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mardi 21 septembre 2010

André Carpentier flâne dans les cafés

Après «Ruelles, jours ouvrables», André Carpentier récidive avec «Extraits de cafés» où il s’attarde dans ces établissements qui prolifèrent dans tous les quartiers de la ville. Ces lieux ont leurs réguliers, leurs visiteurs occasionnels, des originaux qui attirent le regard selon les heures.

«Voilà, c’est ainsi, je crois, qu’à mon totem de flâneries, j’ai ajouté les cafés, avec leurs personnages et leurs faits quotidiens, qui forment l’armature de ces pages. Je me croyais toujours obsédé par le réseau des ruelles ; en fait, je nomadisais déjà d’un café à l’autre, comme qui s’éprend d’un nouveau territoire, et rapiéçais mes carnets à coups de notules, d’ajouts, de renvois.» (p.11)
Des endroits où il est possible de refaire le monde, de retrouver des connaissances où simplement lire le journal en dégustant un espresso. Tout dépend de l’heure et du lieu. La clientèle, près de l’Université du Québec à Montréal ou dans le nord de la ville, n’est pas la même. 

Des mondes

Ces lieux de retrouvailles, de reconnaissances, de réconciliations, d’amours qui naissent ou s’effilochent au hasard d’un courant d’air ou d’un rayon de soleil sur un coin de terrasse, fascinent. Chaque café a son petit quelque chose, un décor qui crée une ambiance, des arômes singuliers.
«Il y a dans l’aura des cafés, c’est-à-dire dans la constellation des traces humaines qui y sont associées, une chose singulière et enviable qui est la lenteur. Je veux dire cette disponibilité fluide qui est le fait de celui qui se donne le temps de regarder, d’écouter, de rêver, de maintenir ce que Pierre Sansot appelle un ennui de qualité.» (p.48)
Regards échangés, sourires, dialogues qui s’engagent ou qui tombent dans l’oreille du solitaire.
«Dans un café qui baigne dans une ondée de sueurs chaudes, je m’installe sur une banquette latérale où je ne gênerai personne, les joueurs de dominos, les lecteurs de journaux, les ressasseurs de passé, les brasseurs de politique. J’aime ces angles d’où l’on peut tout voir d’un café, dans son ensemble comme dans ses détails, grignoter les schizos, se taquiner les serveuses, entrer les désenchantés, déguerpir les pressés…» (p. 76)

Successions

Carpentier y retrouve des visages à chaque jour. On s’y confie, on comble la solitude, on tente d’attirer l’attention quand on s’y glisse à l’heure de l’apéro. Le café connaît des marées, des reflux, des poussées fascinantes à observer et à décrypter.
Dommage que Carpentier n’identifie jamais ces endroits. Nous apprenons parfois que nous sommes près de l’Université du Québec à Montréal ou dans tel quartier. Il lui arrive aussi de se faire la dent sur un écrivain ou un poète sans le nommer. Cette méchanceté anonyme est un peu agaçante. Bien sûr, nous sommes tous des inconnus dans ces endroits. Mais quand on choisit de s’y attarder et d’écrire, il faut le courage de dire ce qui doit être dit.
«Cette comédienne, qui, juste à commander un Perrier, prend l’allure d’une starlette qui s’ébroue les aigrettes. Elle paraît scruter tout un chacun à tour de rôle, mais en réalité, elle ne fait que vérifier si on ne la regarde pas. On dirait qu’elle ne paraît pas assez tranquille avec elle-même pour avoir ne serait-ce qu’un peu de curiosité pour les autres.»  (p.191)
Et il y a ces débuts de fragments qui jouent tous du «que»... «Un de ces jours que je mets trois secondes… Un jour que je suis disparu des…» Cette fréquence du «que» a fini par gâcher ma lecture. Carpentier nous a habitués à mieux.
Peut-être qu’il aurait fallu élaguer, resserrer et surtout s’attarder pour découvrir des hommes et des femmes qui vivent l’amour, la maladie, la vieillesse et la peur, qui se réfugient peut-être dans ces lieux publics pour oublier un moment leurs craintes ou leur joie... Nous passons à côté de quelque chose.

