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lundi 15 août 2011

William S. Messier explore le quotidien


Que voilà des récits étonnants et séduisants! William S. Messier, dans «Townships, récits d'origine» nous entraîne dans les Cantons-de-l’Est pour y faire des découvertes étonnantes.
Le narrateur s’égare dans un puzzle inextricable de chemins et de routes. Une manière de surprendre des villages discrets, des hommes et des femmes qui vivent en marge du monde.
 «Sainte-Cécile-de-Milton doit être la ville la moins bien définie des Cantons-de-l’Est. Le genre de village qu’on traverse d’une limite à l’autre avant d’avoir fini de prononcer le nom au complet. Comme Saint-Cyrille-de-Wendover ou n’importe quel autre Saint-Quelque-chose-de-Quelque-chose-d’autre ; des noms de villages qui ne deviendront jamais des noms de grandes métropoles.» (p.12)
Il suffit pourtant de s’arrêter à un relais et l’étrangeté s’approche le sourire aux lèvres. Dans «Cantine 12, Sainte-Cécile-de-Milton», le narrateur fige devant des serveuses siamoises.
«Puis, je les ai vues passer de l’autre côté du comptoir, toujours collées. Les deux sont allées à la cafetière. Une a ramassé une tasse sur l’étagère, l’autre y a versé du café. Et les deux avaient la main dans la même poche du tablier de celle qui versait le café – je ne sais plus si c’était Lina ou Diane. Une des deux a remarqué  que je les fixais.» (p.14)
Elles sont soudées par le petit doigt et semblent s’accommoder parfaitement de leur situation.

Art

Le merveilleux accompagne souvent les gens qui vivent simplement et qui n’apparaissent jamais aux nouvelles télévisées. Le fabuleux se niche là où on ne l’attend jamais.
«Il avait une bosse en dessous du bras qu’il cachait avec une espèce de linceul. C’était le fœtus semi-vivant de son frère jumeau François-Claude Bouchard. Il lui mettait toujours un linceul ou une nappe ou un foulard ou une napkin ou un drap ou quelque chose, parce que sa peau était très sensible au soleil. Il le nourrissait avec du beurre de pinottes qu’il ramassait autour de son pouce. Quand tu voyais Charles-Arthur Bouchard se promener avec une main en dessous du linceul, dans l’aisselle, accotée sur la bosse, tu pouvais être certain qu’il y avait au bout de cette main-là une bouche de fœtus semi-vivant qui se tétait un snack.» (p.70)
Des souvenirs d’enfance, des découvertes, des initiations à l’amour, des pertes aussi quand il se souvient du jour où il a appris la mort de Gerry Boulet. Une belle flânerie qui permet d’écouter une émission de radio en parcourant un rang d’un bout à l’autre ou encore un match de hockey qui ressemble à un combat extrême.
Des surprises qui se cachent dans la vie de tous les jours et surtout une écriture qui frappe à grands coups de marteau. Un écrivain attentif aux gens, sensible à la géographie qui forge peut-être les individus. Un humour incomparable. 

«Townships, récits d’origine» de William S. Messier est paru aux Éditions Marchand de feuilles.

http://www.marchanddefeuilles.com/marchanddefeuilles_038.htm

Alain Olivier ou le voyage intérieur

Vingt ans plus tard, Alain Olivier retourne au Mali, dans un pays qui l’avait séduit à l’époque. Pourquoi partir au bout du monde? Ces questions surgissent quand vient le temps de faire ses valises.
«Lorsqu’on part en voyage, on porte toujours en soi le secret espoir de réinventer sa vie. Personne n’y échappe, pas même le plus choyé des hommes. Même comblé- avec à ses côtés la plus ravissante des compagnes, un fils adorable, entouré d’amis fidèles, menant une carrière exaltante-, qui n’en vient pas certains jours à rêver d’une nouvelle existence?» (p.11)
Se réinventer pour devenir un autre. Il semble que ce soit la plus folle des utopies, mais il est difficile de ne pas y croire.
«On continue pourtant de se bercer de l’illusion que le voyage, inévitablement, nous transformera. Qu’il n’en restera pas que des photographies sur du papier glacé, ni mëme des souvenirs inscrits dans la mémoire, mais que ce qu’on y aura vécu sera gravé, buriné dans notre chair.» (p.11)
Il faut pour cela quitter son confort et aller vers l’autre. Le voyageur attentif se heurte à des différences et des croyances qui changent selon les lieux et les espaces.

