Pascal Millet nous emporte dans une lente et douce dérive dans «Québec aller simple». Un désir irrésistible de s’arracher à la monotonie, d’échapper à toutes les balises pour changer sa vie, la transformer et être un autre marque ce roman. Comment ne pas songer à Jack Kerouac... À Jack London aussi pour qui la nature est une présence qui pousse l’humain au dépassement. L’écrivain raconte peut-être aussi son arrivée dans le pays du Québec puisqu’il est Français d’origine. Bien sûr, le lecteur n’hésite jamais à le suivre.
Mal dans sa peau, Manu étouffe dans sa société. Incapable d’imaginer son avenir dans un tel contexte, il fuit, voyage, vit au jour le jour. Sans trop savoir où il pourra dormir, il se laisse bousculer par les rencontres et le hasard. Il y a d’abord les États-Unis qui fascinent tous les Français et Montréal où il croise un jeune homme qui pense faire le tour du monde en voilier, mais qui ne partira jamais. Une rencontre marquante. Il apprendra plus tard, que ce garçon s’est suicidé. Est-ce ce qui arrive à ceux qui tournent le dos à ses rêves?
Manu se retrouve à l’auberge de jeunesse de Tadoussac où des marginaux hibernent pendant l’hiver. Tous attendent les jours chauds en échafaudant des projets. Ce sont des déracinés qui s’étourdissent à la moindre occasion, vivent l’instant sans trop poser de questions. Une rencontre, un sourire et peut-être que l’avenir s’avance dans le lointain.
Nature
Manu est fasciné par ce pays de démesure, de froid et de glace qui recouvre la baie de Tadoussac. Il découvre les excursions avec les chiens, y trouve un apaisement, une forme d’engourdissement peut-être.
Quand il doit retourner en France (question de visa), il retombe dans les mêmes ornières. Il se heurte à son père qui devient l’image de ce qu’il sera dans quelques années s’il se laisse happer par le quotidien et l’amour. La femme devient un piège qui castre l’homme en le sédentarisant. Il retrouve Françoise qu’il a croisée à Tadoussac, séjourne en Bretagne, mais comprend vite que cet amour est impossible. Pourquoi pas l’armée! Un an à n’être personne, à n’être nulle part.
Il rencontre une artiste-peintre à sa libération, travaille dans une banque, au service des archives pour survivre. Le quotidien, malgré l’amour, malgré l’exultation des corps le rattrape. Manu n’arrive pas à chasser son mal à l’âme. Il doit se remettre en mouvement pour être pleinement vivant.
Tadoussac
À Tadoussac, plusieurs sont partis, d’autres occupent les petites chambres de l’auberge. Les projets d’André, le patron de la maison de jeunesse, happent tout le monde. Un bistrot, le ski dans les dunes de sable. Manu vit au jour le jour, travaille pour gagner sa bouffe et avoir une place pour dormir. Des filles arrivent et repartent. Il pourrait y avoir là une façon de secouer la grisaille mais le mal existentiel s’incruste. Toujours. Il revit quand il s’égare sur les routes, prend des photos. Son rêve de devenir reporter de guerre peut-être, d’être là où ça compte, où ça se passe s’éloigne un peu plus à chaque jour.
Manu sait que sa vie va dans toutes le directions et qu’il n’arrive pas à trouver une passion qui le pousse hors de soi. Il se sent comme le vieux bateau qu’ils ont radoubé et qui a fini par couler près du quai.
Il y a surtout cette plongée dans le petit monde de Tadoussac. C’est senti, vécu, vibrant. Un portrait saisissant de cette communauté qui respire à peine en hiver et qui s’éclate quand vient les premiers rayons du soleil. Une description minutieuse de plusieurs marginaux qui vivent sans trop regarder autour d’eux. Souvent émouvant et touchant.
Toujours juste, beau et bien senti. Manu devra reprendre la route parce que l’utopie, on le sait, attend au prochain détour, au creux d’une colline. Ce qui importe, c’est le mouvement, l’élan, l’espoir qui change tout. Peut-être qu’il n’y a que le nomadisme pour garder l’être en éveil. On peut le croire à lire ce beau roman de Pascal Millet.
«Québec aller simple» de Pascal Millet est paru aux Éditions XYZ.