«Extraits de café», d’André Carpentier est paru aux Éditions du Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/andre-carpentier-1010.html

lundi 20 septembre 2010

Ying Chen jette une douche d’eau froide sur le monde

Autant j’ai aimé « Immobile » et « L’ingratitude » de Ying Chen, autant j’ai eu du mal avec « Querelle d’un squelette avec son double » et « Quatre mille marches ». Assez pour ignorer la prose souvent alambiquée de cette écrivaine, ses parutions en 2006 et 2008.
Avec « Espèces », l’écrivaine d’origine chinoise signe un court texte étonnant comme toujours. Une femme disparaît aux yeux des humains, se réincarne en chatte et continue sa vie auprès de son mari. Une bête au poil soyeux qui se souvient de tout même si elle a perdu l’usage de la parole.
Rien n’allait plus avec A. le mari. Surtout depuis la disparition de l’enfant qu’elle avait trouvé sur le pas de sa porte et adopté. Comment se produit cette métamorphose ? Le lecteur ne le sait pas et ce n’est pas là le propos de la romancière.
« Je me félicite de ma renaissance un peu décadente si on veut le croire, apparemment peu prometteuse, mais qui m’assurera, telle une récompense matérielle, j’en suis persuadée par l’expérience de mes autres vies, une capacité d’idolâtrer, un pouvoir de séduire, une possibilité de rendre A. plus viril, plus à son aise, plus amoureux, en le laissant triompher sur moi. » (p. 14)

Découverte

Le félin goûte à la liberté de circuler et de jouer, aux odeurs de la ville, aux charmes de la nuit et du jour. Elle découvre la générosité des gens et les chats du quartier qui n’en mènent pas large. Tous sont castrés, repus, trop gras, dorlotés par des maîtres qui comblent ainsi un manque d’affection.
Cette entourloupette permet à Ying Chen de jeter un regard singulier sur les hommes et les femmes, leurs façons de vivre et leurs préoccupations souvent futiles.
« La communication n’est jamais possible avec l’autre parce qu’il n’écoute pas, que personne ne l’intéresse jamais vraiment. Sa tête est remplie d’idées à lui, il n’y a plus de place que pour les informations impersonnelles en tant que sources d’idées, que pour des citations d’étrangers, de préférence illustres, comme simples supports de sa pensée. » (p. 46)
La nouvelle représentante de la race féline a peu de considérations pour l’espèce supérieure de la création même si elle vénère son maître, plus même que du temps où elle était femme.
« Lorsque, du haut de ma fenêtre, j’aperçois leurs silhouettes et leurs mouvements à travers les arbres, à travers la vitre de ma fenêtre, je vois peu  de différence entre eux et la famille des rats, des oiseaux ou des fourmis. L’univers rajeunit quand il se libère des humains, de leurs regards réprobateurs pour je ne sais quelles raisons ni de quels droits, de leur pensée bruyante, assommante et savamment hypocrite, de leur mémoire et de leurs trésors pourris. » (p.62)

Rencontre

Peu à peu la jeune chatte apprivoise A. et c’est le bonheur parfait jusqu’à ce qu’une autre femme arrive dans la maison. Les deux femelles deviennent des rivales. C’est même amusant quand elle décrit les ébats amoureux de A. avec sa nouvelle flamme.
« Puis ils se précipitent dans l’escalier, appelés par une autre faim plus impérieuse. Bientôt la maison est remplie de bruits suspects, de gémissements et de respirations fortes, de frottements de pieds de chaises sur le plancher, de chocs de tête contre le mur… On croirait que les squelettes dans la cave se mettent à danser. » (p. 178)
Rien ne trouve grâce aux yeux de la chatte. Elle subit l’opération qui la rend stérile et se retrouve moins alerte et plutôt indifférente. C’est peut-être ce qui attend l’humanité.
Je ne sais pourquoi, j’ai eu l’impression tout au long de ma lecture de n’être pas dans le coup. Peut-être la façon de dire et d’écrire toute en circonvolutions qui tient à distance. Ce qui est souvent très dur et outrancier fait plutôt hausser les épaules.
Il s’avère difficile de suivre les personnages de Ying Chen, d’adhérer à ses curieuses histoires. Dommage parce que l’idée est excellente et le regard percutant.

