CAMILLE DESLAURIERS fait preuve d’une belle autodérision dans Les ovaires, l’hypothalamus et le cœur
(le titre est déjà une vraie aventure), un recueil qui regroupe des nouvelles mettant
en scène une enseignante. Il est tentant de trouver des accointances avec celle qui oeuvre à l’Université du Québec à Rimouski, mais n'allons pas trop rapidement.
Une plongée dans le monde contemporain où il n’est jamais facile de faire sa
place et encore moins de réussir sa vie intime et professionnelle.
Dans ces textes d’une grande vivacité, les relations amoureuses ont du mal à
trouver un espace et à s’épanouir dans la vie trépidante de la professeure.
Seize nouvelles,
dont six ont déjà été publiées sous une forme ou une autre. J’aime que les écrivains
prennent la peine de revenir sur leurs textes avant de les figer dans une publication, qu’ils sentent le besoin de pousser un peu plus loin la thématique et le questionnement. Je le sais, moi qui traîne un roman depuis 1984 et qui
n’arrive pas à me dépêtrer d’une intrigue et de personnages qui me hantent et
me bousculent. Un écrivain peut passer sa vie à tourner sur un projet d'écriture sans
jamais arriver à la forme souhaitée. Et j’aime cette façon de donner une autre
vie à des textes publiés ici et là dans des revues. Il faudrait que j’entreprenne
cette démarche avec toutes mes proses orphelines dispersées un peu partout et
qui doivent s’ennuyer de leurs semblables. C’est une belle façon de prolonger
la vie d’un texte qui a la vie si courte au Québec.
L’industrie du
livre prend les lecteurs pour des consommateurs qui ne cherchent que le
nouveau, le frais, le juteux comme on l’exige pour les légumes ou les fruits. Pourtant,
la bonne littérature ne se détériore pas. Une
saison dans la vie d’Emmanuel de Marie-Claire Blais n’a pas pris une ride
et encore moins La guerre, yes sir de
Roch Carrier. Combien de livres sont détruits par des éditeurs-comptables un an
après leur publication ? Les écrivains n’en parlent jamais, ressentant une forme
de honte face à ce gaspillage et surtout devant ce manque de respect pour leur
travail. Je le sais, je l’ai vécu à plusieurs reprises.
Beaucoup d’éditeurs ne méritent pas la confiance que les écrivains leur
accordent. Nous travaillons cinq ans, dix ans pour arriver à un roman ou des
nouvelles qui exigent toutes nos énergies. Et l’éditeur envoie notre ouvrage au pilonnage
après quelques mois sans avoir fait d’efforts pour le faire connaître. Un
véritable affront et un manque de respect pour le dur et patient travail de
l’écrivain qui cherche à se faufiler hors du temps, à s’inscrire dans la durée et
à échapper aux soubresauts de la mode et des humeurs du jour.
CONSTANCE
Les textes de
Camille Deslauriers sont portés par une belle constance et on pourrait parler
d’un roman par nouvelles. La narratrice, une enseignante, se débrouille devant
une classe, accomplit son travail consciencieusement, mais voit tout se
déglinguer quand elle se retrouve à la maison ou quand elle s’aventure dans une
relation amoureuse. Tout dérape et plus rien n’est possible. Pourtant, elle
semble tout avoir pour vivre une vie amoureuse pleine et intéressante même si
elle échappe à la norme et au couple traditionnel.
Juste avant de
lui remettre les clés, après la visite chez le notaire, elle a dû prendre
plaisir à le mettre en garde et à lui raconter que et que. Vous êtes arrivée
célibataire dans cette maison de ville et vous l’êtes toujours, alors qu’elle
et lui et eux et toute la rue : des familles conventionnelles, ou des
couples de retraités. Si encore vous étiez monoparentale. Célibataire après
tout ce temps, c’est signe que quelque chose cloche. Il faut dire que vous êtes
particulière. Des piles et des piles de livres en permanence sur la table de
cuisine et des chats à toutes les fenêtres. (pp.36-37)
Tout glisse entre
ses doigts. Elle se retrouve seule dans son salon ou sa cuisine,
avec les copies de ses étudiants, en colère contre un voisin qui prend plaisir
à l’embêter, peut-être parce qu’elle est une femme seule et qu’il n’y a pas de
mâle dans les alentours.
