LES MIGRATIONS FONT en sorte que des femmes et des
hommes quittent leur pays d’origine pour faire leur vie ailleurs. Certains sont
venus au Québec et font partie maintenant du paysage littéraire. Que ce soit
Sergio Kokis, Abla Farhoud, Felicia Mihali, Danny Laferrière ou Kim Thuy, tous donnent
une couleur à notre imaginaire et portent des voix qu’il faut entendre.
Bien sûr, ils restent marqués par leur pays d’origine, un passé souvent lourd à transcender. Leur univers littéraire est fait de réminiscences, de
retour au pays de l’enfance ou encore de la découverte de leur nouvel univers. Les
écrivains nés au Québec ne sont pas tellement différents. J’ai abordé le thème
de l’enfance dans plusieurs de mes ouvrages. Les plus belles années, Souffleur
de mots, Le réflexe d’Adam. Les écrivains deviennent souvent des
explorateurs qui partent à la découverte de leur passé.
Les départs et les retours font partie de la fiction de Daniel Castillo
Durante depuis la publication de La
passion des nomades. Que ce soit dans ses romans ou dans ses textes courts,
l’absence du père marque ses fictions. Un sujet éternel puisque dans L’odyssée d’Homère, le fils Télémaque
va à la recherche de ce père mythique qu’attend Pénélope depuis des années avec une patience et
une fidélité que son mari n’a guère.
Dans Étrangers de A à Z, Daniel Castillo
Durante replonge dans ses thèmes de prédilections : la famille, l’errance,
les abandons et la fuite du père que le fils veut retrouver pour le meilleur et
le pire. Les femmes ont dû s’occuper de ces garçons en manque de références
masculines qui se retournent souvent contre elles. Ce sont là des thèmes qu’il
aborde dans ses grands romans : La passion
des nomades ou Un café dans le Sud.
Ce père, quand on réussit à le retrouver, est singulièrement dur et cruel,
fuyant et énigmatique. Étrangement, jamais cet abandon ne semble toucher les
filles… Bien plus, elles n’existent pas dans l’univers de Castillo Durante. Pas
l’ombre d’une fille qui cherche ce père qui a fui le piège de la paternité. Les
filles ne comptent pas non plus dans les romans de Sergio Kokis. Elles sont des
victimes quand les écrivaines s'attardent à leur situation. Felicia Mihali et Ablad
Farhoud l’illustrent magnifiquement bien.
Plusieurs
écrivains d’origine sud-américaine ne semblent jamais pouvoir en finir avec le
père, même quand on retourne dans les terres de l'enfance pour un héritage. Ce qui
est nouveau dans ces récits de Daniel Castillo Durante, c’est la brièveté des textes
qui s’approprient toute l’étendue du langage. Et, cette fois, les pères sont
là, agissants, souvent méchants et sadiques.
Or, pourquoi
avoir ouvert son iPad Air au lieu d’admirer la façade rose de l’église La
Parroquia sous les derniers rayons du soleil au cœur de la ville coloniale ?
L’étouffement économique de son fils déclenchait chez lui une sorte de
jouissance vindicative dont il avait de plus en plus de mal à se passer. À
force de retenir les cordons de sa bourse, les plaisirs de papa ne pouvaient
plus être que sadiques. (p.23)
Castillo Durante reprend
ce thème comme un musicien qui s’attarde à un motif et en explore toutes les
subtilités. Chaque essai lui permet de trouver un angle nouveau et des reflets restés dans l’ombre. Une sorte de quête qui lui permet de dresser la carte de son
univers et de mieux la parcourir même s’il risque de se répéter et d’emprunter
souvent les mêmes sentiers. L’important étant de connaître toutes les
dimensions de son univers de fiction, de découvrir les frontières de son
imaginaire.
