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dimanche 6 septembre 2009

Alexandre Lazaridès brise des secrets de famille


Un homme tente de recoller les morceaux de son enfance dans «Adieu, vert paradis» d’Alexandre Lazaridès.
 L’Égypte, la fin des années quarante, une société où les traditions dominent. Les hommes ont tous les droits et les femmes restent des servantes. Le maître travaille à l’extérieur, se permet des aventures, pendant que la femme entretient la maison et se consacre aux enfants. Nous avons connu une société semblable au Québec avant la Révolution tranquille. La religion guidait tous les gestes et les curés surveillaient. Malheur à ceux, surtout celles, qui faisaient un faux-pas.
L’enfant, écrit Alexandre Lazaridès, n’arrive à parler de lui qu’à la troisième personne, comme s’il fallait être étranger à soi pour mieux se raconter. Cette façon lui permet de mettre des mots sur l’inavouable et de tout dire.
Le père devient le complice de son fils aîné qu’il pousse vers une carrière athlétique. Il sera un haltérophile, un champion olympique. Il veut surtout en faire un mâle dont on craint les muscles. La mère, une très belle femme, tient tête à son mari. Continuellement. Tout passe par la parole, la seule arme qu’elle possède. Le petit la voudrait pour lui et entreprend une guerre sans merci avec le père et le grand frère. Il apprend à dissimuler, à garder le silence sur certaines choses, à trahir aussi quand il est certain de faire mal.
«Occuper le moins de place possible, donner l’illusion de ne pas être là, voir sans être vu, c’est l’un des passe-temps préférés de l’enfant ; il excelle à s’éclipser dans les coins les plus inattendus, à faire le mort derrière les meubles ou les fauteuils, et surtout sous son lit ; son imagination se réveille, tout devient mystérieux et fait battre son cœur. Il prend aussi l’habitude de marcher sans faire de bruit, pour convaincre chacun et lui-même de son inexistence.» (p.43)
En devenant invisible, il surprend des scènes qui le traumatiseront.

Le viol

Caché sous son lit, il assiste au viol de la bonne par le père qui la cède ensuite à son fils aîné. Les «vrais hommes» agissent ainsi. Une situation incroyable.
«Le lit grince sous le poids d’une masse beaucoup plus lourde qui vient de s’affaler dessus ; la petite bonne ne cesse de gémir, d’implorer à voix étouffée « non,, non, s’il vous plaît, maître ». Elle ne se tait qu’après avoir poussé un cri déchirant qui est bâillonné net. Puis, il y a des ruades qui passent vite du trot au galop, de plus en plus continues et  brutales ; le matelas posé sur des lames métalliques fatiguées se creuse et s’enfonce à chaque coup au-dessus de l’enfant prisonnier de sa cachette, saisi d’épouvante à l’idée de ce qui a lieu là-haut ; il ne peut rien voir que par les yeux de son imagination affolée, et elle ne voit que l’inimaginable.» (p.166)
La pauvre fille est déshonorée, condamnée dans cette société archaïque. Elle finit par se suicider.

Le drame

Ce n’est qu’à la mort de la mère que le fils comprendra que son père a violé sa mère alors qu’elle avait dix-sept ans. Pour échapper au déshonneur, elle a épousé son agresseur, lui faisant regretter son geste à chaque jour. Cette guérilla a duré jusqu’à la mort du père.
«Une fois tombé le masque de celui dont j’étais né, j’ai acquis la conviction que ma mère avait été contrainte d’épouser son violeur parce qu’elle était enceinte de lui, et que c’était cela, le mot de l’énigme qu’elle cachait derrière la porte condamnée de sa jeunesse, l’astre maléfique autour duquel avaient gravité nos vies, l’intrigant « fardeau trop lourd pour un fils » qu’elle avait décidé de porter toute seule quoi qu’il advint.» (p.336)
Le lecteur sort de ce roman le cœur dans la gorge, l’âme de travers. Si les secrets marquent une vie, ils préparent peut-être une carrière d’écrivain qui se donne le droit de tout dire.

«Adieu vert paradis» d’Alexandre Lazaridès est paru chez VLB Éditeur.

dimanche 30 août 2009

Margaret Atwood et les fables de l’argent

Margaret Atwood étonne avec «Comptes et légendes, la dette et la face cachée de la richesse», un essai où elle s’attarde à une problématique qui ébranle nos sociétés.
La situation économique planétaire inquiète. Des institutions que l’on croyait indestructibles ont failli s’écrouler au cours des derniers mois. Dégringolades à la bourse, pertes qui se chiffrent en milliards, des banques qui frôlent la catastrophe et les états qui doivent colmater les fuites. Le capitalisme triomphant claudique et la mondialisation connaît des ratés.
«Quel est donc ce « crédit » qui nous mine ? Comme l’air, il nous entoure, et nous n’y pensons que lorsqu’il vient à manquer. Il ne fait aucun doute que nous considérons désormais l’endettement comme essentiel à notre bien-être collectif. Lorsque la situation est au beau fixe, il nous porte comme un ballon gonflé à l’hélium ; nous nous élevons de plus en plus haut, et le ballon grossit jusqu’à ce que pouf ! un rabat-joie y plante une aiguille, et c’est la dégringolade.» (p.16)
 D’où vient cette façon de faire, demande la romancière. Ce serait inné, selon certains scientifiques. Peut-être aussi que ce goût pour l’emprunt constitue les assises de la civilisation.

