonin Artaud, le poète, l’homme de théâtre interné qui a subi de
nombreux électrochocs. Artaud le génie, le fou et le mégalomane. Un metteur en
scène et un comédien qui prônait le retournement du spectacle traditionnel qui fait
en sorte que les comédiens se mettent au service d’un dramaturge. Pour Artaud le
comédien est autant le sujet de la représentation que le texte.
Famille
Nicolas Tremblay est né à
Kénogami, au Saguenay, dans une famille comme il en existait des centaines à
l’époque. Une usine qui a donné naissance à la ville et qui semble vouloir
fermer ses portes en 2012. Un univers d’ouvriers, un père qui ne jurait que par
la boxe et qui rêvait de voir ses fils remporter les plus grands honneurs.
Le roman devient une quête de
ses racines, d’identité à travers le filtre littéraire et familial. Artaud
s’est comme réincarné dans son ancêtre qui portait aussi le nom de Nicolas
Tremblay. Il est Artaud dans son corps et son esprit. En fait, il est son
double. L’un est l’autre.
Un joyeux mélange où la
biographie, l’essai, la réflexion, la poésie et le théâtre se bousculent. Tout
est dans tout.
«Artaud, qui, dans ses
délires, affirme beaucoup de choses, (notamment, dans sa correspondance, que
Robert Denoël, assassiné pendant la Libération, éditeur des tristement célèbres
pamphlets antisémites de Louis-Ferdinand Céline, serait du monde de ceux qui
ont contribué à son internement, c’est-à-dire les «Initiés», pour ne pas avoir,
dans son cas, à payer les droit d’auteur sur une réédition des Nouvelles révélations
de l’être et d’Héliogabale), prétend avoir été tué et être rené en 1934.» (p.39)
Dédoublement, mutation,
fiction, invention et personnages historiques. Voilà un joyeux cocktail.
Migration
Nicolas Tremblay nous
entraîne dans un monde où les idées d’Artaud le parasitent. Une œuvre peut-elle
migrer dans un autre cerveau? La culture créerait-elle des poupées gigognes?
Comme si les créateurs échappaient
au temps et à l’espace quand des disciples se penchent sur leurs écrits. Artaud
prétendait avoir été le Christ, il peut bien se réincarner dans un Saguenéen
qui se passionne pour son œuvre.
Tremblay mélange tout, ramène
des faits, des éléments biographiques et historiques qu’il manipule à sa façon,
des personnages connus comme Sir William Price, le fondateur de Kénogami.
De quoi être constamment
déstabilisé, bousculé et déboussolé.
Identité
Voilà un formidable
questionnement sur l’identité et l’être? Qui sommes nous? Le résultat de nos
passions, de nos recherches livresques et de nos études? Nous finissons par
être si peu soi quand nous nous approprions l’œuvre d’un autre. Et il y a notre
part féminine qui peut faire surface. Tout se mélange et constitue ce texte
particulièrement explosif. Les êtres se défont, se modifient, se transforment
selon les passions et les champs d’intérêts. Et y aurait-il une forme de
prédestination qui ferait qu’un écrivain trouve un maître qui lui ressemble et
qu’il fait revivre en lui?
Un texte fou, halluciné qui
questionne qui nous sommes et aussi ce que nous transmettons à d’autres. Le «je»
prend le bord et devient une suite de «je» qui se bouscule et se reproduise au
cours des âges.
«Le présent engendrerait donc
le passé, le récit, l’action racontée. «L’écriture est à la fois un acte
copulatoire et spirituel. Les mots, une liqueur séminale. Notre corps, une
matrice.» Pas sa double nature, masculine et féminine, Nicolas serait même à
l’origine de la genèse du monde, comme expulsé de ses orifices. Plusieurs des
textes versent en effet dans la cosmogonie, lorsque la mégalomanie de leur
auteur est à son comble.» (p.106)
Un roman qui retourne aux
sources de l’écrivain, à ses passions qu’il mélange avec les étapes de sa vie.
Une entreprise de fiction et une genèse à nulle autre pareille où il modifie la
trajectoire de certains écrivains connus.
Nicolas Tremblay ne cesse de
surprendre et de bousculer les habitudes du lecteur. La littérature est là pour
se questionner sur l’être, la vie et l’héritage dont l’œuvre se nourrit. Déstabilisant
mais fascinant.
«Une estafette chez Artaud» de Nicolas Tremblay
est paru chez Lévesque Éditeur.
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