« Espèces » de Ying Chen est publié aux Éditions du Boréal 

dimanche 19 septembre 2010

Claude Jasmin ne cesse d’explorer son enfance

Les copains avec qui Claude Jasmin jouait au cow-boy dans les ruelles le surnommaient «Papamadi». Voilà qui explique l’étrange titre de son dernier roman. Le jeune garçon, tout comme l’adulte, ne résistait jamais au plaisir d’épater l’auditoire. Il avait l’habitude de lancer ses récits en disant : «Papa m’a dit», manière de remplacer le «Il était une fois».
 Parce que le parternel de Claude racontait des histoires curieuses où voyantes et mystiques arboraient des stigmates, saignaient à tous les vendredis et se coltaillaient avec le diable. Catherine Emmerich, Thérèse Neumann, Marie-Louise Brault, Marthe Robin, Bernadette Soubirous et bien d’autres. Ces noms ne diront rien à ceux qui ont moins de quarante ans. Ces femmes conversaient avec Dieu, voyaient la Vierge, guérissaient les malades et accomplissaient des miracles. Elles étaient l’objet de véritables cultes.

Souffrances

Jasmin père s’attardait aux souffrances de ces mystiques et raffolait des détails qui effarouchaient l’enfant.
«C’est pas tout ça, mon gars, sous les yeux du procurateur Ponce Pilate qui, on le sait, s’en lavait les mains, il y a eu 72 crachats. Tu as bien entendu : 72. N’oublions pas le sang versé, 230 000 gouttes. » Papa fait beaucoup de fumée et ajoute : « Maintenant, mon gars, voici pire que pire : il y a eu… 600 200 larmes.» (p.10)
Des statistiques qui ne pouvaient que faire trembler un enfant sensible et l’empêcher de dormir.   
«Peu à peu, des gens de partout en Allemagne se rendent à la maison de ferme. Ils voient Thérèse qui souffre, qui crie, qui pleure, qui se tord de douleur parfois. Et ça c’est spécial, mon gars, elle lévite ! Tu entends ? La voilà comme soulevée au-dessus de son lit dans cette chambre modeste… … Sais-tu le plus fantastique ? Durant ses visions, cette femme ignorante parlait couramment en araméen ! C’est la langue que parlait Jésus.» (p.15)
La vie des mystiques mais des confidences qui bouleversaient l’enfant. Son père n’était peut-être pas heureux de sa vie.
«Tu sais mon garçon, j’aurais pas dû me marier, ma vraie vocation c’était prêtre, même que je dirais, moine. Dans un monastère, j’aurais été un homme heureux.» Je suis mal à l’aise, et je m’inquiète : est-il malheureux? Il enchaîne : «Durant mon voyage de noces, la croisière sur le Saguenay, un matin j’étais sorti sur le pont, j’ai pensé à me jeter dans le fleuve.» (p.45)
Son père a songé au suicide, pendant son voyage de noces. Troublant. On touche le cœur du récit, mais malheureusement Claude Jasmin ne s’y attarde pas.

Fascination

L’écrivain oublie l’ordre chronologique, retourne dans sa petite enfance et nous ramène à la mort du père, alors qu’il est chef de famille et qu’il en mène large dans les médias et à la télévision. Des moments précieux, des rencontres où le fils et le parternel se retrouvaient en tête-à-tête au chalet ou encore partaient en expédition. Les affrontements aussi quand l’adulte se dressait devant son géniteur pour démontrer que «ses mystiques» étaient des tricheurs. Une relation d’amour qui avait souvent du mal à se dire.
«J’étais un révolté. Aussi contre lui, ce père bigot ? Sans doute. Pourtant ça n’était pas très clair, car je l’aimais aussi. J’aimais tant ces drôles de tableaux qu’il brossait, tard le soir, comme en secret, derrière son comptoir, entre les visites de ses clients, des zazous ! En somme, entre les séances des deux cinémas du coin de la rue.» (p.100)

Regard

Claude Jasmin a l’ âge maintenant de regarder derrière son épaule pour s’attarder à ce qui a fait sa vie d’écrivain, d’artiste en arts visuels, de conteur incomparable et de polémiste.
Dommage qu’il y ait autant de redites. Cette sombre histoire du frère Maximilien par exemple. On aurait pu écourter. Ce n’est pas ce qui retient le lecteur. On s’égare !
Reste que Claude Jasmin est un sacré conteur. Malgré un récit un peu écrianché, il captive le lecteur et nous plonge dans un univers de religiosité qui a hanté sa génération.

«Papamadi» de Claude Jasmin est publié chez VLB Éditeur.

dimanche 12 septembre 2010

Biz ou les difficultés de la parternité

Biz est membre du groupe Loco Locass
Biz est connu pour faire partie du groupe Loco Locass. Il présente dans «Dérives», une première publication, un court récit qui témoigne du désarroi d’un nouveau père.
«Voilà, c’est fait, mon fils est né. Un accouchement comme tous les autres : dans les cris, les pleurs et le sang. Une révolution, en somme. Et pas vraiment tranquille… Mais une révolution à l’envers, qui aboutirait à l’installation d’un roi dans une république jusque-là plutôt pépère. Un petit tyran à l’ego hypertrophié dont les moindres caprices doivent être immédiatement satisfaits, sous peine de hurlements stridents.» (p.7)
C’est un cliché de dire que l’arrivée d’un enfant chambarde la vie du couple. Certains ne s’en remettent jamais. Cette naissance longtemps rêvée est le début d’un long cheminement qui mène à la rupture. Le nouveau-né exige tout de la mère et du père. Les parents ont l’impression d’être aspirés par cette bouche dévoreuse qui demande soins et nourriture. Les horaires se plient aux caprices du nouvel arrivant. Les heures du jour et de la nuit sont fragmentées. La merveilleuse aventure de la vie devient une épreuve, surtout de nos jours où les enfants sont le centre du monde et de la galaxie.

Dégringolade

Biz perd ses habitudes qui étaient pourtant bien ancrées avant l’arrivée de son fils. Il aime ce petit garçon, là n’est pas la question, mais il se retrouve devant un étranger quand il se regarde dans le miroir. Tout bascule. Les contacts avec les amis et sa femme qu’il agresse verbalement. Devant l’inévitable qui se profile, le couple décide de vivre une thérapie.
«À bout de ressources, ma mie m’avait intimé : C’est la psy ou je décrisse. Ça laisse peu de marge de manœuvre. On jouait carrément notre couple et on le savait tous les deux. On s’y rendait toujours dans un silence pesant et solennel. S’il fallait sombrer, ce serait avec la dignité des musiciens du Titanic, qui avaient persisté à jouer jusqu’aux derniers instants du naufrage.» (p.47)

Privé et public

Un récit touchant qui déborde un peu sur la société et le monde politique. Le privé reflète souvent le public. Il y a aussi tout au long de ce récit une allusion à la figure du passeur qui incarne la mort.
Si cette image du navigateur qui s’enfonce dans un marais est un peu déroutante au début, les dernières pages deviennent lumineuses. Le passeur maintenant serait-il celui ou celle qui contrôle les médicaments ? On bascule dans un mode ouaté avec les antidépresseurs qui empêchent de trop descendre et de ne pas trop s’élever.
«Je tentais d’avoir l’air détaché, mais je détestais cette consultation publique, où tous mes problèmes étaient révélés par cette maudite médication. Profesionnelle, elle me regardait sans juger, avec juste ce qu’il fallait de compassion.» (p. 93)
Un sujet que peu d’hommes ont osé aborder. Interdit ou tabou ? Biz le fait avec justesse. C’est un peu raboteux comme écriture, mais combien vrai et signifiant. 

«Dérives» de Biz est publié aux Éditions Leméac.