Problème universel

Les citoyens ont connu ce phénomène tout au long des siècles. Ce goût pour l’avoir maintenant et le payer plus tard remonte à la nuit des temps. Nous y trouvons aussi la source de plusieurs grandes religions.
«On appelle le Christ le Rédempteur, mot qui renvoie directement au langage de l’endettement, de la mise en gage et du sacrifice substitutif. En effet, toute la théologie du christianisme repose sur l’idée des dettes spirituelles, des moyens à prendre pour s’en acquitter et des manières de faire en sorte que quelqu’un d’autre les paie à notre place. Elle propose aussi une longue tradition préchrétienne de boucs émissaires – les sacrifices humains y compris – ayant pour fonction de vous délivrer de vos péchés.» (p.65)
L’histoire sous cet angle prend une autre signification. Ce qui était considéré comme de l’usure, il n’y a pas longtemps, devient normal maintenant avec les taux d’intérêts exigés pour les cartes de crédit qui tournent autour de vingt pour cent.
Dire que les biens nantis chrétiens ne pouvaient exiger des intérêts en prêtant de l’argent. Voilà peut-être pourquoi les Juifs ont été si mal vus, n’étant pas restreints aux mêmes contraintes. Même qu’à une certaine époque, on effaçait toutes les dettes aux sept ans. Pourrions-nous recourir à une telle solution pour relancer l’économie...

Catastrophes

Cette tension entre le prêteur et l’emprunteur a provoqué de nombreuses catastrophes au cours des siècles. Les empires de la Grèce antique et de Rome sont disparus à cause de l’endettement, de l’appropriation des richesses par un petit nombre, les riches devenant de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. De quoi réfléchir à ce qui se passe présentement avec le retour aux déficits astronomiques aux États-Unis et en Europe. Est-ce possible de rembourser des dettes qui gonflent continuellement ? Nombre de révolutions ont été provoquées par l’endettement, sans compter la pollution, la désertification, l’épuisement des ressources et catastrophes météorologiques qui résultent de cette manière de faire. Ce chapitre fera hurler Jacques Brassard si jamais il ose s’y aventurer.
Un marché repris par nombre de contes traditionnels. Un homme reçoit richesses et services du Diable en mettant son âme en garantie. Il doit rembourser sa dette au bout d’un certain temps ou tenter de déjouer le Malin par la ruse. Comment ne pas songer à « Faust » ? Madame Atwood fait aussi une lecture fort intéressante des œuvres de Flaubert, Marlowe, William Shakespeare, Charles Dickens et Machiavel.
Questionnement pertinent de Margaret Atwood qui ébranle des certitudes et secoue les fondements de nos sociétés. Il serait peut-être temps d’imaginer une autre approche même si l’humain, semble-t-il, a une forte propension à répéter les mêmes erreurs.
«Comptes et légendes (La dette et la face cachée de la richesse)» de Margaret Atwood est paru aux Éditions du Boréal. 

dimanche 23 août 2009

Hervé Bouchard revient nous hanter

Je ne sais s’il faut parler de bande dessinée dans le cas de «Harvey, comment je suis devenu invisible». Le texte d’Hervé Bouchard permet à Janice Nadeau de créer une fête d’images. Une histoire qui fait un clin d’œil à  «The Incredible Shrinking Man», un film de Jack Arnold réalisé en 1957. Scott Carré, le héros, rapetisse après avoir été frappé par une poussière cosmique.
Nous retrouvons la manière d’Hervé Bouchard, ses stances, sa façon de raconter en bousculant la vie pour mieux la dire. Tout va bien chez les Bouillon, une famille comme les autres. Harvey et son frère Cantin découvrent le printemps et la vie avec les copains du quartier.

Harvey, plutôt petit pour son âge, voue un véritable culte au personnage de Scott Carré, l’homme qui rapetisse, cherchant à l’insérer dans ses histoires et ses aventures quotidiennes.
Un jour, en rentrant à la maison, les frères retrouvent un grand rassemblent devant la maison familiale. Tous les voisins sont là, l’ambulance et le vicaire. Le père Bouillon vient de faire un infarctus. Mort instantanée. La vie bascule. Il faut s’arranger, faire face même si les enfants ne comprennent pas trop. Comment ne pas songer à «Parents et amis sont invités à y assister» où la famille Beaumont vit une situation similaire.
«J’ai entendu que notre porte s’ouvrait avec fracas puis ma mère Bouillon qui criait le nom de mon père Bouillon. Et j’ai entendu qu’on dévalait les marches en bois de la galerie puis qu’on roulait quelque chose dans l’entrée, qui passa tout près de nous. Et j’ai entendu des voix d’hommes que je ne connaissais pas et d’autres bruits de portes. J’ai réussi à me défaire de la prise du vicaire, j’ai tourné la tête et là, j’ai vu les deux brancardiers qui embarquaient la civière dans le fourgon. Une couverture cachait entièrement le corps. Ma mère Bouillon, elle était comme folle, elle criait à tout rompre le nom de père Bouillon. Mais lui, mon père Bouillon, on ne le voyait pas.» Vous avez là l’univers de Bouchard.
Il faut bien l’affronter cette mort voleuse de père. On retrouve les tantes Mélina, Ritalinée, Fionalinée, Ionalinée et Madelinée, des personnages que nous avions côtoyés dans le roman précédent de cet écrivain.
Harvey vit cette épreuve en ne comprenant pas trop ce que la vie veut lui enseigner. À la fin, au salon funéraire, dans les bras de son oncle Raymond, il regarde le mort qu’est son père. Il devient invisible alors, s’efface devant la douleur parce que son père ne peut plus le voir peut-être. Un orphelin perd-il son identité, son être ? La fin étonnante laisse le lecteur avec des questions qui ne trouvent pas de réponses.

Illustrations

Janice Nadeau donne une facture cinématographique à cette histoire avec des illustrations évocatrices. Un grand plan au début et un zoom nous pousse vers la petite ville d’Harvey, la rue et sa maison. En quelques séquences, le lecteur est plongé dans la vie du jeune garçon. L’illustratrice utilisera le procédé à quelques reprises, clin d’œil au monde du cinéma. Belle façon aussi d’évoquer le film d’Arnold en utilisant les ombres et des planches en noir et blanc. Un travail particulièrement réussi.  
Dessins épurés qui s’intègrent au texte et le prolonge, tel un accord qui résonne longtemps à la fin d’une pièce musicale, laissant l’auditeur entre deux gestes et deux respirations.
Hervé Bouchard garde le lien avec son univers, la mort qui bouscule et transforme la vie. Une lecture oui, mais aussi un voyage avec des images qu’il faut prendre le temps de voir s’animer devant soi. Du très beau travail, évocateur, original et particulièrement inventif. Un régal que cette rencontre entre Nadeau et Bouchard. Un plaisir qui passe trop vite malheureusement, un instant que l’on aimerait prolonger. La magie bouchardienne est là, intacte.