Retour

Laissant sa famille, son fils avec qui il a fait un périple au Vietnam, Alain Olivier entreprend un pèlerinage aux sources, histoire de jauger où il en est. Il se rendra vite compte que tout bouge et que rien ne peut être pareil.
«Je détourne la tête, complètement désemparé. Je viens de réaliser soudainement que cet homme est mon miroir. Je voudrais retrouver la passion qui m’a tant fait aimer ce pays et j’attends, assoupi, qu’elle renaisse. Or, il y a des gens qui vivent là. Juste à côté. Tout près de moi. Comment se fait-il qu’ils me paraissent si loin. Qu’ils me semblent hors d’atteinte ? Qu’ils demeurent hors de moi. N’est-ce pas pourtant sur le continent africain que j’ai commencé, à vingt ans, à ne plus me sentir totalement étranger aux autres- et à moi-même?» (p18)
Le voyageur se laisse prendre par le rythme de ce pays enchanteur. Il s’attarde auprès des gens qui luttent tous les jours pour avoir un peu d’eau dans les campagnes. Des hommes et des femmes l’accueillent. Il prend un repas avec eux, écoute, sourit et écoute encore. Et le plus important: un arbre dans la savane, des rires, des moments uniques où la communication fait vibrer l’être et peut-être l’âme aussi.

Retour

Il reviendra pourtant, il faut toujours revenir. Il retrouvera sa compagne, ce fils à qui il s’adresse tout au long du récit. Celui qui rentre est toujours un peu différent et semblable. La vie, qu’on le veuille ou non, transforme le voyageur.
«Car le voyage, immanquablement, bouscule le voyageur. Il y découvre sa véritable identité et donc, forcément, ce qu’il y a de plus singulier en lui, son individualité propre, mais aussi le banal, le commun, c’est-à-dire son humanité et, par delà, celle de ses semblables. Et c’est ainsi que le voyage nous prépare à cet instant à la fois unique et universel où nous devrons tout laisser, de façon irrémédiable, derrière nous.» (p.316)
Voilà une belle occasion de réfléchir sur l’accueil, l’amitié et l’amour. Un plaisir que de suivre ce voyageur attentif qui prend le temps d’écouter, de regarder et de réfléchir. C’est l’art même de l’exploration intérieure.

«Voyage au Mali sans chameau» d’Alain Olivier est paru aux Éditions XYZ.

http://www.editionsxyz.com/auteur/98.html

dimanche 14 août 2011

Jean Désy est un écrivain nécessaire

«Vivre ne suffit pas» de Jean Désy regroupe des textes choisis par André Bresson, Yves Laroche et André Trottier. Des écrits qui regroupent l’essentiel de l’écrivain, font part de ses questionnements, ses hésitations et aussi sa manière de répondre et d’être solidaire de ses frères et de ses sœurs les humains. «Toute l’œuvre de Jean Désy, pétrie d’un amour exigeant pour l’univers et l’humain, est un mouvement dialectique entre des forces moins contraires que complémentaires, un va-et-vient nécessaire, difficile, fécond, entre la science et la spiritualité, entre la solitude et le commerce des humains, entre la méditation et l’action, entre la ville et la nature, entre le Nord et le Sud, entre l’Orient et l’Occident, entre la lecture et l’écriture, entre vivre et créer», affirme Yves Laroche dans sa courte préface.
On ne saurait mieux présenter ce médecin, poète, romancier, essayiste, aventurier, enseignant et philosophe. En fait, Jean Désy est un humaniste qui jongle avec des questions qui hantent l’humanité depuis la nuit des temps.

