ÉLISE TURCOTTE, AVEC L’APPARITION DU CHEVREUIL, nous entraîne
dans un drame que nombre de femmes vivent quand elles prennent la parole, débattent
sur les réseaux sociaux et dénoncent les travers de notre société, les
agressions qu’elles subissent depuis tant de temps. Pas une journée sans ces attaques verbales et souvent physiques, des comportements étranges et méprisants, de facéties des Boys clubs.
On l’a vu tout récemment avec Martine Delvaux à Tout le monde en parle. Les commentaires d’un pachyderme en
particulier sur la page Facebook de l’écrivaine ratatinent les propos et
constats de madame Delvaux à la taille et à la rigidité d'un pénis. Nous en
sommes là à l’ère de l’intelligence artificielle et des communications
instantanées. Nous sommes encore et toujours là dans ce monde barbare.
Des têtes sont tombées, des
vedettes qui se croyaient au-dessus de tout, des mâles alpha dominants, des
chefs de meute qui se permettaient n’importe quoi ont écopé. Il était temps, il
sera toujours nécessaire de parler.
J’ai publié Le réflexe d’Adam en 1996 pour me questionner sur les violences de certains hommes et l’éducation des garçons. Marc Lépine entres autres et affirmer que les féministes ont fait de moi un individu meilleur. J’ai heurté un mur, un silence douteux, même que certaines chroniqueuses à la radio de Radio-Canada m’ont ridiculisé. Elles en avaient assez des « hommes roses ».
J’ai publié Le réflexe d’Adam en 1996 pour me questionner sur les violences de certains hommes et l’éducation des garçons. Marc Lépine entres autres et affirmer que les féministes ont fait de moi un individu meilleur. J’ai heurté un mur, un silence douteux, même que certaines chroniqueuses à la radio de Radio-Canada m’ont ridiculisé. Elles en avaient assez des « hommes roses ».
L’apparition du chevreuil est
venu me couper le souffle, comme une torpille qui explose dans vos pensées et
vous laisse honteux d’appartenir à cette espèce de mâles, à ce monde que l’on
dit civilisé. Malgré toutes les dénonciations, il y a toujours une bête qui
rôde sur les trottoirs des villes, un gars en rut dans une campagne qui cherche
à profiter des fillettes et à imposer ses lubies et ses folies.
NARRATION
La narratrice est romancière,
féministe et se fait une obligation d’intervenir sur les réseaux sociaux pour
dénoncer des situations et des propos inacceptables. Elle est la cible de plusieurs
commandos du phallus, comme bien des femmes qui osent prendre la parole,
poursuivie, agressée verbalement et menacée. Sa vie devient un enfer et la peur
s’installe dans son quotidien. Pour échapper à cette folie, elle se réfugie
dans un camp en pleine forêt pour retrouver un peu de sérénité, écrire,
respirer sans craindre d’entendre les pas du chasseur. Une sorte de thérapie
par le silence, la solitude, la paix des arbres en un début d’hiver qui efface tout. Les lieux de villégiatures alors sont abandonnés aux bêtes et au froid
qui se faufile partout, à la neige qui permet de se replier et de faire
face à ses « peurs et tremblements ».
Cette fois, à mon corps défendant,
j’y suis à la fin de l’automne. On m’a poussée à partir. Je m’exerce maintenant
à faire taire les voix qui squattent mon cerveau. La Toile, la politique, les
phrases de l’un, les commentaires de l’autre, les réponses autoritaires, les
attaques camouflées, les menaces, l’ordre, les conférences, les animaux
blessés, les mouvements de terreur, les ovules qu’il me reste, le corps entier.
Cordes, bois, cuivres, rejouez ! (p.9)
J’ai dû prendre une grande respiration
avant de plonger dans ce texte qui secoue la peur, la méfiance de tout,
l’hésitation et l’incertitude qui fait que le monde n’est jamais certain, que le
danger peut surgir avec la poussée du vent dans les arbres.
Voici l’écrivaine aux prises avec
ses frayeurs, des réflexes qu’elle n’a pas su laissés en ville. Seule avec son
ombre, son carnet, son stylo, sa bouteille de vin qui parvient à la calmer un
peu quand la nuit lèche les fenêtres.
Je ne comprenais pas trop au
début pourquoi cette femme pouvait être si méfiante et qu’elle sursautait au moindre
bruit. Facile de penser que le personnage est une névrosée. Peu à peu pourtant,
nous nous faufilons dans son vécu. Un homme a terrorisé sa famille par ses
propos et ses comportements, s’en prenant particulièrement à elle, la féministe,
celle qui ose parler et lui tenir tête. Le prédateur a imposé ses courtes vues et
il cherche à triompher de celle qui résiste envers et contre tous.
Je regarde le camion s’éloigner.