«Harvey, comment je suis devenu invisible» d’Hervé Bouchard et Janice Nadeau est paru aux Éditions de La Pastèque. 

dimanche 16 août 2009

Guy Lalancette écrit avec un bistouri

Je suis demeuré sans mots après avoir refermé «La conscience d’Éliah» de Guy Lalancette, son quatrième roman. Comme si j’avais encaissé un solide coup de poing qui m’aurait coupé le souffle. Un roman doit être une plongée dans l’intolérable pour avoir cet effet.

Gabriel Blanc est retrouvé pendu dans la cage d’escalier du pensionnat de Torrent. Une institution comme il y en existait avant la réforme de l’éducation et l’invention des cégeps. Ce qui semble un suicide n’est pas aussi clair. D’étranges blessures recouvrent le corps du garçon. Le drame est survenu le 23 décembre 1964.
Éliah Pommovosky semble s’être jeté du haut du château d’eau de Grimley, un 13 décembre, neuf ans plus tard, tentant de se pendre avec des foulards. Valérie Lambres, son amie, son épouse d’un soir, le retrouve dans la neige. Il vit encore. Faut-il faire un lien entre les événements?
Les faits se juxtaposent. Éliah, confrère de Gabriel au pensionnat, a connu une enfance de violence et de hurlements. Son père a poignardé sa mère alors qu’il avait cinq ou six ans. Il l’a vue baignant dans son sang. Depuis, il trouve la paix dans l’automutilation. Son corps est devenu une véritable carte de ses tourments et de ses douleurs.

Amours interdits

Gabriel et Éliah étaient des amants. Attirance et répulsion, amour et haine. Les remords accablaient Éliah, contrairement à Gabriel, l’archange, l’être de lumière qui subissait toutes les insultes en crânant. Il assumait pleinement ses désirs et ses amours au masculin, vivant une complicité de tous les instants avec sa mère.
«Pendant qu’Éliah, poli, acceptait la poignée de main, le sourire de Gabriel tout à coup le figea. Il n’avait jamais vu un tel sourire. Même celui de Valérie Lambres, qui faisait un emballage cadeau avec le ruban, la boucle et toutes les couleurs, n’avait pas cette lumière-là. Le sourire de Gabriel Blanc lui prenait tout le visage, c’était un arpège au piano, une réunion festive, une Annonciation. Les yeux aussi, le bleu et le pers auréolés d’ambre comme des paysages au couchant. C’était trop tôt. Éliah ne pouvait pas savoir la souffrance quil y avait dans l’enchantement de ce sourire et de ce regard.» (p.39)
Éliah a découvert son corps et la sexualité avec Valérie, une amie d’enfance se montrant plus audacieuse. Une sexualité qu’il ressent comme une agression, lui qui n’a jamais appris la tendresse et les caresses.

Vengeance

Au pensionnat, Gabriel a été victime d’une vengeance ourdie par les brutes de l’institution, des représailles propres aux milieux fermés où dominent les préjugés. Une flagellation à laquelle Éliah a été forcé de participer. Un parallèle évident avec la passion du Christ, la trahison de Judas. 
«Ce qui avait échappé à Éliah, frappant Gabriel plus qu’on en attendait de lui, ce sont les raisons de son excès, de son débordement qui n’avaient pas à voir qu’avec les menaces  de Pilote. À travers ses larmes, ce regard de Gabriel, sa tendresse et sa compassion lui avaient été insupportables; il aurait voulu qu’il lui reproche sa faiblesse, qu’il l’injurie, qu’il la condamne. Mais il aurait voulu surtout que Gabriel n’existe plus, qu’il n’ait jamais existé. À ce moment-là, contre tout entendement, il avait haï Gabriel pour ce trop d’amour qu’il lui portait.» (p.157)
Le roman nous pousse dans les coins obscurs de l’être, dans un crescendo puissant, dérangeant et bouleversant, quasi intolérable. Des scènes à couper le souffle qui font mal au corps et à l’esprit.
À nouveau Guy Lalancette explore les pulsions, les milieux fermés où le pire surgit devant la différence et l’originalité. Sa fascination pour les univers clos, les familles qui blessent pour la vie, se manifeste une fois de plus. Une constance chez cet écrivain, autant dans «Les yeux du père» et «Un amour empoulaillé». Une écriture envoûtante, des scènes qui restent à jamais dans l’esprit. Un roman d’une qualité supérieure qui ajoute à une œuvre déjà remarquable.

«La conscience d’Éliah» de Guy Lalancette est paru chez VLB Éditeur.

samedi 15 août 2009

Diversité culturelle, de quoi parle-t-on ?

La «Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles» a été adoptée en 2005 par 148 pays à l’UNESCO. Deux abstentions: Israël et les États-Unis. La France, le Québec et le Canada se sont faits les champions de cette idée.
Cette entente assure-t-elle la survie des différentes cultures dans le monde? Quand on parle de biens culturels et d’industrie de la culture, de quoi parle-t-on? Une quinzaine de chercheurs, dans «David contre Goliath», se penche sur la question.
Les États-Unis confrontent à peu près tous les pays dans ce débat. Règle-t-on le problème en ouvrant la porte des marchés planétaires aux cultures des petits pays? L’industrie mondiale de la musique et du cinéma, par exemple, demande un «formatage» qui dessert à peu près tout le monde, sauf les États-Unis. Et là encore on ne favorise que les produits populaires, négligeant les œuvres plus difficiles.