Quête

La démarche de Désy peut étonner dans une époque où la pensée et la réflexion ont du mal à trouver une place. Les femmes et les hommes sont aspirés par les distractions et les gadgets qui se multiplient. Télévision omniprésente et musique qui vous suit partout dans les magasins et les places publiques. Cellulaires, IPod, Black Berry font de la solitude une abstraction. Que dire de la course effrénée vers la consommation ?
Jean Désy, au contraire, cherche le silence, les grands espaces du Nord où il a l’impression de s’approcher d’une force qui l’aspire et le dépasse, où la nature permet aux êtres humains d’échapper à leur médiocrité et à puiser au plus profond d’eux-mêmes.
«Que la souffrance soit le lot de l’humanité en marche, soit ! Mais que l’absurdité retire toute valeur à la souffrance, et conduise à tous les suicides, je dis non, je veux dire non, je souhaite me révolter, je me révolte, bien que cela me demande une puissante énergie qui doit quotidiennement être renouvelée.» (p.11)
Trouver un certain apaisement peut-être, tenir une certitude que les poètes et les penseurs pourchassent en risquant le tout pour le tout.
«Je crois en la vie après la mort, mais avec la mort dans l’âme de n’avoir aucune explication logique ou cohérente à fournir, devant faire face au néant présenté par toute une pensée moderne, par tant de philosophes, par certains grands amis aussi, eux qui, au fond, vivent l’existentialisme agnostique de la manière la plus vraie, manière de vivre que je partage au quotidien, je le sais, mais que je rejette, au fond de moi, pour d’irrationnelles raisons.» (p.25)

Les voyants

Ces inventeurs de langage, ces illuminés que sont Saint-Denys Garneau ou Arthur Rimbaud. Des philosophes aussi qui tentent de voir loin, au-delà de la réalité qui nous cerne et nous étouffe souvent.
«J’ai à tout moment remis en question ma place dans le monde en tant qu’écrivain, sachant que par-delà les mots qui disent la beauté du monde, il y a la beauté elle-même et que les mots ne peuvent suffire. Les mots ne sont que les manifestants de la beauté du monde. Ils servent à transmettre l’idée, puis la réalité de la beauté du monde. Les mots et le langage ne sont pas premiers ; c’est l’amour et la vie amoureuse des êtres qui importent. Après, après seulement, la poésie peut prendre la place qui lui revient. J’ai cependant accepté de jouer le jeu de ma vie parce que ma parole peut voguer, à travers la parole des autres. C’est pourquoi j’écris.» (p.69)
Des textes importants qui heurtent et poussent le lecteur dans ses derniers retranchements. C’est pourquoi il est difficile de terminer la lecture de certains écrits de Jean Désy. Ils vous hantent. Le genre de livre qui vous suit toute une vie et vers lequel on revient quand on n’est plus sûr de ses pas et de la direction à prendre. Jean Désy est unique par ses questionnements et sa manière de secouer la vie. Un écrivain nécessaire, une démarche exemplaire.

« Vivre ne suffit pas » de Jean Désy est paru chez YXZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/auteur/5.html

lundi 8 août 2011

Katia Gagnon plonge dans un monde troublant

Katia Gagnon, journaliste et directrice des informations générales au journal La Presse, effectue, avec « La réparation », sa première incursion dans le monde romanesque.
Son héroïne, Marie Dumais, travaille comme journaliste. Une manière de ne pas trop se dépayser.
« Il y a treize ans, quand Marie Dumais était entrée comme stagiaire à La Nouvelle, elle n’avait pas du tout le profil de la journaliste, hormis, peut-être, une grande facilité à écrire. Elle n’était pas un jeune loup trilingue et assoiffé de scoops, le modèle préféré des patrons. Elle avait sagement couvert, vite et bien, tout ce à quoi on l’avait affectée. Elle s’était penchée sur le creux historique du dollar canadien, l’inauguration de la  promenade des premiers ministres à Québec par Lucien Bouchard. » (p. 17)
Voilà qu’on confie à la journaliste une enquête particulièrement difficile. Une jeune fille, Sarah Michaud, s’est suicidée. Elle aurait été victime d’intimidation dans un collège où la progéniture de la petite bourgeoisie de Rivière-aux-Trembles fait la loi. Sarah venait d’un milieu modeste, mais avait un don pour les mathématiques.
« Elle prit le combiné en soupirant et se prépara à convaincre quelqu’un. Persuader l’école de la laisser fouiner dans les couloirs n’allait pas être facile. Tout le monde était encore traumatisé par le décès de la jeune fille. Déjà, les parents accusaient l’école secondaire de leur fille, un collège privé, d’avoir fermé les yeux sur l’intimidation dont elle était victime. Aucune personne sensée ne voudrait d’une journaliste dans ce portrait. » (p. 16)
Marie Dumais réussit à persuader les autorités scolaires. Elle va circuler dans l’institution, interroger des étudiants et des professeurs, des parents si nécessaire. Elle constate rapidement que la bande de Florence Dugré, fille unique d’un avocat connu, fait la pluie et le beau temps dans le collège.
« La bande de l’escalier était en fait le club des rejets, racontèrent tour à tour Maxime et Catherine. Tous ces jeunes venaient, comme Sarah Michaud, des villages voisins de Rivière-aux-Trembles. Dès leur arrivée en secondaire I, ils avaient été snobés par la bande à Florence Dugré. « (p. 118)

Marie Provencher

Parallèlement à l’enquête de Marie Dumais qui reconstitue peu à peu le puzzle qui a mené Sarah Michaud à mettre fin à ses jours, le lecteur suit l’histoire assez singulière de Marie Provencher. On se demande au début ce que ça vient faire dans le récit, mais on finit par s’attacher à cette fillette qui a vécu les cinq premières années de sa vie dans un appartement insalubre, avec une mère qui souffrait de graves problèmes mentaux.
« Elle était en plein délire religieux. Sa fille était une enfant choisie, spéciale, une enfant de la destinée, qu’on devait à tout prix préserver du monde extérieur et de la souillure de la parole humaine. Ses oreilles devaient rester vierges, le plus possible. Elle était donc élevée dans le silence. L’enfant ne sortait jamais de chez elle. Il n’y avait aucun jouet dans la maison. Elle avait eu cinq ans il y a quelques mois, mais la mère n’envisageait pas une seconde de l’envoyer à l’école. Durant toute la durée de la rencontre avec l’intervenante, la mère avait gardé sa fille sur ses genoux, les mains sur les oreilles de l’enfant. La petite n’avait pas dit un mot. » (p. 43)
La direction de la Protection de la jeunesse prend l’enfant en charge. Elle doit combler des retards dans son apprentissage du langage et connaît des problèmes de locomotion. On fera le lien entre cette enfant et Marie Dumais à la toute fin du roman.

Pointe de l’iceberg

Katia Gagnon nous plonge dans les situations horribles que vivent des jeunes dans une société moderne où les déséquilibres mentaux font des ravages. L’ostracisme, l’inconscience, la méchanceté existent et les faits divers que l’on peut lire dans les journaux ne sont que la pointe de l’iceberg. Madame Gagnon le sait et va au fond des choses en recourant au genre romanesque. Elle démontre surtout que le travail journalistique a ses limites.
Une belle réussite que ce premier ouvrage senti et bellement mené. Katia Gagnon possède un sens de l’intrigue et du rebondissement assez remarquable. Une écriture drôlement efficace. Une incursion qui permet au lecteur de comprendre aussi les limites des médias.

« La réparation » de Katia Gagnon est paru aux Éditions du Boréal en avril 2011.http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/katia-gagnon-1808.html

dimanche 31 juillet 2011

Maurice Henrie voyage au pays de l'enfance


L’enfance marque l’univers de l’être humain, dit-on. Pas étonnant que plusieurs écrivains puisent dans leurs premières années pour y installer des fictions ou encore tenter de cerner l’adulte qu’il est devenu. Certains y ont trouvé matière à de véritables bijoux. Mentionnons Gabrielle Roy, Victor-Lévy Beaulieu ou Bruno Hébert. Michel Tremblay, on le sait, a puisé le plus significatif de son œuvre florissante dans le quartier de son enfance.
Maurice Henrie ne résiste pas à la tentation du passé. Dans «L’enfanCement» (quel mauvais titre) l’auteur plonge dans son passé avec un plaisir évident, s’étonne de la diversité de ses souvenirs et du rôle qu’ils ont pu avoir sur sa vie d’homme.
 « Ce qui me préoccupe davantage, c’est de savoir comment les événements que j’ai rappelés ici et les milliers d’autres que j’ai à l’esprit, mais dont je n’ai parlé nulle part ni à personne, comment ces événements ont influencé, incurvé et déterminé ma vie jusqu’à présent. Quel rôle ils ont joué, avec l’incontournable génétique, dans ma formation physique et mentale. Impossible de répondre avec certitude à ces questions.» (p.278)
Six maisons ont marqué les premières années de cet auteur et l’ont mené tout doucement vers l’adolescence. Une manière originale de suivre les migrations de sa famille, les activités du père et de sa mère.
Des événements que l’adulte ne cesse d’enjoliver avec le temps. C’est peut-être le propre de la mémoire que de magnifier les souvenirs
«Je veux aligner ces événements les uns à côté des autres, afin de pouvoir mieux les trier, les étudier, les classer, comme on ferait avec les pièces d’un casse-tête géant.» (p.11).

