Shan dark |
Louve Mathieu |
Louise Canapé |
Tout a commencé au Camp
littéraire de Baie-Comeau qui se consacre aux haïkus. Les trois femmes
souhaitaient se familiariser avec ce petit poème qui en fascine plus d’un.
Francine Chicoine leur a proposé d’écrire un livre pour parler à voix basse,
échanger sur leurs expériences, leur être peut-être.
«Ce projet, nommé
initialement Innu-haïku, a débuté par une première rencontre de travail, en
août 2009. Nous nous sommes alors entendues sur le fait que le projet devait refléter
la culture innue et être empreint d’une saveur typiquement autochtone.» (p.8)
«Je me sens comme le joueur
de teueikan, en communication directe avec le monde des songes. Moi, je capte
des moments privilégiés que je garde précieusement jusqu’à l’éclosion d’une
image qui décrit l’ensorcellement de cet instant, en lien avec ma perception
innue», écrit Jeanne-d’Arc Vollant (Shan dark).
Louve Mathieu réplique dans
un souffle qui laisse pantois. Une blessure de l’être trouve enfin une manière
de se dire.
«C’est ainsi que j’existe,
poings fermés, avec du sang dans la paume à force de serrer les pierres et
d’essayer de me relever en laissant le rouge écrire sur le sable et la page. Ce
sont mes cailloux; c’est ma seule prétention quant à mes propres mots.» (p.80)
Une fenêtre
Un monde s’esquisse, une
fenêtre s’ouvre brusquement pour se refermer aussitôt. Le territoire perdu
hante les haïkus, la condition d’autochtone aussi.
«territoire innu
sous les pylônes d’acier
des plants rabougris» (p.62)
Le pays n’existe plus que
dans les légendes et les contes, la vie nomade s’est réfugiée dans un rêve
imprécis. La réserve enferme avec ce que cela comporte ou encore il y a
peut-être une vie du côté des Blancs en niant son être et son essence.
L’alcool, la drogue, la
désillusion, les espoirs difficiles à garder dans ces lambeaux de territoire
pointent discrètement.
«Premier jour du mois
sur un carré de miroir
deux lignes blanches» (p.66)
«jeune fille assidue
à l’école Uashkaikan
huitième mois de grossesse» (p.35)
Les secrets aussi, l’existence
tordue après des agressions qui ont souillé l’innocence et l’enfance.
«Lit d’enfant
s’agripper aux fleurs du drap
avant la pénétration» (p.102)
Si le spectacle était
intense, bouleversant même, la lecture du recueil «S’agripper aux fleurs» m’a
entraîné dans une réalité autre, un monde que je connais si mal. Que dire de ce
pays dans le pays que nous nous appliquons souvent à nier?
Un geste unique pour ces
femmes, une quête qui permet d’aller au fond de soi pour que l’innommable
s’accroche à des mots. L’une évoquera la culture, les traditions, l’autre sa
condition d’autochtone avec les humiliations qui se multiplient dans la vie de
tous les jours. Et il y a l’intime, la négation de l’être qui perturbe. Les
trois évoquent l’état de ce peuple dépossédé de sa culture et de son territoire.
Le mot s’impose alors avec une force et un poids formidable. «S’agripper aux
fleurs» va à l’essentiel, se tourne vers des voix qui viennent de loin et qu’il
faut écouter. Entendre surtout.
«S’agripper aux fleurs» de Louise Canapé, Louve
Mathieu et Jeanne-d’Arc Vollant (Shan dak) est paru aux Éditions David.