Marchandise

Les Américains pensent que les produits culturels sont un bien comme un autre et qu’ils doivent circuler sans restriction.
«Le contexte de l’évolution de la culture américaine, l’émergence de la culture de masse et, en parallèle, le fonctionnement de leur système culturel, illustrent un engagement particulier et révélateur envers les arts et la culture. La conception commerciale et utilitariste qu’ils lui confèrent s’inscrit dans une perspective historique. …Le contexte d’évolution des arts et de la culture américaine permet d’appuyer la conception utilitariste de ceux-ci, aux origines même du peuplement de l’Amérique.» (pp.130-131)
Nous touchons le coeur du problème. La culture doit-elle être traitée comme le bois d’œuvre ou le sirop d’érable? Céline Dion à Las Vegas représente-t-elle la culture québécoise?

Questions

Pourquoi le Québec est-il devenu le fer de lance de cette bataille? Certains diront que sa population majoritairement francophone dans un continent anglophone ne pouvait que l’inciter à promouvoir cette cause. Le nationalisme étant aussi un aspect de ce combat pour la préservation de la langue française et sa culture.
Pourtant, Québec a milité pour le libre-échange avec les États-Unis et les Amériques. Ces ententes prévoient la libre circulation des biens et des capitaux sans intervention des états. Le rouleau compresseur qui menace d’absorber toutes les cultures vient de ces traités et de la mondialisation.
«David contre Goliath», même si les textes sont parfois arides, soulève nombre de questions et ne formule pas nécessairement les réponses. Les idées ne s’accordent pas sur le rôle des états. Tous optent pourtant pour une approche commerciale.
«C’est aussi parce que nous refusons d’adhérer à la logique simpliste qui prévaut à l’heure actuelle, à savoir que la culture est essentiellement un moteur économique, un catalyseur, bref, quelque chose qui s’exporte, au même titre que l’hydroélectricité. D’où la nécessité de s’interroger sur cette transformation fondamentale qui est en train de se produire dans notre perception de la culture et sur la signification politique qu’un tel changement de paradigme provoque.» (p.278)
Et avec Internet et la numérisation, la diffusion échappe de plus en plus à toutes les mesures protectrices. Les créateurs étant ainsi largués.  Le débat est loin d’être réglé.

«David contre Goliath» de Yves Théorêt est paru aux Éditions Hurtubise.
http://www.editionshurtubise.com/catalogue/1730.html                                                                                                

Jean-François Somain visite son atelier

Dans «La visite de l’atelier» Jean-François Somain tente d’expliquer pourquoi il écrit et ce qu’il recherche dans sa longue ascèse. Qui est Jean-François Somain? Où se trouve la petite lumière qui fait qu’il publie encore et encore? Difficile de répondre à cette question après avoir fait le tour de son jardin.L’auteur refuse de se livrer et rate ainsi l’essence même de la collection «Écrire» qui est d’ouvrir les placards pour en montrer les contenus. Pourtant Monsieur Somain a passé sa vie dans la diplomatie et a parcouru la planète. Il doit avoir des choses à raconter.
«Parler de moi, de ce que je ressens, de ce que je pense, ne m’intéresse pas outre mesure. Je me connais, je sais qui je suis, ce que je suis, je n’ai aucun besoin d’en couvrir des pages. Je me sers de ma vie, de ce que j’ai vécu, de ce que j’ai entendu, comme matière brute.» (p.27)
Il a aussi la mauvaise habitude de multiplier les comparaisons pour illustrer son propos, d’affirmer des choses étonnantes et à peu près son contraire.
«Je ne pense pas qu’on lise les grands chefs-d’œuvre pour leur écriture (tant mieux s’ils sont bien écrits !), mais pour ce que les auteurs disent.» (p.63)
Un grand auteur, c’est quand même un style. Creusons un peu.
«Quand on lit les ouvrages des grands écrivains, on a l’impression de toucher l’auteur. Ce qu’il y a au cœur d’un style, c’est la personnalité de l’auteur.» (p.64)
Et alors? 

Élagage  

L’ouvrage aurait eu avantage à être élagué. Jean-François Somain, né Somcynsky, après avoir publié une cinquantaine d’ouvrages ignore la sobriété. «La visite de l’atelier» nous laisse sur notre faim. L’homme présente un côté cérébral et distant qui peut en rebuter plusieurs. Nous avons l’impression d’être demeuré sur le perron de la demeure de cet écrivain prolifique. 

«La visite de l’atelier» de Jean-François Somain est édité aux Éditions Trois-Pistoles. 

Carmel Dumas ne réussit pas à convaincre

Tous en conviennent. «L’Osstid’show» a été un point tournant dans la musique et la façon de présenter un spectacle au Québec.
Bruno Roy dans «L’Ossstidcho ou le désordre libérateur», un essai fort bien documenté, le démontre parfaitement. Malgré une graphie différente, les deux auteurs parlent du même événement.
Carmel Dumas remonte au temps des boîtes à chansons pour plonger dans les spectacles multidisciplinaires, se permet des incursions côté cinéma, des médias, du théâtre et des arts visuels, tentant d’établir des liens avec ce qui se vit en Californie et en France. Une démarche globale et particulièrement ambitieuse.

Années folles

Au début des années 60, les frontières deviennent des passoires et la jeunesse du monde apprécie les mêmes musiques et cultive les mêmes révoltes. Le Québec vit alors des moments d’effervescence. Les compositeurs et les interprètes sont bousculés par les Beatles, les Doors, Frank Zappa et Bob Dylan. Les murs des boîtes à chansons ne peuvent supporter autant de décibels.
«C’est à cette heure magique, qui ne sonne qu’à des moments très distanciés dans l’Histoire, que remonte l’origine de L’Osstid’show, un des récits préférés d’un Québec entre chien et loup, un brin nostalgique de ses années lumineuses d’aventure et de conquête. L’histoire tourne autour d’une explosion artistique extraordinaire, provoquée par l’effet combiné des bombes posées par le Front de libération du Québec et des pétards circulant au hasard de la bohème psychédélique.» (p.7)

Spectacle unique

Carmel Dumas s’attarde auprès du noyau qui a donné «L’Osstid’show»: Mouffe et Louise Forestier, Robert Charlebois et Yvon Deschamps, mais c’est l’ensemble de la vie artistique de Montréal qu’elle tente de décrire à grands traits.
Autant le dire, j’ai souvent pris plus de plaisir à m’attarder aux photographies qu’au texte. Parce que quand Carmel Dumas s’excite quand elle cherche à décrire le réveil du Québec. Ses envolées font sourire.
«Montréal est une fille de port aux sangs mêlés dont les princes des églises, les rois de la finance, l’aristocratie des arts et lettres et les mandarins politiques se disputent férocement le lit. C’est flatteur, elle ne le nie pas. Elle adore qu’on la courtise et qu’on la complimente, que l’on accourt en grand nombre à ses fêtes et que l’on rêve des impossibles rêves en regardant virevolter ses jupons aux volants multicolores, taillés à même les oripeaux de ses éclectiques amants dont elle protège jalousement la parcelle d’âme qu’elle leur a dérobée durant leurs étreintes.» (p.46)
Plus de sobriété aurait mieux servi son propos. Peut-être aussi que son «point de vue global» était un pari impossible à tenir. J’y reviens, cette manière de dire donne l’impression que l’auteure écrit en apnée.
«À sa mort, (Maurice Duplessis) même s’il tenait encore la majorité des enfants de la belle province d’une poigne solide, le Chef avait presque totalement perdu le contrôle de Montréal. Elle se moquait ouvertement des conventions, faisant les poches aux hommes d’affaires anglophones et s’envoyant en l’air avec les Parisiens anarchistes, ces excentriques en rouge et en noir qui s’étaient amenés en même temps que la télévision, chantant à tue-tête « La mauvaise réputation » et « Le gorille » de Georges Brassens.» (p.48)
«Montréal show chaud», avec ses raccourcis et ses clichés, s’avère le document brouillon d’une groupie qui n’a pas su garder ses distances pour démêler les fils d’une époque pas comme les autres.

«Montréal show chaud» de Carmel Dumas est paru aux Éditions Fides.

dimanche 9 août 2009

Janik Tremblay cherche le bonheur

Un bloc appartement, rue Fabre à Montréal, tout près du monde tant de fois décrit par Michel Tremblay. Tout débute le 6 décembre 1988 avec le drame de Polytechnique. Vincent y étudie avec son ami Émile. La vie est pleine d’espérances et il y a l’arrivée de ce tireur fou.
«Il repensait souvent à cette douloureuse année. Toutes les soirées pendant lesquelles, avec Vincent et les autres, ils s’étaient remémoré les événements du fatidique 6 décembre. Combien de nuits blanches? Les bouteilles de bières vides, les mégots débordant des cendriers. Une odeur de taverne régnait dans l’appartement d’Émile. Pourquoi n’avaient-ils rien fait? Les filles à gauche, les garçons à droite. Trop peu de temps pour apprivoiser une arme si monstrueuse. À peine quelques secondes pour affronter un regard plein de haine et de colère. Un regard si menaçant. Pourquoi avaient-ils silencieusement obéi quand le tueur leur avait ordonné de quitter la classe?» (p.13)
Vincent se sent coupable et lâche. Pourquoi n’est-il pas intervenu pour tenter d’empêcher le massacre? Il se suicide le 6 décembre 1992, quatre ans plus tard, n’arrivant plus à trouver une direction à son existence.

La vie

Si certains des six locataires de l’édifice de la rue Fabre semblent doués pour le bonheur, d’autres se heurtent à des murs. Comment continuer à respirer quand le pire frappe autour de soi? 
«Le mieux, c’est de ne rien dire, mais d’être là, assura Philippe. Les mots ne réconfortent jamais, ce ne sont que des bruits. Le silence est plus efficace. » Ils regardèrent Philippe. L’image de Vincent s’infiltra entre eux. Aucun commentaire ne fut émis. Le taxi de Rodolphe s’immobilisa devant le dépanneur. Rodolphe sortit rapidement de sa voiture et revint s’asseoir. «Elle m’émeut, cette petite, toujours des ressources pour affronter les pires malheurs.» Ébahi, Jean-Charles regarda Béa: «Tu crois vraiment que l’amour est la solution à tout?» «On prête trop de bonnes intentions à l’amour», dit Roxanne. «L’amour, ce n’est jamais suffisant», affirma Philippe.» (p.165)
Marie quitte Pierre qui sombre dans l’alcool. Jeanne emménage avec l’amour tout neuf de Nicolas. Étienne se remet mal du suicide de son ami Vincent. Lola travaille avec Médecins sans frontières pour ne pas affronter directement peut-être la perte de son frère. Et Madame Edouard retrouve, cinquante ans plus tard, son premier amoureux. La vie est pleine de ressources, têtue comme du chiendent, poussant tout le monde en avant.
«La fatalité nous surprend sans que nous y soyons préparés. Arriver au dépanneur à seize heures. Pourquoi pas à quinze heures? Des bougies reliées à la fatalité. La vie quelle ordure», ruminait Lola.» (p.155)
Comme chez Paul Auster, le hasard multiplie les coups fourrés. Il suffit d’une minute et pour que tout bascule.
Hymne à la vie

Janik Tremblay suit des personnages plus attachants les uns que les autres, des vivants et des battants. Malgré les embûches de l’existence, ils finissent par triompher des plus terribles épreuves. Solidaires, les locataires de l’édifice à logements forment une famille qui partage tout dans le bonheur comme dans les pires épreuves. C’est vivant, touffu, émouvant par moments.
Janik Tremblay, comme dans ses romans précédents, est attentive aux gestes du quotidien, aux émotions qui font les grands et les petits bonheurs. Le lecteur en sort remué, plus confiant, accompagné par une musique qui marque les ouvrages de cette écrivaine. Un bel hymne à la vie qui prend plaisir à éprouver ceux qu’elle aime.