L’Abitibi

Un premier refuge se situe dans la lointaine Abitibi où le père travaille comme mineur. Les aléas de la vie pousseront la famille vers la région de Rockland. Toute la tribu suit sans poser de questions. On y abandonne des amis, des connaissances et de la parenté. Des oncles et des tantes s’imposent selon les migrations. Jean-Pierre surtout fascine l’enfant. Un homme excessif qui ne résiste jamais à un sourire enjôleur. Un original, un grand amateur de chasse et de pèche qui joue un rôle important dans la vie du jeune garçon.
Des incidents, même si l’auteur s’en défend, sortent de l’ordinaire et marquent le garçon. Qui a vu un avion s’écraser devant sa maison?
«L’avion était maintenant si près que, pendant une courte seconde, je distinguai nettement dans la carlingue la double silhouette du pilote et de son compagnon. Et de gros chiffres bleus imprimés sur le fuselage. Avant que je ne puisse dire ou faire quoi que ce soit, il percuta le sol à grande vitesse, dans le terrain vague juste en face de notre maison. Sous nos yeux horrifiés, il s’enfonça dans la terre en se désintégrant, ne laissant plus paraître que son empennage jaune, qui émergeait parmi les choux gras.» (p.67)
Le jeune Maurice confronte la mort, la tragédie quand une voisine tue son mari avec un marteau. Il y a aussi les filles, ses hésitations jusqu’à la rencontre de Valérie qui l’initie aux jeux de l’amour. Des événements tragiques succèdent aux facéties de l’un, à la découverte de la radio, les plaisirs de la bicyclette et des promenades qui permettent de découvrir le monde.
Maurice Henrie a vécu une enfance qui est loin d’être banale. Même les oiseaux s’en mêlent quand l’un d’eux réussit à se pendre dans un arbre devant un voisin indifférent.

Époque révolue

Ce conteur a le mérite de nous plonger dans une époque révolue où les curés dirigeaient la vie de la paroisse tel un chef d’orchestre. Heureusement, il y avait toujours un original ou un mouton noir pour créer de la diversion. Le servant de messe fait même la connaissance d’un athée plutôt sympathique qui créera une commotion dans la communauté à son décès. Tout comme cette femme qui accueillait des hommes le soir venu dans sa maison un peu isolée. De quoi titiller le corps et l’imagination d’un garçon plein d’énergie.
Maurice Henrie possède l’art de raconter. Un récit attachant, bien mené. Le lecteur en voudrait encore.

«L’enfanCement» de Maurice Henrie est paru aux Éditions Prise de paroles.

dimanche 24 juillet 2011

Henri Lamoureux aborde un sujet délicat

«Orages d’automne» d’Henri Lamoureux met en scène un personnage qui s’éloigne de la société pour retrouver son équilibre. Tout ce à quoi tenait Rémi s’est effrité à la mort de Catherine, sa compagne.
L’amour de sa vie a été assassiné par son ex-époux, un Mohawk intégriste. Tel un animal qui s’isole pour lécher ses blessures, Rémi s’est installé en forêt, loin de tous. Il observe les animaux, les saisons qui se succèdent et tente de recentrer sa vie. Ce militant qui cherchait à sauver la planète a été incapable d’être là quand Catherine, une Algonquine, a eu besoin de lui.
«J’ai baptisé tous les animaux qui me paient une visite de temps en temps, et ceux croisés au gré de mes randonnées sur les lacs ou dans les sentiers du petit territoire que je possède depuis trois ans et où je vis depuis six mois, soixante kilomètres au sud-ouest du parc de La Vérendrye, en pays algonquin. Cet investissement a grugé toutes mes économies, mais c’est peu payer pour reconquérir une partie de la terre que mon grand-père a sillonnée pendant un demi-siècle.» (p.11)
Dans la solitude, avec quelques livres, il cherche à se calmer pour réussir ce qui lui reste à vivre.

Les filles

Noémie, sa fille avec qui les contacts sont difficiles, lui confie Marilou et la fille de Catherine. Ève, une adolescente rebelle, a été retrouvée dans un parc de Montréal, complètement givrée. Après la mort de sa mère, elle a vécu la dégringolade dans la grande ville, l’alcool, la drogue et la prostitution.
Rémi se retrouve devant une adolescente qui en veut au monde entier et une fillette un peu capricieuse. Ces deux présences bousculent son quotidien. Ève et Marilou le forcent à sortir de ses habitudes et lui font oublier ses ruminations.
«J’ai rentré leurs bagages comme si j’étais leur domestique, tout en élaborant mentalement une stratégie de survie avec ces deux filles capables de m’enfirouaper à la moindre occasion et sans effort. Peut-être que Noémie m’a rendu service ? Peut-être sait-elle parfaitement bien ce qu’elle fait en me confiant cette garde inopinée ? Il n’y a rien de gratuit dans la vie, ai-je toujours cru. Il me faut donc reconnaître qu’il doit y avoir du sens dans ce coup du destin.» (p.57)
La vie s’organise entre la chasse aux crapauds, les visites d’un orignal, les jeux et quelques excursions en forêt.
Une chute lors d’une promenade change tout. Rémi en frôlant la mort retrouve ses proches.

Préoccupations

Henri Lamoureux a trouvé là un sujet idéal pour illustrer ses préoccupations, dénoncer la situation des autochtones et les travers de notre société. L’essayiste et le militant qu’est cet écrivain ne se gêne pas et il en met parfois un peu plus que le lecteur en demande.
«Sans aller aussi loin, mais animée d’une même idéologie, l’évangélisation des Premières Nations se réalisa ici sous le noble prétexte de faire sortir la bête du Sauvage pour qu’il accède enfin à la plénitude humaine du baptisé. Instruit par des historiens catholiques et des racistes hollywoodiens j’avais, comme tous ceux de ma génération et celles qui nous précédaient, adhéré à la vision « du sauvage  brutal massacrant femmes et enfants », brandissant le scalp sanglant d’un prisonnier ou de sa fiancée venus s’établir sur les terres riches d’une Amérique à conquérir.» (p.127)
Heureusement, nous avons droit à de très belles pages sur la forêt, la présence des bêtes sauvages, le glissement des saisons.
C’est souvent un peu rugueux, mais il arrive à donner l’envie au lecteur de s’installer sur les rives d’un lac pour attendre le passage de l’orignal et surveiller les activités des canards. C’est là l’essentiel.
Une quête de sens qui prend des détours inattendus.  Si Lamoureux se montre parfois un peu redondant dans ses réflexions, il n’en demeure pas moins qu’il touche l’essentiel, la perte de sens qui aspire la société. L’écrivain croit que le retour à la nature peut solutionner bien des problèmes et guérir des blessures. Une approche qui peut faire sourire, mais qui vaut bien des thérapies à la mode.

«Orages d’automne» d’Henri Lamoureux est paru chez Lévesque Éditeur.

dimanche 17 juillet 2011

Isabelle Vinet dévoile des secrets de famille

La fatalité existe, du moins dans les romans. C’est ce que l’on peut croire en lisant «Belles-Amours Junction» d’Isabelle Vinet.
 Les femmes de la famille Thompson sont marquées d’une génération à l’autre. Constance, la dernière de cette longue lignée qui a connu des ruptures, la violence et des amours impossibles, vit en marginale. Elle est la maudite.
«J’ai étudié, connu plein de gens, beaucoup bu, fumé de tout, et en l’absence creuse d’hommes en ma demeure et en dépit de ma disgrâce, sinon à cause d’elle, ma chair s’est trop souvent écartelée pour accueillir celle des garçons. Mais ma différence ne s’est jamais fait oublier. Et même cachée derrière mon personnage, je n’ai pas réussi à mourir.» (pp.15-16)
Comme si l’héritage de ces mauvaises mères l’avait dévisagée pour la démarquer de ses semblables.