Elle participe à
des colloques à l’étranger, voyage et arrive tant bien que mal à publier. Une
vie palpitante, c’est du moins ce que j’aime croire. Une vie réglée au quart de
tour aussi.
Cette même
battante se retrouve devant son miroir, seule avec un grand vide dans la tête
et le cœur. L’impulsive, l’imprévisible peut même devoir aller à l’urgence,
n’en pouvant plus, incapable de se maintenir à la surface.
Depuis je me
fabrique des histoires d’amour dont j’embrouille les trames, comme les femmes
berbères entrelacent les fils les nœuds les motifs dans leur tapis qui
deviennent livres ouverts, journaux intimes, palimpsestes. Souvent, je repense
à cette tisserande recluse tout au fond de l’échappe et à son offrande, un bout
de laine écarlate que je porte au poignet les jours de solitude, comme un SOS
codé une prophétie un talisman. (p.95)
C’est certainement
la trame qui sous-tend Les ovaires,
l’hypothalamus et le cœur. Une femme vit sa vie professionnelle pleine et
exigeante et a l’impression d’avoir tout raté et de n’être jamais à la bonne place
malgré les rires, les pirouettes verbales, les facéties qui donnent le change
quand elle est à l’université. Un humour et une dérision qui masquent la
profonde solitude et le flottement de sa vie sentimentale. Toutes ses
tentatives sont éphémères et font qu’elle s’enfonce de plus en plus dans sa
solitude. Même ses étudiants disparaissent après quelques mois. Tout passe,
tout va trop vite, tout, même la vie.
Poste à l’autre
bout du monde, rupture amoureuse, vente d’une maison, achat d’une autre dans
une ville inconnue, déménagement in
extremis, déracinement, course aux lignes dans le CV, point de fuite dans
le travail, nuits blanches à répétition — l’impression d’être une gerboise de
laboratoire dans une cage trop étroite depuis un an et demi. Les étudiants les
collègues les doyens le recteur, postés là nuit et jour, comme des géants, des
dizaines et des dizaines de regards qui surplombent le grillage. (p.105)
Camille
Deslauriers, avec son sens de l’humour et du ridicule, réussit à alléger des
histoires qui pourraient facilement devenir lourdes. Tout est là. Fébrilité, fragilité,
hésitation au bord du précipice. C’est ce qui rend ces textes touchants. Cette
terrible solitude, les sentiments d’échec qu’elle masque dans une écriture vivante,
saccadée et joyeuse presque. C’est troublant de voir comment elle maquille les
problèmes existentiels de sa narratrice. Et arrive souvent un passage, comme
une petite musique de Satie, une méditation pour clavier, qui laisse deviner le drame. Ça m’émeut et ça vient toujours me chercher.
On passera des
jours et des jours sur le divan à caresser ses chats. Les heures se compteront
en épisodes de séries télévisées et en ronrons. Leur chaleur, leurs cabrioles,
leur amour inconditionnel nous ramèneront parfois du côté de la vie. (p.111)
Camille
Deslauriers met le doigt sur une situation qui touche toutes les femmes qui
mènent une carrière professionnelle et qui sacrifient souvent leur vie
amoureuse.
Son écriture belle,
lisse, vivante permet de voleter sur le drame dans une sorte de rire un peu
forcé, une danse de papillon, des plaisanteries qui sonnent étrangement pour
montrer l’insoutenable légèreté de l’être.
Le vieil Ovide le
sait : le mal est dans la tête. Parfois, il lèche et lèche et lèche notre
front sans s’arrêter, pendant de longues minutes, comme s’il voulait cicatriser
la blessure invisible. Toutes les nuits, il nous veille et ronronne, couché sur
notre ventre. (p.111)
Pour voir la face
cachée des nouvelles de madame Deslauriers, il faut ralentir, reprendre son
souffle et toucher les maques. Là, on se retrouve devant un drame profondément
humain, touchant et émouvant. Une solitude qui emporte tout le monde
maintenant et que le téléphone intelligent et les amis Facebook n’arriveront
jamais à combler.
LES OVAIRES, L’HYPOTHALAMUS
ET LE CŒUR de CAMILLE DESLAURIERS,
une publication des ÉDITIONS HAMAC.
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