«Le bonheur est assis sur un banc et il attend» de Janik Tremblay est paru aux Éditions Stanké.

lundi 3 août 2009

Patrice Martin s’amuse avec le lecteur

Peut-être que les écrivains ne peuvent que s’appuyer sur leurs prédécesseurs pour créer leur propre oeuvre. La littérature nourrit la littérature et l’ensemble des livres constitue une longue chaîne. Habituellement, un auteur fait tout pour masquer ses influences, se présentant comme l’enfant qui vient de naître.

Patrice Martin, dans «Le chapeau de Kafka», met cartes sur table à propos de l’auteur de «La métamorphose» et du «Procès». Assez pour nous plonger dans une histoire étrange, parfaitement logique et absurde, un univers que ne nierait pas Samuel Beckett. Les personnages dialoguent sans se comprendre, prisonniers de codes et de leurs fonctions. Martin évoque la bêtise du fonctionnarisme et une société qui s’en tient à des règles abstraites et inhumaines.

Mission

P. (Patrice Martin peut-être) reçoit une mission. Il doit aller chercher un chapeau ayant appartenu à l’écrivain tchèque dans un édifice de New York, récupérer le couvre-chef et le ramener à son patron. Ce qui devait s’avérer une simple promenade déraille. Coincé dans un ascenseur, P. réussit à en sortir après un dialogue digne de «En Attendant Godot» avec les préposés à l’entretien, tombe sur un gardien d’entrepôt qui vient de mourir. Craignant d’être accusé de meurtre, il décide de cacher le corps dans une valise où il déniche un manuscrit. Il y est question de Paul Auster, Italo Calvino et Jorge Luis Borges.
Les événements font le larron, dit l’adage. P. décide de voler le chapeau pour demander une rançon, se retrouve encore une fois coincé dans l’ascenseur avec une femme dont il tombe amoureux.
«En effet, s’il n’avait pas été coincé à cet étage précis, il n’aurait pas cogné à la porte de la salle des valises. S’il n’avait pas trouvé, puis caché le corps du garde de sécurité, il n’aurait sans doute pas été là au moment où la caisse de chapeaux arrivait dans la salle. S’il n’avait pas conclu sa seule option véritable était de voler le chapeau et, afin de ne pas déclencher l’alarme, de monter de nouveau dans l’ascenseur, il ne serait pas en présence de cette jolie femme qui porte présentement la preuve à conviction de sa culpabilité sur sa tête. » (p.65)
Une partie de l’intrigue tourne autour de cet ascenseur imprévisible qui provoque les situations les plus étranges. Il peut même devenir dangereux en chutant de plusieurs étages.
«L’action mène à la connaissance, qui pousse à l’action, qui mène à la connaissance, qui pousse à l’action, etc. P. est venu accomplir quelque chose de précis dans cet édifice, mais ce qu’il y a appris le pousse à faire autre chose. Ce tango interminable entre action et connaissance, connu sous le nom de dialectique, fait la force et le malheur de l’humain en même temps qu’il le distingue des bêtes.» (p.32)

Puzzle

Peu à peu les morceaux du puzzle s’imbriquent. Patrice Martin nous entraîne dans un suspense où le hasard provoque les pires situations. Paul Auster s’avance dans l’ombre et c’est lui que l’auteur tente d’approcher.
«Max relate alors comment Auster raconte que Kafka invente une histoire pour une petite fille qui a perdu sa poupée. Il explique que son roman à lui tourne autour du chapeau de Kafka et de la ville de New York. Or comme, de toute évidence, un des plus grands romanciers new-yorkais de l’heure est un fan de Kafka, il a pensé qu’il serait peut-être intéressé à lire son manuscrit et, pourquoi pas, à en signer la préface.» (p.91)
De véritables poupées gigognes qui s’emboîtent et font glisser dans des univers étranges. Un texte brillant, un peu compliqué, mais jamais le lecteur ne perd le fil. On apprécie les clins d’œil et les entourloupettes, les surprises et les dialogues particulièrement absurdes. Ceux qui fréquentent Borges, Auster et Calvino apprécieront.
Patrice Martin s’amuse à paraphraser ses auteurs favoris sans faire une fausse note. Un travail original, une surprise et un plaisir d’esthète. La littérature québécoise ne nous a pas habitué à ce genre de récit.

«Le chapeau de Kafka» de Patrice Martin est paru chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/catalogue/516.html

mercredi 22 juillet 2009

Yves Dupéré écrit un thriller historique

Yves Dupéré signe un troisième roman qui nous plonge dans la période qui précède la déclaration d’indépendance des États-Unis en 1783. «Un vent de révolte» est certainement le meilleur roman historique que j’ai lu depuis longtemps.
L’auteur nous transporte à Philadelphie, Paris, Québec, Montréal, Boston, Nantes et Versailles. Des bonds dans l’espace qui oscillent entre avril 1775 et septembre 1783, le temps de suivre des personnages réels et imaginaires qui décident de l’aventure américaine. Les Bostonnais ne décolèrent pas devant les mesures imposées, par le roi Georges III d’Angleterre, qui étouffent les ambitions commerciales de la colonie. Plusieurs escarmouches éclatent ici et là, dont le «Boston Tea Party».
«Dès que la nouvelle arrive en Amérique, l’indignation est générale chez les commerçants qui encouragent le boycott du thé. Des bateaux de la Compagnie des Indes orientales chargés de thé se rendent dans différents ports coloniaux. À New York, les navires sont obligés de faire demi-tour en raison de l’hostilité de la population. À Boston, cinquante hommes déguisés en Amérindiens se glissent à l’intérieur de trois bateaux dans la nuit du 16 décembre 1773 et jettent par-dessus bord trois cent quarante caisses de thé. C’est le Boston Tea Party.» (p.14)
Les révoltés entendent bien voler de leurs propres ailes malgré les embûches et la répression. L’affrontement armé devient inévitable.