ABANDON
Les histoires
d’amour surgissent tôt, au sortir de l’enfance souvent, durent le temps d’un
rêve ou d’une étreinte sexuelle. Un rêve éphémère et souvent cruel. Les jeunes
femmes se retrouvent enceintes et le bel amant prend la fuite, part dans le
vaste monde ou s’installe avec une autre, plus belle, plus riche. Les jeunes
mères se débrouillent en effectuant des travaux comme servante ou domestique, deviennent
souvent des prostituées. C’est le cas chez Sergio Kokis. Après avoir rêvé
d’être la seule et l’unique, elles doivent effectuer les corvées les plus
humiliantes. Chez Castillo Durante, comme chez Kokis, les femmes n’obtiennent
un statut social que par l’homme, le mâle qui a tous les droits et les
privilèges.
Brisée, humiliée, abandonnée
par sa famille, sans espoir, aigrie, elle devient acariâtre et vindicative, pousse
le fils à soutirer de l’argent au père pour améliorer sa propre situation.
L’enfant est manipulé et reste tiraillé entre les parents. Certains en
profitent, d’autres pas. Les fils tentent de trouver un sens à leur dérive
intérieure, la pire, celle que l’on ne peut jamais arrêter.
Ce fut en mettant
le pied à terre que je reçus le premier coup de poing sur mon épaule gauche.
J’essayai de repousser mon frère, mais il se mit à m’asséner des coups de poing
au visage que je m’efforçais d’esquiver tant bien que mal. Père qui assistait à
la scène demanda à mon frère de m’entraîner vers la rivière afin que le bruit
de l’eau se heurtant contre les pierres étouffe mes cris dont le registre aigu
lui rappelait sans doute ceux de maman. (p.43)
Extrêmement
troublant le portrait qu’esquisse Castillo Durante des hommes et des femmes. Leurs
travers prennent d’autant plus d’importance dans ces courts textes (il y en a
soixante-trois) qu’il ne vous laisse jamais le temps de reprendre votre souffle.
Une véritable mitraille qui frappe en pleine poitrine. J’ai dû interrompre
souvent ma lecture, ayant l’impression de vivre une agression. C’est peut-être
le problème de ces récits très brefs qui reprennent sans cesse un même sujet.
La charge est sans pitié.
Un peu
étourdissant, mais en même temps une sorte d’exorcisme qui laisse le lecteur,
tout comme l’écrivain, j’imagine, un peu abasourdi. Des reprises, des
recommencements pour mieux sentir les obsessions venues de l’enfance, d’un
monde extrêmement polarisé où il n’y a jamais de partage entre les hommes et
les femmes.
Daniel Castillo
Durante ne cesse de parcourir cette enfance qui le hante, oscillant constamment
dans ses romans entre le Nord où il fait sa vie et le Sud qui a marqué son
imaginaire. C’est peut-être la punition des migrants que de devoir transporter une
histoire terrible sans jamais pouvoir s’en débarrasser. Ils resteront des
étrangers dans le pays d’adoption et le pays d’origine. Une situation difficile
qui fait des personnages de Daniel Castillo Durante des errants, toujours en
quête d’un ancrage, d’un père qui ne cesse de fuir et de décevoir. L’œuvre de cet
écrivain nous donne souvent à voir l’envers du monde. Ils ne s’attardent guère
au Québec et parcourent les continents sans jamais arriver à s’arrêter. Il y a
une étude fort intéressante à réaliser sur cette dérive qui marque les œuvres
des écrivains migrants. Ils sont des fantômes, des survenants qui ne peuvent
jamais s’installer. C’est peut-être une condamnation ou une
fatalité. Comment savoir ?
ÉTRANGERS DE A
À Z de DANIEL CASTILLO
DURANTE est paru chez LÉVESQUE ÉDITEUR.
Une version de cette
chronique est parue dans Lettres
québécoises, numéro 163.
PROCHAINE CHRONIQUE : Télésérie de HUGO LÉGER paru chez XYZ Éditeur.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire