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mardi 15 décembre 2009

Jocelyne Saucier envoûte encore une fois

Jocelyne Saucier a habitué le lecteur à des œuvres denses et originales depuis son entrée en littérature en 1996 avec «La vie comme une image». Des romans qui s’ancrent dans l’histoire et la réalité de son pays de l’Abitibi. «Les héritiers de la mine» met en scène une famille qui partage un terrible secret; «Jeanne sur les routes» permet de suivre la lutte d’un militant communiste dans une société en mutation. Avec «Il pleuvait des oiseaux», l’écrivaine s’attarde aux grands feux qui ont ravagé, au début du siècle dernier, des villes de l’Abitibi et les espaces du nord de l’Ontario. Des tragédies qui ont marqué l’imaginaire des survivants.
 «Le Grand Feu de Matheson a été le plus meurtrier. Deux cent quarante-trois morts. Ce sont les chiffres officiels. Ils ne comptent pas les prospecteurs, les trappeurs, et les errants, ces êtres qui n’ont pas de nom, pas de nationalité, qui n’existent pas, qui vont d’un endroit à l’autre. Le pays était neuf, il attirait des aventuriers de toutes sortes. On en retrouvera quelques-uns dans des ruisseaux asséchés, mais la plupart  ne formeront qu’un petit tas d’os calcinés que le vent emportera loin des chiffres comptables. Cinq cents morts, on dit certains.» (p.68)
Il n’en faut pas plus pour faire courir les légendes. Un jeune garçon, entre autres, revient dans tous les témoignages.
«Les Grands Feux ont eu leurs héros et leurs martyrs. Boychuck n’était ni l’un ni l’autre, mais il apparaissait dans tous les récits des survivants du Grand Feu de Matheson, même de ceux qui ne le connaissaient pas, qui ne l’avaient jamais vu, qui n’avaient rien à témoigner à son sujet. Ed Boychuck, Ted ou Edward, on ne s’est jamais entendu sur son prénom, est une figure énigmatique du Grand Feu de Matheson. Le garçon qui marchait dans les décombres fumants. C’est ainsi qu’on le désignait le plus souvent.» (p.71)
«Il pleuvait des oiseaux» tourne autour de ce survivant qui a échappé au fléau par miracle.

La quête
Une photographe rencontre les témoins, tente de reconstituer les événements, de démêler ce qui est vrai du faux. Tous sont très âgés et ils ont juste assez de mémoire pour inventer des mythes et des légendes.
Elle finit par retracer Boychuck qui s’est réfugié dans la forêt avec des comparses. Ils vivent dans des cabanes, défient la vie et la mort avec la complicité de deux jeunes qui cultivent la marijuana et leur apportent des provisions.
Il ne manque que Boychuck à la collection de l’enquêteuse. Cette fois, elle arrive trop tard. L’homme est décédé. Elle s’attarde pourtant, s’attache à ces rebelles, découvre un artiste qui peignait d’étranges tableaux. Il faudra l’arrivée d’une femme internée pendant plus de soixante ans pour commencer à «voir réellement» ces centaines de toiles. Boychuck a sans cesse peint le drame qui a marqué sa vie. Sa famille qui a péri dans un caveau, deux femmes qui ont échappé au feu en fuyant sur la Black River dans un radeau de fortune.
«Certains tableaux révèlent des épisodes qui lui étaient totalement inconnus. Aucun survivant ne lui avait parlé de ces deux jeunes filles qui avaient dérivé le long de la Black River sur un radeau. Leurs cheveux, magnifiquement blonds et lumineux, leur couvraient tout le corps. Couchées à plat ventre sur le radeau, on ne voyait qu’une traînée d’or dans ce que Marie-Desneige reconnut comme les eaux noires d’une rivière.» (p.118)
Les ermites font face à la mort et à la vie en regardant droit devant eux. Peut-on choisir sa fin ? Ils ne lésinent pas. Ils sauront quand le moment sera venu. Un sujet d’actualité en ce temps de commissions et d’audiences.

Les choix

Tom choisit de mourir à l’automne. Il en a assez ! Une scène difficile. Marie-Desneige et Charlie risquent l’amour pour le peu de temps qui leur reste. Ils fuient sans laisser de traces.
Un grand roman construit comme les tableaux d’une exposition. Chacun des chapitres se présente en vignettes que l’on affiche au bas des toiles pour guider le visiteur.
Un livre magistral et exceptionnel. Un regard tendre sur le vieillissement, les légendes et l’amour. Jamais Jocelyne Saucier n’a été aussi percutante, aussi émouvante. Un bijou. Si elle ne remporte pas un prix littéraire avec ce quatrième ouvrage, il faudra se poser des questions.