Défaite de 1760

Pendant ce temps au Canada, nul n’a oublié la défaite de 1760. Plusieurs sont retournés en France plutôt que de subir le joug anglais. La famille de François Hébert de Courvais, les héros de «Quand tombe le lys», a vécu la fin du régime français et été durement éprouvée. Alexandre, le frère de François, est mort en héros sur les plaines d’Abraham. Sa sœur Catherine a été violée et tuée par les habits rouges. Jean et Alice étaient des enfants lors de ces événements.
Jean voit dans la révolution américaine une chance de refaire sa vie. Criblé de dettes, il doit fuir la France. Alice travaille comme espionne à Philadelphie, usant de ses charmes pour connaître les décisions du Congrès et les intentions des rebelles.
«Comme espionne du roi, elle avait misé énormément sur ces atouts afin de s’élever et enfin devenir l’un des meilleurs agents de Louis XVI. Par sa beauté, sa grâce et son charisme, elle avait réussi à ensorceler plusieurs hommes. Henry, un médecin de Philadelphie et espion pour le compte de l’Angleterre, était le dernier de sa liste et il venait de payer le prix de ses manœuvres.» (p.20)
Plusieurs francophones du Canada voient dans le soulèvement des Américains la chance de prendre leur revanche et de bouter l’Anglais hors du pays, même si le clergé et la petite bourgeoisie restent fidèles à la couronne britannique. Une première invasion des Américains en décembre 1775 échoue. Les Canadiens sont déçus par l’attitude hautaine et méprisante des envahisseurs. Ils ne laissent guère de bons souvenirs dans la population de Montréal et une seconde tentative reste à l’état de rumeur.
Alice et Jean vivent le grand rêve de conquérir le Canada pour affaiblir l’Angleterre et rétablir l’hégémonie de la France. Ils deviennent les yeux et les oreilles de Louis XVI et du général Washington dans la colonie du Nord. Dans la clandestinité, ils subissent la répression impitoyable du colonel Stephen Downer, un tortionnaire. Ils risquent leur vie pendant que le roi de France ne joue pas franc jeu, n’ayant nullement l’intention de reconquérir le Canada. La fin du roman est particulièrement émouvante.

Un thriller

Yves Dupéré fait intervenir des personnages comme Georges Washington ou Benjamin Franklin avec justesse. Des intrigues amoureuses, des trahisons et des rebondissements inattendus tiennent le lecteur en haleine. Il ne peut que s’attacher à Alice et Jean, des héros modernes et fascinants.
L’écriture sans artifices va droit au but cette fois. Un véritable thriller. Une belle manière de présenter une période trouble de ce passé dont on ne parle guère dans les institutions scolaires.

«Un vent de révolte» d’Yves Dupéré est publié aux Éditions JCL.

dimanche 19 juillet 2009

Claire Varin tente de revivre son passé


Claire Varin, dans «La Mort de Peter Pan», revient sur un amour de jeunesse. Malcolm Wendell Walker est mort à trente ans. Né de père irlandais et d’une jeune anglophone de Montréal, le jeune homme a péri dans l’incendie d’un appartement. Alcoolique, il buvait jusqu’à s’écrouler sur le trottoir, devenant une véritable épave. Un comportement propre à Jim Morrison des Doors et André Mathieu le compositeur et musicien québécois décédé prématurément, tout comme Jimi Hendrix, Janis Joplin, Bukowsky, Sylvia Plath et Émilie Brontë. Et comment ne pas penser à Jack Kerouac! Des étoiles filantes qui ont marqué l’imaginaire de plusieurs générations.
Claire Varin a aimé cet homme et garde de lui une image qu’elle n’arrive pas à oublier.
«Qu’avais-tu de si extraordinaire pour que, après une vingtaine d’années, je décide d’écrire sur toi, à partir de toi, vers toi, si beau et authentique ? Peut-être que de tous ceux qui ont touché mon cœur, tu es le seul à m’avoir aimée follement tout en m’acceptant comme un être libre. Il fallait que notre arbre grandisse avant que ses fruits ne se détachent de leurs branches.» (p.10)
Malcolm allait de conquête en conquête, se saoulait avec une application quasi religieuse. Un obsédé aux instincts suicidaires. Ce «désir d’anéantissement», Nicole Houde dans «Je pense à toi», son plus récent roman, l’a parfaitement décrit. Une sorte de jubilation accompagne ces plongées qui poussent à la limite du possible. Comme un voyage hors de soi.

Enquête

Est-il possible de «revivre» un amour perdu, d’en préciser les contours et les couleurs? Claire Varin se lance dans cette folle entreprise, rencontre la mère de Malcolm, retrouve des femmes avec qui il a eu des aventures, des amis et des connaissances. Elle remonte dans son enfance, son court séjour à la crèche, questionne sa mère Myrtie, visite des lieux pour retrouver l’ambiance de l’époque, invente un mythe autour d’un alcoolique plutôt difficile à suivre dans ses extravagances. Elle ira jusqu’à tenter de retrouver le père qui n’a jamais été là.
«Je suis la fascinée de la mort, ravie par la vie. Je ne veux pas raconter une histoire pour divertir, mais pour approfondir mon propre mystère. Qui est aussi le tien. « Celui qui meurt est celui qui reste » ; d’accord avec l’auteur anonyme de cet aphorisme. On dit que les morts ne reviennent pas, mais ils reviennent. Toi et moi convenons de l’exactitude de cette assertion notée à mon réveil.» (p.118)
Sa quête entraîne la romancière vers l’ésotérique, des médiums qui savent communiquer avec les disparus, semble-t-il.

La mort

Claire Varin tente de cerner cet homme qui s’est consumé comme une météorite. Elle s’attarde à des cérémonies funéraires à travers différentes époques, se penche sur l’Égypte pour étudier la préparation des momies. Mais comment percer les secrets de la mort qui hantent l’humanité sans se retourner vers soi pour se surprendre dans le miroir?
«Toi, tu es mort à trente ans et ton film se déroule dans ma tête. J’en suis notamment la recherchiste, la scénariste, la réalisatrice et l’une des actrices, celle pour qui le protagoniste s’embrase au point de lui léguer sa vie, sa mort en fait, sur un plateau d’argent.» (p.198)
Roman étrange, réflexion fort intéressante sur l’écriture, les souvenirs qui s’accrochent à la mémoire. Peut-être que les hommes et les femmes ne peuvent s’empêcher d’inventer des fictions en explorant leurs souvenirs pour les protéger comme des momies.
«La Mort de Peter Pan», malgré ses aspects ésotériques, fascine. Une écriture maîtrisée et un regard sur l’art de vivre et d’écrire qui échappe à la banalité. Claire Varin nous laisse sur une question. «Tout ce temps où je t’ai écrit, Malcolm, suis-je allée vers ta souffrance? Toi, tu m’as accompagnée vers la mienne.» (p.213)
Pouvait-il en être autrement?

«La Mort de Peter Pan» de Claire Varin est paru aux Éditions Québec Amérique.

dimanche 5 juillet 2009

Jérôme Gagnon raconte Péribonka

Quand une municipalité de la région fête son centième anniversaire de fondation, il est difficile de ne pas se demander si nous vivons son chant du cygne. Surtout depuis la crise forestière et les problèmes de l’agriculture, deux pôles d’activités qui ont permis à la plupart des communautés de se développer. Jérôme Gagnon, dans «Péribonka, un petit village au grand destin», formule la question dans l’ouvrage qu’il lançait, il y a quelques jours, au musée Louis-Hémon.
«Plus que jamais, la municipalité de Péribonka est à un tournant décisif de son histoire. On n’hésite plus à parler d’elle comme d’une communauté dévitalisée. Petit à petit, les symboles de sa cohésion sociale s’étiolent. En 2006, la dernière épicerie a fermé ses portes et, l’année suivante, c’est au tour de la caisse populaire d’interrompre ses services à Péribonka. L’école continue de maintenir une partie de ses activités, mais pour combien de temps?» (p.235)
Un scénario connu de toutes les régions périphériques du Québec.

Centenaire

Péribonka fête, en 2009, le centième anniversaire de sa constitution en municipalité. Jérôme Gagnon, historien et chercheur, avec plusieurs collaborateurs, a écrit l’histoire de ce territoire et de ce village au destin singulier sans gommer la présence autochtone. L’historien présente le territoire de la Péribonka à partir des premiers contacts au temps de la Nouvelle-France. Des oblats, Joseph-Étienne Guinard et le père Crespieul, remontent les rivières jusqu’à la baie d’Hudson, empruntant la Péribonka. Louis Jolliet y mène une expédition en 1679. Les Innus sillonnent ce territoire depuis plus de 6000 ans. La rivière Péribonka étant, avec la rivière Ashuapmushuan, l’une des grandes voies d’accès aux territoires de chasse.
Première église de Péribonka
Le peuplement récent de Péribonka occupe une place importante dans ce document avec l’arrivée d’Édouard Niquet et de son épouse Mélanie Boisvert en 1888. Une figure légendaire, un modèle de débrouillardise. Avec sa situation géographique unique, une ouverture sur le lac Saint-Jean et l’accès à tout un territoire forestier, le village ne pouvait qu’attirer nombre de gens qui veulent changer de vie. Ce fut un pôle important de la navigation sur le lac Saint-Jean avec Roberval, le terminus ferroviaire où à peu près toutes les marchandises transitaient.
Des personnages fascinants s’installent comme le Français Paul-Auguste Normand et Joseph Savard, un visionnaire de l’agriculture. Également des frères ouvriers de Saint-François-Régis à Vauvert qui seraient à l’origine de la culture de la pomme de terre dans le secteur. Des Européens aussi qui viennent tenter leur chance, mais n’arrivent pas à relever le défi.
Péribonka, c’est l’histoire de la navigation sur le lac Saint-Jean, du flottage du bois qui a duré quelque 140 ans. Le village se singularise avec la construction d’une usine de pâte en 1901 qui connaîtra le même sort que Val-Jalbert et les installations de J.E.A Dubuc au Saguenay. L’agglomération connaîtra aussi l’effervescence des chantiers de construction des grands barrages, la production d’électricité et le rehaussement des eaux du lac Saint-Jean. Son environnement changera avec la disparition de Jeanne-D’arc, un village prospère, qui s’érigeait dans le territoire qui est devenu le parc de Pointe-Taillon.

Louis Hémon

En 1912, un Breton arrive à Péribonka et s’engage comme homme à tout faire chez Samuel Bédard. Un aventurier, un écrivain qui observe et parle peu. «Maria Chapdelaine» de Louis Hémon sera publié quelques années plus tard, un grand succès de la littérature mondiale qui fait connaître Péribonka partout sur la planète. Le village devient un lieu de pèlerinages pour des milliers d’admirateurs. Éva Bouchard sait entretenir le culte et attirer les visiteurs. Péribonka devient un lieu mythique qui nourrit l’imaginaire. La municipalité vit son «âge d’or» en 1960 avec une population de 891 habitants. Il n’en reste plus que 540 en 2006.
Jérôme Gagnon a le grand mérite d’avoir parcouru cet immense territoire depuis des temps immémoriaux jusqu’à l’époque récente. Bien plus que l’histoire de Péribonka, son travail constitue un regard sur le développement du Lac-Saint-Jean. Le lecteur trouvera dans «Péribonka, un petit village au grand destin» une foule de renseignements, de statistiques et de photographies qui témoignent de la vitalité d’un peuplement et de son déclin. Une fresque fort intéressante qui se lit comme un roman.

«Péribonka, un petit village au grand destin» de Jérôme Gagnon est publié par la municipalité de Péribonka.