La divergente

Constance vit dans la maison ancestrale avec ses tantes et ses cousines. Elle est la sorcière, dit Hélène, la divergente de corps et d’esprit. Elle travaille à la bibliothèque, se passionne pour les trains qui secouent le village, permettent de rêver de départs et d’arrivées, de fuir sa vie comme de la retrouver peut-être.
«Depuis une heure, j’écoute les molosses d’acier s’ébrouer, grincer, s’entrechoquer, tandis qu’un peu partout, semblables à des valets soumis, des hommes vêtus de sombre, embrasés par un dossard orange, s’affairent autour de ces monstres, les séparant pour ensuite les aligner autrement, nouveaux frères dans l’attente d’une destination inconnue.» (p.17)
Elle met la main sur le journal de son ancêtre Zoé qui s’est jetée dans le puits qui est scellé. La jeune femme y revient jour après jour. Il recèle un secret dont personne ne veut parler.
«Il est magnifique, ce puits de maçonnerie. Un vrai puits comme on en voit dans les films. Quand j’ouvre le couvercle du puits, je peux plonger. Ou m’envoler. De ses pierres suinte l’appel de l’eau, de la terre, l’appel du vide intersidéral. Le puits, c’est comme un tunnel qui relierait les profondeurs telluriques à l’immensité cosmique. Comme l’œil de la terre, grand ouvert sur le ciel. Et si peux flanquer la frousse à Hélène en ayant l’air de vouloir y plonger, dans ce puits, c’est encore mieux. Non que l’idée ne m’ait pas effleurée. Surtout depuis que j’ai lu le cahier.» (p.78)
En lisant et en réécrivant le journal de son ancêtre, Constance apprend la vérité sur sa mère, sa famille et surtout sur ses oncles qu’elle ne cesse de magnifier depuis son enfance.

Gâchis

Un mélange explosif où les rapports entre ces êtres blessés s’avèrent particulièrement difficiles. Elles n’arrivent pas à aimer les hommes qu’elles croisent, encore moins leurs filles.
«Tout ce gâchis à cause de ma propre mère, Madeleine, la grand-mère que tu n’as pas connue. Ma mère m’a élevée seule, ma mère qui portait son passé d’enfant mal aimée comme un trophée. Elle avait endossé son enfance difficile comme une armure d’autosatisfaction qui la rendait infaillible et incontestable, prétendant n’agir et ne parler que pour mon bien. «Tu es une petite fille heureuse, toi!» affirmait-elle, sans s’assurer que je ressentais bien la félicité que je devais ressentir pour la confirmer dans sa compétente maternelle.» (p.159)
Un roman terrible de non-dits où l’on passe de l’une à l’autre pour reconstituer le puzzle de ces vies qui échappent à la banalité. Il faudra la mort violente d’Hortense, une tante alcoolique, pour percer des secrets et remettre les choses en perspective.
Tout vibre, gémit, aime, se dispute une place dans cette fresque singulière. Une rage qui finit par s’apprivoiser quand tout est dit, quand toutes ont expié en quelque sorte. Hortense rejoint sa mère dans le puits et Madeleine meurt d’une longue agonie. Alors seulement Constance apprend la vérité sur ses oncles et bien d’autres choses.
Un roman de passion et de colère, de silence et d’agressions qui étouffent toutes les femmes de cette famille. Absolument fascinant, trouble, porté par une écriture ample qui ne cesse de rebondir. Une véritable épopée qui permet de découvrir les amours illicites et les secrets des pères. Constance retrouvera même un frère dans cette quête. La vérité a un prix, celui de briser les plus beaux souvenirs.