C’est l’heure de l’apéritif. Cela me rassure. Comme l’épisode restant d’une
télésérie de choix, comme le roman policier assez fort pour me permettre de
flotter. Ce n’est pas aussi simple qu’il y paraît : il faut trouver la
dose parfaite de mots, de meurtres, de survie, et de liquide. Une once de trop
et le passé revient, me rappelant que je suis, moi aussi, un personnage qui
déambule entre les scènes d’un malheur invisible. (p.39)
Nous accompagnons l’écrivaine au
bord de la crise, apprenons la vie épouvantable de sa sœur qui a été détruite comme
toutes celles qui ont cru à un gourou et qui se sont livrées corps et âme à un séducteur
qui promettait de changer le monde, de vivre par l’amour, le partage et
l’amitié. Le beau-frère possède la vérité dans une époque où, affirme-t-il, les
féministes décident de tout et écrasent les hommes. Un matriarcat sournois
qu’il combat à l’intérieur d’associations masculinistes qui veulent retrouver
le temps béni où le mâle dominait tous les aspects de la société, ne laissant
aucune place à la femme sauf pour les besoins du sexe, pour « se soulager ».
TERREUR
Peu à peu, j’ai ressenti l’univers
se refermer sur l’écrivaine. Le beau-frère a mis toutes ses énergies à la déstabiliser,
la terrorisant sur les réseaux sociaux en prenant différentes identités, en
l’espionnant et en piégeant même son téléphone.
L’obsédé n’est jamais loin. Il a
réussi à trouver où elle s’est réfugiée et il va finir par frapper. Elle le sent, elle le sait, elle
le devine. Une femme traquée a cet instinct de comprendre que sa vie est en
danger et que le tueur rôde.
Personne ne me croira, mais c’est ce
qui se passe ; quelqu’un m’a suivie jusqu’ici. Ou peut-être que non,
peut-être que c’est un voisin, l’homme à la maison de riches, ou un autre, un
ami d’Aron. Sauf que je ne vois aucun véhicule. Pas de traces de pas non plus,
mais il vente si fort qu’elles s’effaceraient aussitôt formées. Même l’allée
déblayée n’est déjà plus visible. (p.51)
Le beau-frère squatte une cabane
avec son fils dont il a perdu la garde et qu’il a kidnappé. Il en veut à celle
qui résiste, celle qui pense, la grande responsable de tous ses déboires. Ces dictateurs
ne savent qu’accuser les femmes pour leurs échecs et leurs incapacités à se
prendre en main. Une rebelle devient le bouc émissaire idéal.
ÉTAU
Peu à peu, l’étau se resserre et le
beau-frère la surprend dans son refuge. Elle ne peut compter que sur
elle puisqu’il n’y a personne dans le secteur. Surtout avec la neige qui les
coupe du reste du monde.
Élise Turcotte rend palpable
cette peur irrationnelle et instinctive devant un prédateur qui laisse courir sa rage.
Oh, la voici la rançon. C’est la
même depuis le début, j’aurais dû le savoir. Que rien n’est jamais réglé dans
les affaires de famille. C’est comme
une mafia, le non-dit revient avec ses armes. Parfois de nouvelles proies,
parfois les mêmes, jusqu’à plus soif. Me taire, ne pas répondre, ne pas réagir.
Mon œil vibre, je vais faire une erreur. Mais ce n’est pas dans ses plans
immédiats. (p.81)
La crainte au corps et au bord de
la crise de nerfs, la romancière vit la hantise, la mort avec le froid qui
envahit le chalet, ne parvenant pas à faire du feu correctement dans le foyer.
Elle doit faire face, qu’elle le veuille ou non, libérer le fils de sa soeur et
sauver sa peau.
Un texte terrible d’angoisse qui
vous met devant les plus grandes violences. Tout part de la famille qui se fait
tolérante et complice de ces obsédés, qui tente souvent de minimiser certains
propos et de ne jamais prendre les moyens qui s’imposent, de poser les gestes qui
vont tout changer.
Un texte haletant, une écriture
qui se casse, étouffe, une bourrasque qui entre dans la peau. Toujours là,
d’actualité malgré les milliers de dénonciations et les grands principes que
nous ne cessons d’agiter comme des fanions. Il suffit de dériver sur les réseaux
sociaux pour se heurter à des propos intolérables, aux assertions démentes de
certains mâles qui veulent en découdre avec les femmes pour retrouver le
paradis perdu du prédateur qui a saccagé la planète. C’est terrible de penser que
ça existe encore en 2019, mais il semble que l’humain n’évolue jamais aussi
rapidement que ses fameuses technologies dont il est si friand pour imposer ses
lubies et ses pulsions suicidaires. Ça donne froid dans le dos.
TURCOTTE ÉLISE, L’APPARITION
DU CHEVREUIL, Éditions ALTO,
2019, 160 pages, 21,95 $.
https://editionsalto.com/catalogue/lapparition-du-chevreuil/
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