dimanche 5 septembre 2010

Victor-Lévy Beaulieu présente ses animaux

«Ma vie avec ces animaux qui guérissent» de Victor-Lévy Beaulieu traînait dans la maison. C’est ainsi. Les livres que je lis suivent mes déplacements.
Alexis, mon petit-fils est arrivé et il a commencé à feuilleter le très beau volume. Papier glacé, photos couleurs des animaux qui hantent la vie du célèbre écrivain de Trois-Pistoles. Oies, canards, chiens, chats, chèvres, moutons et chevaux miniatures. Il a regardé les photos, voyageant d’un couvert à l’autre, demandant ce que « ça racontait ». Comme j’avais un bon bout de chemin de fait dans le récit de l’écrivain, il m’a été facile de piger quelques anecdotes. Le premier chien caché dans la grange et la bête frappée par le tonnerre lors d’un orage terrible, de ceux qui hantent l’enfance des enfants qui grandissent à la campagne. Tout en est resté là jusqu’à l’heure du coucher.
Alors Alexis m’a demandé de lui lire des extraits du «livre des animaux». Je n’étais pas certain. Peut-on imaginer lire du Victor-Lévy Beaulieu à un petit garçon qui vient d’avoir ses sept ans. Et puis je me suis fait un chemin entre les textes et les illustrations.,
«Tous les jours, je me rendais à l’étang que j’avais fait creuser au bout de mon lopin de terre, y emmenant ma dizaine d’oies afin qu’elles puissent s’esbaudir plus librement que dans une barboteuse !» (p. 94)
Alexis a sourcillé devant le mot « esbaudir ». J’ai dû fouiller dans ma boîte de synonymes. J’ai lu l’extrait jusqu’à ce que les oies se prennent pour les gardiennes des lieux et chassent tous les intrus qui approchent la grande maison de Trois-Pistoles. «C’est vrai ça, grand-papa?» Je lui ai raconté nos démêlés avec les dindons que nous élevions sur la ferme familiale de La Doré. Ils avaient la fâcheuse habitude de vouloir régenter notre territoire.
Fasciné, il en a redemandé, aimant particulièrement la petite chienne à la queue coupée qui préférait la société des chats et se prenait pour la mère de tous les chatons orphelins. Il a glissé dans le sommeil, sourire aux lèvres. Alors j’ai continué ma lecture.

Enfance

Dans « Ma vie avec ces animaux qui guérissent » l’écrivain revient sur son enfance à Saint-Jean-de-Dieu, au bout du rang Rallonge.
«Mon grand-père paternel était forgeron et maréchal-ferrant ; mon grand-père maternel cultivait la terre à cette époque où l’on croyait à l’autosuffisance : on y trouvait toutes les sortes d’animaux, des oiseaux de basse-cour aux gros taureaux qui couraient après nous autres dès qu’on mettait les pieds sur leur territoire.» (p.12)
Des jours de bonheur avant le départ pour Montréal, l’abandon des bêtes familières. Cet exil le marquera.
«Mais que je détestai le rang Rallonge ce jour-là ! Et mes parents aussi ! Malgré moi, ils me forçaient à me sortir de mon enfance, ils détruisaient ce que j’aimais le plus au monde : ma passion pour les bêtes.» (p.49)
Tout cela prélude au grand retour au pays des origines. Alors l’écrivain peut renouer avec son enfance. La vaste maison de la paroisse de Notre-Dame-des-Neiges, en plus de recevoir tous les livres, devient une arche de Noé pour les chats et les chiens.

Étude

Victor-Lévy Beaulieu ne se contente pas de vivre avec les bêtes. Il les étudie, tente des expériences et montre envers elles une patience qu’il n’éprouve peut-être pas envers les humains. Nous apprenons beaucoup sur leurs comportements, les notions de territoire, leur esprit grégaire, leur instinct de domination et les hiérarchies qui s’établissent entre elles. Les bêtes ne cessent de le surprendre et de nous étonner.
Toujours elles font preuve de reconnaissance et manifestent leur affection. Parce que les bêtes ne trichent pas, n’hésitent jamais avec celui qui les aime et en prend soin.
Les bêtes l’ont guéri ? Du moins elles l’ont protégé de certains démons, de sa passion pour le scotch les soirs de grisailles. Juste par leur présence, elles ont su l’éloigner de tous les excès. Elles lui ont enseigné la patience et le partage, réussissant aussi à se faufiler dans sa littérature.
Un livre étonnant qui nous montre le côté sensible et humain de l’écrivain polémiste. On y découvre un art de vivre, une manière de s’ancrer à la Terre, à la vie et au cosmos. Les animaux ont peut-être aussi apporté à Victor-Lévy Beaulieu un grand apaisement face à la vie et une belle forme de sagesse.

« Ma vie avec ces animaux qui guérissent » de Victor-Lévy Beaulieu est publié aux Éditions Trois-Pistoles.
  http://www.editiontrois-pistoles.com/viewAuteur.php?id=6

dimanche 29 août 2010

Sonia Anguelova abandonne tout derrière elle

Pourquoi un homme ou une femme quitte son pays, abandonne sa famille et des amis ? Il faut beaucoup de souffrance, j’imagine, ne plus avoir d’avenir pour partir, débarquer dans un pays dont on ne connaît que le nom.
Sonia Anguelova, dans «Sans retour», raconte sa migration vers le Canada. Elle est née à Sofia en Bulgarie. Régime communiste, père sévère et bien vu du Parti communiste. Un frère et une mère qui a renoncé à sa vie. Nous sommes à l’époque du Printemps de Prague où tous les espoirs sont permis. Les dirigeants du Pacte de Varsovie craignent le souffle de libération qui risque de changer l’ordre des choses en Tchécoslovaquie. On connaît la suite.

Démarche

Sonia Anguelova témoigne, au « je » en plus d’une narration plus neutre, au « il ». Un dédoublement un peu étrange. Peut-être pour montrer le déchirement de celle qui s’invente une autre vie. Dans un immigrant, il y a celui qui demeure au pays d’origine et l’autre qui s’installe dans le nouveau pays.
« Il y a entre cette jeune fille qu’elle suit et la femme d’âge mur qu’elle est devenue un océan : un océan de larmes, de révolte, d’orgueil, un océan de mots dans plusieurs langues qui lui étaient étrangères, un océan de routes, d’hivers longs et de découragements. De longues heures, des mois, des années à attendre des personnes chères à son cœur. Ils s’étaient promis de se retrouver dans ce pays de liberté. Elle seule y est. » (p. 20)

Cuba

La jeune fille a suivi ses parents à Cuba. Un emploi de trois ans pour le père au pays de Castro. Elle tente de vivre à la cubaine. Parce que les étrangers au pays de Fidel vivent en vase clos. Elle étudie, pense devenir médecin, vit ses premières expériences amoureuses, mais son rêve de liberté n’est pas satisfait. Elle ne peut imaginer un retour à Sofia, prépare son évasion avec la complicité d’une famille cubaine. Elle va échapper à ce père violent, à toutes les contraintes et aux interdits. Elle sera une femme libre.
Lors d’un vol vers la Bulgarie, d’une escale à Terre-Neuve, elle échappe à la surveillance et demande l’asile politique.
« On m’a comprise. On le répète comme il doit être prononcé. Yes. Yes. L’homme à qui je me suis adressé me devance, il voit que je suis pressée. Il me fait entrer dans son bureau- j’ai juste le temps de voir l’écriteau sur la porte. Immigration. Voilà la porte ! J’étais passée devant, sans la voir. Elle était ouverte ! J’ai passé le seuil. J’entre dans ce pays, sur ce territoire, comme on entre en religion. Les ordres de l’immigration. C’est une naissance. Ici, je suis en sécurité, je le sens. Et m’attend l’inconnu. Je l’ai voulu. Je le suis. Immigrante. »
(p. 81)
Des jours à ne pas savoir ce que demain lui réserve. Et tout bouge. Elle se retrouve à Québec, apprend les rudiments du français. Un premier travail. Elle vivra au Québec, au Canada.
Ce qu’il y a de pathétique dans le récit de Sonia Anguelova, c’est la solitude qui étouffe l’immigrante, cette absence dans sa vie, dans sa tête et dans cette nouvelle langue qui ne peut exprimer tout ce qu’elle ressent. Malgré des efforts inouïs, elle restera différente dans son nouveau monde. Il y a un vide qui ne peut être comblé.
« Ils ne te le diront pas, mais ta place est ici, où tu es née. Tu seras toujours une étrangère, ma fille. L’étranger est étranger toujours, même s’il a des amis. » 
(p. 130)
Sonia Anguelova passe malheureusement très vite sur les grands moments de sa vie. On aimerait en savoir plus sur cette femme qui a tout abandonné pour vivre et écrire en français. Elle a eu une vie au Québec, des enfants qui sont venus, mais elle n’en parle pas. L’impression d’effleurer un drame humain difficile à imaginer. C’est peut-être le pourquoi de la fragmentation du récit, du journal de la mère et des lettres qui nous font tourner en rond. Sonia Anguelova n’a pas fini de fouiller sa vie pour nous en montrer les facettes. Il faut parfois bien du temps pour arriver à dire la blessure de sa vie. 

« Sans retour » de Sonia Anguelova est publié aux Éditions Miramar.