«Belles-Amours Junction» d’Isabelle Vinet est paru aux Éditions Trois-Pistoles.
http://www.editiontrois-pistoles.com/viewAuteur.php?id=459

dimanche 10 juillet 2011

Roman d'apprentissage pour Jacques Folch-Ribas

Je ressens toujours une émotion particulière devant un nouveau roman de Jacques Folch-Ribas. Un peu celle que j’éprouve devant les publications de Gilles Archambault. Ces écrivains ont consacré leur vie à l’écriture et ne cessent de se renouveler et de nous étonner. Folch-Ribas réussit encore cet exploit avec «Paco», quarante ans après son entrée en écriture.
Un jeune garçon vit dans un village. Son père a fait des études et sa mère est musicienne. Le grand-père passe son temps à fouiner dans les livres et à les collectionner. Une famille qui s’intéresse à la poésie, aux romans, à la musique et à la philosophie. Autant dire qu’ils sont des cas dans ce monde nullement porté vers les livres. Ils sont souvent pointés du doigt.
«Ce village, que vous nommerez Le Village, si vous le voulez bien, c’est le seul lieu que je connaissais, j’y suis né, j’y ai vécu enfant, je ne l’ai pas aimé beaucoup et j’ai cru dans ce pays que vous allez nommer Le Pays, s’il vous plaît, je vous en prie, je ne veux pas même entendre son nom, tous les villages étaient semblables à lui : la même laideur dont parlait ma mère, la même violence dont parlait mon père.» (p.15-16)
Paco écoute, ne comprend pas toujours, ressent une attirance particulière pour les filles qu’ils croisent en allant à l’école. Elles sont pleines de mystères et de séductions avec leurs longues jupes, ces rires qui les éloignent et les rapprochent.

Migration

Tout change quand la famille déménage à la ville. Le père y trouve un emploi plus intéressant et la mère aura enfin un piano digne d’elle. Paco plonge dans un monde en ébullition et il y a toujours les filles.
«Elles allaient par deux ou en groupes serrés sortant de leur école, un couvent de Sœurs de la Divine Providence, elles poussaient de petits cris chatouillés, elles ne regardaient et pouffaient. Je me rapprochais, tournais autour d’elles sans rien oser faire. Capon. Je me répétais encore les vers simples, ceux que je pouvais comprendre déjà en français : Vive heureux, avec une femme…» (p.63)
Un jour, Concha entre dans sa vie. La jeune femme milite dans des groupes qui veulent changer le monde. Elle entreprend de faire l’éducation de ce garçon qui ne sait rien de la politique malgré les enseignements de son grand-père, les propos de son père et de sa mère.
««Moi, j’essaie de lui enseigner la liberté, c’est la chose la plus difficile. – Et tu fais bien. – Je voudrais lui apprendre à ne rien croire de ce qu’on lui dit, rien ni personne, même toi… Mais c’est un projet inutile : il le sait déjà. » Concha secouait la tête, de droite à gauche, ses cheveux en mouvement semblaient une mer couleur de nuit. « Pourtant, dit-elle, il y a certaines choses à croire. – Tu es une optimiste, tu crois qu’il existe des choses à retenir, des idées meilleures que d’autres… Je t’envie. » Mais je voyais bien que mon père était fier de moi et trouvait cette Concha de son goût.» (p.81)
Ce sera l’amour fou. Paco apprend, voit, touche le corps d’une femme libre qui tente de lui faire découvrir la réalité qui étouffe tout le monde. L’Espagne est en pleine guerre civile. Des groupuscules s’affrontent au nom de la liberté, manifestent partout. Les nationalistes reçoivent l’appui des fascistes italiens et allemands. Les civils subissent les canons et des avions bombardent villes et villages. On connaît la suite : l’arrivée  de Franco et de la dictature.

Apprentissage

Le jeune garçon vivra des moments de rêve avec Concha, perdra son père et sa mère à la guerre, connaîtra la faim, la douleur, la folie des hommes. Paco se joint aux exilés qui fuient vers les montagnes et les frontières françaises. Une longue marche où la mort est présente à chaque pas. Il réussira à quitter un pays qui lui a tout pris. Il devient un homme mais à quel prix.
Jacques Folch-Ribas atteint des sommets, particulièrement à la fin de «Paco», pendant cette longue marche vers la liberté. Bouleversant. Un très beau roman d’initiation, une histoire incroyable de cruauté et de tendresse. Les deux ne peuvent aller l’un sans l’autre.

«Paco» de Jacques Folch Ribas est paru aux Éditions du Boréal.