«Il pleuvait des oiseaux» de Jocelyne Saucier est paru chez XYZ Éditeur. 
http://www.editionsxyz.com/catalogue/586.html

Bryan Perro écrit son anthologie du fantastique

Bryan Perro
Bryan Perro est associé à la série «Amos Daragon» qui a connu un très grand succès au Québec et à l’étranger.
Le lecteur familier avec l’univers de cet écrivain ne sera pas surpris d’apprendre qu’il s’intéresse aux contes et aux histoires fantastiques, aux événements qui échappent à l’entendement. Un monde qui intrigue et ne cesse de se renouveler dans l’imaginaire des populations.
Si tous ont entendu parler de «La Dame blanche» ou de «La Corriveau», qui connaît «Le Nain jaune» des Iles de la Madeleine ou la légende du rocher Percé. Bryan Perro réussit à surprendre avec des sujets moins connus.
Alexandre Girard
«Avec ce recueil, je souhaite faire connaître certaines créatures extraordinaires qui peuplent notre coin de Terre. De nombreux monstres foisonnent dans toutes les régions du Québec, et en dresser un inventaire signifiant ne fut pas une mince tâche. C’est donc avec la volonté d’offrir un éventail représentatif de l’imaginaire québécois que j’ai rédigé cet ouvrage, et j’espère que vous y plongerez avec plaisir et curiosité.» (p.11)
Rapidement, on se laisse entraîner dans des histoires étranges qui soulèvent bien des questions. L’écrivain réussit à semer le doute dans l’esprit du lecteur et c’est ce qui importe.
Avec son comparse Alexandre Girard, ils signent deux livres particulièrement soignés. Ce dernier a la plume alerte, sait prendre ses distances avec l’écrit et invente un monde autonome. Notes, anecdotes, illustrations des personnages et différentes scènes des histoires racontées cernent le texte de Perro.
Plus de trente sujets sont abordés dans chacun des tomes en plus des dossiers sur certains phénomènes et un spécial sasquatch ou Big Foot. Ces personnages fascinent l’être humain depuis des siècles. Ils ont été vus un peu partout dans le monde. Est-ce la survivance du mythe de l’homme sauvage? Même les Amérindiens évoquent ces géants plutôt discrets.
Pour Bryan Perro, les histoires de monstres ou les phénomènes étranges, c’est du sérieux. Joliment bien fait et documenté cette anthologie des créatures fantastiques du Québec.

«Créatures fantastiques du Québec» Tomes I et II de Bryan Perro et Alexandre Girard sont parus aux Éditions Les intouchables.
http://www.lesintouchables.com/auteur-214-Perro-Bryan.php

Michel Samson présente l'Asie traditionnelle

Michel Samson, avec «Ombres sereines», fait son entrée en littérature de façon plutôt originale.

 L’auteur nous entraîne dans une Asie mythique où les sages enseignent à l’ombre d’arbres centenaires, écoutent plus qu’ils ne parlent. Parce que la sagesse, il faut le dire, ne niche pas dans le «murmure marchand». Il suffit d’un mot affûté comme une lame, précis comme un grain de beauté pour provoquer l’illumination qui embrase la vie. Michel Samson nous présente des moines qui vivent retirés dans les montagnes, des maîtres qui semblent avoir tout vécu; d’humbles artisans qui, poussant leur art dans ses derniers retranchements, découvrent ce que doit être la vie, la voie qui mène à sa pleine réalisation. 
«La flamme cherche vainement son ombre et jalouse ainsi tous ceux qu’elle éclaire. Lorsqu’elle s’éteint, elle réalise enfin son appartenance à ce monde peuplé de flammes jalouses. Merci de votre grande patience à l’égard de ce pauvre jardinier si entiché de sa propre lueur qu’il s’est cru capable d’éclairer la Voie sans réaliser que c’est la Voie qui éclaire.» (p.49)

