Après «Ruelles, jours ouvrables», André Carpentier récidive avec «Extraits de cafés» où il s’attarde dans ces établissements qui prolifèrent dans tous les quartiers de la ville. Ces lieux ont leurs réguliers, leurs visiteurs occasionnels, des originaux qui attirent le regard selon les heures.
«Voilà, c’est ainsi, je crois, qu’à mon totem de flâneries, j’ai ajouté les cafés, avec leurs personnages et leurs faits quotidiens, qui forment l’armature de ces pages. Je me croyais toujours obsédé par le réseau des ruelles ; en fait, je nomadisais déjà d’un café à l’autre, comme qui s’éprend d’un nouveau territoire, et rapiéçais mes carnets à coups de notules, d’ajouts, de renvois.» (p.11)
Des endroits où il est possible de refaire le monde, de retrouver des connaissances où simplement lire le journal en dégustant un espresso. Tout dépend de l’heure et du lieu. La clientèle, près de l’Université du Québec à Montréal ou dans le nord de la ville, n’est pas la même.
Des mondes
Ces lieux de retrouvailles, de reconnaissances, de réconciliations, d’amours qui naissent ou s’effilochent au hasard d’un courant d’air ou d’un rayon de soleil sur un coin de terrasse, fascinent. Chaque café a son petit quelque chose, un décor qui crée une ambiance, des arômes singuliers.
«Il y a dans l’aura des cafés, c’est-à-dire dans la constellation des traces humaines qui y sont associées, une chose singulière et enviable qui est la lenteur. Je veux dire cette disponibilité fluide qui est le fait de celui qui se donne le temps de regarder, d’écouter, de rêver, de maintenir ce que Pierre Sansot appelle un ennui de qualité.» (p.48)
Regards échangés, sourires, dialogues qui s’engagent ou qui tombent dans l’oreille du solitaire.
«Dans un café qui baigne dans une ondée de sueurs chaudes, je m’installe sur une banquette latérale où je ne gênerai personne, les joueurs de dominos, les lecteurs de journaux, les ressasseurs de passé, les brasseurs de politique. J’aime ces angles d’où l’on peut tout voir d’un café, dans son ensemble comme dans ses détails, grignoter les schizos, se taquiner les serveuses, entrer les désenchantés, déguerpir les pressés…» (p. 76)
Successions
Carpentier y retrouve des visages à chaque jour. On s’y confie, on comble la solitude, on tente d’attirer l’attention quand on s’y glisse à l’heure de l’apéro. Le café connaît des marées, des reflux, des poussées fascinantes à observer et à décrypter.
Dommage que Carpentier n’identifie jamais ces endroits. Nous apprenons parfois que nous sommes près de l’Université du Québec à Montréal ou dans tel quartier. Il lui arrive aussi de se faire la dent sur un écrivain ou un poète sans le nommer. Cette méchanceté anonyme est un peu agaçante. Bien sûr, nous sommes tous des inconnus dans ces endroits. Mais quand on choisit de s’y attarder et d’écrire, il faut le courage de dire ce qui doit être dit.
«Cette comédienne, qui, juste à commander un Perrier, prend l’allure d’une starlette qui s’ébroue les aigrettes. Elle paraît scruter tout un chacun à tour de rôle, mais en réalité, elle ne fait que vérifier si on ne la regarde pas. On dirait qu’elle ne paraît pas assez tranquille avec elle-même pour avoir ne serait-ce qu’un peu de curiosité pour les autres.» (p.191)
Et il y a ces débuts de fragments qui jouent tous du «que»... «Un de ces jours que je mets trois secondes… Un jour que je suis disparu des…» Cette fréquence du «que» a fini par gâcher ma lecture. Carpentier nous a habitués à mieux.
Peut-être qu’il aurait fallu élaguer, resserrer et surtout s’attarder pour découvrir des hommes et des femmes qui vivent l’amour, la maladie, la vieillesse et la peur, qui se réfugient peut-être dans ces lieux publics pour oublier un moment leurs craintes ou leur joie... Nous passons à côté de quelque chose.
«Extraits de café», d’André Carpentier est paru aux Éditions du Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/andre-carpentier-1010.html