Recherche

Voilà une forme de pensée qui a hanté la beat génération, particulièrement Jack Kerouac qui ne cessait de parcourir les États-Unis.
Le lecteur plonge dans un monde un peu hors temps, même si certaines allusions nous rapprochent de l’époque contemporaine. Un monde où la fragmentation du travail, la mondialisation et la productivité n’existent pas. Inutile de chercher les crises et les récessions économiques.
Une réflexion, un sourire provoque l’étincelle qui soulève l’âme et l’être.
«- Toutes ces années, j’ai été le nœud du bambou. J’ai cherché un chemin sans comprendre, égoïstement. Mon voyage n’aura donc pas été inutile.
Le moine s’inclina alors en souriant.
- Vous pouvez aller. La voie s’étale sous vos pieds.» (p.72)

Pas de surprise

L’ensemble de ces récits ou de ces réflexions sur la vie, le temps qui passe, le sens des choses, n’a rien d’étonnant. Les histoires de Michel Samson ne surprennent jamais et c’est peut-être là qu’il faut chercher une signification. Il suffit de voir, de regarder le monde tout autour, sans chercher le spectaculaire ou l’original pour trouver une direction à suivre, un équilibre dans la succession des jours.
Des histoires charmantes que nous lisons le sourire aux lèvres. C’est toujours joliment tourné avec cette petite poussée à la fin qui nous laisse sur un pied, avec une question que nous n’osons formuler, une solution qui se laisse désirer.
S’il y a une leçon à tirer d’«Ombres sereines», c’est de cesser de s’agiter et de chercher des réponses toutes faites.
Michel Samson détonne certainement dans ce monde d’excitation et de performances à tout prix. Un sentiment de plénitude se dégage de cette lecture et c’est loin d’être désagréable.

«Ombres sereines» de Michel Samson est paru aux Éditions La grenouille bleue.

dimanche 13 décembre 2009

Peut-on être heureux sans croire en Dieu?


«Heureux sans Dieu», un collectif dirigé par Daniel Baril et Normand Baillargeon, regroupe les réflexions de quatorze personnalités québécoises sur Dieu, la religion, les croyances et la foi. Quatre femmes et dix hommes, dont Arlette Cousture, Louise Gendron, Isabelle Maréchal, Yannick Villedieu et Louis Gill.
Tous affirment qu’ils ne croient pas en un Être suprême. Ils se sont débarrassés de toutes les superstitions et ne cherchent pas une cause ou un effet pour expliquer la vie et la mort. L’humain est seul dans l’univers, sans peur et sans craintes. Au bout de son existence, comme toutes les autres espèces vivantes qui l’entourent, il retourne au grand rien d’où il est sorti. Une réflexion qui, malgré tout ce que l’on peut entendre et dire dans les médias, s’avère courageuse.
«C’est qu’aujourd’hui encore l’athéisme dérange, fait peur, voire suscite le rejet, écrit l’auteur de la présentation Daniel Baril. Si les gays ont réussi à sortir au grand jour, les athées n’osent pas encore s’afficher, craignant d’être perçus, au mieux comme des trouble-fête, au pire comme de bien tristes personnages à qui il doit sans aucun doute manquer quelque chose.» (p.8)
Bien sûr, on peut parler de la désertion des églises, affirmer que le catholicisme  perd du terrain dans nos sociétés. Pourtant, il suffit de scruter l’actualité pour constater que nombres de guerres de religion existent encore. Le fanatisme et les croisades les plus folles sont loin d’être endigués et ne se retrouvent pas seulement du côté musulman de l’humanité
Cette façon de concevoir la vie sans plan de Dieu, sans au-delà, n’empêche pas ces témoins de ressentir de l’empathie pour leurs semblables, de prôner la solidarité, l’entraide et le partage. L’athéisme, selon eux, est jumelé au savoir. Plus la connaissance s’impose, moins les chances de croire aux fables et aux mythes sont grandes. Le savoir et la réflexion font en sorte que les superstitions cèdent le pas à une forme de lucidité courageuse.
«Les commandements de Dieu sont les mêmes, à quelques virgules près, dans toutes les grandes religions du monde, affirme Louise Gendron. Parce qu’ils correspondent à des tabous, à des règles profondément inscrites dans l’histoire de l’humanité et, souvent, dans la biologie même.» (p.15)
Ceux et celles qui ont accepté d’aborder cette question défendent une société laïque, libérée de toutes manifestations religieuses à l’école et dans le fonctionnement de l’État. Les croyances sont de l’ordre du privé et ne doivent pas s’aventurer sur la place publique. Jamais cela ne doit transpirer dans les discours des politiciens et des dirigeants.
«À mes yeux, je ne le cache pas, églises, synagogues, temples, mosquées, prêtres, imams, rabbins, pasteurs, soutanes, prières, chapelets et mille autres choses encore sont, par bien des aspects, des blasphèmes contre ce qui occupe dans mon échelle de valeurs cet équivalent laïque du sacré et contre certaines des valeurs que je chéris le plus : l’amour de l’humanité, la solidarité, la raison, le progrès.» (p.82)
Cette affirmation de Normand Baillargeon heurte de front les accommodements dits raisonnables qui ont fait les manchettes au Québec. 

Témoignages

Tout n’est pas de la même coulée dans ces témoignages. Louisette Dussault et Arlette Cousture racontent comment elles se sont éloignées des croyances de leur milieu. Un doute, une lassitude et l’abandon de la pratique religieuse est venu tout naturellement.
Il faut s’attarder aux réflexions Daniel Baril, Cyrille Barette et Hervé Fischer. Il y a matière à réflexions. Normand Baillargeon par exemple.
«Imaginez qu’il y ait, au Québec, un réseau de polyvalentes conservatrices, un autre de d’écoles libérales, un autre encore d’écoles péquistes, puis d’écoles communistes, et d’écoles anarchistes… … C’est pourtant ce que nous faisons en tolérant des écoles religieuses réservées à des « petits musulmans » et à des «petits juifs»… (p.96)
Le nouvel humanisme misant sur le vivant et sa capacité de réflexion est encore loin. Les religions, plusieurs le constatent, finissent par nous rattraper, que ce soit à la naissance ou à la mort. Toutes les sociétés ont des réflexes qui reviennent, particulièrement devant de lourdes épreuves. Un livre inégal mais fort intéressant sur un sujet que l’on n’ose guère débattre. Peut-être l’un des derniers tabous qui existent dans nos sociétés.

«Heureux sans Dieu» de Daniel Baril et Normand Baillargeon est paru chez VLB Éditeur.

samedi 12 décembre 2009

Éloge de la merde et de la pisse

Avec Guy Perreault, nous basculons dans un univers sordide et plutôt inquiétant. «Ne me quittez pas», on serait tenter de le faire rapidement, présente ces individus qui ne savent pas rompre et tourner la page. Incapable d'affronter la réalité, ils préfèrent s'inventer un univers et se débattre avec des fantasmes qui peu à peu s'emparent de leur esprit. Dans «Eaux mortes», un homme abandonné tente de retrouver sa femme. Un mâle qui ne sait qu'uriner, boire, uriner encore jusqu'à faire déborder le bain, les éviers et les poubelles. Une bête mâle qui marque son territoire, l'orignal en rut qui ne sait plus se retenir. Il pisse sur les trottoirs, dans la cabine téléphonique! Très vite on se lasse de cette écriture qui ne dépasse jamais le stade anal. 
Le récit le plus réussi reste l'enfant au fond de la baignoire. Là, malgré certains égarements, l'auteur parvient à nous entraîner dans un monde fascinant. La séparation d'avec la petite morte ne se fait pas et la baignoire devient miroir et reflets.
Je n’avais encore rien lu pourtant. Dans «Étoile froide», je me suis heurté à la nécrophilie, la merde, une forme de cannibalisme, la sodomie et tout ce que vous pouvez imaginer. Un homme baise avec sa femme morte et semble vouer à l'érection perpétuelle. Bien sûr, il ne faut jamais lire ces textes au premier degré mais comment oublier toutes les horreurs et les immondices.

Contenu

On dira toujours que Guy Perreault sait manier la phrase mais faut-il pour autant oublier le contenu. Un texte, si bien écrit soit-il, ne me fera jamais oublier ces étreintes qui finissent dans la merde et la pisse. Un petit échantillon?
«L'anus se contracte mollement, desserre son étreinte. Une émission de merde en déborde, malgré la verge plantée au plus profond. Puis les sphincters se relâchent, laissant filer une ultime plainte. En même temps que les larmes, le sperme jaillit.» (p.63).
Il ne manque que l'odeur. Pour choquer dites-vous? Même pas. À oublier au plus sacrant.

«Ne me quittez pas!» de Guy Perreault est paru aux Éditions Triptyque.

dimanche 6 décembre 2009

Mylène Bouchard étonne et séduit

J’ai lu «La garçonnière» dans une sorte d’élan fou. Les personnages et cette histoire m’ont happé. L’écrivaine, qui présente ici son second roman, visite son histoire en multipliant les points de vue comme certains artistes en arts visuels savent le faire.
Les assises géographiques d’abord. L’Abitibi et le Lac-Saint-Jean. Deux régions sœurs et étrangères. Mara est née à Noranda, Hubert à Péribonka. Une ville et un village situés sur le 48e parallèle. Une ligne qui ceinture la Terre et traverse des centaines de villes. Deux régions éloignées, dissemblables et soeurs. Comme deux corps qui se frôlent sans vraiment se toucher, deux êtres qui nagent dans une même direction.
«Ainsi, Mara et Hubert étaient restés saisis de leur première poignée de main. Une route devrait impérativement les accoler. En fait, il y a une route pour aller et venir de l’un à l’autre de cet endroit, mais elle mobilise une journée de déplacement sur des chemins pourris, aux abords de brûlis à perte de vue.» (p.15)
Mara et Hubert sont prisonniers en quelque sorte de leurs lieux d’origine.
Beau voyage aussi dans la littérature, des films et des chansons qui portent cette histoire d’amour possible et imaginaire. Même Richard Desjardins devient un personnage.

Géographie

Un premier contact, une sorte de coup de foudre. Mara et Hubert deviennent les meilleurs amis du monde, des complices qui passent leurs nuits à discuter, à jongler avec des questions qui ne demandent pas nécessairement de réponses.
«Le futon était ouvert, béant dans le salon. Mara était belle, ce soir-là, toute simple. Dans la sensualité du film, nous nous étions rapprochés l’un de l’autre, à moins que j’aie rêvé, tout imaginé. Quelques centimètres nous séparaient. Il en manquait peu pour que je desserre la main, crispée, moite, et que je saisisse la sienne. J’avais du mal à me concentrer. J’étais bien, mais je souffrais de ne pouvoir foncer dans le noir. Dans l’inconnu. Pour dénouer les silences. Pour confirmer les étreintes.» (p. 56)
Il suffirait d’un geste, d’un regard. Il faudrait un abandon. Cette complicité les rapproche et les éloigne. Comme deux espaces géographiques qui ne seront jamais l’un et l’autre.
Ils se retrouvent à Montréal comme des milliers de jeunes qui quittent leur région pour des études, un travail et une vie autre.

Ensemble

Tous les voient ensemble. Amoureux ? Certainement. Complices, « frère et sœur de latitude » qui n’arrivent pas aux gestes physiques de l’amour. Et à trop se fréquenter, on finit souvent par s’éloigner.
«Aussi précipité que cela avait pu l’être ce matin-là, au Café Suspendu, leur lieu de prédilection à tous les deux, dans la maladresse de l’instant, ils s’étaient entendus sur l’idée de ne plus jamais, plus jamais se revoir, plus jamais… » (p. 120)
Elle devient vedette de la radio, lui écrivain en exil à Prague. Les régions siamoises peuvent devenir aussi des continents. Elle s’oublie dans le travail, les amourettes, les rencontres brèves. Il écrit comme pour lancer des cris de détresse, s’intéresse aux œuvres d’art.
Ils mettront une vie à se retrouver, à s’aimer comme ils auraient dû, le premier soir. À Beyrouth, les digues s’évanouissent. L’amour est là, fou. L’amour passion qu’ils consentent enfin à vivre.
«Mara et Hubert écrivaient leur propre histoire. Bien qu’ils commençassent à n’être plus guère en forme – fatigués, dépeignés, intemporels -, ils aimaient sortir, prendre l’air et exister là, comme seuls au monde. Comme une paire. De jeunes mariés. Avec l’illusion que cela durerait toujours et que personne ne remarquerait leur présence dans cette garçonnière de bord de mer qui semblait avoir été dessinée pour eux.» (p. 171)
« La garçonnière » est une magnifique réussite. Un ouvrage d’une étonnante profondeur malgré les apparences. Une fraîcheur aussi ! On ne peut qu’avoir envie de relire ce roman-puzzle, de s’y replonger pour en savourer tous les aspects.
Une grande histoire d’amour qui va dans plusieurs directions et hante toute une vie. Une passion qui s’appuie sur les éléments géographiques et des œuvres littéraires, qui remet en question une foule de comportements. Mylène Bouchard frappe juste et fort. J’ai adoré l’écriture, cet univers, les personnages qui prennent la parole tour à tour.

«La garçonnière» de Mylène Bouchard est paru aux Éditions La Peuplade.